34: Trace, et ses sources "tracing", ses dérivés aussi bien, "contact tracing", étaient apparu à la faveur d'une angoisse déjà oubliée, pourtant pas si ancienne, dont les "médias" ont à toute force alors tenté de faire une psychose: l'angoisse de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) - dite de la vache folle.
Ladite " vache folle": pour dire ce que ne serait plus la vache seule ou "la vache même", immémoriale, en son essence et en sa nature; plutôt pour dire ce qu'elle serait devenue, s'étant par force mise à manger autre chose que ce qu'elle aurait dû, faisant en sorte qu'autre chose étant entré en elle qui mangeait, c'est autre chose qui entrerait en ceux qui la mangeraient...Troublante réversibilité. Et angoissante aussi ( une fois passés le trouble et l'angoisse que devrait susciter en soi le fait d'en manger, de la vache et de sa parentèle). Angoisse et trouble que puissent être malades ceux qui mangent comme elle depuis qu'on la fait manger comme eux. Et bien sûr, ils en seront tombés malades puisqu'il n'y a rien qu'ils veuillent moins que de pouvoir devenir autres, "a fortiori" de devenir "bêtes". Et bien sûr qui deviendront à leur tour fous, comme la vache elle-même est devenue folle. Obéissant à une métamorphose qui fait songer à celles qu'avait affreusement anticipées Kafka, qui l'avait cependant anticipée à l'envers.
Contre cette menace, on n'a débord pas su quoi inventer, ni quels mots dire. "Traçabilité", le mot n'est pas apparu innocemment: il a cherché à convaincre de la possibilité que les filières des bêtes destinées à la consommation humaine (lesquelles passent nécessairement par l'abattoir) soient susceptibles d'être dorénavant connues de tous, et entièrement, des entrailles de leurs génitrices aux intestins des consommateurs. L'abattoir est alors devenu un lieu sacré, à l'égal des abbatiales. Il en dépendrait qu'on n'ignore rien dorénavant de l'origine et de l'identité de celles-ci pour qu'on n'ignore rien non plus du destin intestinal de ceux-là.
La transparence, pour une fois, aura été trop loin du point de vue des intérêts de la traçabilité: elle découvrira à qui n'en savait rien ( à qui n'en voulait rien savoir) ce qu'il en est des abattoirs eux-mêmes.
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35 Filières est un mot qu'on avait employé communément jusqu'alors pour désigner d'autres formes de circulations des biens et des corps au sujet desquels on ne s'émouvait ni aussi volontiers ni aussi spontanément: armes, drogues, corps -enlevés-vendus-prostitués-. Peut-être parce qu'aucune contagion n'était à en redouter.
Les corps des travailleurs clandestins, venant des pays d'Afrique ou d'Asie, ceux des jeunes filles entrées dans les grands trafics prostitutionnels internationaux, charriés vers leurs nouveaux lieux d'"emploi" par des maffias dont on dit en effet qu'elles formaient des filières elles aussi.
Et le fait est que leur transport s'est aussitôt apparenté à celui des bêtes. Qui s'y est si fort apparenté que la première fois qu'on s'en est un peu ému, une cinquantaine de Chinois avait été trouvée morts, non pas dans un fourgon-camion-train, etc, mais dans un "camion frigorifique", ce qui correspond en effet aux conditions dans lesquelles on sait que c'est ce qu'on mange qui est transporté de pays en pays, mort et depecé ("bétaillère" eut mieux convenu pour nommer l'ignominie des conditions de leur transport vers les lieux où le capital les exploiterait à "discrétion").
ces notations appellent ces précisions: le trafic des êtres humains est la troisième activité illicite la plus rentable après le trafic de la drogue et celui des armes. Le chiffre d'affaires de la traite des êtres humains s'élevait alors, il y a une quinzaine d'années, à sept milliards de dollars par an.
Précisions encore: le trafic des êtres, humains et non-humains, est déjà de loin l'activité la plus rentable, qu'on l'opère eux vivants ou eux morts. On n'aura rien mesuré de l'exploitation par le capital tant qu'on distinguera entre le vivant encore et l'encore pas déjà mort - des hommes et des bêtes".
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