jeudi 8 juin 2023

PACIFISME (organisation et mouvement) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


Nous avons cité dans notre précédent article, comme organisation pacifiste internationale : L’Union des Associations pour la Société des Nations, Le Bureau International de la Paix, organe Central de l’Union des Sociétés de la Paix, L’Action Internationale démocratique pour la Paix, La Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté, l’Internationale des Résistants à la Guerre. C’est la première de ces fédérations qui est la plus puissante numériquement ; en Angleterre, notamment, sa section nationale comprend trois millions de membres. La tendance moyenne de ce mouvement est plus modérée que celle des autres groupements internationaux pour la paix, le pacifisme qui y est exprimé est souvent le pacifisme officieux, où l’influence gouvernementale et les préoccupations politiques se font sentir. Il y a même une minorité participant aux Congrès de cette Union internationale, dont l’opposition au principe de la guerre est trop tiède pour qu’elle puisse se dire pacifiste. Mais il y a aussi, groupée dans cette association, une tendance de gauche ; et souvent des résolutions émanant de ces assises ont émis des vœux assez hardis sur le désarmement, sur l’extension des pouvoirs de la S.D.N., sur l’arbitrage obligatoire et la révision des traités, etc..., mais pourtant, dans l’ensemble, cette organisation représente le pacifisme bourgeois le plus opposé aux tendances anti-militaristes et révolutionnaires.

La doctrine permanente du Bureau international de la Paix se confond à peu près avec le programme constructif développé dans notre précédente étude. Il est impossible de préciser la puissance numérique de ce mouvement pacifiste, vu qu’il comprend, à côté des Sociétés de la Paix proprement dites, beaucoup de groupes n’ayant pas la paix pour unique but. De plus, aux Congrès qu’il organise, de nombreux militants indépendants participent aux travaux collectifs. Ces travaux sont ceux des techniciens de la paix, des vieux doctrinaires auxquels s’adjoignent, selon les pays où se tiennent les Congrès, des éléments plus jeunes et plus hardis. Ce mouvement a eu une influence dans l’évolution des idées ; il n’a pas de force directe et continue pour l’action. Pendant la guerre, il fut peu actif. La majorité de ses membres considérait qu’il ne fallait pas préconiser une paix à tout prix, mais une paix fondée sur la justice et l’organisation du droit ; ce furent des Wilsoniens seconde manière. Il serait injuste tout de même d’oublier qu’il y eut parmi les représentants du pacifisme traditionnel une minorité importante, sinon de pacifistes intégraux, du moins de Wilsoniens première manière, partisans de la paix de conciliation et traités de défaitistes. En France, notamment, ce fut l’attitude du secrétaire de la délégation permanente des Sociétés de la Paix, Lucien Le Foyer.

Selon lui, le jusqu’auboutisme internationaliste était une déviation du pacifisme traditionnel. La véritable interprétation de la doctrine pacifiste classique consistait à admettre la défense nationale mais à la réduire à la protection de l’indépendance du pays. Ce droit s’arrêtait quand l’indépendance du pays n’était plus menacée. Il fallait donc non pas prolonger la guerre en ajoutant à la défense du sol d’autres buts de guerre, mais, au contraire, être prêts à tout moment à négocier.

Quant à l’instauration d’un régime de paix organisée, il convenait de la poursuivre par des méthodes de paix et. non par la guerre et la violence. Le principe « nul n’a le droit de se faire justice soi-même » persistait, même lorsqu’une guerre était déclenchée. Sans nous rallier à cette doctrine, puisque elle admettait quand même la défense nationale guerrière, constatons la hardiesse qu’elle manifestait à ce moment-là et remarquons que plus conséquents avec leur conviction, étaient ceux qui professaient à la fois le pacifisme - but et le pacifisme - moyen. Il est incontestable, sans le moindre excès d’optimisme, que l’expérience de la dernière guerre a dessillé bien des yeux, et qu’aujourd’hui, si un nouveau conflit se déclenchait, ceux qui auraient l’attitude de Le Foyer ou de la minorité de la Ligue des Droits de l’Homme seraient plus nombreux, et que ceux qui adopteraient l’ancien point de vue majoritaires seraient moins nombreux.

L’Action Internationale Démocratique pour la Paix est le mouvement international créé après la guerre par Marc Sangnier. Si ses fondateurs sont catholiques, ses militants appartiennent à des tendances religieuses et philosophiques très diverses. On rencontre même dans ses Congrès une jeunesse étrangère socialisante et parfois anarchisante. Sur la construction de la paix, son programme s’apparente à celui de l’ancienne Union des Sociétés de la paix. Mais il insiste sur deux points particuliers : l’Importance de la Préparation Psychologique de la Paix, le Rôle des Grandes Forces Spirituelles du Monde dans cette Préparation Psychologique, d’une part ; et d’autre part le lien entre le développement de la démocratie politique et économique, au sein des divers pays et le développement de la Paix Internationale.. « L’idéal de l’action internationale démocratique pour la paix est un idéal de paix totale : Paix entre tous les individus et tous les milieux sociaux comme entre tous les peuples et toutes les races. Dans les rapports des uns comme des autres, elle exclue le recours à la violence. Estimant toutefois que la Paix est inséparable de la justice, elle affirme que la paix ne sera vraiment stable que le jour où, par des réformes appropriées, on aura remédié aux injustices politiques, sociales et internationales dont souffre l’Humanité ».

Ces formules de la Charte de l’Action internationale démocratique pour la Paix sont, certes, interprétées différemment, selon les tendances sociales de ses membres. Pour les uns, jeunes républicains, la justice sociale nécessite un ensemble de réformes très hardies. Pour d’autres, socialistes et coopérateurs, elle nécessite l’abolition complète du régime capitaliste. Remarquons aussi que condamner le principe de la guerre civile, ce n’est nullement s’opposer à la grève générale et autres méthodes pacifiques de luttes de classes. Quant à la violence révolutionnaire, ceux des pacifistes qui admettent la guerre défensive n’assimileront pas toujours la résistance par la force à un Gouvernement oppresseur, à une guerre offensive. Et, même parmi les Pacifistes intégraux, condamnant, toute guerre internationale sans réserve, beaucoup, comme Félicien Challaye, feront une distinction s’il s’agit de la lutte sociale.

« II (le pacifiste intégral) pourra participer à la révolte contre un oppresseur, si de cette révolte peut, évidemment, résulter l’allégement de certaines souffrances. On peut, par exemple, être pacifiste, et participer à une insurrection contre des Gouvernements assez criminels pour précipiter leur peuple dans un conflit armé. La guerre civile, la guerre sociale sont essentiellement différentes de la guerre étrangère. C’est la guerre entre peuples, seulement, qu’interdit le pacifisme intégral tel qu’il est ici défini. » Félicien Challaye : (La Paix par le Droit, de novembre 1931).

Certains des Congrès du mouvement de Marc Sangnier, comme celui de Bierville ont eu un grand retentissement dans l’opinion publique. II en fut de même parfois de l’action de la « Ligue internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté ». Ce mouvement fut fondé en pleine guerre ; et ses membres travaillèrent à la fois à hâter la fin du conflit et à préparer un régime de Paix durable. Sa doctrine de Pacifisme constructif est plus hardie, plus radicale, que celle des mouvements dont nous venons de parler. Cette ligue demande, dès à présent, le désarmement total. Elle s’oppose autant à l’armée internationale qu’au Blocus. Elle tend à un régime politique et économique mondial organisant non seulement la paix dans le sens d’absence de guerre, mais aussi une solidarité très étroite limitant l’indépendance des peuples aux questions qui ne touchent pas l’intérêt de la communauté humaine. Au point de vue social, ce mouvement proclame le bien-fondé de la plupart des revendications révolutionnaires, mais préconise l’emploi de méthodes de lutte non violentes. Une de ses déclarations condamne toute guerre offensive aussi bien que défensive.

Ce groupement international, qui vaut moins par le nombre que par la grande activité et la hardiesse dans l’action, se rapproche donc sur beaucoup de points de l’internationale des Résistants à la Guerre.

C’est parmi « les Résistants à la guerre » qu’on trouva le plus d’anarchistes. On peut dire que sa doctrine constitue une synthèse du pacifisme constructif et de l’antimilitarisme proprement dit. Nous croyons devoir citer textuellement la déclaration qui fut adoptée par la. première Conférence internationale en 1921. « La » guerre est un crime contre l’humanité. Pour cette raison, nous sommes déterminés à n’aider ni directement : en servant de quelque façon dans l’armée, la marine, ou les forces aériennes, ni indirectement : en fabriquant ou manipulant consciemment des munitions ou autre matériel de guerre, en souscrivant à des emprunts de guerre, en employant notre travail de façon à libérer d’autres en vue du service militaire. Nous sommes résolus à n’accepter aucune-espèce de guerre, agressive ou défensive, nous rappelant que les guerres modernes sont invariablement présentées par les Gouvernements comme défensives.

Les guerres pourraient se placer entre trois sortes :

a) Guerre pour la défense de l’État ; b) Guerre pour conserver l’ordre de la Société existante ; c) Guerre en faveur du prolétariat opprimé.

Nous sommes convaincus que la violence ne peut réellement pas conserver l’ordre, défendre notre foyer ou libérer le prolétariat. En fait, l’expérience a montré que, dans toutes les guerres, l’ordre, la sécurité, et la liberté disparaissent et que, loin d’en bénéficier, le prolétariat en souffretoujours le plus. Nous maintenons, cependant, que les Pacifistes sérieux n’ont pas le droit de prendre une attitude purement négative et doivent lutter pour la suppression de toutes les causes de guerres »

Dans d’autres motions, l’Internationale des Résistants à la Guerre demande un régime fondé sur le principe pacifiste de coopération pour le bien commun. « On remarquera que les Résistants à la guerre, ou du moins la majorité d’entre eux, condamnent la guerre civile comme la guerre étrangère. Toutefois, ne croyons pas que ce point de vue signifie la confiance exclusive dans les méthodes légalistes, démocratiques et réformistes. Beaucoup parmi eux, peut-être la plupart, veulent la révolution sociale par l’action directe du Prolétariat ; mais. ils croient à la plus grande efficacité des méthodes non violentes de lutte : grève générale, non coopération, refus de servir, boycottage. etc., etc..

Ils nient que dans les méthodes de Gandhi, rien ne soit applicable à l’Occident et rappellent que plus le Prolétariat conquiert la vraie force, moins il a besoin d’user de violence. Si certains résistants sont non-violents en partant d’un point de vue religieux ou éthique, d’autres le sont en partant d’un point de vue réaliste et pratique.

Tout en croyant au grand avenir du mouvement des résistants à la guerre, à son influence profonde sur les progrès futurs de la paix, nous lui reprochons de ne pas distinguer suffisamment, dans ses doctrines, entre la question des guerres internationales et le problème de la guerre sociale. On peut, selon nous, rendre impossibles les guerres proprement dites avant d’avoir solutionné la question sociale. On peut aussi abolir les conflits meurtriers sans avoir supprimé toutes leurs causes. Le régime le plus propice à l’établissement de la justice entre les hommes sera la Fédération mondiale politique et économique, ayant désarmé les nations militairement et économiquement.

Mais, n’oublions pas ce fait essentiel : que des hommes professant des conceptions sociales très différentes ou des idées diverses sur le problème de l’emploi de la force en période révolutionnaire, sont d’accord pour condamner sans réserve toute guerre entre peuples et préconiser la résistance active, collective, au meurtre collectif et à sa préparation.

Quant à la guerre sociale, sans vouloir nous prononcer sur le problème délicat de la défense contre la violence contre-révolutionnaire, nous croyons devoir rappeler que, même lorsqu’il y a vacance de la légalité, il ne doit jamais y avoir vacance de la morale ; et que, s’il y a une religion qui doit être respectée par les adversaires des dogmes, c’est la religion de la vie humaine, c’est le dogme du respect de la vie.

- René Valfort

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