lundi 15 avril 2024

"De la lecture" par Denis Hollier

 1563, 18 aout Montaigne assiste à la mort de son ami Etienne de La Boétie Partie 3


Montaigne savait bien que la chose ne dépendait pas seulement de lui ; mais pendant les quelques trente années qui suivirent, jusqu’à sa propre mort en 1592, sa vie fut étrangement hantée par la responsabilité de « faire une place » posthume à Etienne de La Boétie. Lez mourant lui avait légué sa bibliothèque et ses manuscrits. De la première, Montaigne a fait le noyau de la célèbre « librairie » qu’il a installée dans sa tour ; les livres de La Boétie se sont ainsi fait une place au centre du monde personne que Montaigne s’était construit et à partir duquel il s’est embarqué dans sa vaste méditation. Quant aux manuscrits, Montaigne a décidé de les publier. « Je souhaite merveilleusement, écrit-il en 1570, qu’au moins après lui, sa mémoire, à qui seule meshui je dois les offices de notre amitié, reçoive le loyer de sa valeur et qu’elle se loge en la recommandation des personnes d’honneur et de vertu ». Ces lignes proviennent de la lettre-dédicace écrite pour l’édition des poèmes latins de La Boétie. Elles seront répétées presque mot pour mot dans les autres volumes des œuvres de La Boétie que Montaigne fera imprimer religieusement : les poèmes français et la traduction de certains ouvrages de Plutarque et de Xénophon. On en retrouve l’écho plus intime, plus profond, dans les « essais » de Montaigne et surtout dans le célèbre chapitre « de l’amitié ».

Ce que la plupart des lecteurs ont retenu de cet essai est le caractère absolu qu’il donne au sentiment d’unité spirituelle entre amis. Pourtant, Montaigne avait initialement conçu cette expression d’une fusion parfaite – « ce mélange qui, ayant saisi toute ma volonté, l’amena se plonger et se perdre dans la sienne » - comme l’introduction à un texte que La Boétie avait écrit plusieurs années avant leur rencontre. Le chapitre « de l’amitié » devait servir de préface au plus important des manuscrits laissés par La Boétie, le « discours de la servitude volontaire », également connu sous le nom du « Contr’un ». C’est cette dissertation, entreprise peut-être comme un exercice purement rhétorique alors que La Boétie n’avait que seize ou dix-huit ans, qui a servi, comme le dit Montaigne ayant lu une des copies qui en circulaient avant de rencontrer son auteur. Publié à la suite de l’essai sur l’amitié, le « discours » aurait occupé la place d’honneur, au centre du premier livre des « Essais », qu’il devait « honorer » de sa présence

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