mercredi 28 décembre 2022

Le "conseil national de la refondation"

En 1998, le syndicat patronal, le CNPF ( conseil national du patronat français avec a sa tête Jean Gandois) n arrive pas à lutter contre le gouvernement et sa loi sur les 35 heures. Il déclare qu il va falloir un secrétaire de "combat". L e "baron" (?) Ernest Antoine Seillieres est élu à 81%.

La volonté est là et le combat je tarde pas à être lancé 

Le CNPF devient le MEDEF: Mouvement des Entreprises De France.

Le secrétaire national prend comme second Denis Kessler et il construise ensemble un document très agressif et lance ce qu ils ont appelé: la refondation sociale.

Ci-dessous un article de la revue Mouvement de 2001 dans le numéro 14.


Ce qui dit de la volonté de poursuivre cette politique de destruction sociale au profit de m économie libérale, le gouvernement Macron a mis en place le conseil national de la refondation.


Voici le article:


Article 

Lorsque voici près de deux ans, le baron Ernest-Antoine Seillière procéda à la transformation du vieux CNPF en Mouvement des entreprises de France (MEDEF), certains ne voulurent y voir qu’une opération médiatique rondement menée. L’erreur était patente : le patronat décidait en fait de devenir un acteur politique à part entière. Pas seulement pour suppléer aux déficiences d’une droite politique en crise, mais en vue d’offrir aux tenants du néolibéralisme une colonne vertébrale idéologique et une force d’intervention rapide sur le terrain économique et social.


Il n’a alors fallu que quelques mois au MEDEF pour lancer la grande offensive de la « refondation sociale », et un peu moins d’un an pour, avec le PARE, obtenir de premiers résultats.


La « refondation sociale », plus personne ne le nie, représente bien plus qu’un stratagème conjoncturel. Il s’agit d’une première synthèse des propositions qui ont été débattues ces dernières années en France, en Europe et aux États-Unis en vue de moderniser, ou tout au moins de ravaler, l’option néolibérale. Cette synthèse peut faire l’objet de nuances au sein du patronat français, et il est vrai que Denis Kessler en a souvent donné une version caricaturale. À cette réserve près qu’il existe une stratégie efficace – on l’a vu à l’occasion de la négociation sur la convention UNEDIC – qui consiste à proposer d’emblée le pire pour que tout le monde respire et baisse la garde quand c’est, au bout du compte, « le moins pire » qui est ainsi imposé.


Les objectifs de l’organisation patronale se situent au cœur d’un projet cohérent de société qui repose – de nombreux articles de ce dossier insistent sur ce point – sur une reformulation du rapport entre le contrat et la loi au détriment de cette dernière. En découlent une volonté d’individualisation du contrat de travail et de la protection sociale, une logique de compétence individuelle et d’employabilité au détriment d’une logique de qualification ancrée dans des cadres collectifs, la « responsabilisation » de l’individu dont le corollaire est la déresponsabilisation de l’employeur, la prédominance de l’accord d’entreprise sur les autres niveaux… Au bout du compte, c’est une authentique déstructuration du salariat qui est recherchée.


Cette logique nous ramène loin dans le passé en même temps qu’elle colle de très près aux mutations contemporaines du capitalisme. Robert Castel estime, par exemple, qu’elle renvoie à l’esprit de la loi Le Chapelier, qui, voici plus de deux siècles, stipulait qu’aucune médiation ne devait intervenir entre l’employeur et l’employé. Cette dynamique est cependant articulée avec certains aspects de la « modernité », comme le développement de logiques de réseau ou la montée parmi les salariés d’aspirations à une certaine individualisation des droits pour les adapter à des parcours de vie.


La « refondation sociale » version MEDEF n’est pas seulement une pensée cohérente, c’est aussi une stratégie d’action. Elle repose sur un diagnostic en forme de triple constat. Le premier est assez simple : il est aisé pour le patronat d’obtenir des avantages dès lors qu’il parvient à diviser les syndicats. Cela a fonctionné pour le PARE, mais pas pour les retraites complémentaires (ce second exemple rappelle d’ailleurs à ceux qui voudraient l’oublier que rien ne vaut une bonne mobilisation des salariés pour améliorer les rapports de force). C’est là qu’intervient le deuxième constat : même si les organisations syndicales peuvent ponctuellement s’accorder pour résister ensemble, elles ne sont pas aujourd’hui en mesure de dégager des options communes. Enfin, le troisième constat relève d’une analyse de la stratégie gouvernementale : si, dans un premier temps, le gouvernement de gauche a pu afficher un certain volontarisme, comme sur le passage aux 35 heures par la loi, le voici, à l’approche de l’échéance présidentielle, adepte d’un comportement mi-chèvre mi-chou qui consiste à s’engager le moins possible sur les dossiers difficiles ou à accompagner de manière plus ou moins « soft » la dynamique contemporaine du capitalisme (de l’épargne salariale aux premières concrétisations du rapport Pisani-Ferry), offrant ainsi au MEDEF de belles opportunités pour apparaître comme celui qui prend la responsabilité d’aborder les problèmes d’avenir.


Le débat public en vue d’offrir une alternative à la version patronale de la « refondation sociale » a pourtant une certaine richesse. Comme en attestent plusieurs articles de ce dossier, des propositions fortes méritent d’être discutées, comme certains aspects des rapports Belorgey-Fouquet pour le Commissariat général du plan ou du rapport Supiot pour la Commission européenne, qui sont fondés sur une toute autre logique que celle de l’éclatement du contrat de travail, et contiennent de nombreuses propositions pertinentes. Par ailleurs, divers groupes de recherche, eux-mêmes pluralistes, comme le GAPE (Groupe d’analyses et de propositions économiques) ou la Fondation Copernic, travaillent d’ores et déjà en ce sens. Ces diverses réflexions pour dépasser par le haut les blocages et les incohérences actuels du système de régulation sociale ont cependant encore besoin d’être synthétisées et rendues plus concrètes. En tout état de cause, le mouvement syndical – comme d’ailleurs les acteurs politiques – a besoin de mettre en œuvre une dialectique de défense « des acquis » (dans ce qu’ils ont de progressiste) et de conquête de nouveaux droits en tirant parti des évolutions contemporaines. Il s’agit à la fois de défendre les acquis défendables et de proposer la réforme de dispositifs devenus inadaptés.


On ne peut que partager l’opinion de Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, quand il affirme dans nos colonnes la nécessité de fonder sur des garanties collectives l’aspiration des salariés à des choix individuels. Il reste néanmoins à préciser ce que sont ces droits nouveaux à conquérir, quand, pour reprendre la formule de Jacky Fayolle, on est passé d’un « salariat fixe », celui des trente glorieuses, à « un salariat circulant », rendant ainsi beaucoup plus fluctuant le rapport entre le « volontaire » et le « subi ». Il reste aussi à réfléchir sur le cadre – est-il d’abord national ou européen ? – d’une telle conquête.


De la même façon, le fait d’opposer à la « refondation sociale » un ensemble de propositions allant dans le sens d’une démocratie sociale (comme l’obligation d’accords majoritaires, ce qui passe d’ailleurs par une révision radicale des règles de la représentativité syndicale) est un objectif fort de démocratisation de la vie sociale et un moyen majeur de bloquer la stratégie du MEDEF, qui repose sur la division syndicale. Pour autant, l’addition de refus, si elle peut être efficace un temps, n’a que peu de chances de déboucher sur une alternative. C’est à la construction de celle-ci qu’il est essentiel de s’atteler.


Réhabiliter le volontarisme politique (et les politiques économiques) à l’échelle européenne, conquérir, en continuant à réduire le temps de travail, une société de plein emploi et d’emplois qualifiés tout en transformant le rapport entre travail salarié, loisirs et activités socialement utiles, reconsidérer le système de financement des transferts sociaux en prenant en compte l’impératif d’une plus grande justice sociale et d’une croissance soutenable à long terme, démocratiser les relations sociales – notamment au sein des entreprises –, conquérir de nouveaux droits en matière de protection sociale, de mobilité et de formation tout au long de la vie afin qu’aspirations à l’autonomie individuelle et garanties collectives se conjuguent plutôt que de constituer un jeu à somme nulle : tels sont quelques-uns des axes à même de dessiner une autre refondation sociale.


Dossier coordonné par Francine Bavay, Henri Jacot, Arnaud Lechevalier, Numa Murard, Christophe Ramaux et Gilbert Wasserman 


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