Plaçons-nous maintenant dans
l'hypothèse de la France venant de désarmer. Elle porte ce prodigieux événement
à la connaissance de tous les peuples par la voie d'un message traduit dans
toutes les langues, reproduit et commenté par les journaux du monde entier, communiqué
par tous les postes de T. S. F. et par toutes les agences d'information.
Concis, limpide, émouvant, ce message que les mille bouches de l'information
feraient retentir aux quatre points cardinaux, pourrait être à peu près
celui-ci : MESSAGE DU PEUPLE FRANÇAIS A TOUS LES AUTRES PEUPLES « Le régime de
PAIX ARMÉE fait peser sur toutes les Nations des charges accablantes, en même
temps qu'il prépare infailliblement le retour de la folie des folies, du crime
des crimes : la Guerre ! La Guerre entraîne à sa suite un cortège de plus en
plus effrayant de ruines, de deuils, d’inexprimables détresses. Si un conflit
armé se produisait demain, ce serait l'extermination de l'espèce humaine et
l'effondrement d'une civilisation que des siècles d'efforts et de sacrifices
ont lentement édifiée. A l'exception d'un nombre infime de personnes prononcer
ouvertement et franchement en faveur de la Guerre - tous les humains aspirent à
un régime de PAIX générale et permanente. Gouvernements et Peuples, tous
reconnaissent que le Désarmement général est la condition sine qua non de
l'établissement de ce Régime de Paix si fervemment désiré et si anxieusement
attendu. C'est pourquoi, au sein de toutes les nations existe un courant de
plus en plus puissant contre la Guerre et pour la Paix, Mais aucun Peuple,
jusqu'à ce jour, n'a exprimé assez clair et assez haut sa volonté de Paix.
Aujourd'hui, c’est chose faite : le Peuple de France a mis son Gouvernement en
demeure de désarmer, sans attendre que les autres nations soient résolues et
prêtes à désarmer également. Et, sous l'irrésistible pression populaire, le
Désarmement, en France, est actuellement un fait accompli. On vous dira,
peut-être, que ce désarmement n'est que fictif, incomplet et provisoire. N'en
croyez rien. : il est réel, total et définitif. Vous pouvez contrôler
l'exactitude de cette affirmation : nos portes sont ouvertes à quiconque
désirera acquérir la certitude de notre loyauté. C'est cet événement, à jamais
inoubliable, que, par ce message, le Peuple de France porte à la connaissance
de tous les autres Peuples. Devant l'Histoire et devant l'Humanité, nous
déclarons : que nous ne nous connaissons plus d'ennemi ; Que nous ne voulons
plus nous battre ; Que nous sommes irréductiblement décidés à ne jamais
recourir à la force des armes pour trancher les différends, de quelque nature
qu'ils soient, qui pourraient surgir entre n'importe quel peuple et nous ; Que,
désormais, nos relations avec les autres peuples, sans distinction de
nationalité ni de race, seront de confiance et d'amitié. Nous déclarons que
nous avons pris au sérieux le pacte par lequel, d'accord avec un grand nombre
d'autres Puissances, la France a déshonoré la Guerre, l'a jetée hors la loi et
mise an ban de l'Humanité. Oui, la France désarme. Elle désarme moralement et
matériellement. Elle désarme sans que rien ne l'y oblige, volontairement et
lorsqu'elle est en possession d'un potentiel de Guerre qui n'est inférieur à
celui d'aucune autre nation. Nous avons pleine confiance dans l'avenir. Nous
savons que le désarmement d'un grand pays comme le nôtre fera naître partout
l'admiration et l'enthousiasme et que, par la puissance de l'exemple, il sera le
signal du désarmement général. Nous ne redoutons rien : un Peuple ne peut pas
songer à attaquer un autre Peuple qui, non seulement ne le menace pas, mais
encore lui tend fraternellement la main. Un Gouvernement ne parviendra jamais à
convaincre ses nationaux que le Peuple de France qui, le premier et le seul, a
désarmé, complote contre eux une agression, une offensive quelconque. Désarmé,
ne basant plus sa sécurité sur ses Forces de guerre, le Peuple de France se
place sous la protection de tous les autres Peuples, ses frères ; il confie à
cette protection la garde de son inviolabilité. Nous adjurons le Monde civilisé
de suivre au plus tôt l'exemple que nous lui donnons. Trop longtemps la guerre
a dévasté la Terre. L'heure est venue de mettre un terme à l'infamie et aux
atrocités des rencontres sanglantes. Que, au sein de chaque nation, les
multitudes qui, jusqu'à ce jour, se sont entretuées pour des Causes qui
n'étaient pas les leurs, que les masses laborieuses qui, en toutes
circonstances, ont toujours payé et toujours paieront de leur sang et de leur
travail tous les frais des boucheries internationales ; que ces foules se
dressent contre leurs Gouvernements et leur imposent le désarmement. Le sillon
est tracé ; chaque peuple a le devoir de le creuser et de l'élargir, en
exigeant de son Gouvernement qu'il imite la France : la volonté de Paix qui
déjà emporte l'Humanité ne peut manquer d'être fortifiée et portée jusqu'à son
comble, par l'annonce de l'événement que vous apprend ce Message. Puisse cette
volonté de Paix devenir rapidement irrésistible ! Alors, elle brisera tous les
obstacles qui pourraient lui être opposés. Alors et alors seulement, le danger
d'une guerre prochaine, dont la menace pèse sur le Monde, sera conjuré. Alors,
et alors seulement, s'établira le règne indestructible de la Paix radieuse et
féconde ! » Il va de soi que les circonstances apporteront à ce texte les
modifications qu’elles comporteront ; mais l'esprit de ce Manifeste pourra
rester le même. Quelle émotion profonde, quelle impression sans précédent, quel
frémissement inexprimable suscitera, d'un bout du monde à l'autre bout, un
événement de cette nature et de cette importance ! Est-il exagéré de dire que
ses répercussions seront incalculables, qu'il suscitera dans le monde entier
une émotion à ce point puissante et profonde qu'elle portera un coup mortel à
la mentalité de violence que des siècles de luttes guerrières ont déterminée ?
A l'étonnement, à l'admiration et à l'enthousiasme spontanés de la première
heure, succèdera rapidement dans la conscience des peuples les plus fortement
travaillés par la propagande pacifiste, la résolution consciente et réfléchie
de suivre l’exemple. Partout les Forces de Guerre se trouveront affaiblies et
partout seront raffermies et fortifiées celles de Paix. Qu'on y songe : c'est à
la suite de la victoire des Prussiens sur les Autrichiens, (Sadowa, 3 juillet
1866) et quelques années plus tard, de la mise en pièces des armées françaises
par les armées allemandes (18701871), que la puissance militaire de l'Empire
d'Allemagne, se développant sans arrêt, contraignit - si l'on peut dire - les
autres nations à accroître, de lustre en lustre, leurs effectifs et leurs
armements. C'est l'exemple de l'Allemagne de plus en plus militarisée, appuyant
son effort industriel et commerçant sur un appareil de conquête et d'extension
toujours plus robuste et perfectionné. Qui a entraîné la vieille Europe et, de
proche en proche, le monde capitaliste des autres continents sur la route des
effectifs de plus en plus nombreux, des réserves de mieux en mieux préparées,
des budgets de guerre constamment enflés, des armements toujours plus puissants
et s'adaptant de mieux en mieux aux nécessités de l'offensive et de la
défensive. Oui : c'est à l’instigation de l'Empire Germanique et dans l'espoir
de se garantir pour le mieux - ô mirage de la Sécurité ! - contre toute
éventualité d'agression que, depuis une soixantaine d'années, chaque nation a
cru devoir porter au maximum sa puissance militaire et que, chaque année, le
monde qui se flatte d'être civilisé précipite follement dans l'abîme sans fond
des budgets de guerre, des ressources, qui, présentement, se chiffrent par cent
quatre milliards de francs. Pour ouvrir la voie à cette danse échevelée des
milliards, il a suffi de l'exemple donné par une grande Puissance: l'Allemagne.
Eh bien ! J'ai la conviction, et tous ceux que n'aveugle pas le fanatisme
chauvin partagent cette conviction, que l'exemple que donnerait aujourd'hui la
France en se désarmant entraînerait promptement et de façon certaine toutes les
autres Puissances dans la voie du même désarmement. Je suis persuadé que le
Peuple de France ayant, par son attitude résolue, énergique et inflexible,
imposé à son Gouvernement, sa volonté de Paix par le Désarmement immédiat et
sans condition, les autres Peuples, pris d'une noble émulation, et qui ont
besoin de paix autant que celui de France, exerceraient sur leurs Gouvernements
respectifs la même irrésistible pression et obligeraient ceux-ci à désarmer
sans plus attendre. La certitude que j’exprime ici a pu être considérée, tout
d'abord, comme la manifestation d'un optimisme de commande et sans mesure ; à
l'heure actuelle, cette certitude est entrée dans un certain nombre d'esprits ;
elle s'y est installée et n'en sortira plus. Plusieurs groupements pacifistes :
les plus avancés, et les plus actifs, ont donné leur adhésion pleine et entière
à la thèse que j'expose dans cette étude et aux conclusions d'ordre pratique
qui en découlent. Toute cette partie de la population française qui est
socialiste et même socialisante a adopté ces conclusions ; et si, pour des
raisons politiques et de tactique électorale, les chefs de la SocialDémocratie
française ne se prononcent pas, publiquement et franchement, en faveur du
Désarmement unilatéral, presque tous les adhérents que compte le parti
Socialiste sont acquis à la nécessité d'une telle mesure ; ils sont prêts à
seconder tout mouvement dans ce sens et décidés à lui apporter l'appui de leur
concours. Ce courant est si marqué au sein de ce parti que son Secrétaire Général,
le député Paul Faure n'hésite pas à écrire : « Quand l'opinion publique sera
convaincue que les prochains conflits ne laisseront rien à la surface du globe,
tous ceux qui parleront de la Guerre seront regardés comme des fous. Sécurité
d'abord, proclament de bien singuliers patriotes, avec des trémolos dans la
voix qui sonnent faux comme des tambours crevés. Par la guerre, ce ne sera plus
jamais la Sécurité. Qu'on se le dise ! Demandez-leur donc comment ils entendent
empêcher 300 avions de venir, la même nuit, divisés en équipes, incendier
Paris, Lille, Marseille, Lyon, Toulouse et Bordeaux - pour commencer -
incendier les villes et anéantir tous les êtres vivants ! Sommes-nous prêts aux
représailles ? demandent nos bonnets à poil. C'est à quoi on songe tout de
suite, comme s'il s'agissait d'une partie de football ou d'un concours
d'aviron. Nous pensons, nous, à autre chose : comment faire pour que ne soient
pas détruites les capitales et les populations. Et nous avons choisi comme
direction : le désarmement matériel et moral. » (Le Populaire, 20 janvier
1932). Les organisations syndicales qui comptent actuellement plus d'un million
de syndiqués sont, elles aussi, à peu près unanimement pour le Désarmement sans
condition de réciprocité. Nous voici donc, dès maintenant, en présence d'une
solution à laquelle se rallient, plus ou moins publiquement et explicitement,
plusieurs centaines de milliers de personnes, peut-être pourrait-on dire, sans
tomber dans l'exagération, deux millions de pacifistes. C'est une force ; elle
n'en est qu'à ses débuts ; mais elle ne demande qu'à se développer et il dépend
de ceux qui la constituent, que par leur zèle et leur activité, elle augmente
promptement en étendue et en profondeur. Quelque peu emporté par l’exaltation
que soulève en moi cette espérance d'un grand pays comme la France donnant au
Monde le merveilleux exemple d'un désarmement volontaire, face aux autres
Puissances persistant à conserver et même à accroître leur appareil de Guerre,
il m'est arrivé de m'écrier, en m'adressant parfois à d'immenses auditoires : «
Le jour où la France se désarmera, seule et avant toutes les autres Nations,
elle écrira la page la plus glorieuse, la plus féconde, la plus admirable, non
seulement de son Histoire, mais encore de l'Histoire Universelle ! » Le plus
souvent, cette déclaration fut accueillie par de frénétiques acclamations.
Toutefois, il m'est arrivé de voir se dresser devant moi un super-patriote
m’apostrophant à peu près en ces termes : « Monsieur, votre langage est celui
d'un ennemi de la France. Je ne sais pas si, en donnant l'exemple du
désarmement, la France écrirait, comme vous le dites, la plus admirable page de
son histoire ; mais ce que je sais, ce dont je suis absolument certain, c'est
que si la France commettait l'imprudence de se désarmer, cette page de son
Histoire serait la dernière, parce que, le lendemain, il n'y aurait plus de
France. Songez-y, Monsieur : notre pays est de toutes parts entouré de nations
avides et puissantes : l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie
contournent ses frontières. Fertile et riche comme Elle l'est, la France ne
saurait manquer d'exciter les convoitises de ces nations de proie. La vaillance
bien connue de ses chefs militaires et de leurs soldats, le formidable matériel
de guerre dont elle dispose lui servent aujourd'hui de remparts et garantissent
sa sécurité. Qu'Elle se désarme ; et, ces remparts s'étant écroulés, ses
frontières n'étant plus protégées, Elle serait immédiatement envahie et
l'agresseur ou les agresseurs - ne rencontrant aucune résistance, assouviraient
sans coup férir et par conséquent sans risque leurs appétits d'annexion.
Nouvelle Pologne, notre pays magnifique, déchiré, écartelé, tomberait sous
l'écrasante domination du ou des conquérants qui se partageraient son
territoire et sa population. N'ai-je pas raison, Monsieur, d'affirmer que le
Désarmement que vous préconisez équivaudrait, pour la France, à un véritable
suicide ? Vous n'êtes pas son ami ; vous êtes son plus mortel ennemi ! » Ce
langage, c'est celui que profèrent nos nationalistes et le peuple de France
comme d'ailleurs - est tellement et depuis si longtemps habitué à vivre sur le
pied de guerre, on lui a tant et si bien dit, répété, rabâché qu'il est une
sorte d'agneau entouré de loups, que, sans réfléchir, il est porté à croire que
c'est une indiscutable vérité. Et pourtant !... A l'objection soulevée contre
le Désarmement unilatéral et sans condition de réciprocité, je réponds que je
ne partage en aucune façon les craintes et les sinistres prévisions que traduit
cette objection. Par la pensée, supposons la France s'étant totalement
désarmée. Elle a avisé de cet événement considérable tous les autres peuples et
leur a administré la preuve de sa parfaite loyauté, de son indiscutable
sincérité. Il est entendu qu'elle a définitivement renoncé à la guerre, qu'elle
ne consentira, en aucun cas, à se battre, que rien, rien ne la décidera à se
départir de cette résolution. Elle l'a solennellement déclaré et personne ne
l'ignore, ne peut l'ignorer. Et, maintenant, réfléchissons et argumentons.
Toute nation se compose de deux éléments : ses gouvernants (une infime
minorité) et l'immense multitude qui forme le reste de la population : D'où
peut surgir le danger dont on nous menace ? Il ne peut provenir que de cette
multitude qu’on appelle le peuple ou de ceux qui gouvernent. Est-il permis
d'imaginer qu'un peuple, pour si belliqueux qu'il soit, puisse concevoir et
envisager sérieusement le projet de porter la guerre dans un pays dont il
connaît l'indéfectible attachement à une Paix définitive ? Tenons compte que
tous les peuples sont plus ou moins travaillés par la propagande pacifiste ;
qu'il y a, chez eux, des associations dont la volonté de Paix a été portée à
son comble par le désarmement volontaire de la France ; n'oublions pas que ces
peuples sont édifiés sur les horreurs de la guerre et savent pertinemment que
l'annexion d'une partie du territoire français ne leur rapporterait rien ; ne
perdons pas de vue que le prolétariat de ces peuples a conscience que sa
situation sociale le condamne à être et à rester aussi longtemps qu'il aura des
capitalistes et des gouvernants, victime de l'exploitation de ses capitalistes
et de la domination de ses gouvernants et que cette domination et cette
exploitation se trouveront aggravées en raison directe de l'extension
qu'apporteraient à cette agression et à cette spoliation un territoire plus
étendu, une population plus nombreuse, et un gouvernement plus fort. J'ai la
conviction que, dans ces conditions, il ne viendra à la pensée d’aucun peuple
de songer à se jeter sur le seul pays qui aura affirmé et prouvé qu'il entend
ne chercher querelle à personne et qu'il veut vivre en paix et en amitié avec
tout le monde. Pour se battre il faut être deux, c'est aussi vrai pour deux
nations que pour deux individus, et il suffit que l’un des deux refuse le
combat pour que celui-ci n’ait pas lieu. Il n'est plus, le temps où la guerre
se limitait aux campagnes engagées entre mercenaires, spadassins et reîtres
ayant, par intérêt et par profession, embrassé la carrière des armes. Dans
toutes les nations, c'est la totalité des hommes valides et adultes qui, en
temps de guerre, est appelée sous les drapeaux et ce que nous savons du
caractère que revêtira la guerre de demain nous persuade que, hommes et femmes,
vieillards et enfants, personne ne sera épargné. Et on s'essaierait à nous
faire admettre l'éventualité d'une agression voulue ou même consentie par la
population paisible d'un ou plusieurs pays contre une grande nation comme la
France qui se serait délibérément désarmée ? Cette éventualité est
inadmissible. Il est vrai que si la guerre n'est jamais désirée ni voulue par
le peuple, celui-ci apprenant et constatant de mieux en mieux qu'il n'a rien à
y gagner et tout à y perdre, elle est le fait des dirigeants qui gouvernent la
nation. Ceux-ci ne sont que le petit nombre mais ils possèdent tous les leviers
de commande : pouvoir, richesse, journaux, censure, toutes ces forces sont à
leur discrétion et entre leurs mains. Ils excellent dans l'art de préparer les
esprits à la guerre, de chauffer l'opinion, de l'affoler et de la galvaniser.
Quand ils sentent venir un conflit armé, ils mettent en mouvement toutes leurs batteries
; ils ne témoignent jamais plus ostensiblement de leur volonté de paix que
lorsqu'ils sont à la veille de déclencher la guerre. Ils sont à la source des
renseignements. Dans les sphères gouvernementales, diplomatiques, militaires et
capitalistes, on sait à quoi s'en tenir sur les événements qui se préparent ;
mais jusqu'à la dernière heure, on ruse, on travestit les faits, on dénature
les informations ; en un mot, on ment. Or, toutes ces manœuvres, toutes ces
fraudes, tous ces mensonges ont un but, un seul, et il est le même dans tous
les pays. Ce but, c'est de faire pénétrer dans le crâne de la masse la
conviction que, dans chaque pays, les Pouvoirs publics ont tout mis en œuvre
pour éviter la guerre : « Toutes les concessions compatibles avec la dignité et
les intérêts de la Nation, nous les avons faites. Tout ce qu'il était
humainement possible de faire pour épargner à notre pays les duretés, les
rigueurs, les douloureuses épreuves que comporte un conflit armé, nous l'avons
fait. Nous sommes allés jusqu'aux extrêmes limites de la conciliation ; nous
n'avons reculé devant aucune mesure susceptible d'écarter cette terrible
éventualité. Tout a été inutile. La Guerre nous est imposée ; nous la subissons
; mais, puisque nous sommes l'objet d'une agression criminelle, nous nous
trouvons dans l'obligation de repousser cette agression ; sauvagement attaqués,
nous avons l'impérieux devoir de nous défendre. » Tous les gouvernements
s'expriment de la sorte et donnent à cette fourberie toutes les apparences de
la sincérité. Et c'est ainsi que chaque Etat parvient à faire croire à son
Peuple qu'il s’agit d'une Guerre au caractère indubitablement défensif. Il n'y
a pas un gouvernement, je dis : « pas un », qui, à notre époque, prendrait sur
lui de reconnaître qu’il pourrait ne pas faire la guerre, que rien ne l’y
oblige, mais qu’il a la volonté de la faire quand même : une telle guerre
serait tellement impopulaire, elle se heurterait à de telles résistances, elle
soulèverait un tel mécontentement, elle ameuterait tant de colères, qu’aucun
gouvernement – à moins qu’on ne le suppose frappé de démence – ne consentirait
à assumer les responsabilités écrasantes et à courir les risques certains d’une
aussi périlleuse aventure. Cela ne fait pas le moindre doute. Eh bien ! Il est
facile, dans l’état actuel du monde, alors que chaque nation, bottée, casquée,
armée, reste sur le qui-vive et contribue à transformer la terre en un immense
camp retranché d'où peut, à tout instant, surgir, du Nord ou du Midi, du
Centre, de l'Est ou de l'Ouest, le spectre hideux de la Guerre ; il est
possible - et sans grand effort - de convaincre la population de chaque pays
que, en acceptant de se battre, elle ne fait pas autre chose que de se défendre
contre l'odieuse agression de telle nation qui a formé le dessein de détruire
ses foyers, de ruiner son industrie, de s'emparer de ses biens, de conquérir
son territoire et de la réduire en esclavage et qui, dans ce but, a recours à
la guerre. Mais il serait tout à fait impossible d'imputer d'aussi noirs
desseins, d'aussi sinistres intentions à la France désarmée ; il serait
totalement impossible, quelles que soient les manœuvres employées, d'amener la
population d'un pays quelconque à l'idée d'une agression ayant pour auteur le
seul Peuple qui aurait pris la magnifique initiative et donné le superbe
exemple du Désarmement. Et, sur ce point, c'est-à-dire me plaçant dans
l'hypothèse de la France ayant volontairement désarmée, je conclus : d'une
part, aucun peuple ne songerait à ouvrir les hostilités contre une telle France
; d'autre part, aucun gouvernement n'oserait donner à sa population l'ordre de
se ruer contre cette France, parce qu'il ne serait possible à aucun
gouvernement de transformer une guerre dont le caractère offensif serait
évident, en une guerre dont le caractère défensif serait impossible à établir
avec quelque vraisemblance. Est-ce clair ? Et n'est-il pas démontré, maintenant,
que le désarmement de la France n'exposerait celle-ci à aucune agression, mais
tout au contraire, serait le gage, la garantie de sa complète sécurité ?
Poussons plus loin l'examen de cette menace que les ennemis de la Paix
brandissent sur la tête des partisans, comme moi, du désarmement de la France.
Et supposons que cette menace se réalise, bien que je vienne d'en démontrer
plus que l'invraisemblance : l'impossibilité. La France est envahie. Elle l'est
par une seule puissance ou par plusieurs. Examinons les deux cas : Premier cas
: elle est envahie par les armées d'une seule nation. Pense-t-on que les autres
Puissances laisseront cette invasion se produire sans qu'elles interviennent ?
Imagine-t-on qu'elles assisteront, impassibles et l'arme aux pieds, à
l'occupation du territoire français par telle ou telle Puissance ? Comment ?
Lorsqu'il s'agit d'une île perdue, d'un coin de terre situé au loin, qu'un Etat
laisse percer l'intention de s’annexer par un des procédés connus : protectorat
ou colonisation, toutes les autres Nations s'agitent, se mettent sur les rangs,
réclament leur part du gâteau, font valoir des droits fictifs ou réels,
interviennent sous une forme ou sous une autre ; les convoitises se
manifestent, les appétits s'affirment, les rivalités entrent en jeu. On dirait
autant de chiens affamés prêts à se ruer les uns sur les autres pour se
disputer un os. Et on consentirait à admettre qu'une Puissance ayant jeté son
dévolu sur la France sans défense, les autres laisseraient faire ? Il n'y a pas,
au monde, une personne sensée qui puisse croire une minute qu'il en serait
ainsi. Passons à l'autre supposition. Second cas : La France est envahie de
divers côtés par plusieurs Puissances, par exemple : au Nord, par l'Angleterre
; à l'Est, par l'Allemagne ; du côté des Pyrénées, par l'Espagne ; du côté des
Alpes, par l'Italie. Cette hypothèse présuppose une entente préalable, un plan
concerté. Je ne m'arrête pas aux difficultés qui précéderaient un tel accord et
accompagneraient la mise à exécution du plan concerté. Voici donc les armées
anglaises, allemandes, espagnoles et italiennes en France, supposons-le.
Quelles vont être les conséquences de cet envahissement ? Gardons notre sang et
indignations qui, dans l'état actuel des nationalismes surexcités, jailliraient
de ces sources empoisonnées qui se nomment : Patrie, indépendance nationale,
honneur, drapeau, défense du sol, sauvegarde du Patrimoine commun, cendres des
aïeux, et autres calembredaines. Mettons-nous bien dans la tête que, dans le
cas qui nous occupe, l'invasion a eu lieu sans combat ; Anglais et Allemands,
Espagnols et Italiens n'ont rencontré sur les frontières qu'ils ont franchies,
sur le territoire qu'ils ont occupé, dans les villes et villages où ils se sont
installés, aucune résistance armée ; les envahisseurs qui, dans l'espèce, ont
pratiqué une sorte de pénétration pacifique, puisqu'ils n'ont eu à renverser
aucun obstacle, à rompre aucune digue, à culbuter aucun barrage, n'ont pas à
redouter la moindre attaque ni devant, ni derrière, ni sur le flanc ; à l'abri
de toute surprise, leur sécurité ne court aucun risque. Cela étant, on discerne
tout de suite l'extrême différence qui sépare une invasion de cette nature de
celle qui se pratique en temps de guerre, c'est-à-dire lorsque l'envahisseur a
dû, pour avancer, marcher sur le cadavre des siens qu'il semait derrière lui,
sur le corps de ceux qui se battaient pour lui barrer la route et sur les
dévastations et les ruines qu'il accumulait sur ses pas. Provoquées,
justifiées, exigées même par les sauvageries et atrocités qu'entraîne l'état de
guerre, les cruautés, brutalités et violences dont se rendraient coupables les
envahisseurs de la France désarmée et refusant de se défendre n'auraient aucune
raison d'être et seraient sans excuse puisque sans motif. En conséquence, que
résulterait-il d'une telle invasion ? Annexion à l'Etat envahisseur du
territoire envahi ; installation d'un nouveau personnel gouvernemental et
administratif ; application à la population résidant sur le terrain annexé de
la législation et du système d'impôts et contribution en vigueur dans le pays
annexeur ; voilà pour le régime politique auquel seraient soumis les habitants
des régions envahies. Pense-t-on qu'il y aurait grand dommage, pour nos
compatriotes de France, à subir ces divers changements ? Gouvernés pour
gouvernés, administrés pour administrés, le seraient-ils plus durement ou plus
mal par des gestionnaires étrangers que par des gérants français ?
Seraient-ils, en tant que contribuables, sensiblement plus pressurés ? Les
impôts, dont rien ne permet d'entrevoir l'allègement dans le pays de France,
n'ont-ils pas atteint le maximum des charges fiscales qu'il est possible de
supporter, en sorte qu'il serait impossible d'aggraver ces charges ? La
législation, chez nos voisins, est-elle notablement en retard sur la nôtre ?
Quant au régime économique, il est probable que, à peu de chose près, il
resterait le même. Tout ce qu'on peut prévoir, ce serait, au pis aller, la
mainmise sur les chemins de fer, les compagnies de navigation et de transport,
les compagnies d'assurances, les mines, les banques, les grandes firmes
industrielles et sociétés commerciales de premier ordre, les vastes entreprises
agricoles, etc. Sans doute, les richissimes capitalistes de nationalité
française qui sont, actuellement, à la tête de ces grosses affaires auraient à
se plaindre de ces confiscations et expropriations ; mais, à l'exception de ces
personnages - dont le sort ne me cause aucune inquiétude car je suis certain
qu'ils ont des intérêts ailleurs - je ne vois pas en quoi le sort de tous les
autres se trouverait aggravé. Exploités et flibustés par les capitalistes de
France, les travailleurs seraient flibustés et exploités par les capitalistes
des autres pays et j'estime qu'ils ne perdraient rien au change : tous les
exploiteurs se valent. Compte tenu de ces explications, je suis en droit
d'affirmer que, si on veut bien comparer les maux relativement légers que
déterminerait l'invasion de la France désarmée aux horreurs qu'entraînerait
pour ses habitants une nouvelle guerre, on ne peut que se prononcer en faveur
du Désarmement que je conseille, dût celui-ci ouvrir à « l'étranger » les
frontières de la France. Car il est de règle et d'élémentaire sagesse, quand on
est dans la nécessité de choisir entre deux maux, d'opter pour le moindre ; et,
ici, le moindre est incontestablement le Désarmement, l'invasion dûtelle s'en
suivre. Le Désarmement doit être imposé par le Peuple au Gouvernement. - Cette
étude touche à sa fin. Pour la compléter, je dois préciser les moyens à employer
pour imposer au Gouvernement de France le désarmement dont il est appelé à
donner l'exemple. J'ai dit plus haut que ce qui manque aux nombreuses ligues et
associations pacifistes existantes, pour imprimer à leur effort l'élan
nécessaire à chaque groupement et apporter à l'ensemble le lien indispensable à
une action commune, c'est une sorte de boussole permettant à toutes ces ligues
en général et à chacune en particulier, de s'orienter vers le même but et par
la même route : la plus directe et la plus sûre. Eh bien ! Cette boussole, le
désarmement unilatéral et sans condition la leur apporte. Ce désarmement est un
programme clair et précis ; il est un but immédiat et déterminé ; il peut et
doit servir de plateforme sur laquelle se mettront d'accord tous les pacifistes
immuablement décidés à ne faire la guerre en aucun cas, ni directement ni
indirectement. Sur ce programme, ce but et cette plateforme, il ne sera ni très
long ni très difficile d'asseoir la fédération, nationale d'abord,
internationale ensuite, des associations véritablement et foncièrement
pacifistes. Le jour est proche où, désabusés par les pantalonnades et
défaillances de la Société des Nations, les Peuples ne se feront plus la
moindre illusion et refuseront de continuer à faire crédit aux professionnels
de la Politique, de la Diplomatie, de l'Armée et de « l'Affairisme mondial »
qui composent l'Assemblée de Genève. Le jour est proche où les esprits les
moins ouverts, je dirai même les plus obtus, se rendront compte que le régime
dit, bien à tort, « de la sécurité », loin de conduire les nations vers la
Paix, les accule fatalement à la Guerre. Les événements s'ajoutent les uns aux
autres, qui tuent chez tous les individus animés d'une volonté loyale et ferme
de Paix toutes les espérances qu'avaient fait naître les Protocoles, les Pactes
et les Conventions conclus ou à conclure. Grand déjà est le nombre de ceux qui
sont convaincus que la Paix ne descendra pas des hauteurs dirigeantes, des
altitudes gouvernementales et qu'elle ne peut sortir que des profondeurs de la
masse populaire, pour qui l'état de guerre est une calamité et l'état de paix
un besoin, une nécessité. Le désarmement volontaire de la France sera le signal
d'un enthousiasme délirant au sein de la population française et, chez les autres
peuples, le point de départ d'une formidable poussée vers le même désarmement.
Tous ceux et toutes celles en qui brille la flamme dévorante du véritable
Pacifisme accouront de toutes parts, se rechercheront et s'assembleront en une
innombrable multitude sous le signe du Désarmement à tout prix. Sous les formes
les plus diverses et les plus efficientes : réunions, conférences, meetings,
démonstrations sur la voie publique, journaux, affiches, tracts, brochures,
manifestes, appels à l'opinion, la propagande s'organisera, toujours plus
active et plus féconde en faveur du Désarmement. Des lèvres des apôtres de la
Paix jailliront des harangues toujours plus enflammées, des sommations sans
cesse plus pressantes, des mises en demeure de plus en plus impérieuses. Et la
Cause magnifique que les militants plaideront ainsi répondra si exactement à la
volonté de Paix qui sommeille au fond de tous les cœurs et au tréfonds de
toutes les consciences, même de celles qui s'ignorent le plus, que le courant
pacifiste, de plus en plus tumultueux, frémissant et passionné, deviendra vite
puissant et, enfin, irrésistible. Je ne pousse pas la naïveté jusqu'à croire que
ces combattants de la Paix ne trouveront en face d'eux aucun adversaire. Non ;
je ne suis pas candide à ce point. Je prévois, je sais, je suis certain que
tous les intérêts politiques et économiques auxquels la Paix armée et la Guerre
sont ou paraissent être favorables mettront tout en œuvre pour s'opposer au
pacifisme intégral dont je prône la croisade : leur propagande de désarmement :
fausses nouvelles, informations tendancieuses, intimidations, ruses, manœuvres,
chantages et perfidies, leur mauvaise foi ne reculera devant rien. Poursuites
et condamnations ne seront certainement pas épargnées aux militants pacifistes
les plus zélés et les plus en vue. Mais quand la répression s'abat sur un
mouvement ayant atteint certaines proportions, elle ne fait qu'accroître la
puissance de ce mouvement (voir Répression), elle est le coup de fouet dont le
cinglement active, précipite et porte à son maximum la vitesse du coursier qui
se hâte vers le but et ne se laisse abattre par aucun obstacle. Les premières
difficultés que tout mouvement rencontre à sa naissance sont d'ores et déjà
vaincues. Le mouvement pacifiste n'en est qu'à ses débuts ; il s'est quelque
peu laissé assoupir au ronronnement des berceuses que chantonnaient autour de
son berceau les hypocrites fauteurs de guerre et les faux artisans de la Paix.
L'enfant a grandi ; il devient robuste et courageux, entreprenant et audacieux.
Hier encore, il ignorait la voie qu'il devait suivre : on en ouvrait devant lui
tant et de si attirantes ! Aujourd'hui, après de multiples tâtonnements et
toute une série d'essais dont, à l'expérience, il a constaté l'erreur ou
l'insuffisance, il a trouvé sa voie. Cette voie, c'est celle du Désarmement hic
et nunc ; il s'y est vaillamment engagé. Impatient d'aboutir, ayant conscience
du danger dont tout retard sème sa route, plaçant tous ses espoirs et toute sa
confiance dans la puissance de l'exemplarité, il demande le Désarmement ;
demain il l'exigera ; sous peu, s'il le veut résolument, il pourra l'imposer.
Il sait qu'il ne doit avoir confiance qu'en lui-même, il sait que seul il est
de taille à briser toutes les résistances ; il engage la lutte. Ce lutteur
vigoureux, combatif, ardent, tenace, c'est le Peuple pacifiste ; hier encore,
faible comme un enfant, aujourd'hui fort comme un adulte ; demain, athlète
magnifique. Les pessimistes et les découragés estimeront que je me laisse
emporter sur les ailes d'un lyrisme téméraire et sans consistance. Eh bien !
Qu'ils prennent la peine de réfléchir ; qu'ils comparent la masse incalculable de
ceux et de celles qui, appelés à subir toutes les désastreuses conséquences de
la Guerre, sans avoir, quelle que soit l'issue de celle-ci, le moindre espoir
d'en retirer le plus mince avantage, à la dérisoire minorité de ceux et de
celles qui, confiants dans la situation qu'ils occupent et les moyens dont ils
disposent, ont ou croient avoir quelque chance de sauver leur carcasse et de
recueillir les fruits de la victoire. Cette simple comparaison suffira
largement à les édifier.Vainement me dira-t-on que cette comparaison ne prouve
rien en faveur de ma thèse, puisque la même disproportion entre les profiteurs
possibles et les victimes certaines de la guerre existait hier comme elle
existe aujourd'hui et qu'elle n'a pas empêché, il y a 16 à 17 ans, les masses
destinées à l'immolation de se ruer vers la frontière. A mon tour de répondre
que les événements ont modifié du tout au tout l'état d'esprit de la masse.
Qu'on relise la partie de cette étude qui (pages 191314-15 et 16) a pour titre:
« Vers la Paix ». Cette lecture ruinera le rapprochement qu'on serait tenté
d'établir entre deux dates : 1914 et 1932 qui, bien que fort rapprochées, sont
séparées par des circonstances qui ont creusé entre elles un véritable abîme.
Pour ne pas triompher trop facilement, je veux bien reconnaître que si, par
malheur, la guerre maudite éclatait brutalement et par surprise à l'heure où
nous sommes, un certain nombre et même, probablement, beaucoup de pacifistes se
laisseraient entraîner vers l'abattoir ; n'ai-je pas dit, au surplus, que cette
guerre prendrait, dès la première heure, un tel caractère d'extermination et de
désastre, qu'il n'y aurait possibilité de rien faire ? Mais si quelque répit
nous est laissé, (et c'est toujours dans cette hypothèse qu'il faut se placer
pour raisonner et agir), je pense que le courant pacifiste possède, dès à
présent, une ampleur et une force appréciables et qu'il s'étend et se fortifie
de jour en jour. Qu'ils apprennent à se connaître, les militants de la Paix ;
qu'ils se rapprochent, qu'ils se concertent, qu'ils se placent, en dehors et
au-dessus des tendances politiques, religieuses et idéologiques qui les
séparent, sur le terrain solide de la Paix avant tout, de la Paix à tout prix,
de la Paix par tous les moyens ; que, pénétrés de la nécessité de conjurer les
menaces de guerre qui sont suspendues sur nos têtes et, toute autre affaire
cessante, de marcher, non plus en ordre dispersé, mais en rangs compacts contre
cette angoissante éventualité, ils prennent en commun les décisions urgentes ;
que de leurs innombrables poitrines sorte, puissante, irrésistible, la clameur
attendue : « Désarmement, Désarmement, Désarmement ! » Que cette clameur
s'avère comme le cri discontinu d'un sentiment, d'une résolution, et d'une
volonté inébranlables. Que, pareil à ces lames de fond qui, dans leur furieux
élan, bouleversent et emportent tout, le soulèvement des couches profondes
s'élève et monte jusqu'aux sommets qu'occupe le Gouvernement; et celui-ci sera
bien obligé de capituler, c'est-à-dire, comme on l'a proclamé naguère, de se
soumettre ou de se démettre. S'il se soumet, ce sera le Désarmement ; s'il se
démet, ce sera la Révolution. CONCLUSION. - En étudiant le problème si délicat,
si complexe et si ardu de la Paix, j'ai été entraîné à des développements qu'on
jugera peut-être excessifs. Mon excuse, c'est que la lutte contre la Guerre
dont l'imminence plane, terrifiante, sur notre époque est, à coup sûr, celle
qui réclame présentement notre attention la plus vigilante et notre effort le
plus immédiat. Il est permis de dire que l'avenir de l'humanité se joue
actuellement sur ce « pile ou face » : la Guerre ou la Paix. Si la Guerre n'est
pas empêchée, ce sont d'inestimables trésors anéantis ; c'est le merveilleux
labeur des générations qui nous ont précédé, détruit ; c'est la vieille Europe
couverte de décombres, de cendres et de cadavres. C'est, pour un temps
indéterminé, la porte fermée à tous les espoirs qui s'ouvrent devant nous.Le
devoir qui s'impose à tous les amis sincères, à tous les ouvriers de la Paix,
c'est de travailler avec un zèle inlassable et une activité de tous les
instants à empêcher la Guerre. Un seul moyen s'offre à nous : le Désarmement.
Encore faut-il qu'une Puissance de premier ordre commence et je dis que c'est à
la France qu'est dévolu l'honneur de donner l'exemple. Désarmement moral et
désarmement matériel ; l'un et l'autre sont indispensables et indissolublement
solidaires. Le Désarmement matériel est impossible s'il n'est pas la
transposition dans le domaine des faits du Désarmement moral ; et le Désarmement
moral serait vain s'il n'amenait pas le Désarmement matériel. Je ne dis pas que
le Désarmement, c'est la Paix définitive, indestructible. Seule, la suppression
du régime social qui repose sur le principe d'Autorité peut enfanter et
enfantera cette Paix définitive et indestructible. Je persiste à affirmer que
la forme actuelle de l'Autorité politique : l'Etat et la forme actuelle de
l'Autorité économique : le Capitalisme portent en elles la Guerre entre les
Nations comme elles la portent, au sein de chaque nation, entre les classes qui
composent celle-ci et, au sein de chaque classe, entre les individus et les
groupements qui constituent chaque classe. La Paix, la vraie Paix ne s'édifiera
donc que sur les ruines du monde social actuel, sur l'effondrement du Principe
d'Autorité et des Institutions qui en procèdent : le Capitalisme, autorité sur
les choses et l'Etat, autorité sur les personnes. Pas un instant, au cours de
cette étude que je viens d'écrire avec tout mon cœur comme avec toute ma
raison, je n'ai perdu de vue le but suprême à atteindre : la transformation
sociale, transformation vaste et profonde (voir le mot Révolution) qui ne
laissera rien subsister de ce qui s'opposera à cette devise anarchiste :
BienEtre et Liberté. Allant au plus pressé, étudiant le problème dont la
solution est urgente : le moyen pratique et immédiat d'empêcher la Guerre, je
me suis arrêté au Désarmement. Je m'y suis arrêté avec d'autant plus d'ardeur
et de confiance que ce Désarmement mène à la Révolution Sociale en même temps qu'il
est l'unique moyen de faire reculer la Guerre. Je conclus : il serait
déraisonnable d'attendre d'un Gouvernement quelconque qu'il prît de lui-même
l'initiative d'un Désarmement dont il donnerait l'exemple. Tout Gouvernement
est dans la nécessité d'appuyer sur la force les pouvoirs qu'il détient. Se
désarmer équivaudrait pour lui à un suicide à échéance plus ou moins
rapprochée. Le peuple, rien que le peuple, en qui fermentent la haine de la
guerre et l'amour de la Paix, peut imposer à ses Gouvernants l'obligation de
désarmer. Il le peut et il le doit. L'idée du Désarmement est en marche. Le
prolétariat tient en mains la possibilité d'en commencer la réalisation. C'est
lui qui, dans les manufactures d'armes, les arsenaux maritimes, les usines où
on travaille pour les armements, l'équipement et les fournitures militaires,
pour l'aviation de guerre et la fabrication des bombes qui incendient,
stérilisent et tuent ; c'est lui qui produit tout ce qui forme l'arsenal de
massacre. C'est lui, aussi, qui charge, transporte et décharge tous ces
produits destinés aux œuvres de destruction et d'assassinat. Qu'il affirme son
inébranlable volonté de paix et de désarmement en refusant son concours à la
fabrication et au transport de tous ces produits. Exception faite des quelques
opulents capitalistes qui s'enrichissent de cette fabrication et de ces
transports, le concours et la solidarité agissante de tous lui seront assurés.
Ce sera le premier pas, mais un pas décisif vers le Désarmement à imposer aux
Pouvoirs publics ; la conscience populaire et l'agitation pacifiste feront le
reste. Et ce ne sera pas long : soutenu par ce désarmement effectif, le courant
pacifiste deviendra rapidement d'une puissance telle qu'il ne tardera pas à
être irrésistible. Alors, le Gouvernement se trouvera en face de ce dilemme ;
de deux choses l'une : ou bien, il cédera et, dans ce cas, ce sera le
Désarmement immédiat et, fort de cette victoire décisive qui attestera sa
propre force et la faiblesse du Gouvernement, le peuple donnera l'assaut à
celui-ci et ce sera la Révolution ; ou bien, le Gouvernement résistera et, dans
ce cas, le courant pacifiste, devenu irrésistible, le culbutera. Ce sera,
alors, la Révolution d'abord et ensuite le Désarmement. C'est ainsi que tout se
tient et s'enchaîne, que tout est dans tout, que le problème d'aujourd'hui : la
Paix ou la Guerre, conduit logiquement à celui de demain : le Désarmement ou la
Révolution sociale.
- Sébastien FAURE.
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