Dans les milieux
d'avant-garde, l'expression « Mouvement social » a pris un sens plus restreint,
mais aussi beaucoup plus précis. Il signifie la poussée des classes sociales
inférieures pour obtenir des améliorations à leur sort, et pour parvenir à
l'égalité et à la justice sociales. Il englobe donc toutes les formes
d'organisation des pauvres, des exploités, des gouvernés pour tenter de
substituer un nouveau contrat social à l'ancien. Il comprend toutes les
actions, les propagandes, les luttes, les grèves, les manifestations, les
révolutions qu'anime le dessein de secouer le joug des maîtres et de supprimer
l'exploitation du capitalisme. Le mouvement social est ainsi le mouvement de la
classe ouvrière en marche vers la liberté, le bien-être, l'égalité et la
justice.
Il y a eu, à toutes les
époques, des mouvements sociaux. En faire l'historique dans ses détails
entraînerait à écrire plusieurs ouvrages aussi conséquents que l'Encyclopédie.
Et encore, que d'obscurités ! Les historiens nous ont laissé maintes relations
qui souvent sont pures légendes (v. histoire), sur la vie des maîtres, des
rois, des chefs de guerre, des princes de l'Église, des grands personnages, des
guerres et des conquêtes, des déplacements de frontières, etc., mais ils ont,
presque tous, laissé dans l'ombre la vie du peuple, comme si celui-ci
n'existait pas, ou n'était pas digne d'occuper leur plume et leur esprit. Ce
n'est que ces dernières années que des savants, historiens consciencieux,
chercheurs tenaces, se sont mis à la tâche avec l'intention de rechercher et
d'écrire la vie sociale des temps passés. Rares, du reste, demeurent ces
investigateurs. Et la bibliothèque qui contiendrait tous les ouvrages du genre
ne serait pas très garnie.
La question sociale s'est
pourtant posée de tous temps, on tout au moins depuis que les humains vivent en
groupes organisés, depuis que, sur les contrats imposés par les maîtres – à
leur profit naturellement – les intéressés se sont mis à réfléchir, à
l'instigation souvent de libres esprits, et que se sont dessinées, longtemps
tremblantes et chaotiques des rébellions parmi les asservis.
L'Égypte des Pharaons a
connu des soulèvements sociaux formidables, une véritable révolution sociale
qui a bouleversé l'autorité traditionnelle et atteint une exploitation
forcenée. Le peuple s'est plus ou moins affranchi économiquement ; le sort des
esclaves a été amélioré ; certains droits politiques et économiques ont été reconnus
aux individus. Conquête typique : l'embaumement des momies, qui assurait « la
vie éternelle aux âmes » et qui était le privilège des puissants – les pauvres
n'avaient pas droit à une âme ni à la survie, proclamaient les prêtres – fut
accordé à tous ! Naturellement, le mysticisme grossier de ces temps d'ignorance
et l'esprit profondément hiérarchisé de cette époque n'ont pas permis une
émancipation plus complète, mais le mouvement fut profond et ses résultats
relativement conséquents.
Le christianisme a ébranlé,
lui aussi, un mouvement social de grande envergure. Avant lui, la condition du
bas peuple et des esclaves était épouvantable. Aucun droit ne leur était
reconnu. Ils étaient propriété du maître, propriété dont on pouvait user et
abuser à sa guise. Ce n'est pas pour rien que la légende chrétienne primitive a
pris un homme du peuple comme fils de Dieu. En ces âges de puissant symbolisme,
l'égalité de tous devant Dieu et le droit égal au paradis était une revendication
importante – si futile que la chose puisse nous apparaître aujourd'hui.
Si la foi religieuse a été
la figure persistante du christianisme, son essor connut d'autres aspects et il
paraît avoir traduit, à son enfance, de profondes revendications sociales. Si
ténébreuse que soit restée l'histoire de ces temps, on en dégage des tendances
vers l'égalité économique, un communisme agissant, l'avènement des esclaves au
plan humain, un rêve touchant de fraternité universelle, l'essor d'une
idéologie humanitaire.
Plus tard devenue officielle
et alliée des maîtres temporel, l'Église a canalisé ce vaste mouvement social
pour l'amener dans les voies de la résignation, de la soumission, de la
hiérarchie et de l'autorité acceptée. Il n'en reste pas moins que ce fut un
ardent mouvement populaire préoccupé d'émancipation, à travers son
assujettissement religieux. Sans les prêtres qui l'ont dénaturé en s'en faisant
un piédestal, qui sait ce que ce mouvement eut réalisé ? Il en sera ainsi de
tout mouvement social dirigé par une caste sacerdotale ou politique. Si le
socialisme (ce mot pris dans le sens de transformation sociale avec ses luttes
conséquentes) devenait une église, ses prêtres tueraient aussi le socialisme ;
ils l'incorporeraient par les subterfuges coutumiers dont le peuple est
toujours dupe, à la domination établie, à point légitimée.
Plus près de nous, s'est
développé un mouvement social très important également, quoiqu'encore peu connu
: celui des corporations et des communes du moyen-âge. Ici, l'esprit religieux
est encore puissant, mais il tend à céder le pas à des considérations d'ordre
matériel plus nettement exprimées. Les artisans des cités, éveillés les
premiers à la liberté, dans presque toute l'Europe veulent se débarrasser du
brigandage féodal. Ils s'organisent en corporation et en communes pour lutter
contre le seigneur – qui était souvent l'évêque – pour conquérir des libertés,
des franchises, pour administrer eux-mêmes leurs villes. Poussée vers
l'indépendance et le bien-être. Le soulèvement communal dans les villes, la
jacquerie dans les campagnes. Les paysans écrasés facilement. Les communes
triomphantes plusieurs siècles... Il a fallu la création des patries modernes,
des royaumes et des États, pour que les corporations perdent leurs libertés et,
une grande partie de leur bien-être. La Patrie prenait la place de Dieu, pour
tenir les populations dans l'esclavage. Quelques écrits dont un très documenté
de Pierre Brizon, sur l'histoire ouvrière à travers les âges, et un de
Kropotkine, sur l'Entraide, avec les pages de Michelet, nous ont donné des
aperçus des résultats acquis par le mouvement communal du moyen-âge. Les
membres ouvriers des corporations (v. corporation, métier) y jouissaient d'un
bien-être et d'une liberté que bien des prolétaires d'aujourd'hui ne
connaissent pas.
C'est l'Église qui a tué le
mouvement social chrétien, c'est l'État qui a tué le mouvement social des
Communes. Rapprochements édifiants, concluantes leçons de l'histoire !
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