Nous avons cité dans notre
précédent article, comme organisation pacifiste internationale : L’Union des
Associations pour la Société des Nations, Le Bureau International de la Paix,
organe Central de l’Union des Sociétés de la Paix, L’Action Internationale
démocratique pour la Paix, La Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et
la Liberté, l’Internationale des Résistants à la Guerre. C’est la première de
ces fédérations qui est la plus puissante numériquement ; en Angleterre,
notamment, sa section nationale comprend trois millions de membres. La tendance
moyenne de ce mouvement est plus modérée que celle des autres groupements internationaux
pour la paix, le pacifisme qui y est exprimé est souvent le pacifisme
officieux, où l’influence gouvernementale et les préoccupations politiques se
font sentir. Il y a même une minorité participant aux Congrès de cette Union
internationale, dont l’opposition au principe de la guerre est trop tiède pour
qu’elle puisse se dire pacifiste. Mais il y a aussi, groupée dans cette
association, une tendance de gauche ; et souvent des résolutions émanant de ces
assises ont émis des vœux assez hardis sur le désarmement, sur l’extension des
pouvoirs de la S.D.N., sur l’arbitrage obligatoire et la révision des traités,
etc..., mais pourtant, dans l’ensemble, cette organisation représente le
pacifisme bourgeois le plus opposé aux tendances anti-militaristes et révolutionnaires.
La doctrine permanente du
Bureau international de la Paix se confond à peu près avec le programme
constructif développé dans notre précédente étude. Il est impossible de
préciser la puissance numérique de ce mouvement pacifiste, vu qu’il comprend, à
côté des Sociétés de la Paix proprement dites, beaucoup de groupes n’ayant pas
la paix pour unique but. De plus, aux Congrès qu’il organise, de nombreux
militants indépendants participent aux travaux collectifs. Ces travaux sont
ceux des techniciens de la paix, des vieux doctrinaires auxquels s’adjoignent,
selon les pays où se tiennent les Congrès, des éléments plus jeunes et plus
hardis. Ce mouvement a eu une influence dans l’évolution des idées ; il n’a pas
de force directe et continue pour l’action. Pendant la guerre, il fut peu
actif. La majorité de ses membres considérait qu’il ne fallait pas préconiser
une paix à tout prix, mais une paix fondée sur la justice et l’organisation du
droit ; ce furent des Wilsoniens seconde manière. Il serait injuste tout de
même d’oublier qu’il y eut parmi les représentants du pacifisme traditionnel
une minorité importante, sinon de pacifistes intégraux, du moins de Wilsoniens
première manière, partisans de la paix de conciliation et traités de
défaitistes. En France, notamment, ce fut l’attitude du secrétaire de la
délégation permanente des Sociétés de la Paix, Lucien Le Foyer.
Selon lui, le jusqu’auboutisme
internationaliste était une déviation du pacifisme traditionnel. La véritable
interprétation de la doctrine pacifiste classique consistait à admettre la
défense nationale mais à la réduire à la protection de l’indépendance du pays.
Ce droit s’arrêtait quand l’indépendance du pays n’était plus menacée. Il
fallait donc non pas prolonger la guerre en ajoutant à la défense du sol
d’autres buts de guerre, mais, au contraire, être prêts à tout moment à
négocier.
Quant à l’instauration d’un
régime de paix organisée, il convenait de la poursuivre par des méthodes de
paix et. non par la guerre et la violence. Le principe « nul n’a le droit de se
faire justice soi-même » persistait, même lorsqu’une guerre était déclenchée.
Sans nous rallier à cette doctrine, puisque elle admettait quand même la
défense nationale guerrière, constatons la hardiesse qu’elle manifestait à ce
moment-là et remarquons que plus conséquents avec leur conviction, étaient ceux
qui professaient à la fois le pacifisme - but et le pacifisme - moyen. Il est
incontestable, sans le moindre excès d’optimisme, que l’expérience de la
dernière guerre a dessillé bien des yeux, et qu’aujourd’hui, si un nouveau
conflit se déclenchait, ceux qui auraient l’attitude de Le Foyer ou de la
minorité de la Ligue des Droits de l’Homme seraient plus nombreux, et que ceux
qui adopteraient l’ancien point de vue majoritaires seraient moins nombreux.
L’Action Internationale
Démocratique pour la Paix est le mouvement international créé après la guerre
par Marc Sangnier. Si ses fondateurs sont catholiques, ses militants
appartiennent à des tendances religieuses et philosophiques très diverses. On
rencontre même dans ses Congrès une jeunesse étrangère socialisante et parfois
anarchisante. Sur la construction de la paix, son programme s’apparente à celui
de l’ancienne Union des Sociétés de la paix. Mais il insiste sur deux points
particuliers : l’Importance de la Préparation Psychologique de la Paix, le Rôle
des Grandes Forces Spirituelles du Monde dans cette Préparation Psychologique,
d’une part ; et d’autre part le lien entre le développement de la démocratie
politique et économique, au sein des divers pays et le développement de la Paix
Internationale.. « L’idéal de l’action internationale démocratique pour la paix
est un idéal de paix totale : Paix entre tous les individus et tous les milieux
sociaux comme entre tous les peuples et toutes les races. Dans les rapports des
uns comme des autres, elle exclue le recours à la violence. Estimant toutefois
que la Paix est inséparable de la justice, elle affirme que la paix ne sera
vraiment stable que le jour où, par des réformes appropriées, on aura remédié
aux injustices politiques, sociales et internationales dont souffre l’Humanité
».
Ces formules de la Charte de
l’Action internationale démocratique pour la Paix sont, certes, interprétées
différemment, selon les tendances sociales de ses membres. Pour les uns, jeunes
républicains, la justice sociale nécessite un ensemble de réformes très
hardies. Pour d’autres, socialistes et coopérateurs, elle nécessite l’abolition
complète du régime capitaliste. Remarquons aussi que condamner le principe de
la guerre civile, ce n’est nullement s’opposer à la grève générale et autres
méthodes pacifiques de luttes de classes. Quant à la violence révolutionnaire,
ceux des pacifistes qui admettent la guerre défensive n’assimileront pas
toujours la résistance par la force à un Gouvernement oppresseur, à une guerre
offensive. Et, même parmi les Pacifistes intégraux, condamnant, toute guerre
internationale sans réserve, beaucoup, comme Félicien Challaye, feront une
distinction s’il s’agit de la lutte sociale.
« II (le pacifiste intégral)
pourra participer à la révolte contre un oppresseur, si de cette révolte peut,
évidemment, résulter l’allégement de certaines souffrances. On peut, par
exemple, être pacifiste, et participer à une insurrection contre des
Gouvernements assez criminels pour précipiter leur peuple dans un conflit armé.
La guerre civile, la guerre sociale sont essentiellement différentes de la
guerre étrangère. C’est la guerre entre peuples, seulement, qu’interdit le
pacifisme intégral tel qu’il est ici défini. » Félicien Challaye : (La Paix par
le Droit, de novembre 1931).
Certains des Congrès du
mouvement de Marc Sangnier, comme celui de Bierville ont eu un grand
retentissement dans l’opinion publique. II en fut de même parfois de l’action
de la « Ligue internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté ». Ce
mouvement fut fondé en pleine guerre ; et ses membres travaillèrent à la fois à
hâter la fin du conflit et à préparer un régime de Paix durable. Sa doctrine de
Pacifisme constructif est plus hardie, plus radicale, que celle des mouvements
dont nous venons de parler. Cette ligue demande, dès à présent, le désarmement
total. Elle s’oppose autant à l’armée internationale qu’au Blocus. Elle tend à
un régime politique et économique mondial organisant non seulement la paix dans
le sens d’absence de guerre, mais aussi une solidarité très étroite limitant
l’indépendance des peuples aux questions qui ne touchent pas l’intérêt de la
communauté humaine. Au point de vue social, ce mouvement proclame le bien-fondé
de la plupart des revendications révolutionnaires, mais préconise l’emploi de
méthodes de lutte non violentes. Une de ses déclarations condamne toute guerre
offensive aussi bien que défensive.
Ce groupement international,
qui vaut moins par le nombre que par la grande activité et la hardiesse dans
l’action, se rapproche donc sur beaucoup de points de l’internationale des
Résistants à la Guerre.
C’est parmi « les Résistants
à la guerre » qu’on trouva le plus d’anarchistes. On peut dire que sa doctrine
constitue une synthèse du pacifisme constructif et de l’antimilitarisme
proprement dit. Nous croyons devoir citer textuellement la déclaration qui fut
adoptée par la. première Conférence internationale en 1921. « La » guerre est
un crime contre l’humanité. Pour cette raison, nous sommes déterminés à n’aider
ni directement : en servant de quelque façon dans l’armée, la marine, ou les
forces aériennes, ni indirectement : en fabriquant ou manipulant consciemment
des munitions ou autre matériel de guerre, en souscrivant à des emprunts de
guerre, en employant notre travail de façon à libérer d’autres en vue du
service militaire. Nous sommes résolus à n’accepter aucune-espèce de guerre,
agressive ou défensive, nous rappelant que les guerres modernes sont
invariablement présentées par les Gouvernements comme défensives.
Les guerres pourraient se
placer entre trois sortes :
a) Guerre pour la défense de
l’État ; b) Guerre pour conserver l’ordre de la Société existante ; c) Guerre
en faveur du prolétariat opprimé.
Nous sommes convaincus que
la violence ne peut réellement pas conserver l’ordre, défendre notre foyer ou
libérer le prolétariat. En fait, l’expérience a montré que, dans toutes les
guerres, l’ordre, la sécurité, et la liberté disparaissent et que, loin d’en
bénéficier, le prolétariat en souffretoujours le plus. Nous maintenons,
cependant, que les Pacifistes sérieux n’ont pas le droit de prendre une
attitude purement négative et doivent lutter pour la suppression de toutes les
causes de guerres »
Dans d’autres motions,
l’Internationale des Résistants à la Guerre demande un régime fondé sur le
principe pacifiste de coopération pour le bien commun. « On remarquera que les
Résistants à la guerre, ou du moins la majorité d’entre eux, condamnent la
guerre civile comme la guerre étrangère. Toutefois, ne croyons pas que ce point
de vue signifie la confiance exclusive dans les méthodes légalistes,
démocratiques et réformistes. Beaucoup parmi eux, peut-être la plupart, veulent
la révolution sociale par l’action directe du Prolétariat ; mais. ils croient à
la plus grande efficacité des méthodes non violentes de lutte : grève générale,
non coopération, refus de servir, boycottage. etc., etc..
Ils nient que dans les
méthodes de Gandhi, rien ne soit applicable à l’Occident et rappellent que plus
le Prolétariat conquiert la vraie force, moins il a besoin d’user de violence.
Si certains résistants sont non-violents en partant d’un point de vue religieux
ou éthique, d’autres le sont en partant d’un point de vue réaliste et pratique.
Tout en croyant au grand
avenir du mouvement des résistants à la guerre, à son influence profonde sur
les progrès futurs de la paix, nous lui reprochons de ne pas distinguer
suffisamment, dans ses doctrines, entre la question des guerres internationales
et le problème de la guerre sociale. On peut, selon nous, rendre impossibles
les guerres proprement dites avant d’avoir solutionné la question sociale. On
peut aussi abolir les conflits meurtriers sans avoir supprimé toutes leurs
causes. Le régime le plus propice à l’établissement de la justice entre les
hommes sera la Fédération mondiale politique et économique, ayant désarmé les
nations militairement et économiquement.
Mais, n’oublions pas ce fait
essentiel : que des hommes professant des conceptions sociales très différentes
ou des idées diverses sur le problème de l’emploi de la force en période
révolutionnaire, sont d’accord pour condamner sans réserve toute guerre entre
peuples et préconiser la résistance active, collective, au meurtre collectif et
à sa préparation.
Quant à la guerre sociale,
sans vouloir nous prononcer sur le problème délicat de la défense contre la
violence contre-révolutionnaire, nous croyons devoir rappeler que, même
lorsqu’il y a vacance de la légalité, il ne doit jamais y avoir vacance de la
morale ; et que, s’il y a une religion qui doit être respectée par les
adversaires des dogmes, c’est la religion de la vie humaine, c’est le dogme du
respect de la vie.
- René Valfort
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