Article : La Libye, garde-chiourme de l'Europe
Lasse de supporter le coût financier et politique des vagues migratoires venues d'Afrique subsaharienne, l'Union européenne a mis sur pied un système de l'ombre destiné à stopper les migrants avant qu'ils n'atteignent ses côtes. Financés, formés et équipés par ses soins, les gardes-côtes libyens - un groupe à la structure quasi-militaire - sillonnent la Méditerranée pour saboter les opérations de sauvetage et capturer les migrants en partance pour l'Europe. Ces derniers sont ensuite envoyés dans les "goulags" libyens et détenus sans limite de temps ni procès. La plupart de ces geôles sont dirigées par l'une ou l'autre des nombreuses milices rivales du pays. Les organisations humanitaires internationales y recensent toutes sorte de mauvais traitements: électrocutions, viols d'enfants, extorsion de rançon, vente d'hommes et de femmes pour le travail forcé. "L'union européenne a mûrement réfléchi et planifié son projet: créer en Libye un véritable enfer dans le but de dissuader les migrants d'entreprendre la traversée", explique M. Salah Marghani, avocat spécialiste des droits humains et ministre de la justice libyen entre 2012 et 2014.
Le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique a été crée en 2015 lors du sommet de la Valette sur la migration et doté de 5 milliards d'euros, dont un cinquième à destination des pays d'Afrique du Nord afin de leur permettre de gérer eux-mêmes la crise migratoire. Ses promoteurs décrivent ce programme comme une initiative humanitaire tournée vers l'aide au développement et la lutte contre le trafic d'êtres humains. Il vise en réalité essentiellement à encourager un contrôle plus strict des mouvements de population entre les pays africains et à financer les opérations d'arrestation de migrants. Dans les faits, cela revient à déplacer la frontière de l'Union au nord du continent africain et à en sous-traiter la surveillance, parfois aussi à soutenir des agences d'état répressives. les Européens ont partagé les données personnelles de certains ressortissants éthiopiens avec les services de renseignement de leur pays, connus pour avoir exécuté des contestataires sous le gouvernement précédent. Au Soudan, l'argent européen a servi à créer un centre de renseignement à l'appui des forces de police chargées de réprimer les manifestations contre l'ancien président Omar Al-Bachir.
Principal point de départ pour les migrants en partance vers l'Europe, avec la Tunisie, la Libye, considérée comme un état failli, est devenue un partenaire-clé de l'Union. En 2017, un protocole d'accord signé entre l'Italie et les autorités libyennes réaffirmait "la détermination inébranlable [des deux pays] à coopérer pour trouver d'urgence des solutions au problème des migrants clandestins". En juin 2021, la contribution du Fonds fiduciaire aux efforts libyens de répression à l'encontre des migrants avait atteint 455 millions d'euros. "Est-ce que l'Union européenne est satisfaite? interroge M. Marghani. Aucun individu sain d'esprit ne peut être satisfait de ce qui se passe. Mais l'union poursuit un objectif politique: faire passer la Libye pour le méchant de l'histoire afin de camoufler ses mesures. Comme ça, les gentils Européens peuvent clamer qu'ils déboursent de l'argent pour rendre cet épouvantable système plus sûr".
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