mardi 9 avril 2024

"Prospérités du désastre" de Jean-Paul Curnier

 II /  La peur de soi, l'horreur de l'homme


1/    La terreur n'est pas une arme nouvelle ni une affaire de moralité ou d'immoralité dans la guerre, elle est ce qui fait qu'une arme est une arme. Elle est ce qui rappelle qu'une guerre se remporte par la reconnaissance d'une suprématie, et cela à n'importe quel prix. Elle est par définition l'impensable même dans l'affrontement, ce qui doit déposséder l'autre de tous ses moyens de défense et avant tout de ses capacités de raisonnement, de lucidité, de résistance psychologique, elle est destinée à "affoler".

Ce qui peut donc paraitre particulièrement incompréhensible, et par-dessus tout affligeant s'agissant des réactions que l'on peut entendre sur les façons actuelles de l'exercer, c'est ce chœur hypocrite d'indignations et de condamnations à la seule évocation des moyens employés ici et là pour l'inspirer. Car en tout état de cause, affronter les moyens et les effets du terrorisme contemporain avec ce type d'orchestration de déplorations, d'appels aux bons sentiments et d'invocations des droits de l'homme ne peut produire que l'effet inverse à celui recherché. Il n'y a que deux solutions possibles : ou renforcer la sécurité par l'extension du pouvoir chargé de l'exercer - et donc aussi corrélativement, par l'affaiblissement des moyens collectifs d'assumer la terreur; ou, à l'inverse, donner à la collectivité humaine les moyens de se hisser elle-même à la hauteur de la mort qui la menace, lui laisser opposer à la perspective de sa disparition, l'affirmation en acte de sa propre existence et de sa propre puissance de devenir. C'est, comme on peut s'en rendre compte, dans la première voie que l'histoire moderne engage l'existence humaine.

Il faut l'affirmer une fois de plus: la terreur est inséparable de la guerre, seule change l'échelle où elle s'exerce. Toute moralisation, toute espérance placée dans l'indignation sont absurdes et révoltantes; elles abêtissent comme tout ce qui tend à dénier le réel par l'appel aux sentiments. Encourager la volonté d'irresponsabilité et d'innocence, c'est toujours encourager la dépossession de tous au profit d'un pouvoir livré à lui-même.

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