Le néologisme « Pacifiste » fut, lancé après 1900, par Emile Arnaud, un théoricien de la paix, président de la Ligue internationale pour la Paix et la Liberté. Le substantif « Pacifisme » existait. déjà. Il correspondait à « Pacifique ». Le Pacifisme, dit le Congrès de Munich de 1907 est : « Le groupement d’hommes et de femmes de toutes nationalités qui recherchent les moyens de supprimer la guerre, d’établir l’ère sans violences et de résoudre par le droit les différents internationaux ». Le Pacifisme, dit Sève, dans son cours d’enseignement pacifiste, n’est que l’application de la morale aux relations des peuples. Il est, comme la morale, basé sur le respect de la personne humaine.
Aujourd’hui, le mouvement
pacifiste manifeste moins d’unité qu’avant la guerre. En dehors de l’union des
Sociétés de la paix, sous l’égide de laquelle se réunissaient tous les anciens
Congrès, nous avons l’action internationale démocratique pour la Paix, fondée
par Marc Sangnier, l’Internationale des résistants à la Guerre, la ligue
internationale des femmes pour !a Paix et la Liberté, l’Union des associations
pour la Société des Nations. Recherchant une définition qui puisse s’appliquer
à tous les mouvements et toutes les théories au moins aussi hardies dans leur
opposition à la guerre que le vieux mouvement de la Paix, mais n’excluant pas
ceux qui professent une condamnation de la guerre encore plus intransigeants et
plus catégorique, et des méthodes de lutte plus énergiques, nous appelons
Pacifisme : « l’ensemble des doctrines condamnant le principe de la guerre,
préconisant l’application de la morale aux rapports entre les peuples,
poursuivant l’abolition des guerres, la solution des conflits internationaux
par des moyens pacifiques, tendant à l’instauration d’un régime de paix internationale
permanente. »
Tandis qu’un « Pacifique »
peut se contenter de désirer la paix pour lui-même et son pays et peut croire
que cette paix sera assurée par les méthodes que préconisent les Nationalistes,
le « Pacifiste » condamne l’idée de violences entre États, affirme que les
relations entre les Peuples doivent être soumises à des principes moraux ou à
des normes juridiques, veut la paix, non pas seulement pour sa patrie, mais
pour le monde entier : Paix par le respect du droit, par le développement de la
solidarité ou par la fraternité et l’amour.
Cette définition englobe
donc les tendances pacifistes les plus diverses ; les unes condamnant la guerre
défensive, les autres admettant le droit de légitime défense pour les États ;
les unes condamnant l’idée de Patrie, les autres conciliant le Patriotisme et
l’esprit international ; les unes considérant comme possible l’établissement
d’un régime de droit et de Paix dans l’État Social actuel, les autres tenant
comme improbable l’abolition des guerres tant que le Capitalisme ne sera pas
abattu, ou bien tant que la division de l’Humanité en Nations n’aura pas
disparu.
On peut être Pacifiste en
partant du point de vue internationaliste, sur les droits et devoirs des
peuples, sur la solidarité qui les lie ou doit les lier, considérer que la Paix
permanente sera le résultat de l’organisation de rapports de justice entre les
nations. On peut être Pacifiste en se plaçant au point de vue individualiste.
La doctrine métapolitique et supranationale de Foilin, envisage surtout une
modification des rapports des individus avec les États, condamne la guerre et
le service militaire comme comportant l’asservissement de l’individu au groupe,
tient la méconnaissance des droits primordiaux des individus, l’excès des
pouvoirs accordés aux organismes d’autorité, la croyance à la fiction des
intérêts nationaux, comme les principales causes des guerres. On peut être
pacifiste en partant du point de vue humanitaire et évangélique. L’anarchiste
chrétien Tolstoï envisage surtout les rapports des hommes entre eux, s’oppose à
la guerre parce que contraire aux principes de l’amour du prochain et au devoir
absolu qui en découle : le respect de la vie. Selon Tolstoï, la violence ne
cessera que lorsque les hommes refuseront d’y coopérer.
On peut enfin professer un
Pacifisme synthétique à la fois individualiste et solidariste, à la fois
internationaliste et humanitaire, proclamer que la justice doit dominer les
rapports entre les hommes, entre les peuples et les relations de l’État et des
individus. On peut préconiser à la fois la résistance populaire énergique à la
guerre, le refus collectif ou individuel d’y coopérer et l’effort pour
l’organisation de la Paix.
Toutes les théories
pacifistes répudient la guerre en tant que moyen de règlement des différends
entre les Peuples ; toutes s’opposent au bellicisme, à la politique
impérialiste, au culte de la force, à la haine entre les peuples, à
l’oppression des peuples faibles par les peuples forts, aux diverses formes du
despotisme international. Mais il semble que nous devions mettre en évidence
les idées dominantes du pacifisme moderne, celles qui rallient le plus souvent la
majorité dans les Congrès de la Paix, celles qui inspirent l’effort des
pacifistes constructeurs. Elles se résument en deux affirmations essentielles :
— a) Les Rapports entre les Nations sont régis
par les mêmes principes généraux de droit et de morale que les rapports entre
individus. — b) Pour protéger la vie et
la liberté des peuples, il faut étendre sur le plan international les
institutions qui protègent la, vie et la liberté des hommes à l’intérieur des
Nations.
Ce dernier principe ne
signifie pas que l’on doive transporter dans le domaine international les
iniquités et les abus que l’organisation nationale présente plus ou moins dans
tous les pays mais seulement que les solutions que l’homme a réalisées ou qu’il
aspire à réaliser dans la Cité doivent s’élargir et s’étendre jusqu’à
l’ensemble de la Civilisation. Les Peuples ont à peu près les mêmes droits et
les mêmes devoirs dans l’Internation que les individus et les familles dans la
Nation. Ils ont le droit essentiel de vivre eu travaillant.
Tout différend entre
Nations, non résolu à l’amiable, doit être réglé par la voie juridique. Nul
n’ayant le droit de se faire justice lui-même, aucune Nation ne peut déclarer
la Guerre à une autre. L’autonomie de tout pays est inviolable ; le droit de
libre disposition des peuples est inaliénable et imprescriptible. Les Nations
sont solidaires les unes des autres.
Sur le plan juridique, la
méthode d’organisation de la Paix consiste à prévoir le règlement juridique
obligatoire de tout différend non résolu a l’amiable, élaboration d’un Code
international public complet réglant les obligations et droits des États, la
mise hors la loi de toute guerre et de toute préparation de la Guerre, donc
l’interdiction des forces militaires nationales.
Sur le plan politique, les
Pacifistes avaient toujours préconisé une fédération des peuples comportant :
un organe législatif, un organe judiciaire et un organe exécutif. La plupart
des Pacifistes constructeurs considèrent que la Société des Nations actuelle
doit être transformée. Il faut qu’elle réunisse dans son sein toute l’Humanité
; qu’elle acquière une autorité souveraine au moins sur les questions de la
Paix et tous les moyens propres à imposer ses décisions (la souveraineté des
États doit donc être considérablement limitée ; elle doit évoluer dans un sens
plus démocratique). Le Congrès de Valence de 1926 préconisait l’établissement
du suffrage populaire international ; un parlement international doit être
l’émanationdirecte des peuples. La Paix ne sera instituée dans le monde que le
jour où sera substitué à la souveraineté absolue et désordonnée des États la
souveraineté de la loi internationale votée par un parlement international
économique et politique.
Sur le plan économique, les
Pacifistes préconisent le libre échange, l’établissement d’une charte
internationale définissant les droits et les devoirs des Nations relativement à
leurs rapports économiques, et les droits de l’Internation ; le contrôle de la
répartition des matières première, l’internationalisation de certaines
richesses naturelles, de certains territoires et de certaines voies de
communications. La Ligue Internationale des femmes pour la Paix et la Liberté
envisageait qu’aux trois pouvoirs classiques : législatif, exécutif et
judiciaire, fût ajouté un pouvoir économique.
En résumé, les Pacifistes
les plus hardis préconisent l’institution d’un Sur-État ; il faut que chaque
Nation limite son indépendance aux questions qui n’intéressent pas l’ensemble
de la communauté humaine.
Les deux problèmes sur
lesquels les Pacifistes sont le plus divisés sont celui des sanctions et celui
de la défense nationale. Un ancien Congrès proclamait que les sanctions
exécutives des décisions arbitrales ne devaient jamais avoir le caractère d’une
guerre.
Beaucoup de pacifistes
modérés envisagent la nécessité de guerres de sanctions collectives contre un
agresseur. D’autres condamnent tout principe de sanction. La plupart sont
d’accord pour admettre les sanctions économiques et financières.
Les partisans du « Sur-État
» préconisent souvent l’institution d’une force armée internationale ; de
nombreux pacifistes condamnent autant une force militaire au service de la
Société des Nations qu’une force armée nationale. Selon un point de vue
intermédiaire, il faut distinguer entre l’armée et la police. Si l’on admet
certaines mesures de police, pourquoi en laisser le monopole aux États
nationaux ? ... Pourquoi ne pas les internationaliser ?... Une police
internationale aiderait à contrôler le maintien du désarmement ; elle devrait
avoir un caractère préventif et ne prendre les armes que lorsqu’il s’agirait de
protéger la vie.
En tout cas, il faut
distinguer l’idée de sanctions en général et l’idée de sanctions par les armes.
Les moyens coercitifs dont disposerait une autorité mondiale puissante sont
très divers.
Les plus justes sanctions
sont celles qui frapperaient non pas un peuple en bloc, mais les individus
coupables et responsables : gouvernements rebelles, chefs de bandes
irrégulières, fabricants d’armements clandestins, provocateurs à la guerre,
auteurs de la publication de fausses nouvelles, etc... Selon une tendance
nouvelle, l’individu doit devenir sujet de droit international. Certains droits
fondamentaux des hommes doivent être proclamés et protégés ; certaines
obligations du citoyen du monde envers la communauté mondiale doivent être
précisées.
Sur la question de la «
Défense Nationale », le point de vue des Pacifistes intégraux, gagne chaque
jour du terrain. Le vieux principe « les Nations ont, comme les individus, le
droit de légitime défense », est chaque jour battu en brèche. Le président du
bureau international de la Paix, Henri Lafontaine, écrivait, dans un rapport
destiné au Congrès d’Athènes de 1920 : « L’assimilation entre le droit de
légitime défense de l’individu et celui d’une collectivité nationale est tout à
fait erronée. Pour l’individu, il n’y a, le plus souvent, d’autres alternatives
que de périr ou de frapper son adversaire, et encore l’individu attaqué
trouve-t-il des moyens de défense au sein de la collectivité dont il fait
partie. I1 n’en est pas de même pour une collectivité nationale ; en cas
d’attaque directe ou suspectée, elle peut subir des dommages, mais elle n’est
pas menacée de mort. Les Peuples, à de rares exceptions près, ont survécu aux
aventures guerrières, même les plus tragiques.
Selon une résolution votée
par ce Congrès, i1 faut faire disparaître du pacte de la Société des Nations
toute disposition qui permet à un État ou à un groupe d’États, en vertu d’une
décision prise par lui ou par eux, et fût-ce pour leur propre défense, de
recourir à la force armée, toute décision de cette nature devant appartenir à
une autorité internationale. Le Congrès français de Valence, réunissant des
organisations pacifistes très diverses, alla plus loin et se prononça en faveur
du refus de servir en cas de guerre. Il condamna totalement la légitime défense
guerrière et défendit contre la loi le principe de l’objection de conscience.
Loin de nous l’idée de
prétendre que tous les pacifistes ou presque condamnent toute guerre, même
défensive. C’est pourquoi nous préférons réserver l’épithète de « pacifiste
intégral » à ceux dont l’opposition à la guerre ne comporte aucune réserve.
Mais, tandis qu’avant la
guerre de 1914, la plupart de ceux qui condamnaient le devoir de défendre son
pays par les armes se plaçaient à un point de vue religieux ou à un point de
vue révolutionnaire (Tolstoïsme ou Hervéisrne), sans parler du point de vue
Anarchiste, aujourd’hui, nous voyons des hommes qui, sans être des Extrémistes
en politique, sans s’inspirer d’aucun mysticisme religieux, professent une
opposition totale à la guerre, fondée sur des principes moraux purement
rationnels et sur un idéal démocratique. La majorité de ces Rationalistes ne
condamnent pas la défense légitime individuelle, mais refusent d’y assimiler la
défense légitime nationale, qui atteint tant d’innocents et provoque des maux plus
grands que ceux qu’elle a pour but d’éviter.
Aujourd’hui, étant donné le
caractère moderne des guerres, l’accroissement formidable du nombre des
victimes que provoqueront les armes chimiques et microbiennes, toute défense
par la guerre sera nuisible à l’intérêt public, tant de la communauté humaine
que de la Communauté nationale.
La différence des points de
vue sur la défense nationale entraîne une différence sur l’idée de désarmement.
L’ensemble des vrais
pacifistes a comme idéal le désarmement total des Nations (sauf peut-être une
minorité modérée qui se contenterait de la réduction jointe à un pacte
d’assistance mutuelle). La plupart des Pacifistes considèrent, dès à présent,
le désarmement comme un facteur de sécurité et d’apaisement moral. Mais les plus
hardis acceptent l’idée du désarmement uni-latéral, et croient à la vertu de
l’exemplarité (voir le mot Paix). Pour hâter le jour où toutes les Nations
auront abandonné leur armement, condition nécessaire d’une véritable fédération
du Monde, il faut qu’un ou plusieurs peuples donnent l’exemple.
Comme conclusion nous
exprimerons le vœu et l’espoir que le mouvement pacifiste continue a s’orienter
dans la voie d’un pacifisme intégral et synthétique, préconisant à la fois la
pression populaire la plus énergique contre le déclenchement des guerres et
l’effort, pour l’institution d’un régime de Paix permanente. Le seul point de
vue pouvant séparer le Pacifisme internationaliste et démocratique du Pacifisme
anarchiste est que, selon ce dernier, la Paix permanente exige l’abolition
complète de l’État. Il nous semble qu’elle exige seulement la limitation du
pouvoir des États Nationaux. Ce pouvoir doit être limité : d’une part, par les
droits de la Communauté mondiale organisée ; d’autre part, par le respect de
certains droits primordiaux des individus.
Les anarchistes doivent, en
tous cas, se demander si toutes les critiques qu’ils dirigent contre l’État
National s’appliqueraient à un État fédéral mondial. Faisons aussi remarquer
qu’on ne peut appeler le mouvement pacifiste en général « Pacifisme bourgeois
». Les solutions qu’il préconise, notamment sur le plan économique, s’inspirent
souvent beaucoup plus de la pensée socialiste que de la pensée libérale. La composition
des Congrès comporte un élément croissant de Socialistes, de syndicalistes, de
socialisants. Nous ne parlons pas de l’internationale des résistants à la
guerre chez laquelle les adversaires du régime social sont en grande majorité.
Le Congrès démocratique international pour la Paix, à Bruxelles, proclamait que
la diminution de la puissance capitaliste, l’accroissement de l’influence des
classes laborieuses sont des facteurs importants de paix.
Les mouvements
internationaux nouveaux insistent beaucoup plus que le Pacifisme ancien sur les
liens entre la. question Sociale et la question Internationale. Remarquons
d’ailleurs que les solutions pratiques préconisées par l’internationale
Socialiste se rapprochent, souvent des propositions du mouvement pacifiste
proprement dit. De plus, il n’y a rien dans la Doctrine Pacifiste orthodoxe,
sous sa forme hardie, s’opposant à l’idée que le triomphe de son programme sera
le résultat de la victoire politique des classes ouvrières. Toutefois, il
semble à la majorité des théoriciens du Pacifisme qu’un régime de Fédération
mondiale doit pouvoir réunir des pays dont le système politique et Social est
très différent et n’exige donc pas l’abolition complète du régime capitaliste
dans le monde entier.
Mais sur de nombreuses
revendications, notamment sur l’idée de désarmement et celle d’arbitrage, les
Pacifistes démocrates socialisants, les pacifistes professant le Socialisme
révolutionnaire et les anti-militaristes anarchistes peuvent se trouver
d’accord et agir en commun, même si sur l’idéal final ou sur la solution
complète leurs idées sont divergentes.
- René Valfort
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