vendredi 16 juin 2023

Principes pour une littérature qui empeste (Matériologies V) De Michel Surya

 "Je ne suis pas fou. Je l'ai été bien sûr. Je l'ai été autant que je pouvais l'être. Autant que je pouvais l'être n'est pas l'être autant qu'Artaud l' a été. Il faut, pour l'être autant qu'Artaud l'a été, ne rien connaitre de la mort ( n'en rien craindre). Le prophétisme prophylactique d'Artaud l'a mis à l'abri de la peur de la mort, donc de sa connaissance. Ma connaissance de la mort m'a mis à l'abri de la folie, et frustré de toute prétention prophylacto prophétique".

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"Quiconque s'obsède de la mort, comme c'est mon cas depuis que j'ai compris que la mort seule me prémunirait contre la folie, reste un temps sans comprendre qu'on s'émeuve si fort de ce surcroit quand on s'accommode  si bien du nombre dont il constitue l'augmentation.

La même base de données précise, précision qu'il n'y a qu'un "fou" sans doute à avoir tenu à apporter ( la mort ne nous protégerait donc pas suffisamment de la folie, jusqu'aux statisticiens de la mortalité) que 606 000 morts représentent ( se mesurent à, ou coûtent, etc?) 100 000 m3 de bois de menuiserie funéraire".

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"L'art jeune d'Artaud, en réalité, est moral, qui emprunte au moralisme surréaliste, que le moralisme surréaliste rassure, dans la proximité duquel il se tient encore, un temps. Moral est en effet, l'est à sa façon, une façon qui n'est pas que surréaliste, un art qui considère que "toute l'écriture est de la cochonnerie", et que tous ceux qui s'y adonnent "sont des cochons" (Le pèse-nefs, 1925). Moral, parce qu'Artaud ne dit pas le disant, ou pas encore, ce qu'on croit ou veut croire (anticipant), que c'est ça qu'il faut qu'elle soit en effet, l'écriture: "de la cochonnerie". Ni ça qu'il faut, en effet, qu'ils soient, ceux qui écrivent: "des cochons". Il dit juste qu'écrire, l'écriture sont une conchonnerie; et ceux qui s'y adonnent des cochons.

Il changera donc, qui dira plus tard que c'est en effet qu'il faut que l'écriture soit, ni plus ni moins: une cochonnerie ( convenant par là que c'est ce qu'est devenue la sienne, entre-temps). Cochonnerie, c'est-à-dire: qu'écrire et qui écrit aient "le sale en propre", ni plus ni moins ( principe cette fois de toute littérature à venir, et leçon). Tout le sale: des linges (familiaux), du sexe (de la reproduction des noms), des affaires ( de la propriété des biens), de l'argent ( de l'exploitation des corps), des microbes ( de la syphillis en ces temps), des races ( la juive, il n'y en a qu'une alors à "empester" le sang franchement "français"), de la maladie, de la mort même - tout ce qui a droit à "sale" et qui doit ce droit à tout ce qui domine, et à tout ce que hait et exècre ce qui domine. Le sale, soit tout ce qu'un hygiénisme obsessionnel, morbide, s'emploie depuis pasteur par tous les moyens à repousser partout, toujours, à éradiquer -"avoir le sale en propre, c'est avoir l'exécration en propre")."

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"Le nombre annoncé par l'agence France-presse est de 94 000 morts dues au coronavirus dans le monde à la date du 10 avril 2020 ( de 100 000, prévoit-elle, dans les deux jours qui suivront), à peine trois mois après son apparition ( nombre sans doute sous-estimé, précise-t-elle).

Ce chiffre est tout ce qu'on veut: considérable, terrible, affreux, dont tout le monde s'émeut, et dont je ne m'émeus pas moins que tout le monde. Cependant, que fait-il, que compte-t-il, que vaut-il rapporté, comparé, mesuré à cet autre connu de longtemps, et parfaitement documenté, qui établit que ce sont 25 000 personnes qui meurent PAR JOUR dans le monde de la faim et de "ses causes associées" ( ce sont les termes de l'étude)? En trois jours mourraient donc de la faim et de "ses causes associées" autant de personnes qu'en trois mois d'autres sont mortes ou s'apprêtent à mourir de la peste coronavirale!

A la vérité, on ne reste pas longtemps sans comprendre ce qu'ont les morts du coronavirus que n'ont pas les morts de la faim. La division reste la même entre les morts qu'entre les vivants, qui partage entre ceux dont la tragédie est occasionnelle et ceux dont elle est destinale - division sociale, division de classe, division nationale, division raciale, division continentale."

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"tout est aussitôt devenu insupportable, dont on s'est cependant efforcé de ne rien montrer: ces attendrissements concertés, qui auraient voulu qu'on applaudît d'un même geste toutes les personnes et tous les personnels jusque-là les moins estimés - des aides-soignants jusqu'aux éboueurs! Il n'y a pas jusqu'aux maisons de retraite, qu'on accusait encore un an plus tôt ( dont on accusait du moins un nombre intéressant d'entre elle) de pratiques commerciales douteuses, sinon éhontées (de "maltaitances" même), qu'on n'ait blanchi en quatre semaines seulement. Et dont on dut abonder par des dons les moyens dont ceux-ci ont été privés par l'emploi de l'impôt qu'en ont fait les gouvernements successifs."



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