Toutes les encyclopédies
définissent ainsi la Paix : « Situation d'un peuple, d'une nation, d'un Etat,
d'une société politique qui n'est point en guerre. » Paix générale,
universelle, perpétuelle, Paix solide et stable. Demander, implorer, acheter,
obtenir, conquérir la Paix. Mettre la Paix entre deux Etats. Avoir la Paix.
Etre en Paix. Durant la Paix. En temps de Paix. Vivre en Paix. Paix sur terre et
sur mer. Jouir d'une Paix profonde. Que la Paix soit avec vous. (Pax vobiscum.)
Paix aux hommes de bonne volonté. - Traité de Paix : traité qui met fin aux
hostilités et fixe les conditions de la Paix. Négocier la Paix. Faire une Paix
glorieuse, avantageuse, onéreuse, ruineuse, honteuse. On appelle Paix fourrée,
Paix plâtrée, une Paix qui n'est qu'un simulacre, une fausse Paix, une Paix
hypocrite, conclue de mauvaise foi et avec arrière-pensée par les deux parties,
chacune avec l'intention de la rompre, lorsqu'elle estimera le moment favorable
et les circonstances propices, ou quand elle croira utile à ses intérêts de la
rompre. Paix se dit aussi, de même que Guerre, en parlant des animaux : les
chiens et les chats vivent difficilement en Paix. Deux coqs vivaient en Paix ;
une poule survint. Et voilà la Guerre allumée (La Fontaine). Se dit souvent de
la tranquillité de l'âme, du cœur, de l'esprit, de la conscience. Il faut
chercher la Paix de l'âme dans la Vérité (Voltaire). Se dit encore dans le sens
de calme, repos, silence, recueillement, éloignement du bruit, de l'agitation,
des affaires : La Paix des campagnes, des forêts, des déserts, des tombeaux.
Les arts de la Paix : tous les arts auxquels la Paix est favorable, qui ne
fleurissent que pendant la Paix, par opposition aux arts destructeurs et
stériles que la guerre enfante. Paroles de Paix : qui tendent à établir
l'entente, à rétablir la concorde. Faire la Paix : se dit de deux personnes qui
étaient brouillées et se sont réconciliées. Laisser quelqu'un en Paix : ne plus
l'importuner, ne plus le molester. Ne laisser à quelqu'un ni Paix, ni trêve :
le harceler, le poursuivre, l'obséder, le tourmenter, sans lui laisser le
moindre répit !... Je pourrais citer quantité d'autres locutions courantes
dans, lesquelles le mot « Paix » figure et auxquelles il confère un sens plus
ou moins particulier. Ce qui précède démontre surabondamment que le mot Paix
est un de ces mots dont on se sert le plus, bien que la réalité qu'il exprime
soit assez rare. Je lis dans le Grand Larousse : « lorsqu' on parcourt les
annales de l'humanité, on voit se dérouler devant soi une telle série de
guerres sanglantes, qu'on se demande si la guerre n'est pas véritablement
l'état normal de l'espèce humaine ; si la Paix, qui est la source de la
richesse, de la prospérité et du développement des peuples, n'est pas au
contraire son état exceptionnel. Ce phénomène étrange, qui se comprend à la
rigueur à l'état de barbarie, est, pour l'homme qui pense, un sujet d'étonnement
et de méditation, lorsqu'on le voit se produire dans l'état de civilisation,
dans des sociétés où le meurtre individuel est considéré comme le plus grand
des crimes, chez des peuples qui aspirent ardemment aux bienfaits de la Paix. »
Voici ce que je trouve dans le Grand Dictionnaire « La Chatre » : « la Paix
générale, perpétuelle a été jusqu'ici le rêve de tous les nobles cœurs, de tous
les véritables amis de l'humanité. Espérons que le jour viendra bientôt où ce
rêve deviendra une réalité. C'est une erreur que de croire les hommes faits
pour s'entredéchirer. On ne voit pas les lions faire la guerre aux lions et les
loups, dit-on avec raison, ne se mangent pas entre eux. Pourquoi en serait-il
autrement des hommes ? Déjà la guerre est regardée par les peuples les plus
civilisés comme un reste de barbarie, comme une regrettable extrémité, presque
comme un crime. La Paix est, à vrai dire, le règne de la Liberté ; elle doit
être l'état normal des sociétés qui cessent d'être divisées en maîtres et en
esclaves, en oppresseurs et en opprimés, en exploiteurs et en exploités ; elle
couronne l'édifice social des nations où l'intérêt individuel cesse d'être en
lutte avec l'intérêt général, où règne une équitable répartition des avantages
sociaux et des richesses publiques, où n'existe aucune des innombrables causes
d'antagonismes qui subsistent malheureusement un peu partout. Les
développements de la raison humaine, les progrès des sciences et de
l'industrie, en multipliant les relations entre les peuples, en détruisant et
les barrières et les préjugés nationaux qui les séparaient, préparent cet
avenir que tous les bons esprits appellent de tous leurs vœux. » C'est en ces
termes magnifiques que, dans un discours à la jeunesse, prononcé à la
distribution des prix du lycée d'Albi, en 1903, Jean Jaurès proclamait sa foi
dans un prochain avenir de réconciliation et de Paix universelle : « Quoi donc
? La Paix nous fuira-t-elle toujours ? Et la clameur des peuples toujours
forcenés et toujours déçus montera-t-elle toujours vers les étoiles d'or des
capitales modernes incendiées par les obus, comme de l'antique palais de Priam
incendié par les torches ? Non, non ! Et, malgré les conseils de prudence que
nous donnent ces grandioses déceptions, j'ose dire, avec des millions d'hommes,
que maintenant la grande Paix humaine est possible et que, si nous le voulons,
elle est prochaine. Des forces neuves y travaillent : la démocratie, la science
méthodique, l'universel prolétariat solidaire. La guerre devient plus
difficile, parce que, avec les gouvernements libres des sociétés modernes, elle
devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous
par le suffrage universel. La guerre devient plus difficile, parce que la
science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un réseau
plus serré tous les jours de relations, d'échanges, de conventions et, si le
premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois
d'aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une
familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte
de suicide collectif. Enfin, le commun Idéal qui exalte et unit les prolétaires
de tous les pays les rend plus réfractaires tous les jours à l'ivresse
guerrière, aux haines et aux rivalités de nations et de races. » Le moyen
d'assurer la Paix entre les nations et de mettre les peuples civilisés à l'abri
des calamités que cause la guerre a dû être, depuis des temps fort reculés, l'objet
des recherches persévérantes et des efforts opiniâtres de la part des esprits
les meilleurs. Sully rapporte que Henri IV avait songé à établir, en Europe,
une sorte de confédération (on voit que le projet des Etats-Unis d'Europe est
déjà fort ancien) une République chrestienne divisée en quinze Dominations et
dans laquelle tous les peuples et, aussi, toutes les religions auraient été
placés sur un pied d'égalité. Les représentants des puissances européennes
auraient formé un congrès dont les décisions appuyées par des armées eussent
empêché toute guerre dans l’avenir. Frappé des malheurs effroyables que causaient
à la France les guerres suscitées par le monstrueux orgueil et l'ambition
insatiable de Louis XIV, l'abbé de Saint-Pierre, aimable et pieux philanthrope,
publia, en 1713, un Projet de paix perpétuelle. Plus d'un demi-siècle après,
Kant, le grand philosophe allemand, publia aussi un Essai sur la Paix
perpétuelle. Saint-Simon rêva de même de mettre fin aux guerres entre les
nations et, en 1814, il développa ses idées dans un ouvrage ayant pour titre :
De la réorganisation de la société européenne. Je fais remarquer, en passant,
que ce fut toujours à la suite d'une série de guerres ayant le plus cruellement
décimé et ruiné les peuples, que se firent jour et s'exprimèrent les plus
ferventes aspirations de paix : sous Henri IV, les guerres de religions ; en 1713,
les guerres presque ininterrompues sous le règne de Louis XIV ; en 1814, les
guerres de Napoléon Ier. Aussi est-il naturel que les courants pacifistes qui
marquent notre époque empruntent leur puissance (voir Pacifisme) à l'horrible
guerre mondiale de 1914-1918. Le monde catholique qui, par sa conception de la
divinité, est dans l'obligation de considérer l'Histoire comme le déroulement
sur notre planète, d'un plan conçu de toute éternité par un Dieu infiniment
puissant, bon et juste, plan dont la prescience divine a tracé dans le temps
les moindres détails et auquel, par conséquent, il n'est permis, ni possible à
personne d'apporter la plus légère modification, le monde catholique a tenté de
justifier le triste, le révoltant et odieux spectacle de l'état permanent de
guerre dans l'histoire humaine, par de bien singulières considérations. Joseph
de Maistre (1753-1821), le trop célèbre écrivain et philosophe ultramondain, a
osé affirmer que « le sang humain doit forcément couler sans interruption sur le
globe et que la Paix, pour chaque nation, n'est qu'un répit, parce que Dieu se
plait à voir couler le sang de l'homme, ce sang répandu à flot étant une
expiation et un moyen de purification ». Cette thèse, au surplus, a été reprise
par les représentants et porte romaine, à propos de la guerre infernale dont le
lecteur trouvera plus loin, au cours même de cette étude, le bilan effroyable.
Dévots et bigotes furent nombreux qui crurent et croient encore que la guerre
ne s'est abattue sur la France et que son territoire ne fut envahi et occupé
par l'armée allemande, que pour faire expier à ce pays les lois de laïcité et
de séparation des Eglises et de l'Etat. Endoctrinés par les moines et les
curés, beaucoup d'esprits superstitieux et peu cultivés ont été et sont encore
convaincus que, si le sang de centaines et centaines de milliers d'hommes à la
fleur de l'âge a coulé durant ces cinquante et un mois de monstrueux carnages,
c'est parce que la justice divine exigeait ce châtiment ; parce que la sagesse
de Dieu nécessitait que ce flot de sang abreuvât le sol de la France pour le
purifier et l'assainir ; parce que cette horrible épreuve pouvait, seule, ramener
à Dieu le peuple français qui lentement se déchristianisait ; parce que la
Volonté de Dieu, qui, parfois, se manifeste par des événements impénétrables au
faible entendement des humains, avait décrété que l'atrocité de la faute
commise par la nation française oubliant qu'elle est « la fille aînée de
l'Eglise » appelait une expiation non moins atroce. Cette thèse abominable ne
peut naître que dans des cerveaux détraqués par le fanatisme et se propager que
dans des imaginations maladives. Elle tend à conclure que la guerre est un mal
qui ne disparaîtra jamais, un fléau que l'effort des hommes ne peut pas
vaincre, qu’il faut s'y résigner et que la Paix définitive n'est ni espérable
ni possible. Par bonheur, de plus en plus considérable est la foule de ceux et
de celles qui sont persuadés que la Paix, aspiration, espoir, désir
présentement, est appelée à devenir de plus en plus besoin, volonté, certitude.
C'est parce qu'ils sont persuadés que cette utopie d'aujourd'hui sera la
réalité de demain que, dans tous les pays et surtout dans les nations où la
civilisation a atteint le niveau le plus élevé, hommes et femmes ont formé des
groupements, constitué des associations, organisé nationalement et
internationalement des ligues qui travaillent à l'avènement de la Paix (voir le
Mouvement pacifiste). Faible encore, il y a quelques années, ce courant
pacifiste devient tous les jours plus puissant et incarne une volonté de paix
constamment fortifiée. Rien ne se produit fortuitement et ce n'est pas sans
motif que les générations contemporaines s'imprègnent avec une ferveur sans
précédent de l'idée de Paix désirable et réalisable. Vers la Paix. -
Arrêtons-nous quelque peu sur les causes qui déterminent et les circonstances
qui favorisent cette irrésistible poussée vers l'avènement d'une Paix
définitive. A. - Il y a d'abord l'adoucissement graduel des mœurs. Il est
certain que les temps ne sont pas encore venus où les humains renonceront,
lorsqu'un conflit les divisera, à recourir à la force pour le trancher. La
magistrature souveraine et expéditive du muscle préside trop souvent encore au
règlement des différends qui dressent les uns contre les autres ; mais personne
n'osera contester que l'emploi de la violence brutale est en régression sur
l'époque pas bien éloignée où, sous le plus futile prétexte ou à raison de la
plus insignifiante rivalité, la lutte s'engageait, farouche, mortelle, entre
les adversaires. Le jour ne s'est pas encore levé où le respect de la vie
humaine se sera si solidement installé dans la conscience des individus que, à
l'exception de quelques brutes ou anormaux, personne n’attentera aux jours
d'autrui. Toutefois, cette idée que l'existence du prochain est une chose
sacrée est aujourd'hui beaucoup plus générale que dans le passé. B. - La
multiplication et le perfectionnement des moyens de production, de
communication et de transport, le nombre sans cesse plus important des
transactions commerciales de pays à pays, la promptitude et la précision avec
lesquelles sont transmises les informations qui intéressent le monde civilisé,
toutes ces conditions de vie individuelle et collective ont, à ce point,
resserré les distances que, malgré sa surface considérable et restée la même,
notre globe, comparé à l'immense étendue qu'il était raisonnable de lui
assigner il y a seulement un siècle, apparaît de nos jours infiniment moins
vaste. N'étant plus enfermés, comme leurs ancêtres, dans les limites étroites
de leur petite patrie, les hommes ont élargi le cercle de leurs relations
jusqu'à celui d'un ou plusieurs continents et les distinctions de nationalité,
les oppositions de race se sont sensiblement atténuées. Tout ce qu'il y a
d'artificiel et de conventionnel dans le sentiment nationaliste (voir les mots
nationalisme, patrie, patriotisme) a frappé et impressionné de plus en plus la
raison des personnes aptes à réfléchir et à discerner avec clairvoyance. C. -
Au sein de chaque nation, les formes de plus en plus collectives de la
production capitaliste ont fait naître des agglomérations industrielles qui ont
été le berceau de ces masses profondes qu’on appelle le prolétariat (voir ce
mot). Ces années de travailleurs supportent avec une résignation qui va en
déclinant l'ex servitudes, subissant les mêmes dominations, ils doivent, s’ils
veulent améliorer leurs conditions de travail et d'existence et finalement se
libérer des jougs qu’ils subissent, communier dans la pensée et l'action, ces
prolétaires se sont formés en syndicats ; ces syndicats se sont fédérés dans le
cadre intercorporatif sur le terrain national d'abord, sur le plan
international ensuite et, conséquence naturelle et fatale, un rapprochement
s’est opéré entre tous ces exploités sans distinction de nationalité ; un
sentiment et des pratiques de solidarité, de sympathie réciproque et de
mutuelle confiance se substituent insensiblement aux pratiques et au sentiment
de défiance et d’hostilité qui, naguère, encore, étaient le fait général. Tout
permet de concevoir et tout autorise à espérer que, sous peu, il deviendra
impossible aux Gouvernements de précipiter les unes contre les autres ces
diverses fractions d'un prolétariat mondialement organisé et évolué, que les événements
éclairent de plus en plus sur les origines et les fins des conflits armés dont
il est l’éternelle victime. Le jour - et il est proche - où les prolétaires du
monde dit civilisé auront conscience que, quel que soit le coin de terre qui
les a vu naître, non seulement ils n’ont aucune raison de se haïr et de se
combattre, mais qu’ils ont, au contraire, tout intérêt à s'entr’aimer et à
s’unir contre les Maîtres qui s’ingénient à semer entre eux la haine, ce
jour-là, rien ni personne ne parviendra à les faire s'entr'égorger. Cette
ascension - trop lente, beaucoup trop lente à notre gré, mais certaine - du
prolétariat universel vers la constitution d'une nouvelle Internationale
entraînera et guidera l'humanité sur le chemin de la Paix. D. - Est-il besoin
d'attirer l'attention sur les dépenses énormes que l'état de Paix armée impose
aux populations ? Qu'on en juge : le total des budgets militaires (budgets
officiels) atteint, en 1931, 103 milliards 948 millions, 298.950 francs, soit
en chiffres ronds cent quatre milliards, qu'on prélève annuellement sur le
travail humain, sur l'épargne, sur la santé publique. Les Etats-Unis d'Amérique
ouvrent la marche avec 17.685.625.000 francs. La Russie tient le deuxième rang,
avec 14.473.567.615 francs. La France et la Grande-Bretagne viennent ensuite
avec 11.674.000.000 francs et 11.631.375.000 francs. Mais si l'on ajoute aux
dépenses de la Grande-Bretagne les dépenses des Dominions, on constate que le
total arrive à un chiffre très voisin de celui des Etats-Unis. La cinquième et
la sixième place appartiennent à l’Italie et au Japon. Ces six grands pays
représentent les deux tiers de la dépense mondiale. Le budget officiel de
l’Allemagne n'est que de 4 milliards 298 millions 076.000 francs. Les dépenses
incombant au régime ruineux de la Paix armée vont en augmentant d'une façon à
peu près régulière et continue. Les dépenses militaires, inscrites au budget de
la France, ont été : en 1868, de 548 millions ; en 1878, de 663 millions ; en
1888, de 727 millions ; en 1898, de 938 millions ; en 1908, de 1.165 millions ;
en 1913, de 1.814 millions. En 1931, il atteint près de 12 milliards, malgré la
réduction du service militaire de 7 ans à 5, puis à 3, puis a 2 ans. La Paix
armée n'est-elle pas un gouffre ? Et jeter, tous les ans, dans ce gouffre, cent
quatre milliards, n'est-ce pas le comble de la démence ? Peut-on sérieusement
croire que les peuples sont en proie à une folie incurable et que toujours ils
se laisseront bénévolement dépouiller ainsi d’une somme qui représente un
effort de production considérable, et cela en vue d'entasser des engins de
massacre dont ils seront euxmêmes les victimes ? Ce serait à désespérer de la
raison humaine et tout me porte à la certitude que pareille démence provient de
l'héritage millénaire de férocité, de sauvagerie et d'ignorance que les hommes
doivent à leur bestialité originelle, mais que, sortie des ténèbres et se
dirigeant vers la lumière, la raison ne tardera pas à l'emporter et à mettre
fin à cette folie. E. - Ce ne sont pas seulement des ressources matérielles
incalculables que, depuis des, siècles, la guerre a englouties ; elle a été,
aussi, de tous, les fléaux qui ont décimé l’humanité et de tous les crimes qui
ont déshonoré l’histoire, celui qui a fait le plus grand nombre de victimes.
Camille Flammarion (« Sur la Guerre ») établit les chiffres que voici : « Ce
fut, depuis les Pharaons, 40 millions de morts chaque siècle (presque un par
minute) ; 1.200 millions de morts en trente siècles, c'est-à sur 500.700 lieues
de long (cinq fois le chemin de la Terre à la Lune), des crânes se touchant sur
six fois le pourtour de la terre... » Le grand astronome français s'indignait de
ces terrifiantes hécatombes. Ces chiffres sont bien de nature à faire de tout
homme raisonnable et sensible un adversaire irréductible de la guerre et un
partisan résolu de la paix. Mais ils remontent à une époque passablement
lointaine et, pour amener à réfléchir l'homme d’aujourd’hui, il faut invoquer
des événements plus rapprochés et, si possible, récents, à plus forte raison
des événements qu'il a vécus et dont il a gardé le vivant souvenir. J'ai parlé
plus haut du bilan effroyable des pertes de toute nature à porter au passif de
la dernière guerre mondiale. Je recommande l'exposé de ce bilan à l'attention
des personnes qui liront ces lignes et je serais extrêmement surpris si, après
avoir mesuré toute l'horreur qui s'en dégage, il se trouvait une seule
personne, douée de quelque intelligence et de quelque sensibilité, qui pût n'en
pas concevoir l’indéfectible volonté de servir de toutes ses forces la cause de
la Paix. Ce bilan, le voici : Bilan de la Guerre de 1914-1918. Pour le Monde :
51 mois de mobilisation ; 74 millions de mobilisés ; 13 millions de soldats (7
à la minute) et des millions de civils tués ; 3 millions de disparus ; 20
millions de blessés ; 10 millions de mutilés ; 3 millions de prisonniers ; 5
millions de veuves de guerre ; plus de 10 millions d'orphelins ; 10 millions de
réfugiés. Pour la France seulement (je ne possède pas de chiffres précis pour
les autres pays belligérants) : 1.700.000 tués ; 453.500 disparus ; 2.444.000
blessés ; 708.554 mutilés (classés) : 404.606, des membres ; 235.884, des
poumons ; 24. 696 des yeux ; 13.392, des oreilles ; 8.558, de la face ; 14.502,
du cerveau ; 4.338 sourds ; 2.585 aveugles. Tels sont les chiffres officiels
pour le matériel humain. Que de souffrances, de deuils, de larmes et de
regrets, représentent ces abominables conséquences d’une guerre qui, durant
plus de quatre ans, a ensanglanté la terre ! Combien d'hommes jeunes et vigoureux,
intelligents et bons, l’élite, véritablement, et la fleur de l’humanité, ont
été sacrifiés ignoblement à des intérêts et immolés froidement à une cause qui
n'étaient pas les leurs ! Veut-on connaître, maintenant, le bilan des pertes
matérielles, des ruines et dévastations que ce carnage, le plus infâme de tous
ceux qu'enregistre l'Histoire, a entraînées ? La partie documentaire de cette
Encyclopédie ne doit pas être fantaisiste ou approximative ; ses qualités
essentielles doivent être la précision et l'authenticité. Je m'en réfère donc
aux indications officielles. Ce bilan des dommages matériels, qui viennent
s'ajouter à celui des pertes humaines, est le suivant et il ne s'applique qu'à
la France : 4.022 communes, 632.894 maisons, 20.000 usines, 7.985 kilomètres de
voies ferrées, 4.875 ponts, 12 tunnels ont été détruits ; 52.734 kilomètres de
routes ont été rendus impraticables ; 3.600.000 hectares de terrain ont été
rendus incultes. Les dépenses imposées au pays par la guerre ont été de
606.669.570.000 francs et 502 milliards de dettes ont été inscrites au débit de
la France. Sous ce titre : « Ce qu'a coûté la guerre de 1914-1918 », « l'Union
mondiale de la femme » a publié un manifeste duquel j’extrais les tragiques
données qui suivent : « Savez-vous que la guerre a coûté la vie à treize
millions de soldats ? Leurs cercueils alignés côte à côte couvriraient une
route de 6.450 kilomètres, soit la distance de Bordeaux à Moscou. Et ces 13
millions ne représentent que les victimes tombées sur le champ de bataille. A
ce chiffre, il faut ajouter les autres 24 millions de morts, victimes du blocus
terrestre et maritime, des révolutions, des navires coulés, des bombardements,
des maladies et infirmités consécutives à la guerre, etc. Le chiffre de 13
millions se trouve ainsi plus que triplé. Autre tableau : les morts marchant en
lignées de 10, de l'aube au coucher du soleil, à intervalle de deux secondes,
ces victimes de la guerre défileraient pendant 162 jours. Tout calcul fait, la
mort de chaque soldat a coûté 89.000 francs suisses (environ 445.000 francs
français). La grande guerre a coûté 100.000 francs suisses, pour chaque heure,
depuis la naissance du Christ jusqu'à nos jours. Les quatre ans de guerre ont
coûté, par heure, plus de 45 millions de francs suisses (le franc suisse vaut
actuellement 4 fr. 90). En quatre ans, l'Europe a perdu les économies d'un
siècle. Evaluée en journées de travail, les pertes nettes de cette guerre
représentent le labeur d'un million d'ouvriers qui travailleraient à raison de
44 heures par semaine pendant 3.000 ans! » J'ai tenu à citer ces chiffres, afin
que, inscrits en lettres de feu dans cet ouvrage, ils m'aident à faire saisir
une des raisons, et non des moindres, que les hommes d'aujourd'hui, après avoir
été bercés dans la stupide glorification de la Guerre et l'admiration aveugle
des Conquérants, des Grands Capitaines et des célèbres massacreurs, ont fini
par s'éloigner de ces exaltations aussi insensées que malsaines et qu'ils
tendent : et à mépriser et à exécrer la Guerre, autant qu'ils l'ont admirée et
aimée ; et à aimer et désirer la Paix autant qu'ils l'ont, dans le passé,
dédaignée et peu chérie. F. - Si encore il était possible, comme dans les
siècles qui sont derrière nous, non pas de justifier la guerre - la guerre ne
saurait être réhabilitée et, quelle qu'elle soit, elle est un crime - du moins
d'établir qu'elle apporte de sérieux avantages, des bénéfices appréciables à
ceux des belligérants qui sont victorieux, on pourrait, à la rigueur, en
accepter les douloureux effets, en trouvant dans les profits de la victoire la
compensation ou l'équivalence des sacrifices consentis. Mais il est,
aujourd'hui, de notoriété publique que la guerre ne paie pas. C'est une vérité
indiscutablement prouvée par Norman Angel, dans un livre qui a pour titre « La
Grande Illusion », livre qui, traduit en plusieurs langues, a fait le tour du
monde. La guerre de 1914-1918, dans laquelle une foule de nations ont été
engagées, a merveilleusement mis en lumière le bien fondé de cette constatation
: vainqueurs et vaincus, tous les peuples qui ont pris part à cette guerre
maudite en sont sortis plus ou moins épuisés et aucun ne peut se flatter que la
victoire ait amélioré son sort, accru sa richesse, augmenté sa puissance
proportionnellement aux dépenses qu'il y a englouties et aux jeunes hommes
qu'il y a perdus. Treize ans après la conclusion de l’armistice (j'écris ces
lignes en décembre 1931) qui a mis fin aux hostilités et précédé les
négociations de Versailles, la situation de toutes ces nations est lamentable :
débâcle financière, gâchis politique, désarroi industriel, marasme commercial,
crise de chômage sans précédent, gêne et déséquilibre partout ; rien ne manque
au tableau. Ces désolantes constatations, tous peuvent les faire et chacun les
fait. Et elles poussent irrésistiblement tous les hommes de cœur et de raison
loin des routes sanglantes de la guerre et vers les sentiers fleuris de la
Paix. Toutes les considérations que je viens d'énumérer plus amples
développements, mais il faut savoir se limiter - expliquent et motivent
l'accueil fervent que rencontrent les idées de Paix dans les milieux les plus
divers, et même les plus opposés (voir le mot Pacifisme). Toutefois ces
considérations et circonstances ne seraient peut-être pas suffisantes, tant le
culte de la force, même sous sa forme la plus bestiale et la plus criminelle et
l'esprit nationaliste et guerrier ont jeté dans la conscience des hommes des
racines profondes, qu'il sera long et malaisé d'extirper à jamais. G. - Mais il
me reste à indiquer le fait qui, plus que tout autre, et de beaucoup, soulève
contre l'éventualité d'une nouvelle guerre l'opinion publique. Ce fait, c'est le
frisson d'épouvante et de répulsion que fait passer dans le cœur de tous la
certitude que, si la guerre éclatait de nouveau, elle équivaudrait à une
manière de suicide général. On trouvera au mot qui suit une étude saisissante
sur les effroyables conséquences de la guerre des gaz, de cette guerre que
certains ont qualifiée de guerre « scientifique » (voir l'article ci-après : La
Science et la Paix). L'énumération - forcément incomplète - des gaz mortifères
qui seront utilisés, les terrifiants effets que ces gaz entraîneront, tout cet
amas de morts, d'incendies, d'explosions, de ruines, de dévastations,
d'intoxications de tous genres que l'aviation de guerre ferait pleuvoir sur les
populations civiles, y est exposé avec une précision qui exclut toute crainte
d'exagération. Qu'on lise et qu'on relise cette étude nourrie d'une
documentation abondante et indiscutable, et on se rendra compte qu'une telle
guerre serait l'extermination de l'espèce et le retour à la barbarie par
l'écroulement de la civilisation que cinquante siècles d'efforts ont lentement
et péniblement édifiée. Victor Méric, un des collaborateurs de cette
Encyclopédie, a écrit ce qui suit : « La guerre de demain n'épargnera personne
; non, personne : ni les dirigeants, ni les riches pourvus d'autos et qui
fileront sur les roules, ni les militaires, ni les civils. Les enfants à la
mamelle absorberont le poison, de même que les vieillards courbés vers la
tombe. Plus d'embusqués, plus de filons. La mort partout ; la mort sur tous. Et
l'épouvante, la démence, le déchaînement odieux des instincts les plus bas, le
sauve-qui-peut général. Car la guerre, ce ne sera pas seulement l'arrosage copieux
sur les cités, l'explosion des bombes, les incendies, les maisons écroulées,
les rues défoncées. Ce sera, aussi, la ruée, en débandade, sur les routes ; des
cohortes affolées courant sur les chemins comme ces foules du moyen âge qui
fuyaient les barbares et les fléaux. Ce sera, dans les villes désertes et
ravagées, dans les centres industriels et les agglomérations ouvrières, l'arrêt
de toute production, l'Economie nationale frappée à sa source même, tout labeur
suspendu, une sorte de formidable grève générale, déterminée par la panique.
Et, au bout, le spectre hideux de la famine. Une nuit suffira, vous entendez ?
une nuit... que dis-je ? quelques heures de la nuit pour que notre orgueilleuse
capitale ne soit plus qu’un tas fumant de décombres. Quelques avions sur Paris,
et tout sera dit. Rien à faire, rien à espérer. Les masques ? Impuissants : il
en faudrait trop. Il faudrait même des vêtements complets couvrant le corps de
la tête aux pieds et imperméables à tous les produits diaboliques dont on ne connaît
pas la composition. Les abris ? Insuffisants. Les gaz pénètrent partout, se
faufilent partout. Rien à faire, vous dit-on ; rien que de se précipiter, au
hasard, vers les campagnes, dans les bois, loin des gaz, loin des poisons. «
Seulement, il faudra manger ; et les troupeaux enragés se disputeront les
croûtes de pain. Car, il faut bien qu'on se le dise : il ne s'agit plus
simplement de défense nationale. Il n'y a plus de victoire possible ; il y a
l'Humanité qui roule sur une pente vertigineuse, vers des abîmes de sang et de
folie. « La guerre prochaine - si on ne lui barre pas le passage - c'est la fin
de tout, la civilisation en échec, le bipède du vingtième siècle retournant aux
cavernes, le globe couvert de ruines : la fin, comprenez-vous bien ? Le grand
suicide ! » Le savant professeur Langevin s'exprime ainsi : « Si une nouvelle
guerre devait éclater, elle se ferait dans un espace à trois dimensions,
c'est-à-dire non seulement le long du front, mais en profondeur, jusqu'aux
régions les plus éloignées dans chaque nation belligérante et, en hauteur, car
les cieux eux-mêmes seraient sillonnés de combattants. Les effets de
destruction en seraient si rapides que toute la civilisation occidentale
risquerait d'être anéantie. » Le professeur Branly, le père de la T. S. F., a
dit : « La prochaine guerre, au lieu de coucher seize millions d'hommes, en
assassinerait, peut ce massacre se faisant de part et d'autre, les survivants
continueront à s'entretuer, à moins du cas improbable où ils prendraient
conscience de leur folie. » Ce massacre futur s'effectuerait malgré tous les
traités et conventions, par la voie aéro-chimique. Le fait est, hélas ! incontestable
: toutes les nations s'y préparent. Beaucoup de personnalités, dans les
principaux pays, en ont proclamé la légitimité. Il est inutile que j'en dise
davantage : je ne puis imaginer un homme - à moins qu'il ne soit un sadique ou
un aliéné - qui envisagerait de sang-froid la perspective d'un tel désastre.
Aussi, sont-ils légion - légion innombrable - ceux qui sont fermement décidés à
ne reculer devant rien, afin d'éviter la guerre, afin de mettre les
gouvernements en demeure de renoncer définitivement à la force armée pour
régler les différends qui peuvent surgir entre eux. Il ne faut pas se
dissimuler que, quelle que soit la forme du gouvernement, ce sont, dans tous
les pays, les hommes au Pouvoir qui disposent souverainement de la paix des
peuples. Ceux-ci se trouvent, brutalement et plus ou moins à l'improviste,
devant le fait accompli ; ils n'ont point été consultés ; ordre leur est donné
d'obéir au décret de mobilisation et ceux que cet ordre touche et qui refusent
de s'y conformer sont frappés des peines les plus sévères, voire punis de mort,
à titre d'exemple. Perdre de vue cette donnée précise du problème à résoudre,
qui consiste à empêcher la guerre, à lui opposer un obstacle insurmontable,
serait de la plus dangereuse, de la plus mortelle imprudence. En 1913-1914, on
sentait venir la guerre. Les personnes exactement informées sur l'état général
du monde dit civilisé, averties de ce qui se préparait dans les salons
diplomatiques, au courant de ce qui se tramait dans les milieux de la haute banque
et de la grande industrie, renseignées sur les courants bellicistes qui
agitaient les sphères gouvernementales et sur la mentalité qui régnait dans les
régions officielles, ces personnes pressentaient que les grandes Puissances
marchaient vers un conflit armé qui, par le jeu même des alliances et des
traités en cours, allait, dès que jaillirait la première étincelle, transformer
l'Europe en un immense brasier. Le prétexte importait peu : le plus futile
suffirait. Cette idée d'une guerre certaine et proche était si généralement
répandue et - hélas ! - si généralement acceptée, que ce qui frappa
d'étonnement l'opinion publique, quand éclata la guerre, ce ne fut pas la
guerre elle-même, à laquelle on s'attendait peu ou prou, mais, d'une part,
l'insignifiance apparente de l'événement qui en était le point de départ et,
d'autre part, la rapidité vertigineuse avec laquelle les faits se
précipitèrent. Quoi qu'il en soit, la guerre était considérée par la plupart
comme une sorte de fatalité, dont il n'était pas tout à fait impossible de
retarder l'échéance, mais de toutes façons inéluctable. Cela est si vrai que,
dans tous les milieux opposés à la guerre, on faisait effort beaucoup moins
pour en écarter la redoutable éventualité, que pour étudier et arrêter l'attitude
à prendre, les mesures à adopter et l'action à engager en cas de guerre. Les
rédacteurs de la Guerre Sociale, organe très répandu dans les milieux
d'avant-garde : antimilitaristes, antipatriotes et révolutionnaires,
proposaient de saboter la mobilisation. La Confédération Générale du Travail
décidait que les syndicats ouvriers et, avec eux, tous les travailleurs,
répondraient à l'ordre de mobilisation par la Grève générale insurrectionnelle
et expropriatrice ; enfin, le Parti socialiste unifié se prononçait en faveur
de l'Insurrection ayant pour but de renverser le Gouvernement et d'annuler
l'ordre de mobilisation. Les circonstances sont loin d'être les mêmes à l'heure
présente. On comprend que le caractère que, dès le début, prendront les
hostilités, si l'on ne parvient pas à barrer la route à la guerre, ne permet
plus de songer à l'emploi d'une de ces décisions ; il apparaît à peu près certain
que la nation qui sera ou croira être prête avant les autres et mieux que les
autres, attaquera la première et que l'agression se produira, sans avis
préalable, sans déclaration de guerre proprement dite, sous la forme d'une
invasion brusquée, par les flottilles aériennes réduisant en cendres les grands
centres, les parcs d'artillerie, les réserves de munitions, les usines de
guerre, les agglomérations industrielles, en un mot les points stratégiques les
plus vulnérables et les plus importants. Dans ces conditions : sabotage de la
mobilisation, grève générale et insurrection ; toutes choses dont
l'application, en 1914, soulevait d'immenses difficultés, mais, somme toute,
n’était pas irréalisable, deviendraient impossibles, vu les conditions dans
lesquelles éclaterait la guerre de demain. En vérité les termes du problème à
étudier et à résoudre ont changé : il ne s'agit plus de décider ce qu'il y aura
lieu de faire en cas de guerre, pour entraver, paralyser celle-ci ; il n'est
que trop évident que, dans ce cas, tout sera impuissant à faire reculer le
fléau. Le problème à examiner, c'est donc celui de savoir par quels moyens les
pacifistes de 1931-1932 parviendront à EMPÊCHER la guerre. Eviter la guerre, la
rendre impossible, tout est là. Comment empêcher la guerre et instaurer un
régime stable de Paix ? Les moyens en vue sont nombreux ; ils sont parfois
opposés. Rien que pour les passer successivement en revue et les discuter les
uns après les autres, il faudrait écrire un volume. Cette encyclopédie ne comporte
pas d'aussi longs développements. Je dois donc me borner à examiner brièvement
les moyens que je tiens pour inopérants et insuffisants, afin d'accorder plus
de place, dans cette étude, au moyen que j’estime être le seul qui conduit au
résultat désirable et nécessaire : la Paix. Je procède donc par élimination. a)
Moyens inopérants. - Je range dans cette catégorie tous ceux qui portent le
sceau gouvernemental. J'ai la conviction que les protocoles, les pactes, les
traités, les conventions, les accords que peuvent conclure présentement les
gouvernements ne seraient, selon l'expression consacrée et authentifiée par
l'Histoire, que de vulgaires « chiffons de papier » le jour où, pressée par la
nécessité, cédant au besoin de conquérir par la force certains avantages,
dominée par ses visées d'ambition et décidée à assouvir ses convoitises
territoriales ou financières, une grande Puissance verrait dans la Guerre, et
rien que dans celle-ci, la possibilité de réaliser ses desseins. La Société des
Nations a été constituée dans le but de préparer l'avènement de la Paix par
l'établissement et la reconnaissance d'une sorte de Juridiction suprême ayant
pour mandat d'arbitrer les différends internationaux, à la lumière et en
application d'une législation adoptée par l'universalité des Puissances.
D'immenses espoirs ont accueilli la naissance de ce super-organisme et de
ferventes et nombreuses sympathies persistent à lui faire cortège. Quand une
espérance a illuminé l'esprit ou le cœur des hommes, elle s'y installe si
fortement qu'elle n'y meurt que petit à petit : c'est une des forces, et
peut-être la plus tenace, de toute religion. C'est ainsi que s'explique l'obstination
avec laquelle nombre d'individus restent attachés, cramponnés aux généreux
espoirs de Paix que l'Assemblée internationale siégeant à Genève a fait
descendre dans la conscience humaine. Et pourtant ! que de lenteurs dans
l'organisation de cette assemblée ! que de timidité dans ses débats ! que
d'incohérences dans ses attitudes, chaque fois que les circonstances lui
imposaient le devoir de se prononcer fermement ! Sans être trop sévère, on peut
prétendre que, toujours défaillante lorsque certains faits de guerre
nécessitaient son intervention immédiate et énergique, la Société des Nations a
ruiné le crédit moral dont elle jouissait à ses débuts et jeté le découragement
dans l'esprit de ceux qui lui avaient accordé toute leur confiance et qui avaient
placé leurs plus fermes espérances dans l'efficacité de son action. Ses
hésitations, ses faiblesses et son impuissance à l'occasion du conflit
sino-japonais, alors que les deux puissances en état de guerre faisaient
officiellement partie de la Société des Nations ont, une fois de plus,
administré aux amis de la Paix dont les regards étaient anxieusement fixés sur
Elle, la preuve qu'il n'y a pas lieu de compter sur Elle pour réaliser le but
que sa constitution même lui a assigné. A aucun moment, dans aucune
circonstance, les anarchistes n'ont fait confiance à la Société des Nations.
Tout d'abord, ils ont constaté et n'ont cessé de faire observer que cette
Société n'est pas celle des Nations, mais bien celle des Gouvernements : ce ne
sont pas les peuples qui élisent leurs délégués à Genève ; ce sont les
Gouvernements qui les mandatent. Les représentants ainsi désignés ne sont pas
les interprètes des aspirations, des besoins et des volontés des masses
nationales, celles-ci n'étant consultées ni avant, ni après. Les personnages
appelés à représenter chaque nation sont choisis par leur Gouvernement
respectif ; ils sont pourvus d'instructions précises ; ils détiennent un mandat
impératif auquel ils sont tenus de se conformer et, porte-parole des
Gouvernements qui les ont officiellement investis, ils ne peuvent être que les
interprètes de la pensée, de la volonté et des intérêts de ceux-ci. En outre,
ne siègent à Genève que des Ministres, des diplomates, des parlementaires, des
techniciens et des spécialistes, hommes qui, du premier au dernier,
appartiennent, par leur situation, et sont liés par leurs intérêts au régime
étatique ou aux milieux économiques totalement acquis aux appétits politiques
et financiers de la classe gouvernante et possédante. Ce n'est pas sur de tels
éléments qu'il est raisonnable de compter pour travailler avec sincérité et
ferveur à l'organisation de la Paix mondiale. Les hauts personnages dont la
réunion fonde la Société des Nations prononcent parfois de magnifiques discours
; à les entendre, on serait portés à prendre à la lettre les pompeuses
déclarations par lesquelles ils se campent en adversaires farouches de la
guerre et en partisans irréductibles de la Paix. Ce ne sont, hélas! Que mensongères
déclamations et il n'est pas injuste de qualifier celles-ci aussi sévèrement,
puisque l’accroissement incessant des ressources englouties par le régime de
Paix armée qui impose à chaque nation des charges écrasantes, inflige à ces
déclarations un sanglant démenti et en fait éclater l'odieuse fourberie. Sous
le fallacieux prétexte d'assurer sa propre sécurité, chaque Puissance fortifie
son appareil de guerre, en application du vieil adage « Si vis pacem, para
bellum » (si tu veux la paix, prépare la guerre). En contradiction avec l'amour
de la Paix dont tous les Gouvernements se proclament animés, c'est une course
effrénée, une formidable ruée vers des armements de plus en plus fantastiques.
Chacun sait cependant que si, naguère, c’étaient les risques de guerre qui
créaient les armées et les armements, de nos jours, c'est l'existence des
armées et l'accumulation des armement qui créent les risques de guerre. Les
véritables ennemis de la guerre, les partisans sincères de la Paix opposent au
« Si vis pacem, para bellum », dont des millénaires de batailles de plus en
plus meurtrières ont démontré l'absurdité, le « Si vis pacem, para pacem » (si
tu veux la Paix, prépare la Paix), dont l'exactitude et la sagesse sautent aux
yeux de quiconque n'est pas aveuglé par la routine et la tradition, lesquelles
conservent aux formules les plus désuètes le caractère d'une indiscutable
vérité. b. - Moyens insuffisants. - Un souffle puissant de pacifisme (voir ce
mot), s'est élevé un peu partout. Cette poussée vers la Paix a suscité la
formation d'un nombre élevé de groupements, ayant pour but la propagande et
l'action à entreprendre contre la guerre et pour la Paix. Il est hors de doute
que, si l'on parvenait à dresser la liste complète de ces organisations
pacifistes, on arriverait à un nombre fort impressionnant de sociétés et à un
total considérable de membres adhérents. Je suis loin d'envisager ce fait comme
quantité négligeable et je me garderai bien de sous-estimer le concours très
réel que ces lignes peuvent apporter à la cause de la Paix et la valeur morale
qu'elles lui confèrent. Je souhaite très vivement que ces associations
croissent et se multiplient. Il en est qui sont internationales et celles-ci méritent
les plus sincères approbations et les encouragements les plus vifs. Toutefois,
je pense et très franchement je déclare que ces groupements pacifistes ne
constituent qu'un élément insuffisant de lutte contre la guerre, et cette
insuffisance provient des quatre causes suivantes : 1° Si nombreuses que soient
ces ligues et associations, elles ne le sont pas encore assez. C'est un
mouvement qui commence ; il est loin d'avoir atteint la vigueur et le
développement auxquels il est appelé à parvenir. Quand on suppute les forces de
guerre qu'il faut abattre, forces réelles et latentes, forces connues et
masquées, forces constamment prêtes à s'unir et à taire bloc, on ne peut se
défendre de l'appréhension justifiée que provoque la comparaison entre ces forces
qu'il faut vaincre et celles qui les combattent. Il faut donc que ces dernières
grandissent en nombre et en puissance d'influence et d'action ; 2° Les
organisations pacifistes ne sont pas fédérées ; il leur manque cette cohésion
qui est indispensable à tout effort d'une grande envergure. Livrées à leurs
seules ressources en hommes et en argent, ces associations s'avèrent
impuissantes à lutter avantageusement contre les redoutables adversaires -
voilà les véritables ennemis - qui ont à leur disposition une presse
abondamment arrosée par les producteurs d'armements et de fournitures
militaires, par les Pouvoirs publics et les Parlements prisonniers des
Puissances d'argent. Seule, la Fédération nationale et la Confédération
internationale de toutes les ligues pacifistes sont capables de contrebalancer
la déplorable influence que les adversaires de la Paix exercent sur l'esprit
public avec la complicité des Gouvernements qui appuient leur autorité sur la
force armée, des Parlements qui entretiennent astucieusement le préjugé
patriotique et des journaux les plus répandus qui sont à l'entière dévotion des
grandes firmes capitalistes intéressées aux industries de guerre ; 3° Si
désirable, si urgente et si nécessaire que soit la réunion de toutes les ligues
pacifistes en une association fédérative, on est forcé de reconnaître qu'elle
est présentement irréalisable : d'abord, parce que certains de ces groupements
sont étroitement liés à des partis politiques ou à des formations religieuses
dont ils ne sont que le prolongement ; en sorte que les rivalités qui opposent
les uns aux autres ces Partis politiques et ces formations religieuses font
obstacle à leur rassemblement ; ensuite, parce que une notable proportion de
ces groupements ne sont que sentimentalement, vaguement et partiellement
pacifistes. En principe, tous sont contre la guerre et tous sont pour la paix.
Mais, tandis que les uns, ceux qu'on peut appeler les pacifistes intégraux sont
contre toutes les guerres, toujours et quand même, les autres que j'appelle les
demi marquées, voire des oppositions entre les guerres dites « offensives » et
les guerres dites « défensives », et ils érigent en devoir de se refuser aux
premières mais de s'offrir aux secondes. Je n'hésite pas à soutenir que ces
étranges pacifistes - qui, en principe s'affirment contre la guerre, mais qui,
le cas échéant, sont résolus à y prendre part - sont, en fait, des bellicistes
qui s’ignorent. Car, de nos jours, il n'est pas un Gouvernement qui, à l'aide
des moyens qui sont entre ses mains, ne soit en mesure d'imposer à ses
nationaux la conviction qu'ils sont attaqués, c’est-à-dire que la guerre est
une guerre « défensive » et que, s'ils prennent les armes, c'est uniquement
pour se défendre contre l’agresseur. Etant donné que, dans tous les pays il en
est ainsi et que, au demeurant, il ne saurait en être autrement, les
demipacifistes dont je parle se trouveront, bien que résolument opposés à la
guerre, dans l'obligation de la faire chaque fois qu’elle éclatera, puisque on
leur certifiera, chaque rois, qu'il s'agit d'une guerre défensive. 4° Enfin ce
qui, actuellement, rend irréalisable la fédération des groupements pacifiques,
c'est qu'ils ne sont pas en possession d'une boussole leur permettant de se
diriger vers le même but par la même route. Cette boussole, c'est un programme
limité et précis, un but immédiat et déterminé, une plateforme d'action
s'imposant à tous par sa netteté et sa consistance. Je rencontre fréquemment
des hommes qui se disent contre guerre et qui sincèrement sont attachés à la
Paix. Quelques minutes me suffisent pour constater le peu de fond qu’il est
prudent de faire sur l’efficacité de l’aide qu’on peut attendre de leur
activité. Certes, ils professent une sainte horreur de la guerre et ils sont
prêts à servir de tout cœur la cause de la Paix. Mais par quels moyens
lutteront-ils contre la première et de quelle façon travailleront-ils à
l'instauration de la seconde ? Ils n’en savent rien, ou presque. On ne dépense
utilement son activité que lorsque, d'une part, on vise un but précis et
lorsque, d'autre part, on recourt à un moyen également déterminé. Sinon, les
efforts qu’on accomplit, pratiqués en ordre dispersé et sans cohésion positive,
perdent en grande partie leur efficacité. Ce qui est vrai pour l'effort
individuel l'est encore bien davantage pour le collectif. C'est pourquoi :
programme précis, but déterminé, plateforme unique et solide, quand les
organisations pacifistes seront en possession de ces trois éléments, leur
rassemblement s’opèrera sans trop de difficulté, leur nombre et leur activité
décupleront et le courant pacifiste gagnera promptement, en profondeur et en
étendue, la vigueur qui lui fait défaut. c. - L'unique moyen. - Comme on le
voit la solution pratique du problème qui consiste à en finir avec la guerre et
à organiser la paix sur des fondements solides, nécessite un effort énergique
et persévérant. D'une récente lettre de Romain Rolland, je détache ce passage :
« il ne suffit pas de répéter Paix! Paix ! On dirait des troupeaux qui bêlent,
leurs bêlements n’attendrissent pas le boucher... La paix n'est pas un thème à
variations vocales. Elle doit être réalisée. Et pour être réalisée, il faut
qu'elle soit réalisable. Une paix basée sur le statu quo politique, économique
et social de l'Europe et du monde présent est une cruelle illusion et un
non-sens. L'état de choses instauré par les traités de victoire en 1919, et
aggravé depuis par les aberrations des politiciens, est un état de violence et
d'injustice permanent, qui ne peut matériellement se prolonger sans catastrophe
: car, pour les deux tiers de l'Europe, il est une cause permanente de
souffrances, une plaie béante qui s'envenime ; et l'infection gagnera
nécessairement tout le reste du corps, toute l'Europe, le monde entier. » C'est
fort bien dit : il ne saurait être question de pais, véritable et définitive,
dans la situation politique, économique et sociale de l’Europe et du monde
actuel. Cela revient à affirmer que tant que sera maintenue la structure
politique, économique et sociale du monde actuel, la Paix sera impossible,
qu’elle ne sera réalisable et ne sera réalisée que dans un monde dont la
structure politique, économique et sociale aura été totalement transformée.
J'ai cette certitude et depuis bien longtemps, je l'expose et cherche à la
faire partager. Lorsque, du 17 au 22 août 1926, se tint, à Bierville (France),
le Congrès « sur la Paix par la Jeunesse » qui eut un certain retentissement
(5.000 délégués représentant trente nations prirent part à ce Congrès)
j'adressai à ces cinq mille délégués la lettre ouverte que voici : Messieurs,
Vous vous proposez de jeter les bases de la Paix par la Jeunesse. Travailler
pour la Paix est une des œuvres les plus nobles et les plus urgentes qu'il soit
possible d'imaginer et faire appel à la Jeunesse, c'est confier sagement à l'avenir
le soin de réaliser cette œuvre magnifique. Comme l'enfer, Messieurs, vous êtes
pavés d'excellentes intentions et il ne peut venir à personne l'idée de vous
refuser l'hommage que méritent ces intentions admirables. Mais permettez à un
homme qui possède quelque expérience et qui, depuis de nombreuses années, se
penche, fervent et angoissé, sur le problème de la Paix, de vous faire
connaître, loyalement et sans ambages, le résultai de ses longues cogitations.
Et d'abord, vous apprendrai-je quelque chose en vous disant que je n'ai jamais
rencontré quelqu'un - homme ou femme - se déclarant, en principe, pour la
guerre ? Je ne pense pas et je ne dis pas que personne ne veut, n’appelle, ne
désire la guerre ; je dis simplement que personne n'ose, en temps de paix,
s’affirmer ennemi de la paix et partisan de la guerre. Il serait, au surplus,
plus que jamais prodigieux qu'il en fut autrement : la guerre maudite de
1914-1918 a laissé dans toutes les mémoires des souvenirs si horribles que,
d'instinct, tous forment des vœux en faveur de la paix. « Haine de la guerre ;
amour de la paix » ; si on fouillait dans les cœurs, ce sont deux sentiments
qu'on trouverait à peu près dans tous. Il serait donc banal et inutile de vous
réunir en Congrès par centaines et par milliers, si vous deviez vous borner à
vous affirmer partisans de la Paix, à pousser des acclamations, à chanter des
hymnes, à organiser en faveur de la Paix de solennelles et grandioses
cérémonies. Je ne vous fais pas l'injure, Messieurs, de penser que ce soit là
tout votre programme. Votre programme doit avoir, il a certainement pour but
d'étudier et d'arrêter les moyens pratiques propres : 1° A empêcher la guerre ;
2° A fonder un régime de paix stable et, si possible, définitif. C'est ainsi,
Messieurs, que se pose le problème de la paix : tout le reste n'est que mise en
scène, décor, solennité, faconde, attitude et pose sans sincérité, sans courage,
sans signification précise, et sans influence sur le cours des événements d'où
sortira demain ou la guerre ou la paix. Il s'agit donc avant tout et même
uniquement d’empêcher la guerre. Un seul moyen s'offre à toute personne sensée.
Ce moyen consiste à rechercher loyalement la cause véritable, profonde,
essentielle, fondamentale des guerres et, cette cause étant découverte, à
travailler de toutes ses forces à sa suppression. Il est évident que tant que
ne sera pas abolie la cause, l'effet persistera. Il sera possible, en certaines
circonstances, de prévenir un conflit imminent et d'en ajourner le
déclenchement ; mais cette victoire, purement occasionnelle, n'aura en aucune
façon fortifié la cause de la Paix, celle-ci restant à la merci du lendemain.
Il est donc tout à fait indispensable, et avant toutes choses, de découvrir la
cause véritable et essentielle d'où sort la guerre, afin de dénoncer
publiquement, de combattre et d'abattre cette cause. Eh bien ! Messieurs, cette
cause est aujourd’hui connue, et, depuis plus d'un demi-siècle, les Anarchistes
la dénoncent sans se lasser et sans qu'il ait été possible d'en nier
sérieusement l'exactitude. Cette cause, c'est le principe d’autorité : principe
qui, d’une part, fait surgir les conflits et d’autre part, les résout et, au
demeurant, ne peut les résoudre que par la force, la contrainte, la violence,
la guerre, indispensables corollaires de l’Autorité. Car c'est l'Autorité, dans
sa forme économique présente : le Capitalisme, qui suscite les convoitises,
exaspère les cupidités, déchaîne les compétitions et dresse en bataille les
impérialismes effrénés et rivaux. Et c'est l'Autorité, dans sa forme politique
actuelle : l'Etat qui, ayant partie liée avec le Capital, manœuvre
diplomatiquement et agit militairement sur le plan tracé par la finance
internationale ; puis, l'heure venue, prépare, chauffe, entraîne les esprits,
décrète la mobilisation, déclare la guerre, ouvre les hostilités, établit la
censure, réprime l’insoumission, emprisonne ou fusille les hommes courageux
qui, s'étant affichés contre la guerre en temps de paix (ce qui est fréquent et
sans risque) persistent à se déclarer contre la guerre… en temps de guerre (ce
qui est rare et périlleux). Je vous le répète, Messieurs, la cause de toutes
les guerres, à notre époque, c'est l'Autorité dont l’Etat est l'expression
politique et le Capitalisme. Aussi, de deux choses l'une : ou bien, franchement,
loyalement, vaillamment, inlassablement, vous pousserez vos recherches jusqu’à
la découverte de la cause que les Anarchistes vous signalent et, dans ce cas,
vous ne vous séparerez pas sans avoir pris l’engagement d'honneur de dénoncer
publiquement cette cause et de la combattre par tous les moyens en votre
pouvoir, jusqu'à ce qu'elle ait été totalement et définitivement anéantie. Ou
bien, reculant devant l'immensité, les difficultés, les périls et les
conséquences de la lutte implacable à entreprendre contre l'Autorité, vous vous
arrêterez à mi-chemin, peut-être même dès les premiers pas ; et, dans ce cas,
je vous le dis tout net, Messieurs, et sans la moindre hésitation, tellement
j'ai la certitude de ce que j’avance : vous quitterez Bierville sans avoir rien
fait et, par la suite, vous ne ferez rien qui sera de nature à empêcher la
guerre de demain et à fonder la paix sur des assises de quelque solidité. Au
surplus, Messieurs, si vous êtes réellement et sincèrement des adversaires
résolus de la guerre, et des partisans irréductibles de la Paix, si vous ne
l'êtes pas seulement en paroles et du bout des lèvres mais en fait et du fond
du cœur, vous ne vous séparerez pas sans que chacun de vous ait fait le serment
que voici : « Je jure, en toute conscience, de consacrer désormais au triomphe
de la paix le plein de mes efforts et si, pour répondre à l'ordre de
mobilisation par un refus formel ; je jure de ne prendre, ni au front ni à
l'arrière, ni directement ni indirectement, une part quelconque aux hostilités ;
et je m'engage à lutter, quels que soient les risques courus, contre la
continuation de la tuerie et en faveur d'une paix immédiate. » Messieurs, Si,
de votre congrès sortait la double décision dont je viens de parler : lutte
contre l'Autorité (l'Etat, le Capital), source de toutes les guerres ; et
serment unanime et sacré de se refuser catégoriquement à prendre une part
quelconque aux hostilités ; Ah ! Messieurs, quel retentissement auraient, aux
quatre points cardinaux, vos assises de Bierville ! Et, d'ores et déjà, quel
coup mortel vous porteriez à la guerre infâme et quel pas immense vous feriez
faire à la cause de la Paix !
Paix
file:///Users/administrateur/Desktop/www.encyclopedie-anarchiste.org/articles/p/paix.html[22/07/11
14:12:45]
Sébastien FAURE. De cette
sorte de manifeste, écrit il y a plus de cinq ans, je n'ai pas une ligne à
retrancher ; je n'ai pas davantage une ligne à ajouter. Je conserve la
certitude que le seul moyen de tuer la guerre, c’est d’en chercher et découvrir
la cause et de combattre cette cause jusqu’à sa suppression. C’est, au surplus,
l’évidence même. Seulement, il est à craindre que cette suppression ne demande
encore beaucoup de temps et il s’agit d’aviser sans aucun retard au moyen de
faire échec à la guerre et de la rendre impossible, non pas dans 20, 30 ou 50
ans, mais dans le plus bref délai. Car, si jamais la Paix ne fut plus
indispensable à l’humanité qu’elle ne l’est actuellement, jamais les causes de
conflit armé ne furent aussi nombreuses et aussi graves que dans le temps
présent. Il faut donc aller au plus pressé et recourir d’urgence au moyen de
faire reculer la guerre qui, d’un jour à l’autre, peut fondre sur nous. Ce
moyen existe-t-il ? – Oui. – Quel est-il ? – Le désarmement. Est-il possible de
le mettre en application dans un laps de temps relativement court ? – Je le
pense. Le désarmement. – Le désarmement est, d’ores et déjà, dans l’esprit de
tous les amis sincères de la Paix. Toute personne ayant, sérieusement et sans a
priori, étudié la question que j’examine ici, a été amenée à considérer le
Désarmement comme la condition sine qua non de la Paix, comme la préface
nécessaire, l’introduction indispensable à l’édification d’un régime de Paix
durable. Une humanité qui reste l’arme au pied, qui fabrique sans interruption
ni mesure, des moyens de destruction qu’elle s’ingénie à multiplier et à rendre
plus meurtriers, qui engloutit, de propos délibéré, dans cette industrie de
mort et de dévastation des ressources énormes, une humanité qui arrache au
travail et à la vie libre des millions de jeunes gens qu’elle oblige à
l’apprentissage du métier militaire, n’est pas et ne peut pas être une humanité
qui s’achemine vers la Paix. Tant qu’il y aura une caserne, tant que dans cette
caserne, il y aura un soldat, tant que, entre les mains de ce soldat –
professionnel de la guerre – il y aura une arme de guerre quelconque, cela
signifiera que l’humanité n’aura pas encore renoncé au règlement, pas la voie
des armes, des conflits qui l’agitent ; cela signifiera, tout au contraire,
qu’elle se dispose, comme par le passé, à confier au sort des armes le
règlement des dits conflits et la menace horrible de la guerre continuera à
assombrir l'horizon. Il ne sera sensé de penser que les hommes sont résolus à
faire de la Paix Espérance une féconde Réalité, que lorsqu'ils auront brisé les
instruments de massacre que nécessite la Guerre. Je répète que l’immense
majorité des pacifistes est acquise à cette idée du désarmement, prélude
indispensable de la Paix. Tous les partis politiques de gauche, même ceux dont
le pacifisme est le moins catégorique, se rallient à la thèse du désarmement.
Tous conviennent que M. Herriot a raison d'affirmer que « le surarmement ne
peut aboutir qu'à la guerre » et M. Paul Boncour de déclarer que « la course
aux armements c'est la guerre ». Traduite en langage clair et simple, cette
double déclaration veut dire que « plus on arme, plus on marche vers la guerre
et s'éloigne de la paix » et que « moins on arme, plus on se rapproche de la
paix et s'éloigne de la guerre » ; et il est logique d'en conclure que
lorsqu'on cessera la politique d'armement, on entrera de plein pied dans la
politique de la paix, pas avant. C'est un avantage immense que cet accord total
sur le problème de l'armement et du désarmement ; car, pour le triomphe de la
Paix, il est d'un prix inestimable que, sur ce point de capitale importance,
tous les pacifistes se mettent d'accord. Et, pourtant, cet accord n'est pas
suffisant ; il est nécessaire que l'entente s'établisse en outre sur les
conditions mêmes de réalisation du désarmement. Et c'est ici que l'accord cesse
et fait place à de graves divergences. Deux thèses s'affrontent : l'une consiste
à établir tout d'abord un régime de paix armée qui garantisse à chaque nation
sa propre sécurité ; ce point acquis, on instaurerait un tribunal d'arbitrage
qui, en cas de conflit, rendrait une sentence devant laquelle seraient tenus de
s'incliner les parties en cause ; ce double régime de sécurité et d'arbitrage
devant, au dire de ses partisans, avoir pour résultat de réduire au minimum les
différends et de régler pacifiquement ceux qui se produiraient, l'éventualité
de la guerre deviendrait peu à peu de plus en plus rare et le désarmement
s'opérerait pour ainsi dire automatiquement, les armées et les armements
devenant à la longue sans utilité. L'autre thèse consiste à atteindre le même
but : le désarmement, mais en faisant précéder la sécurité de l'arbitrage et,
par conséquent, découler celle-là de celui-ci. Sécurité, arbitrage,
désarmement, tel est l'ordre chronologique déterminé par la première thèse.
Arbitrage, sécurité désarmement, tel est l’ordre propose par la seconde. Mais
on remarquera que, quel que soit l'ordre adopté, c'est au Désarmement que
conduisent en fin de compte les deux formules. Sur ce point, pas de divergence
; ce qui démontre, sans qu’il y ait place pour le moindre doute, que le
désarmement est considéré par les uns et par les autres comme la condition
indispensable de la Paix. Les Hommes d'Etat, les diplomates et les techniciens
selon les Gouvernements dont ils font partie donnent leur adhésion à l'une ou à
l'autre de ces deux thèses. On peut en inférer qu'ils ne sont pas pressés
d'aboutir. Car, soit qu'ils sachent d'avance que longues, très longues seront
les négociations concernant la sécurité et l'arbitrage avant qu’elles
aboutissent, soit qu'ils usent perfidement de tous les moyens dilatoires par
lesquels il leur est aise de traîner en longueur ces préliminaires et
pourparlers, ils n'ignorent pas que des années et des années s'écouleront avant
l'adoption et la mise en service du mécanisme délicat et compliqué qu'exigent
la sécurité et l'arbitrage. Il est infiniment plus simple de se demander s'il
ne serait pas plus pratique et plus rationnel d'attendre du Désarmement la
sécurité et l’arbitrage que d'attendre de l'arbitrage et de la sécurité le
désarmement. C'est l'idée qui s'est présentée à l'esprit de ceux qui,
impatients d'aboutir et comprenant la nécessité d'agir vite, voient avec
terreur les années se succéder sans que, par la voie de la sécurité et de
l'arbitrage, progresse effectivement la volonté de désarmement. A la réflexion,
étude faite des ententes mondiales que comportent la sécurité et l'arbitrage,
cette idée a tendance à prévaloir dans l'esprit public. Adoptée depuis quelque
temps déjà par quelques-uns de ceux qui estiment qu'il importe avant tout
d'éviter les horreurs d'une prochaine guerre, cette opinion gagne de jour en
jour du terrain et je pense qu'elle est appelée à faire des progrès très
sensibles. La rapidité avec laquelle elle se propage porte en elle les plus
précieux encouragements et le gage de son prochain succès. Beaucoup de
pacifistes, des plus ardents et des plus actifs, envisagent aujourd'hui le
désarmement, non plus comme une chose vague et lointaine dont il faudra parler
longtemps, bien longtemps avant d'en saluer la réalisation, mais comme un
événement qui peut, qui doit se produire sans trop tarder, à la condition
qu'une propagande sérieuse et continue soit faite en sa faveur. « Désarmement,
d'abord. Sécurité et arbitrage par le Désarmement », sont des mots d'ordre que
font leurs, dès à présent, nombre de ligues pacifistes, de groupements ouvriers
et d'organisations d'avant-garde. Dans ces milieux, on commence à comprendre
que la sécurité et l'arbitrage ne peuvent être obtenus que par le désarmement.
On se rend enfin compte que chercher à s'orienter vers le désarmement par la
sécurité et l'arbitrage, ce n'est pas seulement prendre le chemin le plus long,
mais encore faire fausse route. Les dirigeants et toute la caste que les
industries de guerre enrichissent se raccrochent obstinément à la thèse de la
sécurité et des garanties sur lesquelles ils la font reposer. Ils prétendent,
et on comprend pourquoi, que la sécurité résulte de l'étalage de la force et de
la crainte qu'un peuple puissamment armé inspire aux autres peuples ; ils
disent que, quels que soient les pactes et accords destinés à maintenir la Paix
internationale, la sécurité de chaque pays nécessite une force militaire de
nature à décourager tout agresseur. On aperçoit tout de suite les conséquences
d'une telle conception du problème de la sécurité. Au nom de la sécurité,
qu'elle dit lui être indispensable, chaque Puissance sera conduite à s'armer de
plus en plus. Il suffira qu'une nation augmente, transforme ou perfectionne son
outillage de guerre, pour que les autres nations s'autorisent et même se
proclament astreintes, malgré elles, à augmenter, transformer ou perfectionner
le leur. Et ce sera, plus que jamais, la course aux armements, c'est-àdire la
guerre certaine sous le prétexte de l'éviter. C'est cette préoccupation stupide
de la sécurité qui dominera, j'en ai la certitude, l'assemblée qui va se réunir
à Genève, en février 1932, sous le beau nom beau, mais mensonger - de
Conférence du désarmement. Je n'entends pas soutenir qu'on n'y parlera pas du
désarmement ; on en parlera copieusement et le mot de désarmement est celui qui
sera prononcé le plus fréquemment. Il y sera répété avec d' autant plus
d'insistance qu'on s'éloignera davantage du fait qu’il exprime. J'ai la certitude
que l'orateur, quel qu’il soit, qui, au nom de son pays, saisirait sérieusement
les délégués réunis à cette conférence, d'une proposition ferme de désarmement
véritable et immédiat, serait accueilli par des huées ou des protestations
indignées. De deux choses l'une : ou bien on ne prendrait pas au sérieux cette
proposition et on refuserait de la discuter ; ou bien la prenant au sérieux, on
se hâterait de lui faire un enterrement de première classe, sous un
amoncellement de fleurs et couronnes. Cela n'est pas douteux. La seule chose
dont s'occupera cette conférence, dite improprement du désarmement, c'est de la
limitation des armements. Il me paraît probable que les grandes Puissances,
celles qui possèdent les armements les plus considérables et les plus modernes,
après avoir affirmé que cet outillage de guerre (effectifs militaires, munitions,
machines à tuer, gaz, etc.) est absolument indispensable à leur propre
sécurité, se refuseront à en retrancher quoi que ce soit et que les Puissances
en retard sur l'équipement militaire des précédentes formuleront et défendront
avec acharnement des motions leur accordant la faculté de la mise au point qu'elles
déclareront, elles aussi, absolument nécessaires à leur propre sécurité. Sans
compter que tous les gouvernements, les forts comme les faibles, ne consentant
pas à renoncer aux budgets votés et aux dépenses engagées en vue d'une guerre
prochaine, obtiendront l'autorisation de continuer jusqu'à l'épuisement complet
des budgets votés la réalisation totale des travaux prévus ou en cours
d'exécution. Résultat : il faudra nous estimer très heureux si, en application
des décisions prises - peut-être n'auront-elles que la valeur de simples
indications - les armements restent ce qu'ils sont et ne s’en trouvent pas
accrus au total. Ces brèves explications touchant le problème de la sécurité
démontrent clairement que le souci de ce que les Etats appellent la sécurité de
leur pays, bien loin de nous rapprocher graduellement de la Paix, nous en
éloigne indéfiniment. Quant à l'arbitrage et aux conditions dans lesquelles il
est question d’en assurer pratiquement le fonctionnement et l'autorité
effective, il est raisonnable de penser qu'il sera incontestablement faussé par
la disproportion née de la différence d'armement entre Puissances illégales et
que l'arbitrage ne remplira sa mission que dans deux cas : le premier, lorsque
les Nations en conflit ne seront, ni l'une ni l'autre, décidées à faire la
guerre et seront, par conséquent, disposées, l'une et l'autre, à régler à
l'amiable leur litige ; le second, lorsque le différend mettant aux prises deux
pays : l'un fortement et l'autre faiblement armé, l'écrasement de celui-ci par
celui-là sera chose tellement certaine, que le plus faible se verra dans la
nécessité de subir la sentence rendue, celle-ci fût-elle en opposition
manifeste avec son droit et ses intérêts et que le plus fort se refusera à tout
arbitrage, quelle que soit la netteté des engagements précis qu'il aura
contractés antérieurement et en temps de paix. Ecoutez l'opinion que suggère au
chef reconnu du Parti socialiste (S.F.I.O.) de France, le conflit actuel entre
la Chine et le Japon : « Pourquoi le Japon se dérobe-t-il à l'intervention de
la Société des Nations, à la décision éventuelle des arbitres ? Parce qu il est
armé, parce qu'il se sent le plus fort, parce que la force crée la tentation
d'user de la force. Nous sommes donc fondés à affirmer que le Désarmement est
la vraie garantie, la vraie caution, la vraie sanction des procédures
arbitrales. Le cas japonais illustre avec éclat notre formule : sécurité par
l'arbitrage et le désarmement. » (Léon Blum, journal Le Populaire, du 16
novembre 1931.) Je me rallie à cette formule après y avoir glissé cette légère,
mais nécessaire modification : sécurité et arbitrage par le Désarmement. Cette
modeste retouche donne à ma pensée la précision. que je désire : avant tout,
désarmement ; ensuite sécurité reposant sur le désarmement ; enfin arbitrage,
quand le désarmement et la sécurité seront, comme le dit Blum, la vraie
garantie, la vraie caution, la vraie sanction. Nous voilà donc parvenus à la
certitude que, en attendant la transformation sociale qui frappera de mort la
cause permanente, essentielle, fondamentale de la guerre : le principe
d'Autorité d'où procèdent toutes les institutions sociales actuelles, nous ne
disposons que d'un seul moyen d'empêcher la guerre qui vient et que ce moyen
unique, c’est le Désarmement. Seulement, il y a désarmement et désarmement et,
ici encore, nous nous trouvons en présence de deux courants très distincts,
voire opposés. Il nous reste à les examiner successivement, afin de décider
lequel est à écarter et lequel est à adopter. Le désarmement général,
simultané, contrôlé. - Il faut entendre par le désarmement général, le
désarmement qui serait accompli par l'universalité des Nations, sans que, parmi
celles qui comptent du point de vue de l’équipement et de la préparation
militaire, il en soit excepté une seule. Il faut bien se mettre dans la tête
que pour que le désarmement soit général, il n’est pas suffisant qu’il soit le
fait de la majorité des peuples, mais qu'il soit celui de la totalité des pays
qui pratiquent, actuellement, le régime de la Paix armée. Le désarmement
simultané, c'est celui qui se ferait le même jour, au même moment et dans les
mêmes conditions, sur un mot d'ordre convenu et en application d’un accord
intervenu entre les représentants officiellement accrédités de tous les
gouvernements. Enfin, pour qu'il soit considéré comme sincère, loyal, effectif,
il faut que ce désarmement général et simultané soit, au moment où il s'opère
et par la suite, soumis constamment et pour une période d'assez longue durée à
la surveillance d'un Comité de Contrôle, dont les membres dûment mandatés,
auront pour fonction de s’associer à des intervalles rapprochés, mais sans date
fixe et connue d'avance, que les conditions du désarmement sont strictement
respectées et, le cas échéant, d'en signaler les violations. A la lueur de ces
précisions, apparaissent immédiatement les multiples et graves difficultés,
lenteurs et résistances faisant obstacle à la réalisation d'un accord unanime
dont les stipulations les plus minutieuses devront être arrêtées et consenties
par tous les Etats. Il convient d'ajouter que, rien que pour entamer utilement
et avec de réelles chances de succès les négociations indispensables à la
conclusion d'un tel accord, il sied de supposer que l'atmosphère de défiance
que les Gouvernements capitalistes et autoritaires ont intérêt à entretenir
dans le but de diviser les peuples, afin de mieux régner, aura été, au
préalable, dissipée et remplacée par une atmosphère de rapprochement et de
confiance. Je ne pense pas qu'il soit utile que j'entre dans le détail et
j'aime à croire que ceux qui se disent des pacifistes et sèment de tels
obstacles sur la route du désarmement sont de faux amis de la Paix. On
reconnaîtra que, s'ils étaient des adversaires avérés du désarmement et, par
conséquent, de la Paix, ils ne prendraient pas une autre attitude, ils
n'exigeraient pas l'adoption préalable de conditions plus difficiles à réunir.
Pour s'en convaincre, il n'est que d'observer la conduite des Gouvernements et
des castes qui font à l'idée de Paix l'accueil le moins empressé. Ces castes et
ces gouvernements se gardent bien de se déclarer franchement hostiles au
courant qui emporte les hommes d'aujourd'hui, loin des champs de carnage. Sur
le plateau, ils se résignent à vilipender la guerre et à exalter la Paix ;
mais, sournoisement, tortueusement, dans les coulisses, ils s'ingénient à
gagner du temps en prolongeant le plus longtemps possible le statu quo dans
l'espoir inavoué que le désarmement, que les pacifistes intégraux assignent
comme but à leurs efforts immédiats, se fera attendre si longtemps encore, que
la guerre s'abattra sur le monde avant que les partisans déterminés et sincères
de la Paix aient pu réaliser leur volonté de désarmement. Je mets ceux qui
lisent ces lignes au défi de découvrir un gouvernant, un seul, un diplomate, un
seul, un militaire, un seul qui ait l'impudence de confesser qu'il désire,
qu'il appelle, qu'il veut la guerre. « Nous voulons la Paix ; nous sommes
résolus à tout faire - tout dans la limite de la dignité et des intérêts sacrés
du pays auquel nous appartenons - pour éviter la guerre. Nous envisageons
sympathiquement l'idée du désarmement ; mais nous nous opposerons avec la
dernière énergie à la mise en pratique de cette idée, aussi longtemps que la
Sécurité de notre pays restera incertaine et que les sentences arbitrales ne
disposeront pas des sanctions ayant la force d'en imposer le respect ! » Tel
est le langage dont ces Messieurs ne se départissent en aucune circonstance. Et
à l'appui de ces déclarations qui puent à plein nez l'hypocrisie, ces tartufes
continuent à garder des millions d'hommes sous les drapeaux et à jeter des
milliards dans le gouffre des armements. Cette ignoble bouffonnerie ne peut
être que le prologue de l'immonde tragédie que nous préparent, avec la
complicité des Gouvernements à la merci de la Phynance, les aigrefins de la
haute Banque et les flibustiers de la grande Industrie. Notre génération vit
une heure exceptionnellement grave : les excitations chauvines, les
fanfaronnades patriotardes, les traités à réviser, la surpopulation, la course
aux armements, les impérialismes déchaînés, les rivalités et convoitises
qu'exaspère le besoin de conquérir le marché mondial, peuvent, d'un jour à
l'autre, allumer l'incendie. La crise de chômage, crise d'une intensité exceptionnelle
et d'une étendue sans précédent peut pousser les Maîtres de l'heure qui ont
entre les mains les destinées humaines, vers une guerre de laquelle ils
attendraient et la liquidation des stocks incalculables que le système de la
rationalisation a accumulés aux quatre coins du globe et la liquidation du
matériel humain qui surabonde (il est plus facile, plus expéditif et moins
dispendieux, de faire tuer vingt travail, que de les nourrir). Folie, dira-t-on
? Sans doute ; mais cette démence criminelle ne l'emporte pas sur celle dont
l'odieux, le révoltant spectacle est sous nos yeux et qui consiste à précipiter
dans la mer, à détruire par le feu, à jeter dans les égouts et à laisser
systématiquement pourrir des produits périssables dont on préfère priver les
populations affamées plutôt que de diminuer ses profits. Pense on que les
bénéficiaires d'un régime social qui fatalise de telles monstruosités
reculeraient devant cette autre monstruosité : la Guerre, si, pris
d'affolement, saisis de panique, effrayés eux-mêmes par le cercle de feu dans
lequel leur cupidité, leur imprévoyance et leur imbécillité les ont enfermés,
ils n'entrevoyaient, à tort ou à raison, que ce moyen d'en sortir ? Je ne dis
pas : « la guerre est à nos portes » ; mais, avec tous ceux qui ont les yeux
ouverts sur les événements, en suivent le cours impétueux et gardent la
maîtrise d'eux général, je donne l'alarme, je sonne le tocsin. Je dis et je
redis que le temps presse, qu'il ne faut plus attendre davantage, que demain il
sera peut-être trop tard, qu'il est d'extrême urgence d'agir et d'agir
vigoureusement. Je m'adresse à tous les pacifistes et je leur dis : « Voulez
répondent : « Oui! » S'ils me demandent : « Le pouvons-nous ? » Je leur réponds
: « Oui ! » De quelle façon ? Par quels
moyens ? En un mot, que faire ? C'est ce qu'il me reste à exposer. * * * Avant
d'aller plus loin, jetons un coup d'œil sur la route que nous venons de
parcourir : le voyage se pour suivra et s'achèvera avec moins de fatigue. Par
des statistiques empruntées aux meilleures sources, j'ai rappelé les
épouvantables conséquences de toute nature dues à l'état de guerre dans lequel
les hommes ont vécu depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. J'ai
attiré l'attention sur celles infiniment plus désastreuses qu'entraînerait la
guerre de demain. Et, par cette succession de tableaux et de chif dégoût et la
haine de ce crime des crimes : la Guerre et avoir provoqué le désir fervent,
l'amour passionné de la Paix. Cela fait, j’ai démontré que la tâche qui réclame
le plus impérieusement l'effort immédiat et vigoureux des pacifistes de l'heure
actuelle consiste à empêcher la Guerre qui, sous la pression des circonstances
que peuvent cyniquement exploiter les Puissances d'argent, peut s'abattre
prochainement sur les Peuples. J'ai établi que l'unique moyen de barrer la
route au fléau qui menace, c'est, par le Désarmement, la cessation aussi
prompte que possible du régime de Paix armée, qui entretient entre les Peuples
une atmosphère de méfiance et d'hostilité, en même temps qu'il met à la
disposition des Gouvernements un appareil de force dont ils sont tentés de se
servir. J'ai prouvé que le Désarmement général, simultané et contrôlé dont on
parle dans les sphères officielles et dans les milieux parlementaires,
exigerait un temps si long que le péril de guerre imminente qu'il faut à tout
prix conjurer se transformerait presque immanquablement en réalité. Pour
compléter cette étude, je n'ai plus qu'à exposer et justifier le moyen que je
propose aux pacifistes de ce temps qui sont décidés à tout faire pour empêcher
les fauteurs de guerre de mettre à exécution leurs sinistres desseins. Le
désarmement unilatéral et sans condition de réciprocité. - Le moyen d'empêcher
les Gouvernements acculés à une impasse de tenter d'en sortir par la Guerre,
c'est le Désarmement unilatéral, sans condition de réciprocité ; il n'y en a
pas d'autre. Chaque Etat se déclare, en principe, prêt à désarmer... mais à la
condition que tous les autres Etats en fassent autant et au même moment. La
belle affaire ! Je ne sache pas qu'il y en ait un seul qui oserait dire aux
autres : « Désarmez si bon vous semble ; mais ne comptez pas que je suivrai
votre exemple. Quoi que vous décidiez et fassiez, moi, je reste armé ! » Au
surplus, il serait impossible à un Gouvernement - quel qu’il soit et quel qu'en
soit le chef : président, roi, empereur ou dictateur, de tenir un tel langage
et de conformer sa conduite à une telle déclaration : ce Gouvernement
ameuterait contre lui tout son peuple et susciterait la coalition, contre lui,
de tous les autres. Toutefois, si tous les Etats sans exception, affirment à la
face du Monde et solennellement qu'ils sont prêts à désarmer, aucun ne
manifeste l'intention de joindre l'acte à la parole. Aucun ne prend sur lui de
donner l'exemple ; en sorte que, dans ces conditions, un laps de temps fort
long peut s'écouler avant que cette volonté de désarmement s'affirme autrement
qu'en discours ; les Nations peuvent ainsi s'attendre les unes les autres
pendant des dizaines d'années ; et pourtant le temps presse. L'idée s'impose,
on le voit, que, en cette matière comme en toute autre, il est absolument
nécessaire qu’une nation commence, qu'elle prenne l'initiative de désarmer,
sans exiger des autres qu’elles fassent de même, sans attendre que les autres
soient décidées et prêtes à le faire, fût-elle, cette nation, toute seule à
désarmer, à assumer les responsabilités et à courir les risques que peut
comporter une mesure aussi grave. Je pense que le plus élémentaire bon sens se
range à cet avis et que ceux qui, sincèrement, loyalement et virilement,
travaillent à prévenir le retour de l'épouvantable catastrophe estimeront avec
moi que le désarmement que je propose est une nécessité. J'insiste : s'il est
acquis, en premier lieu, que le désarmement est absolument indispensable à
l'établissement de la Paix - et je crois avoir surabondamment démontré cette
nécessité que, au surplus, tous ceux qui ont étudié la question admettent ; -
s'il est acquis, en second lieu, que le désarmement général, simultané et
contrôlé ne peut se produire que dans un avenir indéterminé et, à coup sûr,
encore fort éloigné - et je pense que cette affirmation ne soulève aucune
contestation - la preuve est faite que, pour opposer à la guerre qui vient une
digue infranchissable, il n'y a pas d'autre moyen que le désarmement hic et
nunc dont une nation donnerait aux autres l'admirable exemple. Est-il besoin
d'ajouter que, plus puissante sera la nation entrant résolument et
volontairement dans la voie d'un désarmement immédiat, effectif et total, plus
considérables seront le retentissement et la portée de cet événement et, conséquemment,
la force d'attraction que cet exemple exercera sur les autres peuples ? Le
désarmement qu'effectuerait une petite nation (petite par l'étendue de son
territoire, par le nombre de ses composants et par la faiblesse relative de son
appareil de guerre) aurait incontestablement la même valeur morale que celle du
désarmement accompli par une nation plus puissante. Peut-être même pourrait-on
soutenir que ce geste emprunterait à cet ensemble de circonstances une beauté
particulière, une grandeur exceptionnelle. Mais il est évident qu'il ne
retentirait pas dans le monde à l'égal du coup de tonnerre que serait le même
geste accompli par une Puissance de premier ordre. Pour avoir toute la
signification, pour produire tous les effets qu'on en peut espérer, il faut
donc que ce désarmement initial soit le fait d'une grande et forte Puissance.
Alors seulement, le phare ainsi allumé projettera sur les régions ténébreuses
où s'agitent les brigands qui complotent coutre la paix du Monde et préparent
cyniquement les atrocités désastreuses de la guerre de demain, une clarté si
éblouissante et dont le rayonnement s'étendra si loin, que l'événement
deviendra, d'un seul coup, le plus considérable de l'Histoire humaine.
J'imagine une nation en possession de son plein développement, auréolée d'un
prestige indiscuté, disposant, sur terre, sur mer et dans les airs, d'une
organisation militaire formidable. Je suppose que, cédant à la poussée devenue
irrésistible de son peuple, le Gouvernement de cette nation prenne enfin conscience
de la folie criminelle des armements et que, de gré ou de force, il se décide à
désarmer. J'imagine que, avant d'en arriver là, il a fait tout ce qu'il était
en son pouvoir de faire pour entraîner les autres Gouvernement dans la voie du
désarmement. Mais il a constaté que ceux-ci s'attardent, hésitent et résistent.
Et voici toujours - que, sans attendre une résolution de désarmement général qui
ne vient pas, il rend sur lui de désarmer, seul et avant tous les autres. Il ne
s'agit pas d'un désarmement camouflé, truqué ou partiel, mais d'un désarmement
effectif, loyal et complet. Il brise les cadres de ses armées ; il licencie la
totalité de ses soldats ; il dépeuple ses casernes, ses bastions et ses forts ;
il vide ses manufactures d'armes, ses arsenaux maritimes et ses champs
d'aviation militaire ; il vide aussi ses parcs d'artillerie, ses dépôts de
munitions et ses poudrières ; il liquide tous ses stocks, approvisionnements et
réserves de guerre ; il cesse toute production destinée à la guerre et
transforme matières premières, machines et installations de toutes sortes en
outillage et produits d'utilité sociale ; il reporte sur les œuvres d'hygiène
et de vie, de culture intellectuelle et de solidarité les milliards
qu’engloutissaient, hier encore, l'entretien des armées, l'équipement et les
préparatifs de guerre ; il rompt tous les marchés et contrats passés avec les
industriels de la mort ; il annule toutes les commandes faites à ces
industriels ; bref, il ne se borne pas à déclarer qu'il désarme ; il fait de
cette déclaration une réalité dont il administre la preuve jusqu'à l'évidence.
Puis, par tous les moyens que le dernier mot de la Science met à sa
disposition, il lance dans le monde entier une proclamation ayant pour but de
faire connaître à tous les peuples la décision qu'il a prise et le désarmement
qu'il a effectué. On peut aisément prévoie l'incroyable émotion qui
s'emparerait des autres peuples à l'annonce d'un tel désarmement et à la
lecture d'une telle déclaration. Mais n'anticipons pas. Je reviens à ma
démonstration, au point précis où je l'ai laissée : donc il faut qu'une grande
Puissance désarme la première. Je serre de plus en plus mon argumentation et je
pose cette question : « Quelle peut et quelle doit être cette Puissance ? » Ma
réponse est nette ; je n'hésite pas : le choix à faire se limite à la France et
à l'Allemagne et j'appuie cette indication sur l'opinion que professent
unanimement ceux que tourmente le problème de la Guerre et de la Paix et qui
ont sérieusement étudié ce problème. Tous reconnaissent que la paix européenne
et, par extension, celle du monde est subordonnée au rapprochement
franco-allemand. Ils estiment judicieusement que tant que s'élèvera entre
l'Allemagne et la France la barrière de méfiance, d'hostilité, de rivalité et
de revanche qui les sépare, la Paix sera en péril. Ils pensent, au contraire,
que lorsque ces deux nations concluront sur la base de leurs intérêts
réciproques (et ceux-ci existent) l'entente désirable, l'Europe et, par
extension, le monde entier aura fait un pas décisif vers la Paix. Je partage
cette opinion. Il n'est pas question d'un traité d'alliance franco-allemand
(nous savons, par expérience, que ces sortes de traités qui lient deux ou
plusieurs Etats sont des machines de guerre dirigées contre les autres Etats) ;
il s'agit d'un accord qui amènera le rapprochement du peuple allemand et du
peuple français et consacrera le caractère de sympathie mutuelle et de
confiance réciproque des relations de toute nature qui peuvent et doivent
exister entre les Français et les Allemands. Je ne pousse pas l'optimisme
jusqu’à affirmer que le jour où ces relations existeront, la Paix sera assurée
; mais je crois et je dis que, ce jour-là, s'ouvrira une ère d'apaisement qui
favorisera tous les autres rapprochements, toutes les autres réconciliations
désirables et possibles ! je crois et je dis que, dans leur ensemble, ces
multiples rapprochements dissiperont rapidement l'atmosphère de bataille qui,
présentement, enveloppe l'humanité, qu'ils achemineront promptement les
peuples, dressés aujourd’hui à se méfier les uns des autres, à se mésestimer et
à se haïr, vers des rapports d'estime et de sympathie agissantes, prélude de la
réconciliation et précurseurs de la Paix. Puisque l'établissement de la Paix
est subordonné au rapprochement francoallemand, c'est de la France ou de
l'Allemagne que doit partir le signal du désarmement ; c'est à l'une de ces
Puissances de première grandeur que doit échoir l'honneur d'ouvrir la marche
vers la Paix par le Désarmement. De ces deux nations, quelle est celle qui doit
précéder l'autre dans la voie du désarmement ? Je réponds hardiment et sans la
moindre hésitation : la France. Mes raisons sont nombreuses ; voici les
principales : a) Tout d'abord, il faut tenir compte que de la guerre de
1914-1918 qui a mis l'Europe à feu et à sang, la France est sortie victorieuse
et l'Allemagne vaincue. Vainement fera-t-on observer que, durant plus de quatre
années, l'armée allemande, presque seule, a tenu tête, et victorieusement, et
sur un front d'une immense étendue, à la coalition des armées de France,
d'Angleterre, d'Italie, de Belgique, des Etats-Unis d'Amérique, etc. et que,
sans cette coalition écrasante en combattants, en matériel de guerre, en
ravitaillements de toute nature et en ressources de toutes sortes, la France
eût été dans la cruelle nécessité de se rendre. Le fabuliste a dit : En toutes
choses il faut considérer la fin. Cette maxime s'applique aux choses de la
Guerre : le résultat seul compte. Or, la fin de cette horrible guerre, c'est le
traité de Versailles, et ce traité proclame la défaite de l'Allemagne et son
écrasement. Quelles que soient les conditions dans lesquelles a été conclu le
traité de Versailles, celui-ci atteste - c'est le fait brutal - la défaite de
l'Allemagne. Cette défaite, c'est son abaissement dans le Monde et, par un jeu
de bascule facile à concevoir, l'élévation correspondante de la France
victorieuse. Aux yeux de tous les Peuples et devant l'Histoire (ou, plus
exactement ce qu'on appelle l'Histoire) la défaite est une marque d'infériorité
et une humiliation pour la nation vaincue et la victoire est un honneur, une
gloire et une marque de supériorité pour la Puissance victorieuse. b) Les
traités en vigueur ont limité à cent mille hommes les effectifs militaires de
l'Allemagne ; ils ont réduit à un minimum proportionné à ces effectifs les
armements de cette nation. L'Allemagne, dans ces conditions, apparaît désarmée
déjà par rapport à la France et aux autres pays qui ont eu et ont encore toute
licence de porter au maximum leur appareil de guerre. Etant donné cela, le
désarmement officiel et total de l'Allemagne ressemblerait fort à la
reconnaissance d'un état de choses existant déjà et pourrait être perfidement
interprété soit comme une manifestation d'impuissance ou de découragement, soit
comme une manœuvre tendant à amener les autres nations à désarmer également.
Par contre, la France, avec ses six cent mille hommes sous les drapeaux, ses
formidables armements et ses quatorze milliards de dépenses annuellement
inscrits à son budget de guerre, en désarmant volontairement - car rien ne l'y
obligerait - ne pourrait être accusée ni de faiblesse, ni de découragement,
mais, tout au contraire, apporterait à tous les peuples la certitude et la
preuve qu'elle renonce, à tout jamais, à l'emploi de la force, bien que, en ce
qui concerne les moyens de défense et d'attaque que comporte le souci de sa
propre sécurité, elle soit en mesure de rivaliser avec n'importe quel antre
pays. c) Depuis plusieurs années, le Gouvernement de la France, par la voix
autorisée de son ministre des Affaires étrangères et de ses agents
diplomatiques, n'a cessé de proclamer officiellement son inébranlable attachement
à la Paix. Elle se flatte officiellement d'avoir fait, en toutes occasions, les
concessions et de s'être imposé tous les sacrifices par lesquels il lui était
possible de prouver la volonté pacifiste qui l'anime. Désarmer avant les autres
nations, ce serait établir de la façon la plus éclatante, entre ses
déclarations et ses actes, l'harmonie qu'exige la plus élémentaire sincérité.
d) A ces considérations d'ordre général vient s'ajouter celle-ci qui est
d'ordre particulier : puisque le hasard a voulu que je sois Français de
naissance, il est naturel que je travaille à répandre dans mon pays l'idée de
désarmement volontaire et immédiat que je préconise et que je lui demande
d'être le premier à effectuer le désarmement que j'estime être indispensable à
l'instauration du régime de Paix dont je désire si profondément le prochain
avènement. Il serait étrange que, vivant en France, propageant en France, par
l'écrit et par la parole, l'idée que je développe au cours de cette étude sur
la Paix, et le vaste problème qu'elle soulève, je m'adressasse à une autre
nation que la France et que je misse tout autre Etat en demeure de désarmer,
aux lieu et place de l'Etat français. Aux pacifistes d'Allemagne, d'Angleterre
et de chaque pays, il appartient d'exercer chez eux l'apostolat que j'exerce
chez moi. Quel que soit le pays dans lequel il vit et dont il parle la langue,
tout véritable pacifiste a le devoir impérieux de préconiser le désarmement
sans condition de réciprocité. Tous : Allemands ou Français, Anglais ou Italiens,
Espagnols ou Yougoslaves, Polonais ou Russes, tous doivent, avec une égale
activité, mener, dans leur propre pays, une campagne énergique en faveur du
désarmement immédiat et pousser l'opinion publique à faire pression sur son
Gouvernement respectif, afin d'imposer à celui-ci, dans le plus bref délai,
sous la poussée d'un courant pacifiste devenu irrésistible, le désarmement
nécessaire. Alors, quelle que soit la grande Puissance qui, la première,
désarmera, elle aura l'approbation enthousiaste de tous les pacifistes des
autres nations ; la tâche de ceux-ci se trouvera singulièrement facilitée ; il
suffira d'un vigoureux et suprême effort pour que les autres Gouvernements
soient sommés par leur peuple de suivre l'exemple et de désarmer à leur tour.
Ainsi seront écartés en grande partie les dangers que le désarmement sans
condition de réciprocité pourrait faire courir à la nation qui aura eu la
hardiesse de désarmer avant les autres. La meilleure preuve - et en réalité la
seule - qu'il soit possible de donner de la loyauté et de la ferveur avec
lesquelles on défend une Idée, c'est incontestablement de conformer sa conduite
aux exigences de cette Idée, quelles que puissent être les conséquences d'une
telle conduite. L'anarchiste n'attend pas, pour pratiquer l'abstention qu'il
soit convenu que tous les électeurs s'éloigneront des urnes électorales : il ne
vote pas. L'anarchiste qui affirme et prouve la malfaisance des Chefs et des
Maîtres n'attend pas, pour refuser toute fonction qui l'obligerait à se
conduire en maître ou en chef, que personne ne consente à assumer une de ces
fonctions ; il ne tente rien pour en être investi et, si elle lui est offerte,
il la refuse. Il y a, de même, des hommes qui, pour ne pas prendre les armes et
pour se soustraire à l'obligation militaire, n'attendent pas que ce refus
devienne le fait général : ils entrent en révolte immédiate contre l'impôt du
sang. Ces hommes, ce sont les objecteurs de conscience. (Voir Conscience et
Objection de conscience.) Ils ne cèdent à aucune pression, à aucune menace ;
ils ne se rendent à aucune sommation. Ayant compris l'horreur du métier dont la
jeunesse fait l'apprentissage à la caserne ; ayant saisi la criminalité de
toutes les guerres, quelles qu'en soient les origines et les fins ; leur
conscience leur interdisant de consentir bénévolement à être assassins ou
victimes, ils se refusent, en temps de paix comme en temps de guerre, à tuer ou
à être immolés au nom de la Patrie et pour la Défense dite nationale. Ils
pratiquent le désarmement avant la lettre et dans l'espoir que leur exemple
sera de plus en plus suivi. Ils puisent dans leur noble conscience la certitude
qu'un jour viendra où le désarmement universel résultera automatiquement du
refus universel de prendre les armes ; où les combats cesseront faute de
combattants ; où la Guerre mourra parce que personne ne consentira à la faire.
Ce geste est d'une magnifique beauté, d'une exceptionnelle noblesse et d'une
vaillance digne d'admiration. Il est, en outre, d'un enseignement précis et
profond. Donc, accueillons avec une chaude amitié l'exemple que donnent à tous
les objecteurs de conscience et glorifions-le. Mais, il faut bien le reconnaître
: cet exemple, purement individuel, est parfois passé sous silence ; il n'a
qu'une portée restreinte. L'objecteur de conscience est traîné en Conseil de
Guerre. Il est condamné ; il entre en prison. Au bout de quelques mois, le
silence et l'oubli se font. Son acte n'a pas été inutile ; car, dans l'effort :
écrit, parole ou action, rien n'est complètement vain ; mais son sacrifice n'a
eu et ne pouvait avoir qu'un retentissement faible et éphémère ; son exemple ne
pouvait être suivi que d'un petit nombre d'imitateurs. Eh bien ! Le désarmement
de tout un peuple, alors que les autres peuples restent armés jusqu'aux dents,
c'est l'objection de conscience dépassant le cadre individuel et s'étendant
jusqu'aux frontières d'une grande et puissante nation. Ce désarmement, c'est le
témoignage de la conscience de toute une collectivité nationale se refusant à
la Guerre, ne voulant plus recourir aux armes ni confier au sort des batailles
sanglantes le triomphe de ses intérêts et l’affirmation de son Droit ; c'est l'engagement
public, officiel, positif et solennellement observé de ne plus se battre, de
placer l'amour de la grande famille, solide et permanente, que forme
l'humanité, bien au-dessus de l'amour de cette petite famille (?) qui repose
sur l'idée fragile et changeante de la Patrie. Tel est l'aspect philosophique,
moral et social du Désarmement que je propose à la conscience des hommes et des
femmes de France, comme en Allemagne, en Angleterre et partout, d'autres
militants de la Paix le conseillent aux hommes et aux femmes d'Angleterre,
d'Allemagne et des autres pays. * * * Halte ! Respirons un instant ; reprenons
haleine, voyons où nous en sommes de la démonstration en cours et serrons de
plus en plus notre argumentation : Il s'agit d'empêcher A TOUT PRIX la guerre
qui, dans l'état actuel de trouble et d'effervescence, peut nous surprendre et
qui entraînerait l'extermination de l'espèce et l'effondrement de la
civilisation. Nous avons acquis la conviction que l'unique moyen de faire échec
à cette abominable éventualité, c’est le désarmement. Mais il n'est pas douteux
que le désarmement général, simultané et contrôlé exigera de longues années
avant que soient réunies toutes les conditions indispensables à sa mise en
application. Or, il faut aller vite, très vite et, par suite, il sied
d'abandonner provisoirement la thèse de la sécurité et de l’arbitrage
aboutissant à ce désarmement général et simultané. Je dis PROVISOIREMENT, car,
bien loin d'équivaloir à l'abandon définitif du Désarmement universel qui reste
la condition sine qua non de la Paix mondiale, le désarmement unilatéral que je
préconise est appelé, par la vertu d'exemplarité, dont nul ne nie la force, et
par la situation nouvelle qu'il déterminera, à brûler les étapes qui conduiront
infailliblement au désarmement général et simultané. La Paix internationale et
permanente continue à être le but à atteindre et le désarmement général demeure
le moyen d'atteindre ce but ; mais, au lieu de chercher à atteindre ce but par
le moyen beaucoup trop compliqué et qui exigerait un temps infiniment trop long
: la sécurité, l'arbitrage et le désarmement général, simultané et contrôlé, je
propose un moyen beaucoup moins compliqué et beaucoup plus rapide : le
désarmement sans condition de réciprocité, dont une Puissance de premier ordre
donnerait l'exemple et je pense - et je crois avoir justifié ce sentiment - que
la France doit être cette Puissance.
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