Hebdomadaire dont le premier numéro parait le 13 octobre 1934.
Un encart d’Elisée Reclus :
« Par définition même,
l’anarchiste est l’homme libre, celui qui n’a point de maitre. Les idées qu’il
professe sont bien siennes par le raisonnement ; sa volonté, née de la
compréhension des choses, se concentre vers un but clairement défini ; ses
actes sont la réalisation directe de son dessein personnel…Lui seul est un
homme ; lui seul à conscience de sa valeur en face de toutes ces choses
molles et sans consistance qui n’osent pas vivre de leur propre vie. »
Editorial :
Ce titre « la Conquête du
Pain », sur lequel s'est fixé le choix du groupe initiateur, n'est pas
seulement évocateur d'une grande œuvre et d'une grande figure dont s'honore le
mouvement anarchiste, il ne constitue pas seulement pour nous, modestes ouvriers
de l'idéal libertaire, un rappel exemplaire et constant d'une époque et d'une
génération de lutteurs, de théoriciens, d'apôtres et de héros comme nul
mouvement émancipateur n'en aligna jamais - il a une signification concrète,
précise, qu'il doit aux circonstances mêmes que nous traversons. Qu'y a-t-il en
effet de plus actuel, de plus tragiquement actuel, de plus angoissant, de ce
problème du pain dont Kropotkine, il y a un demi-siècle, nous brossait le
tableau en des fresques où l'esprit du savant se combinait magnifiquement avec
l'enthousiasme du poète, où la grandiose beauté des anticipations hardies
s'alliait intimement avec la méthode rigoureuse du statisticien ? Les faits
sont là : Une génération crucifiée agonise; quarante millions d'hommes sont «
de trop » en Europe ; la jeunesse est sans avenir; l'adolescence sans espoir et
sans horizons. Qu'offre le vieux monde aux « Jeunesses »?
Du SPORT ! Du SPORT qui
détruit l'intelligence et stérilise les sources de la beauté morale, de
l'élévation spirituelle.
Du sport qui, sous l’euphémisme
de « culture physique », n'est en réalité qu'une mise en route savante, méthodique,
systématique des générations montantes vers des charniers en préparation... Car
la terre n'a pas encore assez bu de sang ! On invoque la fatalité.
FATALITE ECONOMIQUE que le
manque de pain dans un état de production pléthorique ?
FATALITE SOCIALE que la préparation
à la guerre et la guerre elle-même?
FATALITE HUMAINE que le
malheur universel sévissant en dépit d'un progrès mécanique dispensateur de
merveilles dont l'homme, frappé de la tare originelle, ne sait pas faire son
profit?
FATALITE?
Non pas. Organisation criminelle
de la société ; principe vicieux de l'ordre capitaliste. C'est à cela, c'est
aux causes foncières qu'il faut s'attaquer résolument... Nous entendons par «
conquête du pain » l'abolition de I' « Ordre » bourgeois, la refonte complète des
institutions et des mœurs, la reconstruction d'un monde nouveau.
En créant cet organe nous
marquons notre volonté de ne pas nous « laisser faire », et de ne pas LAISSER
FAIRE. Nous pensons pouvoir regrouper les énergies éparses, coordonner les
efforts dispersés, rompre enfin l'état de dépression qui n’a que trop longtemps
duré, revaloriser, si l'on peut dire, l’esprit anarchiste là où il est défaillant
et mal compris et féconder ainsi la propagande. Dépouillé de dogmatisme et de
doctrinarisme, incompatibles avec la vie, cet organe doit devenir le bon
instrument d'une lutte salutaire. Que les bonnes volontés s’affirment en
harmonie avec nous. Et « la Conquête du Pain » ne tardera pas, nous en avons la
conviction ferme, à prendre un essor et une force de pénétration qui attesteront
de la vigueur de l'esprit libertaire.
Mais la « conquête du pain »
signifie encore autre chose. Les systèmes d'autorité se flattent de résoudre le
problème social D'UN POINT DE VUE MATERIEL : Cela pourrait-iI suffire ? Non.
Car le pain, sans la liberté, ne peut être qu'amer.
Il faut VIVRE LIBRE
Or, la liberté ne se donne
pas, elle se prend ; elle se conquiert de haute lutte et elle se conserve de
même. De là la nécessité de susciter des hommes capables de conquérir la liberté,
dignes d'en jouir et aptes à la conserver. Voilà quelle sera la forme du combat
que nous voulons mener : c'est un combat pour la subsistance matérielle, doublé
d'un combat POUR L'INDIVIDU. L'objectif est un : libérer l'homme, affranchir la
société humaine, en sapant, en détruisant, en extirpant tout ce qui doit
disparaître, tout ce qui porte la marque de l'esprit esclave. Intégrer la
personnalité humaine dans une société libérée, n'est rien d'autre gue le combat
traditionnel des anarchistes. Il va plus loin que la démocratie avortée de 89,
bien qu'historiquement il procède de la grande épopée révolutionnaire dont on
peut dire que la bourgeoisie a terni le caractère et faussé le principe moteur.
* *
Présentement la société
capitaliste est engagée universellement dans une passe critique. Les maîtres et
leurs valets contiennent avec peine les forces volcaniques que leur système
enfante Inéluctablement ainsi que nos pionniers l’ont prédit.
Il faut des retouches, ou il
faut la guerre, ou la dictature, ou la révolution.
« Quelque chose »
doit ou va se produire ! Et bien ce « quelque chose » à quoi
travaillent les forces occultes et tant d’autres qui n’ont pas besoin de mettre un masque, ce « quelque
chose » à quoi l’élément « foule » est appelée à donner son
cachet, ne pouvons-nous pas l’influencer et, dans une certaine mesure, lui
imprimer l’empreinte de nos idées ?
Un grand drame social se
joue. Il faudrait bien être aveuglé de parti pris ou bien pauvre de caractère,
pour ne pas comprendre que devant les forces barbares, la self défense commande
de sortir de ses retranchements, de sa tour d’ivoire. L’expectative et l’isolement
sont mortels. C’est toujours, d’ailleurs, avec la complicité du silence et de
la passivité, que se renforcent les chaines et que se perpétrent les attentats
de l’autorité, quelle qu’elle soit, contre l’homme.
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