« Les hommes de cette
ville font le moins de pas possible, observe beffroi. Ils semblent avoir peur
de s’éloigner trop. « Ils battent la semelle », ils la battent. On
dirait qu’ils cherchent désespérément à s’enraciner sur un lopin de trottoir.
Ils s’enferment dans leur maison, croyant s’y enfoncer. En vain. Ils grattent
le pavé dans l’espoir d’y trouver de la terre, un bon, un délicieux humus.
Autour d’eux, ils tracent des cercles dont ils se proposent de ne point sortir.
Quand ils en sortent, c’est chassé par la faim ou par un accident terrible qui
vient de se produire un peu plus loin. Ou alors par les nécessités du métier,
du coït. Ainsi donc tous ces gens qui vont, qui viennent, qui donnent à la
ville son apparence de creuset tourbillonnant, de marmite d’agités, n’avancent
guère. Ils font des ronds, des bulles dans l’espace étroit et sans chaleur qui
leur est dévolu. Ils sont déracinés sans être nomades. Le mouvement leur est
interdit. Ils vivent dans un brouillard d’échafaudages, de tubulures molles qui
au moment où le citadin veut fuir se redressent et se pointent vers lui en baïonnettes
strictes. Ce que Beffroi prenait pour de la fièvre n’est qu’une riposte épuisée
à une agression sans visage. Sous la nervosité générale, les corps transportent
leurs ressorts brisés. On m’avait dit que la vielle que la ville était
trépidante, dante, qu’elle était pleine de démons marcheurs cheurs, et boxeurs
xeurs. On m’avait donc menti ti. J’ai envie de gifler les monuments, ce
gigantesque arrêt de toute vie. »
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