jeudi 8 juin 2023

La paix encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 

Plaçons-nous maintenant dans l'hypothèse de la France venant de désarmer. Elle porte ce prodigieux événement à la connaissance de tous les peuples par la voie d'un message traduit dans toutes les langues, reproduit et commenté par les journaux du monde entier, communiqué par tous les postes de T. S. F. et par toutes les agences d'information. Concis, limpide, émouvant, ce message que les mille bouches de l'information feraient retentir aux quatre points cardinaux, pourrait être à peu près celui-ci : MESSAGE DU PEUPLE FRANÇAIS A TOUS LES AUTRES PEUPLES « Le régime de PAIX ARMÉE fait peser sur toutes les Nations des charges accablantes, en même temps qu'il prépare infailliblement le retour de la folie des folies, du crime des crimes : la Guerre ! La Guerre entraîne à sa suite un cortège de plus en plus effrayant de ruines, de deuils, d’inexprimables détresses. Si un conflit armé se produisait demain, ce serait l'extermination de l'espèce humaine et l'effondrement d'une civilisation que des siècles d'efforts et de sacrifices ont lentement édifiée. A l'exception d'un nombre infime de personnes prononcer ouvertement et franchement en faveur de la Guerre - tous les humains aspirent à un régime de PAIX générale et permanente. Gouvernements et Peuples, tous reconnaissent que le Désarmement général est la condition sine qua non de l'établissement de ce Régime de Paix si fervemment désiré et si anxieusement attendu. C'est pourquoi, au sein de toutes les nations existe un courant de plus en plus puissant contre la Guerre et pour la Paix, Mais aucun Peuple, jusqu'à ce jour, n'a exprimé assez clair et assez haut sa volonté de Paix. Aujourd'hui, c’est chose faite : le Peuple de France a mis son Gouvernement en demeure de désarmer, sans attendre que les autres nations soient résolues et prêtes à désarmer également. Et, sous l'irrésistible pression populaire, le Désarmement, en France, est actuellement un fait accompli. On vous dira, peut-être, que ce désarmement n'est que fictif, incomplet et provisoire. N'en croyez rien. : il est réel, total et définitif. Vous pouvez contrôler l'exactitude de cette affirmation : nos portes sont ouvertes à quiconque désirera acquérir la certitude de notre loyauté. C'est cet événement, à jamais inoubliable, que, par ce message, le Peuple de France porte à la connaissance de tous les autres Peuples. Devant l'Histoire et devant l'Humanité, nous déclarons : que nous ne nous connaissons plus d'ennemi ; Que nous ne voulons plus nous battre ; Que nous sommes irréductiblement décidés à ne jamais recourir à la force des armes pour trancher les différends, de quelque nature qu'ils soient, qui pourraient surgir entre n'importe quel peuple et nous ; Que, désormais, nos relations avec les autres peuples, sans distinction de nationalité ni de race, seront de confiance et d'amitié. Nous déclarons que nous avons pris au sérieux le pacte par lequel, d'accord avec un grand nombre d'autres Puissances, la France a déshonoré la Guerre, l'a jetée hors la loi et mise an ban de l'Humanité. Oui, la France désarme. Elle désarme moralement et matériellement. Elle désarme sans que rien ne l'y oblige, volontairement et lorsqu'elle est en possession d'un potentiel de Guerre qui n'est inférieur à celui d'aucune autre nation. Nous avons pleine confiance dans l'avenir. Nous savons que le désarmement d'un grand pays comme le nôtre fera naître partout l'admiration et l'enthousiasme et que, par la puissance de l'exemple, il sera le signal du désarmement général. Nous ne redoutons rien : un Peuple ne peut pas songer à attaquer un autre Peuple qui, non seulement ne le menace pas, mais encore lui tend fraternellement la main. Un Gouvernement ne parviendra jamais à convaincre ses nationaux que le Peuple de France qui, le premier et le seul, a désarmé, complote contre eux une agression, une offensive quelconque. Désarmé, ne basant plus sa sécurité sur ses Forces de guerre, le Peuple de France se place sous la protection de tous les autres Peuples, ses frères ; il confie à cette protection la garde de son inviolabilité. Nous adjurons le Monde civilisé de suivre au plus tôt l'exemple que nous lui donnons. Trop longtemps la guerre a dévasté la Terre. L'heure est venue de mettre un terme à l'infamie et aux atrocités des rencontres sanglantes. Que, au sein de chaque nation, les multitudes qui, jusqu'à ce jour, se sont entretuées pour des Causes qui n'étaient pas les leurs, que les masses laborieuses qui, en toutes circonstances, ont toujours payé et toujours paieront de leur sang et de leur travail tous les frais des boucheries internationales ; que ces foules se dressent contre leurs Gouvernements et leur imposent le désarmement. Le sillon est tracé ; chaque peuple a le devoir de le creuser et de l'élargir, en exigeant de son Gouvernement qu'il imite la France : la volonté de Paix qui déjà emporte l'Humanité ne peut manquer d'être fortifiée et portée jusqu'à son comble, par l'annonce de l'événement que vous apprend ce Message. Puisse cette volonté de Paix devenir rapidement irrésistible ! Alors, elle brisera tous les obstacles qui pourraient lui être opposés. Alors et alors seulement, le danger d'une guerre prochaine, dont la menace pèse sur le Monde, sera conjuré. Alors, et alors seulement, s'établira le règne indestructible de la Paix radieuse et féconde ! » Il va de soi que les circonstances apporteront à ce texte les modifications qu’elles comporteront ; mais l'esprit de ce Manifeste pourra rester le même. Quelle émotion profonde, quelle impression sans précédent, quel frémissement inexprimable suscitera, d'un bout du monde à l'autre bout, un événement de cette nature et de cette importance ! Est-il exagéré de dire que ses répercussions seront incalculables, qu'il suscitera dans le monde entier une émotion à ce point puissante et profonde qu'elle portera un coup mortel à la mentalité de violence que des siècles de luttes guerrières ont déterminée ? A l'étonnement, à l'admiration et à l'enthousiasme spontanés de la première heure, succèdera rapidement dans la conscience des peuples les plus fortement travaillés par la propagande pacifiste, la résolution consciente et réfléchie de suivre l’exemple. Partout les Forces de Guerre se trouveront affaiblies et partout seront raffermies et fortifiées celles de Paix. Qu'on y songe : c'est à la suite de la victoire des Prussiens sur les Autrichiens, (Sadowa, 3 juillet 1866) et quelques années plus tard, de la mise en pièces des armées françaises par les armées allemandes (18701871), que la puissance militaire de l'Empire d'Allemagne, se développant sans arrêt, contraignit - si l'on peut dire - les autres nations à accroître, de lustre en lustre, leurs effectifs et leurs armements. C'est l'exemple de l'Allemagne de plus en plus militarisée, appuyant son effort industriel et commerçant sur un appareil de conquête et d'extension toujours plus robuste et perfectionné. Qui a entraîné la vieille Europe et, de proche en proche, le monde capitaliste des autres continents sur la route des effectifs de plus en plus nombreux, des réserves de mieux en mieux préparées, des budgets de guerre constamment enflés, des armements toujours plus puissants et s'adaptant de mieux en mieux aux nécessités de l'offensive et de la défensive. Oui : c'est à l’instigation de l'Empire Germanique et dans l'espoir de se garantir pour le mieux - ô mirage de la Sécurité ! - contre toute éventualité d'agression que, depuis une soixantaine d'années, chaque nation a cru devoir porter au maximum sa puissance militaire et que, chaque année, le monde qui se flatte d'être civilisé précipite follement dans l'abîme sans fond des budgets de guerre, des ressources, qui, présentement, se chiffrent par cent quatre milliards de francs. Pour ouvrir la voie à cette danse échevelée des milliards, il a suffi de l'exemple donné par une grande Puissance: l'Allemagne. Eh bien ! J'ai la conviction, et tous ceux que n'aveugle pas le fanatisme chauvin partagent cette conviction, que l'exemple que donnerait aujourd'hui la France en se désarmant entraînerait promptement et de façon certaine toutes les autres Puissances dans la voie du même désarmement. Je suis persuadé que le Peuple de France ayant, par son attitude résolue, énergique et inflexible, imposé à son Gouvernement, sa volonté de Paix par le Désarmement immédiat et sans condition, les autres Peuples, pris d'une noble émulation, et qui ont besoin de paix autant que celui de France, exerceraient sur leurs Gouvernements respectifs la même irrésistible pression et obligeraient ceux-ci à désarmer sans plus attendre. La certitude que j’exprime ici a pu être considérée, tout d'abord, comme la manifestation d'un optimisme de commande et sans mesure ; à l'heure actuelle, cette certitude est entrée dans un certain nombre d'esprits ; elle s'y est installée et n'en sortira plus. Plusieurs groupements pacifistes : les plus avancés, et les plus actifs, ont donné leur adhésion pleine et entière à la thèse que j'expose dans cette étude et aux conclusions d'ordre pratique qui en découlent. Toute cette partie de la population française qui est socialiste et même socialisante a adopté ces conclusions ; et si, pour des raisons politiques et de tactique électorale, les chefs de la SocialDémocratie française ne se prononcent pas, publiquement et franchement, en faveur du Désarmement unilatéral, presque tous les adhérents que compte le parti Socialiste sont acquis à la nécessité d'une telle mesure ; ils sont prêts à seconder tout mouvement dans ce sens et décidés à lui apporter l'appui de leur concours. Ce courant est si marqué au sein de ce parti que son Secrétaire Général, le député Paul Faure n'hésite pas à écrire : « Quand l'opinion publique sera convaincue que les prochains conflits ne laisseront rien à la surface du globe, tous ceux qui parleront de la Guerre seront regardés comme des fous. Sécurité d'abord, proclament de bien singuliers patriotes, avec des trémolos dans la voix qui sonnent faux comme des tambours crevés. Par la guerre, ce ne sera plus jamais la Sécurité. Qu'on se le dise ! Demandez-leur donc comment ils entendent empêcher 300 avions de venir, la même nuit, divisés en équipes, incendier Paris, Lille, Marseille, Lyon, Toulouse et Bordeaux - pour commencer - incendier les villes et anéantir tous les êtres vivants ! Sommes-nous prêts aux représailles ? demandent nos bonnets à poil. C'est à quoi on songe tout de suite, comme s'il s'agissait d'une partie de football ou d'un concours d'aviron. Nous pensons, nous, à autre chose : comment faire pour que ne soient pas détruites les capitales et les populations. Et nous avons choisi comme direction : le désarmement matériel et moral. » (Le Populaire, 20 janvier 1932). Les organisations syndicales qui comptent actuellement plus d'un million de syndiqués sont, elles aussi, à peu près unanimement pour le Désarmement sans condition de réciprocité. Nous voici donc, dès maintenant, en présence d'une solution à laquelle se rallient, plus ou moins publiquement et explicitement, plusieurs centaines de milliers de personnes, peut-être pourrait-on dire, sans tomber dans l'exagération, deux millions de pacifistes. C'est une force ; elle n'en est qu'à ses débuts ; mais elle ne demande qu'à se développer et il dépend de ceux qui la constituent, que par leur zèle et leur activité, elle augmente promptement en étendue et en profondeur. Quelque peu emporté par l’exaltation que soulève en moi cette espérance d'un grand pays comme la France donnant au Monde le merveilleux exemple d'un désarmement volontaire, face aux autres Puissances persistant à conserver et même à accroître leur appareil de Guerre, il m'est arrivé de m'écrier, en m'adressant parfois à d'immenses auditoires : « Le jour où la France se désarmera, seule et avant toutes les autres Nations, elle écrira la page la plus glorieuse, la plus féconde, la plus admirable, non seulement de son Histoire, mais encore de l'Histoire Universelle ! » Le plus souvent, cette déclaration fut accueillie par de frénétiques acclamations. Toutefois, il m'est arrivé de voir se dresser devant moi un super-patriote m’apostrophant à peu près en ces termes : « Monsieur, votre langage est celui d'un ennemi de la France. Je ne sais pas si, en donnant l'exemple du désarmement, la France écrirait, comme vous le dites, la plus admirable page de son histoire ; mais ce que je sais, ce dont je suis absolument certain, c'est que si la France commettait l'imprudence de se désarmer, cette page de son Histoire serait la dernière, parce que, le lendemain, il n'y aurait plus de France. Songez-y, Monsieur : notre pays est de toutes parts entouré de nations avides et puissantes : l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie contournent ses frontières. Fertile et riche comme Elle l'est, la France ne saurait manquer d'exciter les convoitises de ces nations de proie. La vaillance bien connue de ses chefs militaires et de leurs soldats, le formidable matériel de guerre dont elle dispose lui servent aujourd'hui de remparts et garantissent sa sécurité. Qu'Elle se désarme ; et, ces remparts s'étant écroulés, ses frontières n'étant plus protégées, Elle serait immédiatement envahie et l'agresseur ou les agresseurs - ne rencontrant aucune résistance, assouviraient sans coup férir et par conséquent sans risque leurs appétits d'annexion. Nouvelle Pologne, notre pays magnifique, déchiré, écartelé, tomberait sous l'écrasante domination du ou des conquérants qui se partageraient son territoire et sa population. N'ai-je pas raison, Monsieur, d'affirmer que le Désarmement que vous préconisez équivaudrait, pour la France, à un véritable suicide ? Vous n'êtes pas son ami ; vous êtes son plus mortel ennemi ! » Ce langage, c'est celui que profèrent nos nationalistes et le peuple de France comme d'ailleurs - est tellement et depuis si longtemps habitué à vivre sur le pied de guerre, on lui a tant et si bien dit, répété, rabâché qu'il est une sorte d'agneau entouré de loups, que, sans réfléchir, il est porté à croire que c'est une indiscutable vérité. Et pourtant !... A l'objection soulevée contre le Désarmement unilatéral et sans condition de réciprocité, je réponds que je ne partage en aucune façon les craintes et les sinistres prévisions que traduit cette objection. Par la pensée, supposons la France s'étant totalement désarmée. Elle a avisé de cet événement considérable tous les autres peuples et leur a administré la preuve de sa parfaite loyauté, de son indiscutable sincérité. Il est entendu qu'elle a définitivement renoncé à la guerre, qu'elle ne consentira, en aucun cas, à se battre, que rien, rien ne la décidera à se départir de cette résolution. Elle l'a solennellement déclaré et personne ne l'ignore, ne peut l'ignorer. Et, maintenant, réfléchissons et argumentons. Toute nation se compose de deux éléments : ses gouvernants (une infime minorité) et l'immense multitude qui forme le reste de la population : D'où peut surgir le danger dont on nous menace ? Il ne peut provenir que de cette multitude qu’on appelle le peuple ou de ceux qui gouvernent. Est-il permis d'imaginer qu'un peuple, pour si belliqueux qu'il soit, puisse concevoir et envisager sérieusement le projet de porter la guerre dans un pays dont il connaît l'indéfectible attachement à une Paix définitive ? Tenons compte que tous les peuples sont plus ou moins travaillés par la propagande pacifiste ; qu'il y a, chez eux, des associations dont la volonté de Paix a été portée à son comble par le désarmement volontaire de la France ; n'oublions pas que ces peuples sont édifiés sur les horreurs de la guerre et savent pertinemment que l'annexion d'une partie du territoire français ne leur rapporterait rien ; ne perdons pas de vue que le prolétariat de ces peuples a conscience que sa situation sociale le condamne à être et à rester aussi longtemps qu'il aura des capitalistes et des gouvernants, victime de l'exploitation de ses capitalistes et de la domination de ses gouvernants et que cette domination et cette exploitation se trouveront aggravées en raison directe de l'extension qu'apporteraient à cette agression et à cette spoliation un territoire plus étendu, une population plus nombreuse, et un gouvernement plus fort. J'ai la conviction que, dans ces conditions, il ne viendra à la pensée d’aucun peuple de songer à se jeter sur le seul pays qui aura affirmé et prouvé qu'il entend ne chercher querelle à personne et qu'il veut vivre en paix et en amitié avec tout le monde. Pour se battre il faut être deux, c'est aussi vrai pour deux nations que pour deux individus, et il suffit que l’un des deux refuse le combat pour que celui-ci n’ait pas lieu. Il n'est plus, le temps où la guerre se limitait aux campagnes engagées entre mercenaires, spadassins et reîtres ayant, par intérêt et par profession, embrassé la carrière des armes. Dans toutes les nations, c'est la totalité des hommes valides et adultes qui, en temps de guerre, est appelée sous les drapeaux et ce que nous savons du caractère que revêtira la guerre de demain nous persuade que, hommes et femmes, vieillards et enfants, personne ne sera épargné. Et on s'essaierait à nous faire admettre l'éventualité d'une agression voulue ou même consentie par la population paisible d'un ou plusieurs pays contre une grande nation comme la France qui se serait délibérément désarmée ? Cette éventualité est inadmissible. Il est vrai que si la guerre n'est jamais désirée ni voulue par le peuple, celui-ci apprenant et constatant de mieux en mieux qu'il n'a rien à y gagner et tout à y perdre, elle est le fait des dirigeants qui gouvernent la nation. Ceux-ci ne sont que le petit nombre mais ils possèdent tous les leviers de commande : pouvoir, richesse, journaux, censure, toutes ces forces sont à leur discrétion et entre leurs mains. Ils excellent dans l'art de préparer les esprits à la guerre, de chauffer l'opinion, de l'affoler et de la galvaniser. Quand ils sentent venir un conflit armé, ils mettent en mouvement toutes leurs batteries ; ils ne témoignent jamais plus ostensiblement de leur volonté de paix que lorsqu'ils sont à la veille de déclencher la guerre. Ils sont à la source des renseignements. Dans les sphères gouvernementales, diplomatiques, militaires et capitalistes, on sait à quoi s'en tenir sur les événements qui se préparent ; mais jusqu'à la dernière heure, on ruse, on travestit les faits, on dénature les informations ; en un mot, on ment. Or, toutes ces manœuvres, toutes ces fraudes, tous ces mensonges ont un but, un seul, et il est le même dans tous les pays. Ce but, c'est de faire pénétrer dans le crâne de la masse la conviction que, dans chaque pays, les Pouvoirs publics ont tout mis en œuvre pour éviter la guerre : « Toutes les concessions compatibles avec la dignité et les intérêts de la Nation, nous les avons faites. Tout ce qu'il était humainement possible de faire pour épargner à notre pays les duretés, les rigueurs, les douloureuses épreuves que comporte un conflit armé, nous l'avons fait. Nous sommes allés jusqu'aux extrêmes limites de la conciliation ; nous n'avons reculé devant aucune mesure susceptible d'écarter cette terrible éventualité. Tout a été inutile. La Guerre nous est imposée ; nous la subissons ; mais, puisque nous sommes l'objet d'une agression criminelle, nous nous trouvons dans l'obligation de repousser cette agression ; sauvagement attaqués, nous avons l'impérieux devoir de nous défendre. » Tous les gouvernements s'expriment de la sorte et donnent à cette fourberie toutes les apparences de la sincérité. Et c'est ainsi que chaque Etat parvient à faire croire à son Peuple qu'il s’agit d'une Guerre au caractère indubitablement défensif. Il n'y a pas un gouvernement, je dis : « pas un », qui, à notre époque, prendrait sur lui de reconnaître qu’il pourrait ne pas faire la guerre, que rien ne l’y oblige, mais qu’il a la volonté de la faire quand même : une telle guerre serait tellement impopulaire, elle se heurterait à de telles résistances, elle soulèverait un tel mécontentement, elle ameuterait tant de colères, qu’aucun gouvernement – à moins qu’on ne le suppose frappé de démence – ne consentirait à assumer les responsabilités écrasantes et à courir les risques certains d’une aussi périlleuse aventure. Cela ne fait pas le moindre doute. Eh bien ! Il est facile, dans l’état actuel du monde, alors que chaque nation, bottée, casquée, armée, reste sur le qui-vive et contribue à transformer la terre en un immense camp retranché d'où peut, à tout instant, surgir, du Nord ou du Midi, du Centre, de l'Est ou de l'Ouest, le spectre hideux de la Guerre ; il est possible - et sans grand effort - de convaincre la population de chaque pays que, en acceptant de se battre, elle ne fait pas autre chose que de se défendre contre l'odieuse agression de telle nation qui a formé le dessein de détruire ses foyers, de ruiner son industrie, de s'emparer de ses biens, de conquérir son territoire et de la réduire en esclavage et qui, dans ce but, a recours à la guerre. Mais il serait tout à fait impossible d'imputer d'aussi noirs desseins, d'aussi sinistres intentions à la France désarmée ; il serait totalement impossible, quelles que soient les manœuvres employées, d'amener la population d'un pays quelconque à l'idée d'une agression ayant pour auteur le seul Peuple qui aurait pris la magnifique initiative et donné le superbe exemple du Désarmement. Et, sur ce point, c'est-à-dire me plaçant dans l'hypothèse de la France ayant volontairement désarmée, je conclus : d'une part, aucun peuple ne songerait à ouvrir les hostilités contre une telle France ; d'autre part, aucun gouvernement n'oserait donner à sa population l'ordre de se ruer contre cette France, parce qu'il ne serait possible à aucun gouvernement de transformer une guerre dont le caractère offensif serait évident, en une guerre dont le caractère défensif serait impossible à établir avec quelque vraisemblance. Est-ce clair ? Et n'est-il pas démontré, maintenant, que le désarmement de la France n'exposerait celle-ci à aucune agression, mais tout au contraire, serait le gage, la garantie de sa complète sécurité ? Poussons plus loin l'examen de cette menace que les ennemis de la Paix brandissent sur la tête des partisans, comme moi, du désarmement de la France. Et supposons que cette menace se réalise, bien que je vienne d'en démontrer plus que l'invraisemblance : l'impossibilité. La France est envahie. Elle l'est par une seule puissance ou par plusieurs. Examinons les deux cas : Premier cas : elle est envahie par les armées d'une seule nation. Pense-t-on que les autres Puissances laisseront cette invasion se produire sans qu'elles interviennent ? Imagine-t-on qu'elles assisteront, impassibles et l'arme aux pieds, à l'occupation du territoire français par telle ou telle Puissance ? Comment ? Lorsqu'il s'agit d'une île perdue, d'un coin de terre situé au loin, qu'un Etat laisse percer l'intention de s’annexer par un des procédés connus : protectorat ou colonisation, toutes les autres Nations s'agitent, se mettent sur les rangs, réclament leur part du gâteau, font valoir des droits fictifs ou réels, interviennent sous une forme ou sous une autre ; les convoitises se manifestent, les appétits s'affirment, les rivalités entrent en jeu. On dirait autant de chiens affamés prêts à se ruer les uns sur les autres pour se disputer un os. Et on consentirait à admettre qu'une Puissance ayant jeté son dévolu sur la France sans défense, les autres laisseraient faire ? Il n'y a pas, au monde, une personne sensée qui puisse croire une minute qu'il en serait ainsi. Passons à l'autre supposition. Second cas : La France est envahie de divers côtés par plusieurs Puissances, par exemple : au Nord, par l'Angleterre ; à l'Est, par l'Allemagne ; du côté des Pyrénées, par l'Espagne ; du côté des Alpes, par l'Italie. Cette hypothèse présuppose une entente préalable, un plan concerté. Je ne m'arrête pas aux difficultés qui précéderaient un tel accord et accompagneraient la mise à exécution du plan concerté. Voici donc les armées anglaises, allemandes, espagnoles et italiennes en France, supposons-le. Quelles vont être les conséquences de cet envahissement ? Gardons notre sang et indignations qui, dans l'état actuel des nationalismes surexcités, jailliraient de ces sources empoisonnées qui se nomment : Patrie, indépendance nationale, honneur, drapeau, défense du sol, sauvegarde du Patrimoine commun, cendres des aïeux, et autres calembredaines. Mettons-nous bien dans la tête que, dans le cas qui nous occupe, l'invasion a eu lieu sans combat ; Anglais et Allemands, Espagnols et Italiens n'ont rencontré sur les frontières qu'ils ont franchies, sur le territoire qu'ils ont occupé, dans les villes et villages où ils se sont installés, aucune résistance armée ; les envahisseurs qui, dans l'espèce, ont pratiqué une sorte de pénétration pacifique, puisqu'ils n'ont eu à renverser aucun obstacle, à rompre aucune digue, à culbuter aucun barrage, n'ont pas à redouter la moindre attaque ni devant, ni derrière, ni sur le flanc ; à l'abri de toute surprise, leur sécurité ne court aucun risque. Cela étant, on discerne tout de suite l'extrême différence qui sépare une invasion de cette nature de celle qui se pratique en temps de guerre, c'est-à-dire lorsque l'envahisseur a dû, pour avancer, marcher sur le cadavre des siens qu'il semait derrière lui, sur le corps de ceux qui se battaient pour lui barrer la route et sur les dévastations et les ruines qu'il accumulait sur ses pas. Provoquées, justifiées, exigées même par les sauvageries et atrocités qu'entraîne l'état de guerre, les cruautés, brutalités et violences dont se rendraient coupables les envahisseurs de la France désarmée et refusant de se défendre n'auraient aucune raison d'être et seraient sans excuse puisque sans motif. En conséquence, que résulterait-il d'une telle invasion ? Annexion à l'Etat envahisseur du territoire envahi ; installation d'un nouveau personnel gouvernemental et administratif ; application à la population résidant sur le terrain annexé de la législation et du système d'impôts et contribution en vigueur dans le pays annexeur ; voilà pour le régime politique auquel seraient soumis les habitants des régions envahies. Pense-t-on qu'il y aurait grand dommage, pour nos compatriotes de France, à subir ces divers changements ? Gouvernés pour gouvernés, administrés pour administrés, le seraient-ils plus durement ou plus mal par des gestionnaires étrangers que par des gérants français ? Seraient-ils, en tant que contribuables, sensiblement plus pressurés ? Les impôts, dont rien ne permet d'entrevoir l'allègement dans le pays de France, n'ont-ils pas atteint le maximum des charges fiscales qu'il est possible de supporter, en sorte qu'il serait impossible d'aggraver ces charges ? La législation, chez nos voisins, est-elle notablement en retard sur la nôtre ? Quant au régime économique, il est probable que, à peu de chose près, il resterait le même. Tout ce qu'on peut prévoir, ce serait, au pis aller, la mainmise sur les chemins de fer, les compagnies de navigation et de transport, les compagnies d'assurances, les mines, les banques, les grandes firmes industrielles et sociétés commerciales de premier ordre, les vastes entreprises agricoles, etc. Sans doute, les richissimes capitalistes de nationalité française qui sont, actuellement, à la tête de ces grosses affaires auraient à se plaindre de ces confiscations et expropriations ; mais, à l'exception de ces personnages - dont le sort ne me cause aucune inquiétude car je suis certain qu'ils ont des intérêts ailleurs - je ne vois pas en quoi le sort de tous les autres se trouverait aggravé. Exploités et flibustés par les capitalistes de France, les travailleurs seraient flibustés et exploités par les capitalistes des autres pays et j'estime qu'ils ne perdraient rien au change : tous les exploiteurs se valent. Compte tenu de ces explications, je suis en droit d'affirmer que, si on veut bien comparer les maux relativement légers que déterminerait l'invasion de la France désarmée aux horreurs qu'entraînerait pour ses habitants une nouvelle guerre, on ne peut que se prononcer en faveur du Désarmement que je conseille, dût celui-ci ouvrir à « l'étranger » les frontières de la France. Car il est de règle et d'élémentaire sagesse, quand on est dans la nécessité de choisir entre deux maux, d'opter pour le moindre ; et, ici, le moindre est incontestablement le Désarmement, l'invasion dûtelle s'en suivre. Le Désarmement doit être imposé par le Peuple au Gouvernement. - Cette étude touche à sa fin. Pour la compléter, je dois préciser les moyens à employer pour imposer au Gouvernement de France le désarmement dont il est appelé à donner l'exemple. J'ai dit plus haut que ce qui manque aux nombreuses ligues et associations pacifistes existantes, pour imprimer à leur effort l'élan nécessaire à chaque groupement et apporter à l'ensemble le lien indispensable à une action commune, c'est une sorte de boussole permettant à toutes ces ligues en général et à chacune en particulier, de s'orienter vers le même but et par la même route : la plus directe et la plus sûre. Eh bien ! Cette boussole, le désarmement unilatéral et sans condition la leur apporte. Ce désarmement est un programme clair et précis ; il est un but immédiat et déterminé ; il peut et doit servir de plateforme sur laquelle se mettront d'accord tous les pacifistes immuablement décidés à ne faire la guerre en aucun cas, ni directement ni indirectement. Sur ce programme, ce but et cette plateforme, il ne sera ni très long ni très difficile d'asseoir la fédération, nationale d'abord, internationale ensuite, des associations véritablement et foncièrement pacifistes. Le jour est proche où, désabusés par les pantalonnades et défaillances de la Société des Nations, les Peuples ne se feront plus la moindre illusion et refuseront de continuer à faire crédit aux professionnels de la Politique, de la Diplomatie, de l'Armée et de « l'Affairisme mondial » qui composent l'Assemblée de Genève. Le jour est proche où les esprits les moins ouverts, je dirai même les plus obtus, se rendront compte que le régime dit, bien à tort, « de la sécurité », loin de conduire les nations vers la Paix, les accule fatalement à la Guerre. Les événements s'ajoutent les uns aux autres, qui tuent chez tous les individus animés d'une volonté loyale et ferme de Paix toutes les espérances qu'avaient fait naître les Protocoles, les Pactes et les Conventions conclus ou à conclure. Grand déjà est le nombre de ceux qui sont convaincus que la Paix ne descendra pas des hauteurs dirigeantes, des altitudes gouvernementales et qu'elle ne peut sortir que des profondeurs de la masse populaire, pour qui l'état de guerre est une calamité et l'état de paix un besoin, une nécessité. Le désarmement volontaire de la France sera le signal d'un enthousiasme délirant au sein de la population française et, chez les autres peuples, le point de départ d'une formidable poussée vers le même désarmement. Tous ceux et toutes celles en qui brille la flamme dévorante du véritable Pacifisme accouront de toutes parts, se rechercheront et s'assembleront en une innombrable multitude sous le signe du Désarmement à tout prix. Sous les formes les plus diverses et les plus efficientes : réunions, conférences, meetings, démonstrations sur la voie publique, journaux, affiches, tracts, brochures, manifestes, appels à l'opinion, la propagande s'organisera, toujours plus active et plus féconde en faveur du Désarmement. Des lèvres des apôtres de la Paix jailliront des harangues toujours plus enflammées, des sommations sans cesse plus pressantes, des mises en demeure de plus en plus impérieuses. Et la Cause magnifique que les militants plaideront ainsi répondra si exactement à la volonté de Paix qui sommeille au fond de tous les cœurs et au tréfonds de toutes les consciences, même de celles qui s'ignorent le plus, que le courant pacifiste, de plus en plus tumultueux, frémissant et passionné, deviendra vite puissant et, enfin, irrésistible. Je ne pousse pas la naïveté jusqu'à croire que ces combattants de la Paix ne trouveront en face d'eux aucun adversaire. Non ; je ne suis pas candide à ce point. Je prévois, je sais, je suis certain que tous les intérêts politiques et économiques auxquels la Paix armée et la Guerre sont ou paraissent être favorables mettront tout en œuvre pour s'opposer au pacifisme intégral dont je prône la croisade : leur propagande de désarmement : fausses nouvelles, informations tendancieuses, intimidations, ruses, manœuvres, chantages et perfidies, leur mauvaise foi ne reculera devant rien. Poursuites et condamnations ne seront certainement pas épargnées aux militants pacifistes les plus zélés et les plus en vue. Mais quand la répression s'abat sur un mouvement ayant atteint certaines proportions, elle ne fait qu'accroître la puissance de ce mouvement (voir Répression), elle est le coup de fouet dont le cinglement active, précipite et porte à son maximum la vitesse du coursier qui se hâte vers le but et ne se laisse abattre par aucun obstacle. Les premières difficultés que tout mouvement rencontre à sa naissance sont d'ores et déjà vaincues. Le mouvement pacifiste n'en est qu'à ses débuts ; il s'est quelque peu laissé assoupir au ronronnement des berceuses que chantonnaient autour de son berceau les hypocrites fauteurs de guerre et les faux artisans de la Paix. L'enfant a grandi ; il devient robuste et courageux, entreprenant et audacieux. Hier encore, il ignorait la voie qu'il devait suivre : on en ouvrait devant lui tant et de si attirantes ! Aujourd'hui, après de multiples tâtonnements et toute une série d'essais dont, à l'expérience, il a constaté l'erreur ou l'insuffisance, il a trouvé sa voie. Cette voie, c'est celle du Désarmement hic et nunc ; il s'y est vaillamment engagé. Impatient d'aboutir, ayant conscience du danger dont tout retard sème sa route, plaçant tous ses espoirs et toute sa confiance dans la puissance de l'exemplarité, il demande le Désarmement ; demain il l'exigera ; sous peu, s'il le veut résolument, il pourra l'imposer. Il sait qu'il ne doit avoir confiance qu'en lui-même, il sait que seul il est de taille à briser toutes les résistances ; il engage la lutte. Ce lutteur vigoureux, combatif, ardent, tenace, c'est le Peuple pacifiste ; hier encore, faible comme un enfant, aujourd'hui fort comme un adulte ; demain, athlète magnifique. Les pessimistes et les découragés estimeront que je me laisse emporter sur les ailes d'un lyrisme téméraire et sans consistance. Eh bien ! Qu'ils prennent la peine de réfléchir ; qu'ils comparent la masse incalculable de ceux et de celles qui, appelés à subir toutes les désastreuses conséquences de la Guerre, sans avoir, quelle que soit l'issue de celle-ci, le moindre espoir d'en retirer le plus mince avantage, à la dérisoire minorité de ceux et de celles qui, confiants dans la situation qu'ils occupent et les moyens dont ils disposent, ont ou croient avoir quelque chance de sauver leur carcasse et de recueillir les fruits de la victoire. Cette simple comparaison suffira largement à les édifier.Vainement me dira-t-on que cette comparaison ne prouve rien en faveur de ma thèse, puisque la même disproportion entre les profiteurs possibles et les victimes certaines de la guerre existait hier comme elle existe aujourd'hui et qu'elle n'a pas empêché, il y a 16 à 17 ans, les masses destinées à l'immolation de se ruer vers la frontière. A mon tour de répondre que les événements ont modifié du tout au tout l'état d'esprit de la masse. Qu'on relise la partie de cette étude qui (pages 191314-15 et 16) a pour titre: « Vers la Paix ». Cette lecture ruinera le rapprochement qu'on serait tenté d'établir entre deux dates : 1914 et 1932 qui, bien que fort rapprochées, sont séparées par des circonstances qui ont creusé entre elles un véritable abîme. Pour ne pas triompher trop facilement, je veux bien reconnaître que si, par malheur, la guerre maudite éclatait brutalement et par surprise à l'heure où nous sommes, un certain nombre et même, probablement, beaucoup de pacifistes se laisseraient entraîner vers l'abattoir ; n'ai-je pas dit, au surplus, que cette guerre prendrait, dès la première heure, un tel caractère d'extermination et de désastre, qu'il n'y aurait possibilité de rien faire ? Mais si quelque répit nous est laissé, (et c'est toujours dans cette hypothèse qu'il faut se placer pour raisonner et agir), je pense que le courant pacifiste possède, dès à présent, une ampleur et une force appréciables et qu'il s'étend et se fortifie de jour en jour. Qu'ils apprennent à se connaître, les militants de la Paix ; qu'ils se rapprochent, qu'ils se concertent, qu'ils se placent, en dehors et au-dessus des tendances politiques, religieuses et idéologiques qui les séparent, sur le terrain solide de la Paix avant tout, de la Paix à tout prix, de la Paix par tous les moyens ; que, pénétrés de la nécessité de conjurer les menaces de guerre qui sont suspendues sur nos têtes et, toute autre affaire cessante, de marcher, non plus en ordre dispersé, mais en rangs compacts contre cette angoissante éventualité, ils prennent en commun les décisions urgentes ; que de leurs innombrables poitrines sorte, puissante, irrésistible, la clameur attendue : « Désarmement, Désarmement, Désarmement ! » Que cette clameur s'avère comme le cri discontinu d'un sentiment, d'une résolution, et d'une volonté inébranlables. Que, pareil à ces lames de fond qui, dans leur furieux élan, bouleversent et emportent tout, le soulèvement des couches profondes s'élève et monte jusqu'aux sommets qu'occupe le Gouvernement; et celui-ci sera bien obligé de capituler, c'est-à-dire, comme on l'a proclamé naguère, de se soumettre ou de se démettre. S'il se soumet, ce sera le Désarmement ; s'il se démet, ce sera la Révolution. CONCLUSION. - En étudiant le problème si délicat, si complexe et si ardu de la Paix, j'ai été entraîné à des développements qu'on jugera peut-être excessifs. Mon excuse, c'est que la lutte contre la Guerre dont l'imminence plane, terrifiante, sur notre époque est, à coup sûr, celle qui réclame présentement notre attention la plus vigilante et notre effort le plus immédiat. Il est permis de dire que l'avenir de l'humanité se joue actuellement sur ce « pile ou face » : la Guerre ou la Paix. Si la Guerre n'est pas empêchée, ce sont d'inestimables trésors anéantis ; c'est le merveilleux labeur des générations qui nous ont précédé, détruit ; c'est la vieille Europe couverte de décombres, de cendres et de cadavres. C'est, pour un temps indéterminé, la porte fermée à tous les espoirs qui s'ouvrent devant nous.Le devoir qui s'impose à tous les amis sincères, à tous les ouvriers de la Paix, c'est de travailler avec un zèle inlassable et une activité de tous les instants à empêcher la Guerre. Un seul moyen s'offre à nous : le Désarmement. Encore faut-il qu'une Puissance de premier ordre commence et je dis que c'est à la France qu'est dévolu l'honneur de donner l'exemple. Désarmement moral et désarmement matériel ; l'un et l'autre sont indispensables et indissolublement solidaires. Le Désarmement matériel est impossible s'il n'est pas la transposition dans le domaine des faits du Désarmement moral ; et le Désarmement moral serait vain s'il n'amenait pas le Désarmement matériel. Je ne dis pas que le Désarmement, c'est la Paix définitive, indestructible. Seule, la suppression du régime social qui repose sur le principe d'Autorité peut enfanter et enfantera cette Paix définitive et indestructible. Je persiste à affirmer que la forme actuelle de l'Autorité politique : l'Etat et la forme actuelle de l'Autorité économique : le Capitalisme portent en elles la Guerre entre les Nations comme elles la portent, au sein de chaque nation, entre les classes qui composent celle-ci et, au sein de chaque classe, entre les individus et les groupements qui constituent chaque classe. La Paix, la vraie Paix ne s'édifiera donc que sur les ruines du monde social actuel, sur l'effondrement du Principe d'Autorité et des Institutions qui en procèdent : le Capitalisme, autorité sur les choses et l'Etat, autorité sur les personnes. Pas un instant, au cours de cette étude que je viens d'écrire avec tout mon cœur comme avec toute ma raison, je n'ai perdu de vue le but suprême à atteindre : la transformation sociale, transformation vaste et profonde (voir le mot Révolution) qui ne laissera rien subsister de ce qui s'opposera à cette devise anarchiste : BienEtre et Liberté. Allant au plus pressé, étudiant le problème dont la solution est urgente : le moyen pratique et immédiat d'empêcher la Guerre, je me suis arrêté au Désarmement. Je m'y suis arrêté avec d'autant plus d'ardeur et de confiance que ce Désarmement mène à la Révolution Sociale en même temps qu'il est l'unique moyen de faire reculer la Guerre. Je conclus : il serait déraisonnable d'attendre d'un Gouvernement quelconque qu'il prît de lui-même l'initiative d'un Désarmement dont il donnerait l'exemple. Tout Gouvernement est dans la nécessité d'appuyer sur la force les pouvoirs qu'il détient. Se désarmer équivaudrait pour lui à un suicide à échéance plus ou moins rapprochée. Le peuple, rien que le peuple, en qui fermentent la haine de la guerre et l'amour de la Paix, peut imposer à ses Gouvernants l'obligation de désarmer. Il le peut et il le doit. L'idée du Désarmement est en marche. Le prolétariat tient en mains la possibilité d'en commencer la réalisation. C'est lui qui, dans les manufactures d'armes, les arsenaux maritimes, les usines où on travaille pour les armements, l'équipement et les fournitures militaires, pour l'aviation de guerre et la fabrication des bombes qui incendient, stérilisent et tuent ; c'est lui qui produit tout ce qui forme l'arsenal de massacre. C'est lui, aussi, qui charge, transporte et décharge tous ces produits destinés aux œuvres de destruction et d'assassinat. Qu'il affirme son inébranlable volonté de paix et de désarmement en refusant son concours à la fabrication et au transport de tous ces produits. Exception faite des quelques opulents capitalistes qui s'enrichissent de cette fabrication et de ces transports, le concours et la solidarité agissante de tous lui seront assurés. Ce sera le premier pas, mais un pas décisif vers le Désarmement à imposer aux Pouvoirs publics ; la conscience populaire et l'agitation pacifiste feront le reste. Et ce ne sera pas long : soutenu par ce désarmement effectif, le courant pacifiste deviendra rapidement d'une puissance telle qu'il ne tardera pas à être irrésistible. Alors, le Gouvernement se trouvera en face de ce dilemme ; de deux choses l'une : ou bien, il cédera et, dans ce cas, ce sera le Désarmement immédiat et, fort de cette victoire décisive qui attestera sa propre force et la faiblesse du Gouvernement, le peuple donnera l'assaut à celui-ci et ce sera la Révolution ; ou bien, le Gouvernement résistera et, dans ce cas, le courant pacifiste, devenu irrésistible, le culbutera. Ce sera, alors, la Révolution d'abord et ensuite le Désarmement. C'est ainsi que tout se tient et s'enchaîne, que tout est dans tout, que le problème d'aujourd'hui : la Paix ou la Guerre, conduit logiquement à celui de demain : le Désarmement ou la Révolution sociale.

- Sébastien FAURE.

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