On appelle moyen âge la
période des temps dits « historiques » de l'humanité qui s'est écoulée entre
l'antiquité et la Renaissance, commencement des temps modernes. Cette division
des temps est particulière à l'Europe occidentale ; l'Orient ne la connaît pas
ou ne l'a pas adoptée.
Les historiens font
généralement commencer le moyen âge à l'an 395, date du partage de l'empire
romain entre les fils de Théodose, et le font finir en 1453, l'an de la prise
de Constantinople par les Turcs. Cette délimitation du moyen âge par deux dates
est absolument arbitraire, comme le sont le plus souvent les précisions de ce
genre. Elles sont un moyen mnémonique commode pour conserver le souvenir des
événements, mais elles ont le grave défaut, comme c'est le cas ici, de laisser
ignorer sinon de fausser le véritable caractère de ces événements en faisant
croire qu'ils ont été spontanés, sans relations antérieures alors qu'ils ont eu
au contraire des causes lointaines, profondes, auxquelles ils ont été
étroitement liés.
Les temps historiques sont
ceux sur lesquels on possède des documents suffisants pour établir, avec plus
ou moins d'exactitude, mais d'une façon continue l'histoire de l'humanité.
C'est dire que les commencements de ces temps reculent de plus en plus dans le
lointain passé appelé préhistoire (voir ce mot) à mesure que de nouveaux
documents toujours plus anciens sont découverts. Pendant longtemps on n'a vu
l'origine des temps historiques que d'après la Bible et l'histoire du peuple
Hébreu qu'elle raconte. Les découvertes de documents beaucoup plus anciens,
dont la Bible a été tirée en grande partie, on démontré qu'avant les Hébreux
d'autres peuples, autrement grands et puissants, s'étaient manifestés et
avaient préparé cette civilisation dont ils avaient recueilli les fruits. Les
connaissances actuelles font remonter, d'après de Morgan « la première œuvre
historique à 10 000 ans environ ». On ne peut dire si les trouvailles
incessantes de l'archéologie ne feront pas reculer encore cette origine à de
nombreux siècles en arrière.
L'antiquité, première
période de l'histoire, a vu la formation, l'apogée et l'effondrement,
parallèles ou successifs, des grands empires des régions orientales d'où sont
sortis, puisés aux sources iraniennes des temps mythiques, les éléments de
notre civilisation. Celui des Elamites, considérable il y a quarante siècles, a
été célébré par la légende de Gigalmès. Sa capitale était Suse et sa domination
s'étendait jusqu'aux bords méditerranéens. Les Assyriens lui disputèrent
pendant quinze siècles la souveraineté sur les pays de la Mésopotamie. Suse fut
pillée par Assurbanipal 650 ans avant J.-C. En face de l'empire assyrien et de
sa plus célèbre capitale, Ninive, était le royaume de Babylone, dont les
documents archéologiques constatent l'existence 4 000 ans avant J.-C. et les
empires des Mèdes et des Perses. Pendant cinquante siècles, les races se
combattirent et se mélèrent dans les pays d'Iranie, avant qu'elles fussent en
rapport avec l'Occident et que, de celle communication, l'antiquité produisit,
en Grèce, la plus admirable floraison de pensée et d'art que l'humanité eût
connue. Il y avait eu des contacts divers par des expéditions guerrières et les
déplacements de tribus nomades, mais la rencontre historique, celle qui
détermina le courant des relations et des influences ininterrompues depuis, se
fit lorsque Alexandre le Grand, entreprenant la conquête de l'Asie, alla
jusqu'à l'Indus après avoir dépassé les pays de l'Iranie orientale, la
Bactriane et l'Arachosie. D'autres expéditions d'Alexandre mirent l'Occident en
contact avec l'Égypte qui était depuis longtemps en relation avec la Chaldée.
L'unité de la pensée
humaine, transmise par les vieilles civilisations orientales à l'Occident, est
manifeste (voir Littérature). Elle a été une fois de plus démontrée dans les
ouvrages de M. Victor Bérard resumés dans sa Résurrection d'Homère, récemment
publiée. Aussi, est-ce dans la rencontre, et dans la compénétration qui
s'ensuivit, des civilisations orientale s avec l'Occident qu'on devait voir les
commencements du moyen âge occidental, plutôt que dans ma victoire – qui n'en
est qu'une conséquence bien secondaire quoique des plus néfastes pour ceux qui
l'ont subie et la subissent encore – des imposteurs du christianisme sur le
vieux monde païen. Le christianisme n'a tant d'importance pour nous que parce
qu'il se manifeste encore dans la période très relative du temps où nous
vivons. Combien de religions, différentes dans les apparences, mais semblables
dans le fond, avaient avant lui installé leurs frelons dans la ruche humaine
sans réussir à arrêter le véritable travail de la pensée et de l a connaissance
! Dans quelques centaines d'années, la religion judéo-grecque, qui porte le nom
du Christ comme celles qu'elle a remplacées portaient ceux de Mithra, de
Jupiter etc., sera aussi oubliée qu'elles, et les charlatans qui courbent
encore de nos jours des millions de têtes sous leur signe de la croix ne
compteront pas plus, dans la mémoire des hommes, que leurs ancêtres, les
prêtres de Cybèle qui dansaient dans les rues de Rome en l'honneur de cette
déesse, ou que les sorciers du centre africain qui vantent la puissance
mystérieuse de leurs gri-gris. Le véritable moyen âge devrait être considéré
avec une portée plus haute l'étendant à une humanité plus vaste que celle
parcellaire de l'Europe, et à un temps moins conventionnellement délimité, car on
devrait enfin tenir compte que l'Europe n'est pas le monde entier malgré sa
mégalomanie impérialiste, et que les trois quarts des hommes se sont toujours
passés du christianisme malgré tout ce qu'on a fait pour le leur imposer par le
feu et par le sang. Pour nous, qui ne voulons tenir compte que des grands
courants humains, le moyen âge a commencé aux temps homérides qui ont vu la
première manifestation en Occident, des idées dont il ferait sa civilisation et
qui l'uniraient spirituellement avec l'Orient. Nous le voyons se prolonger dans
notre temps, et plus loin dans l'avenir tant que la raison humaine ne se sera
pas libérée de toutes les superstitions qui perpétuent l'esclavage de l'homme
et retardent l'avènement des temps nouveaux.
Lorsqu'on limite le moyen
âge entre ces deux dates, ou d'autres qui n'ont pas plus de raisons d'être
choisies : 395, partage de l'empire romain – 1453, chute de l'empire d'Orient,
on le renferme entre deux murs, on l'isole comme s'il n'avait pas eu de communication
avec les temps qui l'ont précédé et suivi, comme s'il avait été le produit
d'une génération spontanée que rien ne faisait prévoir, et comme s'il avait été
arrêté brusquement pour s'évanouir dans le passé en ne laissant aucune trace.
De telles précisions de dates historiques sont incompatibles avec les faits
sociaux qui ont eu, au contraire, entre-eux, de très étroites et très complexes
relations, ayant été à la fois, dans leur succession, des effets de causes
précédentes et des causes d'effets 'subséquents. Tel événement qui parait avoir
été subit, auquel personne ne semblait s'attendre, a eu parfois des siècles de
préparation. La relation entre les événements sociaux est aussi étroite
qu'entre les phénomènes naturels.
Il y a plus d'apparence
d'exactitude chez ceux qui font coïncider le commencement du moyen âge avec
celui de l'ère chrétienne. Mais ils ne tiennent pas compte que le début de ce
qu'on appelle « l'ère chrétienne » a été tout aussi arbitrairement fixé, pour
des raisons politiques étrangères à l'évolution sociale dont le christianisme
n'a été que le résultat, et qui l'ont fait attribuer à la révélation d'un homme
et d'une vérité qu'on ne soupçonnait pas.
Si, comme on le prétend
aujourd'hui, le christianisme a eu une telle importance que son avènement a
changé la face du monde et a inauguré une autre époque de l'histoire de
l'humanité, pourquoi n'a-t-on pas fait commencer l'ère chrétienne, et avec elle
le moyen âge, au moment où le christianisme est devenu religion officielle à la
place du paganisme ? C'est que l'événement ne présentait pas alors l'importance
et n'avait pas surtout cette netteté qu'on lui a donnée depuis en en faisant
une cause alors qu'il n'était qu'un effet. Le christianisme n'était pas du tout
une révélation nouvelle apportée par un homme-dieu venu sur la terre à un
moment donné ; il était l'écho de multitudes de voix venues de tous les côtés
depuis des siècles, il était la nouvelle forme de l'aspiration fraternitaire
des hommes que le paganisme avait déçus, il était né de ce paganisme dont il
avait reçu la substance foncière, substance qu'il dénaturerait lui aussi par
ses dogmes pour tromper à son tour l'humanité. Ce ne fut qu'en composant
longtemps avec la vieille religion que le christianisme put lui être substitué,
et il ne put se maintenir sans continuer à s'en assimiler les moyens,
c'est-à-dire en se faisant païen quand le paganisme refusait de se faire
chrétien. Il en fut tellement ainsi que, malgré toutes les victoires du
christianisme, lorsqu'il s'agit de fixer le commencement de l'ère chrétienne,
ce fut celle païenne d'Auguste qui fut proposée à plusieurs reprises et
définitivement adoptée en l'an 800 par Charlemagne. On a voulu justifier ce
choix en faisant coïncider l'époque présumée de la naissance du Christ avec le
début de l'ère d'Auguste. En fait, il n'y eut là qu'une adaptation au paganisme
montrant que le personnage du Christ n'était qu'une nouvelle incarnation du
mythe solaire auquel appartenaient déjà Osiris, Mithra, Jupiter, Bouddha, et
une foule d'autres. Tous les noms des mois sont demeurés ceux du calendrier
d'Auguste. Plusieurs célèbrent des dieux ou de grands personnages : Janvier
(Janus), Mars (le dieu de ce nom), Mai (Maïa-nus-Jupiter),
Juin (Junius-Junon), Août (particulièrement le mois d'Auguste). L'imitation
servile fut continuée et poussée si loin que, contre toute logique, september,
october, november et décember qui désignaient normalement les septième,
huitième, neuvième et dixième mois dans le calendrier romain, ne furent pas
changés et demeurèrent les noms des quatre derniers mois, bien que leur nombre
fut porté à douze, dans le calendrier grégorien composé en 1582.
Bien avant qu'il prît un
caractère de secte de plus en plus particulier, d'abord chez les juifs, puis en
se dégageant d'eux pour faire une religion nouvelle, le christianisme avait eu
une longue préparation dans l'antiquité, il était dans l'esprit de révolte universel
avant que la mystique juive lui donnât la forme messianique et que l'imposture
religieuse s'en servit pour en faire un nouveau moyen de domination. C'est
parce que le christianisme promettait la justice sociale que les foules
plébéiennes et esclaves vinrent à lui. Il les déçut encore plus que les autres
religions. Le prêtre chrétien remplaça ceux du paganisme et rien ne fut changé.
Lorsque, en 325, soixante-dix ans avant la date officielle de la chute de
l'empire romain, le concile de Nicée se réunit et formula les principes
politiques qui seraient ceux de l'Église catholique, le nouveau programme
d'asservissement humain fut établi. Les dieux païens pouvaient disparaitre,
l'empire pouvait crouler dans le sanglant crépuscule de l'antiquité : tout se préparait
pour maintenir les hommes dans la géhenne sociale et perpétuer leur
exploitation au profit de nouveaux maitres, sous de nouvelles formes
d'autorité. Au nom d'un Christ venu « pour les sauver !... » ce serait
l'Église, puissance à la fois spirituelle et temporelle, ce serait la
Féodalité, ce serait la Royauté qui détermineraient ces formes, en attendant
que les temps modernes apportassent celles fallacieusement appelées «
démocratiques » dans lesquelles la blagologie des anciens esclaves devenus les maîtres
est aussi malfaisante que l'imposture religieuse. « Les droits aux grands, les
devoirs aux petits » (J, Andrieu), voilà la formule que prononça dans des
termes moins nets, mais suffisamment démontrée par les faits, le concile de
Nicée, comme l'avaient déclaré tous les autocrates et théocrates passés, comme
le déclareraient tous les autocrates et théocrates futurs. Les démocrates
changeraient la formule mais laisseraient subsister les actes.
Le christianisme, sur lequel
il y a lieu d'insister, parce qu'il est considéré par les historiens comme la
pierre d'angle de la nouvelle formation sociale succédant au paganisme et à
l'empire romain, ne fut donc pas une création spontanée et n'eut pas, dans les
premiers siècles, l'importance que lui ont attribuée des légendes aussi fausses
que nombreuses. La chute de l'empire romain ne fut pas davantage un événement
imprévu et subit. Au contraire. Lorsqu'elle fut enregistrée historiquement, il
y avait déjà longtemps qu'elle était accomplie, et elle avait été l'œuvre de
plusieurs siècles. Tous les événements qui caractérisent le moyen âge ne furent
que le résultat de longues élaborations qui ne paraissent mystérieuses que
parce qu'on ne les a pas suffisamment étudiées. Les historiens ont néglige
généralement la recherche des causes profondes et lointaines des événements
qu'ils ont racontés pour s'en tenir aux faits superficiels. Renfermés dans un
esprit étroit de classification chronologique, et n'ayant surtout que le désir
de flatter les puissants du jour en célébrant ceux du passé, ils ont fait des
deus ex machina de personnages qui n'étaient que des minus-habens soumis à
toutes les contingences. Les notions historiques ont été ainsi complètement
faussées et l'histoire est devenue du plutarquisme. (Voir ce mot). Elle a été
réduite aux faits et gestes des rois et de leurs satellites. Pour M. Maurras,
par exemple, l'histoire des « quarante rois qui ont fait la France » est toute
celle du pays. En raison du même principe, l'histoire a particulièrement
négligé les quatre premiers siècles de l'ère chrétienne et l'enchevêtrement si
complexe de leurs évènements, pour ne mettre en évidence que quelques dates et
quelques faits favorables surtout à l'Église. Elle ne s'est presque pas occupée
entre-autres de la lutte engagée entre Rome et les barbares dès le temps
d'Auguste. Ces barbares furent, bien autrement que le christianisme, les
instruments de la fin de l'empire. Le christianisme n'arriva que pour
parachever leur œuvre en tuant l'esprit là où ils n'avaient que bouleversé les
institutions.
Nous ne pouvons écrire ici
une histoire de cette période de quinze siècles, si particulièrement agitée,
qu'on appelle le moyen âge. Elle a, dans la formation du monde occidental
européen, la même importance que les bouleversements géologiques dans celle des
continents. Nous indiquerons seulement ses faits principaux pour donner une
idée de son caractère général.
L'événement principal du
moyen âge fut dans les invasions des Barbares, nom qu'on donna aux nombreux
peuples étrangers qui se répandirent dans l'empire romain et multiplièrent
leurs incursions pendant près de dix siècles. Ces invasions furent le facteur
principal de la chute de l'empire. On leur doit le développement du
christianisme qui, très probablement, n'aurait jamais existé si l'empire était
demeuré puissant. De l'état social nouveau qu'elles amenèrent sortirent la
Féodalité et la Royauté comme puissances dominantes, les Communes comme centres
de résistance de l'esprit de liberté.
La décadence et l'agonie de
l'empire furent longues ; elles durèrent plus de cinq cents ans, paraissant
parfois arrêter leur marche dans des périodes si brillantes qu'elles furent celles
de la plus grande puissance romaine. Mais le colosse tremblait sur des pieds
d'argile, le ver était dans le cœur de l'arbre. Le cœur de l'arbre était la
liberté. Le ver était le despotisme avec tous ses abus d'autant plus dangereux
qu'ils affectaient des formes démocratiques. Lorsque le ver eut complètement
rongé le cœur, l'arbre s'écroula. La victoire des Barbares, puis de l'Église
dont ils se firent les dociles instruments, fut alors facile.
La véritable force de Rome,
celle d'où elle tira tout ce qu'elle eut de réellement grand fut dans
l'organisation de la République et la liberté de ses citoyens. Cette force lui
avait permis de résister à toute l'Italie, puis de vaincre Carthage et de se
soumettre à la Grèce. Elle commença à se désagréger dans les conséquences des
guerres qui aggravèrent la différence des situations entre nobles et
prolétaires. Des luttes intérieures favorisèrent de plus en plus les
entreprises dictatoriales des consuls et Octave accomplit sous le nom d'Auguste
ce que le poignard de Brutus n'avait pas laissé le temps à Jules César de
réaliser : l'établissement de l'empire. Dès ce moment, la liberté romaine qui
agonisait depuis César, fut morte. Le Sénat fut soumis à l'empereur. Le
citoyen, qui n'avait été soldat qu'aux moments de la défense de la patrie pour
reprendre ensuite la charrue ou le marteau, fut remplacé par l'armée permanente
des légions de mercenaires qui mirent l'empire à l'encan pour augmenter leur
solde (donativum) et furent prêtes à servir toutes les entreprises des
prétoriens pour ou contre Rome. Le citoyen, laboureur et ouvrier, devint
l'esclave écrasé d'impôts. La corruption se développa avec la puissance
militaire et aventurière. Les temps d'Auguste, célèbrés par le plutarquisme,
donnèrent, sous leurs apparences glorieuses, le signal des turpitudes où
s'enfoncèrent de plus en plus les sanglants histrions devenus maîtres de
l'empire et dont on ne peut dégager que quelques belles figures d'hommes : Marc
Aurèle, disciple d'Epictète, Julien, Majorien. Ceux-ci n'étaient pas à leur
place en étant au pouvoir et ils semblent n'y avoir été mis que pour « empêcher
la prescription contre la vertu ». (J. Andrieu.) L'empire n'était plus qu'un
immense et somptueux décor de théâtre ; il éblouissait le monde, mais ses
constructions s'effondreraient lorsqu'il serait attaqué sérieusement. Néron
mourant disait que le monde perdait en lui un grand artiste !... Le dernier qui
donna à Rome cette gloire théâtrale, Dioclétien, qui se faisait appeler
Jupiter, enterra définitivement les restes de la République sous les pompes
asiatiques de son pouvoir absolu. Le partage qu'en 395 Théodose fit de l'empire
entre ses deux fils consacra un état d'épuisement auquel les Barbares portèrent
les coups suprêmes. Ils donnèrent à Rome ses derniers empereurs et signèrent sa
mort officielle en déposant, en 475, cet Augustule qui en clôtura
définitivement la série.
Déjà, dans les années 102 et
101 avant J.-C., les Cimbres et les Teutons ayant envahi la Gaule et l'ayant
traversée, avaient été une menace pour Rome. Ils avaient été arrêtés par les
légions de Marius à Pourrières et à Verceil. Leur invasion avait été le premier
débordement sur les territoires romains du flot des populations que poussaient
vers l'Occident, depuis plusieurs siècles, la terrifiante émigration des Huns
descendus du désert du Kobi. Ils avaient rejeté devant eux les Vandales et les
Germains qui s'étaient répandus dans le Nord européen. La pression de cette
émigration devenant plus forte, les invasions furent plus fréquentes et plus
impétueuses. Au IVème siècle, le gouvernement de Constance Chlore dut soutenir
l'assaut, en Gaule, des Alamans. Une nouvelle expédition du même peuple fut
arrêtée par Julien à la bataille de Strasbourg. Mais il ne fut bientôt plus
possible de résister. La Gaule vit s'installer chez elle les Franks qu'elle
avait déjà subis comme mercenaires au service de Dioclétien et de Julien. Dès
le milieu du Vème siècle, ils avaient cinq établissements sur son territoire.
La Gaule fut ravagée par les peuples qui la traversèrent pour aller en Espagne,
les Suèves, les Vandales, les Alains (405406). Les Burgondes s'établirent entre
la Saône et le Jura pendant que les Wisigoths, descendant vers les Pyrénées,
devinrent maîtres du sud-ouest et passèrent en Espagne où ils refoulèrent les
Vandales. Ceux-ci allèrent dans l'Afrique du Nord fonder une nouvelle Carthage.
Dans le Vème siècle, Rome
fut prise cinq fois et fut plus ou moins détruite par les Wisigoths, les
Vandales, les Hérules, les Ostrogoths et les Suèves dont les invasions se
succédèrent. L'Église, qui avait favorisé ces invasions et s'établissait peu à
peu sur les ruines de l'empire, obtint d'Attila que les Huns respectassent la
ville. Les Huns, arrivés les derniers dans la Gaule, ne purent s'y faire leur
place. Ils furent battus dans les Champs Catalauniques, près de Châlons, et
quittèrent le pays. La Gaule vit encore venir, par la Loire, les Saxons qu'elle
refoula. Ils s'établirent en Grande-Bretagne avec les Angles qui donnèrent au
pays le nom d'Angleterre. Au VIème siècle, les Avares furent arrêtés en Gaule
par les Austrasiens, et les Lombards par les Burgondes. Les invasions cessèrent
en Gaule jusqu'au VIIIème siècle où les Arabes, venus par l'Espagne, furent
vaincus par Charles Martel à Poitiers. Les Normands s'installèrent en Normandie
au IXème siècle et firent ensuite la conquête de l'Angleterre au XIème siècle.
Les Barbares s'étaient
répandus et établis dans l'Europe entière et dans l'Afrique du Nord. Leur
mélange avec les populations allogènes fit des peuples nouveaux chez qui les
caractéristiques des races primitives se fondirent de plus en plus, et
produisit une civilisation nouvelle dont la formation fut plus ou moins précoce
et rapide, suivant que la paix le permit. Les Barbares avaient généralement les
qualités et les défauts des peuples primitifs et, sauf les Arabes, ils
n'avaient apporté aucune forme de civilisation ; au contraire. Bien que venus
de l'Orient, ils ne furent nullement les messagers de sa lumière – ce rôle
glorieux fut dévolu aux Arabes ; – ils ne la perçurent et ne la sentirent que
plus tard, lorsque leur assimilation aux peuples conquis les eut assagis et
leur eut fait prendre contact avec cette générosité de pensée et ce sentiment
de la beauté répandus dans le monde antique par la Grèce, après les avoir reçus
elle-même de l'Asie. Les Barbares furent surtout des vainqueurs préoccupés
d'affermir leur domination. Ces hommes de la nature d'une rusticité primitive
et à la fois candides et féroces, se corrompirent vite dans la corruption de
l'empire continuée par celle de l'Église. Leur défaut de culture intellectuelle
était trop conforme aux intérêts de cette dernière pour qu'elle ne se servît
pas habilement d'eux. Après avoir appelé elle-même leurs invasions contre
l'empire, elle leur donna l'absolution de leurs turpitudes. Ils ne se firent
que mieux ses complices. C'est grâce a elle que, durant le moyen âge, puis dans
les temps modernes :
« Le crime heureux fut juste
et cessa d'être crime » comme dans l'antiquité. Ses prêtres ayant accepté de
donner à Constantin l'absolution refusée par les prêtres païens, il se fit
baptiser et fut ainsi le premier empereur chrétien. L'Église, cynique, en fit
de plus un saint ! Dans les mêmes conditions, elle a absous aussi Clovis et sa
femme Clotilde – faisant de celle-ci une de ses saintes les plus honorées –
malgré les crimes de ce couple d'aventuriers barbares ; mais ils avaient
accepté le baptême et elle les avait sacrés rois de France. Elle devait ainsi
absoudre tous les criminels, pourvu qu'ils fussent puissants et la fissent participer
aux avantages de leur puissance. « Protectrice des faibles », elle fut toujours
avec les forts si méprisables fussent-ils. Elle justifia l'esclavage et le
servage, la guerre et le pillage, pourvu qu'elle y eût sa part, celle du lion
le plus souvent. En échange de cette part, elle disait : « Dieu permet aux rois
de tuer ceux qui refusent de payer l'impôt », et les rois lui laissaient
poursuivre les hérétiques et les tuaient pour elle. Elle associa ainsi, pour
les siècles à venir, la fourberie du spirituel à la violence du temporel,
l'imposture de sa cléricature à l'iniquité des laïques indignes. La croix
s'allia au sabre au nom de cette morale exécrable qui justifie le « crime
heureux » et qui demeurera celle de tous les gouvernements, tant qu'ils ne
seront que des moyens d'exploitation humaine.
On comprend comment, grâce
aux Barbares et à l'Église, le moyen âge a été « l'époque la plus triste de
l'humanité » (J. Andrieu), et quelle lutte incessante, désespérée, l'idée de
liberté demeurée au cœur des hommes asservis, l'esprit de civilisation enseveli
sous les ruines du monde antique sauvagement amoncelées, le sens de l'éternelle
beauté de la vie en renouvellement perpétuel, la soif de science, de progrès et
de bonheur, durent soutenir contre le pacte d'ignorantisme, de fanatisme,
d'asservissement et de mort formé par ces puissances. Ce n'est pas que l'Église
et les grands furent toujours d'accord ; ils se firent au contraire une guerre
féroce. Ils ensanglantèrent le monde de leurs querelles pendant quinze siècles,
mais ils finirent toujours par s'entendre sur le dos des peuples, payant de
leur liberté et de leur vie le lourd tribu des famines, des épidémies, des
combats, des conquêtes et des annexions de territoires.
Ce qui fit la puissance de
l'Église fut son adaptation à l'organisation hiérarchique qui avait permis à
l'empire romain de dominer le monde. Elle en imposa le respect et en donna
l'exemple aux envahisseurs tumultueux. De là naquit la féodalité à laquelle
furent soumis suivant un code dit « de l'honneur », pour ne pas dire de la
fourberie, et « de la chevalerie », pour ne pas dire de la force, tous les
organismes sociaux et tous les individus. Mélange étrange de barbarie et de
civilisation ; les mœurs d'honneur et de chevalerie s'inspirèrent de la double
attitude de l'Église, impitoyable à la faiblesse, conciliante et rampante
devant la force, mais toujours avec l'hypocrite souci de paraître respecter la
justice et la morale. Ainsi, pour ne pas déclarer brutalement que le droit
n'était que la force, on institua le duel judiciaire et les serfs purent même y
recourir contre les seigneurs. Mais de quelle façon ? Pendant que le noble,
bardé de fer, avait pour se défendre son épée ou sa lance, le serf, à moitié
nu, n'avait que son bâton pour l'attaquer ! Le duel judiciaire a disparu, mais
le même principe ne subsiste-t-il pas, au nom de cette fallacieuse liberté du
travail qui livre, dans les conflits actuels, les prolétaires affamés aux
manœuvres du patronat caparaçonné dans ses coffres-forts ?...
À partir du VIème siècle, le
régime féodal s'organisa en faveur des amis de l'Église et dans des formes de
plus en plus légalisées pour rendre définitive et héréditaire la possession des
fiefs qui n'était que précaire. La hiérarchie aristocratique s'établit en même
temps, suivant le degré de puissance de chacun des spoliateurs du sol. Ils
furent plus ou moins nobles d'après l'importance de leur fief et de leur état
particulier de vasselage. En haut fut le roi dont l'autorité fut souvent discutée
par ses grands vassaux ; en bas fut le peuple conquis, ne possédant rien. Après
avoir été dépouillé par les Romains qui en avaient fait des esclaves attachés
aux maitres, il le fut par la féodalité qui en fit des serfs attachés à la
glèbe. Le servage fut réglementé comme la hiérarchie seigneuriale par la
coutume féodale. Montesquieu a constaté qu'au VIIème siècle, tous les
laboureurs et presque tous les habitants des villes se trouvèrent serfs Des
lois féroces leur étaient appliquées. On arrachait les yeux à celui qui avait
brûlé quelque chose appartenant à l'Église. Des esclaves existaient encore qui
n'appartenaient pas à la glèbe et se vendaient par l'entremise des juifs. On
coupait la main droite à celui qui aidait un esclave dans sa fuite. On
punissait de mort le serf et la femme libre qui s'aimaient. L'Église n'était
pas la moins inflexible dans cette défense de la propriété des hommes. Lors de
la Révolution Française, c'est sur ses terres, dans le Jura, que se trouvèrent
les derniers serfs.
La puissance féodale et
celle de l'Église grandirent pour atteindre toutes deux leur apogée entre les
Xème et XIIème siècles. À cette époque, soutenue par les sergents qui la
redoutaient, l'Église faisait et défaisait les royautés à son gré. Elle plaçait
ses créatures sur les trônes, excommuniait les rois rebelles, imposait au plus
grand empereur de toute l'Europe, Henri IV d'Allemagne, l'humiliation de Canossa
et commandait dans toute la chrétienté les entreprises de brigandage qu'on a
appelées les croisades. Mais la puissance royale grandit et, à côté d'elle,
celle des Communes, pour amener un affaiblissement parallèle de la féodalité et
de l'Église. Michelet a remarquablement mis en lumière la « révolution
économique » du XIVème siècle qui amena ces événements. Le fait économique
domina le fait militaire par le développement du commerce et de l'industrie.
Les financiers et les légistes serrèrent de plus en plus à la gorge
l'orgueilleuse chevalerie, pendant que des brasseurs et des marchands de drap
la battaient à plate couture à Crécy, à Poitiers, à Azincourt. L'Église subit
cruellement le contre-coup de la déchéance féodale. Dès le commencement du
XIVème siècle, Philippe-le-Bel avait vengé les rois de l'humiliation de Canossa
et imposé aux papes le séjour d'Avignon. Le grand schisme qui sépara l'Église
d'Orient de celle de l'Occident fut un nouveau coup porté à la papauté romaine
et à ses prétentions à la domination universelle, au moins spirituelle si elle
ne pouvait être temporelle. Mais toujours habile, l'Église arriverait à
s'entendre avec les rois sur le dos des peuples, tandis que la féodalité
s'effondrerait de plus en plus devant le pouvoir royal grandissant. Ses
châteaux-forts démolis par le canon, ses lances et ses cuirasses impuissantes
contre les flèches et les arquebusades, son oisiveté parasitaire appauvrie à
côté de l'enrichissement d'une bourgeoisie laborieuse et active qui se formait
dans les communes, son mépris orgueilleux du savoir l'isolant du progrès
intellectuel, tout cela la rendant archaïque et de plus en plus impuissante, la
réduirait à déposer sa chevalerie aux antiquailles. Le loup féodal deviendrait
le chien courtisan ; il apprendrait l'étiquette de cour à l'école des mignons
d'Henri III, et se changerait en quémandeur, en flagorneur, en plat valet pour
encombrer les antichambres du Louvre, puis de Versailles.
Politiquement, le moyen âge
ne fut qu'une longue période de crimes où l'Église, puissance spirituelle et
temporelle à la fois, eut la plus grande part. L'histoire des rois, des
empereurs, des papes, les annales de la féodalité et de la religion, ne sont
qu'une longue énumération d'infamies de tous genres : meurtres, rapts, viols,
adultères, confiscations, simonies, exactions de toutes sortes. Comme les
empereurs romains, rois et papes n'arrivèrent au pouvoir qu'au moyen du fer ou
du poison. Sous prétexte de réprimer l'hérésie, de « délivrer le tombeau du
Christ », dont l'emplacement s'était perdu depuis longtemps s'il avait jamais
existé, mais en réalité pour massacrer et pour piller, rois et papes
s'entendirent pour organiser la croisade des Albigeois, puis celles de Terre
Sainte, et pour faire des procès comme celui des Templiers, dont les richesses
avalent excité la convoitise du roi Philippele-Bel et du pape Clément V.
Ce qui est plus intéressant
à étudier que les démêlés entre les malfaiteurs couronnés, casqués et mitrés
qui sévirent contre les peuples avec une rigueur encore plus terrible que la
peste et les famines périodiques, c'est l'effort persévérant de ces peuples
dans les voies du progrès humain, pour l'organisation du travail dans les
corporations de métiers et celle de la vie sociale bourgeoise et artisane, pour
la recherche scientifique impatiente à se dégager de l'obscurité où l'Église la
tenait systématiquement ; c'est la lutte fiévreuse et ardente pour la vérité
comme pour la liberté, et c'est l'éclatement d'une sève populaire nouvelle
traduisant dans les arts et la littérature une pensée collective qu'on ne
retrouve plus dans les temps modernes. (Voir Art et Littérature). Contre les
violences des envahisseurs, contre la puissance féodale et contre
l'obscurantisme de l'Église, l'esprit de libre pensée et de liberté populaire
ne cessa de lutter, particulièrement dans la Gaule qui devint la France.
Il est d'usage, dans
l'histoire officielle, parce que son rôle est, non de montrer la vérité sur les
événements et leurs conséquences, mais de justifier les faits accomplis, si
exécrables qu'ils eussent été, de considérer comme un triple bienfait pour la
Gaule la conquête romaine, puis l'établissement des Franks et celui du
christianisme. Non. Ils furent plutôt des calamités. On ne peut savoir ce qui
serait arrivé si ces trois fléaux ne s'étaient pas abattus sur la Gaule pour la
livrer à des rois qui en feraient « la France fille aînée de l'Église », mais on
peut présumer qu'elle aurait eu un plus remarquable destin. Avant la conquête
romaine, la Gaule était occupée par une population formée d'Ibères et de Celtes
auxquels se mêlèrent, quelques siècles après, différents peuples Kymris (Edues,
Arvernes, Bituriges, Aulerces, Carnutes, etc...) et autres tels que les Bolgs,
ou Belges, venus d'Irlande, et des Helvètes. Or, il est tout à fail inexact que
cette population était barbare et que les légions de Jules César – qui ne
s'établirent d'ailleurs que sur une faible partie de leur territoire – lui
apportèrent la civilisation. Elle avait fondé des villes qui étaient des cités
libres et non des camps militaires à la romaine. La résistance opiniâtre que
César rencontra devant Bourges et Alésia montra leur organisation puissante. La
plus célèbre parmi celles qui demeurent encore, Paris, fut établie par les
Bolgs de la tribu des Parisii qui lui donnèrent leur nom. Les Celtes étaient
les Grecs du Nord par le génie de leur langue demeurée dans le français, et par
leur culture intellectuelle. Le druidisme apporté par les Kymris était grec par
son rite. Au Vème siècle, lorsque le breton Pelasge, dans ses controverses avec
l'africain Augustin, défendait le libre arbitre contre la tyrannie de la grâce
et raillait le dogme du péché originel, il soutenait sans le savoir les mêmes «
hérésies » que les Pères grecs avaient opposées aux fondateurs de l'Église romaine.
Tout ce qui constitue le véritable caractère français lui est venu de ces
peuples qui furent les Gaulois et dont les qualités l'ont fait plus proche
parent du grec que du latin. Contrairement aux Romains, les Celtes mettaient
les penseurs et les poètes au-dessus des gens de guerre. Leur littérature est
celle qui a eu la plus universelle influence avec celle des Grecs. Elle a
inspiré et rempli le moyen âge comme la littérature grecque à inspire et rempli
l'antiquité. Les temps modernes, dans leur asservissement « classique », eurent
le tort de la mépriser. Après la Grèce, ce fut la Gaule qui fournit à l'empire
romain ses hommes les plus remarquables. On peut dire que la Gaule domina Rome.
« Au premier siècle de
l'empire, la Gaule avait fait des empereurs, au second elle avait fait des
empereurs gaulois, au troisième elle essaya de se séparer de l'empire qui
s'écroulait. » (J. Andrieu.) Les barbares et le christianisme l'arrêtèrent dans
cette œuvre. Les rapports des Gaulois et des Grecs, commencés par l'installation
toute pacifique des colonies helléniques sur le littoral méditerranéen,
démontraient entre eux de véritables affinités. Les Grecs n'eurent pas besoin
des armes pour s'établir dans la Gaule. Ils y furent accueillis et non subis
comme les Romains. Si Grecs et Gaulois avaient été en état, militairement, de
résister à Rome et d'opposer aux Barbares une forte civilisation
gréco-celtique, combien le progrès humain aurait pu être plus vaste et plus
fécond ! Le christianisme, probablement tué dans l'œuf, n'aurait pas produit
l'Église, et peut-être n'aurait-on pas vu la terreur féodale, l'absolutisme
autocratique et le fanatisme religieux.
C'est le vieil esprit
celtique, demeuré comme le sel de la terre gauloise, qui a animé de son souffle
les grands mouvements populaires qu'on a vus en France, des Bagaudes soulevés
si souvent au cours de trois siècles contre les exactions romaines, des
Jacques, des Pastoureaux, des Tuchins en révolte contre la féodalité, des
communiers qui, dès le Xème siècle, fondèrent leurs cités libres, portèrent les
plus rudes coups aux féodaux et les atteignirent dans leur principe en
attendant qu'ils fussent vaincus dans la guerre. Ces communiers rédigèrent les
cahiers déjà républicains des États généraux de 1356 et firent avec les Cabochiens
et les Maillotins, avec Etienne Marcel, la première révolution parisienne. Ils
dressèrent les beffrois en face des châteaux-forts et des églises, ils
soutinrent tous ceux qui introduisirent et entretinrent l'esprit de libre
examen dans l'Université, éveillèrent les hérésies contre le joug catholique de
plus en plus pesant, défendirent farouchement le pays d'Oc contre les «
barbares du Nord » (Stendhal) déchaînés dans la croisade des Albigeois. Tous
ceux-là, qui furent des révoltés pour la défense de la liberté pendant le moyen
âge, sont les ancêtres directs et les inspirateurs des Réformés, des Camisards,
des hommes de 1789, des sans-culottes de 1793, et de tous ceux qui firent les
barricades de 1830, de 1818 et de 1871. C'est la vieille Gaule celtique qui
s'est levée en 1791 à l'appel de la Révolution en danger comme elle s'était
levée pur défendre le Tractus armoricanus, son territoire indépendant, contre
les légions de Jules César, comme elle s'était levée pour chasser l'Anglais à
la voix de Jeanne d'Arc. C'est l'esprit de cette vieille Gaule qui a produit la
magnifique littérature française du moyen âge. Passant de Pelasge aux
hérétiques de la première Université, à Abeilard, aux savants de l'École de
Chartres, à Oresme, à tous les universitaires qui se rallièrent à l'occanisme,
il s'est transmis par Montaigne, La Boétie, Bonaventure des Périers, Rabelais,
à La Fontaine et à Molière, puis à Voltaire et aux Encyclopédistes pour aboutir
à Michelet, à Quinet, à P. L. Courier, à Proudhon, à Renan, à Anatole France.
Cet esprit que quinze siècles de tortures barbares et chrétiennes n'avaient pu
écraser, retrouverait sa parenté et respirerait un air plus libre lorsque la
Renaissance le remettrait en contact avec Homère, Socrate et Platon,
c'est-à-dire avec la pensée universelle, Désormais, il ne pourrait plus être
étouffé.
Nous n'avons pu présenter
dans tous leurs détails le travail de la pensée et la lutte laborieuse et
persévérante de l'esprit de liberté qui se poursuivirent dans l'Occident
soumis, dès sa formation, à la théocratie et à l'autocratie les plus
oppressives. Mais nous avons tenu à protester, avec quelques arguments autres que
de simples affirmations, contre l'imposture qui attribue à ces puissances
malfaisantes ce que le moyen âge a eu de bon et les possibilités qu'il a
léguées aux temps modernes de poursuivre leur route vers une meilleure
humanité.
– Édouard ROTHEN.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire