vendredi 30 juin 2023

A dos de Dieu ou l'ordure lyrique Par Marcel Moreau

 

« Les hommes de cette ville font le moins de pas possible, observe beffroi. Ils semblent avoir peur de s’éloigner trop. « Ils battent la semelle », ils la battent. On dirait qu’ils cherchent désespérément à s’enraciner sur un lopin de trottoir. Ils s’enferment dans leur maison, croyant s’y enfoncer. En vain. Ils grattent le pavé dans l’espoir d’y trouver de la terre, un bon, un délicieux humus. Autour d’eux, ils tracent des cercles dont ils se proposent de ne point sortir. Quand ils en sortent, c’est chassé par la faim ou par un accident terrible qui vient de se produire un peu plus loin. Ou alors par les nécessités du métier, du coït. Ainsi donc tous ces gens qui vont, qui viennent, qui donnent à la ville son apparence de creuset tourbillonnant, de marmite d’agités, n’avancent guère. Ils font des ronds, des bulles dans l’espace étroit et sans chaleur qui leur est dévolu. Ils sont déracinés sans être nomades. Le mouvement leur est interdit. Ils vivent dans un brouillard d’échafaudages, de tubulures molles qui au moment où le citadin veut fuir se redressent et se pointent vers lui en baïonnettes strictes. Ce que Beffroi prenait pour de la fièvre n’est qu’une riposte épuisée à une agression sans visage. Sous la nervosité générale, les corps transportent leurs ressorts brisés. On m’avait dit que la vielle que la ville était trépidante, dante, qu’elle était pleine de démons marcheurs cheurs, et boxeurs xeurs. On m’avait donc menti ti. J’ai envie de gifler les monuments, ce gigantesque arrêt de toute vie. »

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