jeudi 8 juin 2023

PACIFISME, PACIFISTE encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 

Le néologisme « Pacifiste » fut, lancé après 1900, par Emile Arnaud, un théoricien de la paix, président de la Ligue internationale pour la Paix et la Liberté. Le substantif « Pacifisme » existait. déjà. Il correspondait à « Pacifique ». Le Pacifisme, dit le Congrès de Munich de 1907 est : « Le groupement d’hommes et de femmes de toutes nationalités qui recherchent les moyens de supprimer la guerre, d’établir l’ère sans violences et de résoudre par le droit les différents internationaux ». Le Pacifisme, dit Sève, dans son cours d’enseignement pacifiste, n’est que l’application de la morale aux relations des peuples. Il est, comme la morale, basé sur le respect de la personne humaine.

Aujourd’hui, le mouvement pacifiste manifeste moins d’unité qu’avant la guerre. En dehors de l’union des Sociétés de la paix, sous l’égide de laquelle se réunissaient tous les anciens Congrès, nous avons l’action internationale démocratique pour la Paix, fondée par Marc Sangnier, l’Internationale des résistants à la Guerre, la ligue internationale des femmes pour !a Paix et la Liberté, l’Union des associations pour la Société des Nations. Recherchant une définition qui puisse s’appliquer à tous les mouvements et toutes les théories au moins aussi hardies dans leur opposition à la guerre que le vieux mouvement de la Paix, mais n’excluant pas ceux qui professent une condamnation de la guerre encore plus intransigeants et plus catégorique, et des méthodes de lutte plus énergiques, nous appelons Pacifisme : « l’ensemble des doctrines condamnant le principe de la guerre, préconisant l’application de la morale aux rapports entre les peuples, poursuivant l’abolition des guerres, la solution des conflits internationaux par des moyens pacifiques, tendant à l’instauration d’un régime de paix internationale permanente. »

Tandis qu’un « Pacifique » peut se contenter de désirer la paix pour lui-même et son pays et peut croire que cette paix sera assurée par les méthodes que préconisent les Nationalistes, le « Pacifiste » condamne l’idée de violences entre États, affirme que les relations entre les Peuples doivent être soumises à des principes moraux ou à des normes juridiques, veut la paix, non pas seulement pour sa patrie, mais pour le monde entier : Paix par le respect du droit, par le développement de la solidarité ou par la fraternité et l’amour.

Cette définition englobe donc les tendances pacifistes les plus diverses ; les unes condamnant la guerre défensive, les autres admettant le droit de légitime défense pour les États ; les unes condamnant l’idée de Patrie, les autres conciliant le Patriotisme et l’esprit international ; les unes considérant comme possible l’établissement d’un régime de droit et de Paix dans l’État Social actuel, les autres tenant comme improbable l’abolition des guerres tant que le Capitalisme ne sera pas abattu, ou bien tant que la division de l’Humanité en Nations n’aura pas disparu.

On peut être Pacifiste en partant du point de vue internationaliste, sur les droits et devoirs des peuples, sur la solidarité qui les lie ou doit les lier, considérer que la Paix permanente sera le résultat de l’organisation de rapports de justice entre les nations. On peut être Pacifiste en se plaçant au point de vue individualiste. La doctrine métapolitique et supranationale de Foilin, envisage surtout une modification des rapports des individus avec les États, condamne la guerre et le service militaire comme comportant l’asservissement de l’individu au groupe, tient la méconnaissance des droits primordiaux des individus, l’excès des pouvoirs accordés aux organismes d’autorité, la croyance à la fiction des intérêts nationaux, comme les principales causes des guerres. On peut être pacifiste en partant du point de vue humanitaire et évangélique. L’anarchiste chrétien Tolstoï envisage surtout les rapports des hommes entre eux, s’oppose à la guerre parce que contraire aux principes de l’amour du prochain et au devoir absolu qui en découle : le respect de la vie. Selon Tolstoï, la violence ne cessera que lorsque les hommes refuseront d’y coopérer.

On peut enfin professer un Pacifisme synthétique à la fois individualiste et solidariste, à la fois internationaliste et humanitaire, proclamer que la justice doit dominer les rapports entre les hommes, entre les peuples et les relations de l’État et des individus. On peut préconiser à la fois la résistance populaire énergique à la guerre, le refus collectif ou individuel d’y coopérer et l’effort pour l’organisation de la Paix.

Toutes les théories pacifistes répudient la guerre en tant que moyen de règlement des différends entre les Peuples ; toutes s’opposent au bellicisme, à la politique impérialiste, au culte de la force, à la haine entre les peuples, à l’oppression des peuples faibles par les peuples forts, aux diverses formes du despotisme international. Mais il semble que nous devions mettre en évidence les idées dominantes du pacifisme moderne, celles qui rallient le plus souvent la majorité dans les Congrès de la Paix, celles qui inspirent l’effort des pacifistes constructeurs. Elles se résument en deux affirmations essentielles :

  a) Les Rapports entre les Nations sont régis par les mêmes principes généraux de droit et de morale que les rapports entre individus. —  b) Pour protéger la vie et la liberté des peuples, il faut étendre sur le plan international les institutions qui protègent la, vie et la liberté des hommes à l’intérieur des Nations.

Ce dernier principe ne signifie pas que l’on doive transporter dans le domaine international les iniquités et les abus que l’organisation nationale présente plus ou moins dans tous les pays mais seulement que les solutions que l’homme a réalisées ou qu’il aspire à réaliser dans la Cité doivent s’élargir et s’étendre jusqu’à l’ensemble de la Civilisation. Les Peuples ont à peu près les mêmes droits et les mêmes devoirs dans l’Internation que les individus et les familles dans la Nation. Ils ont le droit essentiel de vivre eu travaillant.

Tout différend entre Nations, non résolu à l’amiable, doit être réglé par la voie juridique. Nul n’ayant le droit de se faire justice lui-même, aucune Nation ne peut déclarer la Guerre à une autre. L’autonomie de tout pays est inviolable ; le droit de libre disposition des peuples est inaliénable et imprescriptible. Les Nations sont solidaires les unes des autres.

Sur le plan juridique, la méthode d’organisation de la Paix consiste à prévoir le règlement juridique obligatoire de tout différend non résolu a l’amiable, élaboration d’un Code international public complet réglant les obligations et droits des États, la mise hors la loi de toute guerre et de toute préparation de la Guerre, donc l’interdiction des forces militaires nationales.

Sur le plan politique, les Pacifistes avaient toujours préconisé une fédération des peuples comportant : un organe législatif, un organe judiciaire et un organe exécutif. La plupart des Pacifistes constructeurs considèrent que la Société des Nations actuelle doit être transformée. Il faut qu’elle réunisse dans son sein toute l’Humanité ; qu’elle acquière une autorité souveraine au moins sur les questions de la Paix et tous les moyens propres à imposer ses décisions (la souveraineté des États doit donc être considérablement limitée ; elle doit évoluer dans un sens plus démocratique). Le Congrès de Valence de 1926 préconisait l’établissement du suffrage populaire international ; un parlement international doit être l’émanationdirecte des peuples. La Paix ne sera instituée dans le monde que le jour où sera substitué à la souveraineté absolue et désordonnée des États la souveraineté de la loi internationale votée par un parlement international économique et politique.

Sur le plan économique, les Pacifistes préconisent le libre échange, l’établissement d’une charte internationale définissant les droits et les devoirs des Nations relativement à leurs rapports économiques, et les droits de l’Internation ; le contrôle de la répartition des matières première, l’internationalisation de certaines richesses naturelles, de certains territoires et de certaines voies de communications. La Ligue Internationale des femmes pour la Paix et la Liberté envisageait qu’aux trois pouvoirs classiques : législatif, exécutif et judiciaire, fût ajouté un pouvoir économique.

En résumé, les Pacifistes les plus hardis préconisent l’institution d’un Sur-État ; il faut que chaque Nation limite son indépendance aux questions qui n’intéressent pas l’ensemble de la communauté humaine.

Les deux problèmes sur lesquels les Pacifistes sont le plus divisés sont celui des sanctions et celui de la défense nationale. Un ancien Congrès proclamait que les sanctions exécutives des décisions arbitrales ne devaient jamais avoir le caractère d’une guerre.

Beaucoup de pacifistes modérés envisagent la nécessité de guerres de sanctions collectives contre un agresseur. D’autres condamnent tout principe de sanction. La plupart sont d’accord pour admettre les sanctions économiques et financières.

Les partisans du « Sur-État » préconisent souvent l’institution d’une force armée internationale ; de nombreux pacifistes condamnent autant une force militaire au service de la Société des Nations qu’une force armée nationale. Selon un point de vue intermédiaire, il faut distinguer entre l’armée et la police. Si l’on admet certaines mesures de police, pourquoi en laisser le monopole aux États nationaux ? ... Pourquoi ne pas les internationaliser ?... Une police internationale aiderait à contrôler le maintien du désarmement ; elle devrait avoir un caractère préventif et ne prendre les armes que lorsqu’il s’agirait de protéger la vie.

En tout cas, il faut distinguer l’idée de sanctions en général et l’idée de sanctions par les armes. Les moyens coercitifs dont disposerait une autorité mondiale puissante sont très divers.

Les plus justes sanctions sont celles qui frapperaient non pas un peuple en bloc, mais les individus coupables et responsables : gouvernements rebelles, chefs de bandes irrégulières, fabricants d’armements clandestins, provocateurs à la guerre, auteurs de la publication de fausses nouvelles, etc... Selon une tendance nouvelle, l’individu doit devenir sujet de droit international. Certains droits fondamentaux des hommes doivent être proclamés et protégés ; certaines obligations du citoyen du monde envers la communauté mondiale doivent être précisées.

Sur la question de la « Défense Nationale », le point de vue des Pacifistes intégraux, gagne chaque jour du terrain. Le vieux principe « les Nations ont, comme les individus, le droit de légitime défense », est chaque jour battu en brèche. Le président du bureau international de la Paix, Henri Lafontaine, écrivait, dans un rapport destiné au Congrès d’Athènes de 1920 : « L’assimilation entre le droit de légitime défense de l’individu et celui d’une collectivité nationale est tout à fait erronée. Pour l’individu, il n’y a, le plus souvent, d’autres alternatives que de périr ou de frapper son adversaire, et encore l’individu attaqué trouve-t-il des moyens de défense au sein de la collectivité dont il fait partie. I1 n’en est pas de même pour une collectivité nationale ; en cas d’attaque directe ou suspectée, elle peut subir des dommages, mais elle n’est pas menacée de mort. Les Peuples, à de rares exceptions près, ont survécu aux aventures guerrières, même les plus tragiques.

Selon une résolution votée par ce Congrès, i1 faut faire disparaître du pacte de la Société des Nations toute disposition qui permet à un État ou à un groupe d’États, en vertu d’une décision prise par lui ou par eux, et fût-ce pour leur propre défense, de recourir à la force armée, toute décision de cette nature devant appartenir à une autorité internationale. Le Congrès français de Valence, réunissant des organisations pacifistes très diverses, alla plus loin et se prononça en faveur du refus de servir en cas de guerre. Il condamna totalement la légitime défense guerrière et défendit contre la loi le principe de l’objection de conscience.

Loin de nous l’idée de prétendre que tous les pacifistes ou presque condamnent toute guerre, même défensive. C’est pourquoi nous préférons réserver l’épithète de « pacifiste intégral » à ceux dont l’opposition à la guerre ne comporte aucune réserve.

Mais, tandis qu’avant la guerre de 1914, la plupart de ceux qui condamnaient le devoir de défendre son pays par les armes se plaçaient à un point de vue religieux ou à un point de vue révolutionnaire (Tolstoïsme ou Hervéisrne), sans parler du point de vue Anarchiste, aujourd’hui, nous voyons des hommes qui, sans être des Extrémistes en politique, sans s’inspirer d’aucun mysticisme religieux, professent une opposition totale à la guerre, fondée sur des principes moraux purement rationnels et sur un idéal démocratique. La majorité de ces Rationalistes ne condamnent pas la défense légitime individuelle, mais refusent d’y assimiler la défense légitime nationale, qui atteint tant d’innocents et provoque des maux plus grands que ceux qu’elle a pour but d’éviter.

Aujourd’hui, étant donné le caractère moderne des guerres, l’accroissement formidable du nombre des victimes que provoqueront les armes chimiques et microbiennes, toute défense par la guerre sera nuisible à l’intérêt public, tant de la communauté humaine que de la Communauté nationale.

La différence des points de vue sur la défense nationale entraîne une différence sur l’idée de désarmement.

L’ensemble des vrais pacifistes a comme idéal le désarmement total des Nations (sauf peut-être une minorité modérée qui se contenterait de la réduction jointe à un pacte d’assistance mutuelle). La plupart des Pacifistes considèrent, dès à présent, le désarmement comme un facteur de sécurité et d’apaisement moral. Mais les plus hardis acceptent l’idée du désarmement uni-latéral, et croient à la vertu de l’exemplarité (voir le mot Paix). Pour hâter le jour où toutes les Nations auront abandonné leur armement, condition nécessaire d’une véritable fédération du Monde, il faut qu’un ou plusieurs peuples donnent l’exemple.

Comme conclusion nous exprimerons le vœu et l’espoir que le mouvement pacifiste continue a s’orienter dans la voie d’un pacifisme intégral et synthétique, préconisant à la fois la pression populaire la plus énergique contre le déclenchement des guerres et l’effort, pour l’institution d’un régime de Paix permanente. Le seul point de vue pouvant séparer le Pacifisme internationaliste et démocratique du Pacifisme anarchiste est que, selon ce dernier, la Paix permanente exige l’abolition complète de l’État. Il nous semble qu’elle exige seulement la limitation du pouvoir des États Nationaux. Ce pouvoir doit être limité : d’une part, par les droits de la Communauté mondiale organisée ; d’autre part, par le respect de certains droits primordiaux des individus.

Les anarchistes doivent, en tous cas, se demander si toutes les critiques qu’ils dirigent contre l’État National s’appliqueraient à un État fédéral mondial. Faisons aussi remarquer qu’on ne peut appeler le mouvement pacifiste en général « Pacifisme bourgeois ». Les solutions qu’il préconise, notamment sur le plan économique, s’inspirent souvent beaucoup plus de la pensée socialiste que de la pensée libérale. La composition des Congrès comporte un élément croissant de Socialistes, de syndicalistes, de socialisants. Nous ne parlons pas de l’internationale des résistants à la guerre chez laquelle les adversaires du régime social sont en grande majorité. Le Congrès démocratique international pour la Paix, à Bruxelles, proclamait que la diminution de la puissance capitaliste, l’accroissement de l’influence des classes laborieuses sont des facteurs importants de paix.

Les mouvements internationaux nouveaux insistent beaucoup plus que le Pacifisme ancien sur les liens entre la. question Sociale et la question Internationale. Remarquons d’ailleurs que les solutions pratiques préconisées par l’internationale Socialiste se rapprochent, souvent des propositions du mouvement pacifiste proprement dit. De plus, il n’y a rien dans la Doctrine Pacifiste orthodoxe, sous sa forme hardie, s’opposant à l’idée que le triomphe de son programme sera le résultat de la victoire politique des classes ouvrières. Toutefois, il semble à la majorité des théoriciens du Pacifisme qu’un régime de Fédération mondiale doit pouvoir réunir des pays dont le système politique et Social est très différent et n’exige donc pas l’abolition complète du régime capitaliste dans le monde entier.

Mais sur de nombreuses revendications, notamment sur l’idée de désarmement et celle d’arbitrage, les Pacifistes démocrates socialisants, les pacifistes professant le Socialisme révolutionnaire et les anti-militaristes anarchistes peuvent se trouver d’accord et agir en commun, même si sur l’idéal final ou sur la solution complète leurs idées sont divergentes.

- René Valfort

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