mercredi 28 décembre 2022

Mouvement social Part 2 encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 

Dans les milieux d'avant-garde, l'expression « Mouvement social » a pris un sens plus restreint, mais aussi beaucoup plus précis. Il signifie la poussée des classes sociales inférieures pour obtenir des améliorations à leur sort, et pour parvenir à l'égalité et à la justice sociales. Il englobe donc toutes les formes d'organisation des pauvres, des exploités, des gouvernés pour tenter de substituer un nouveau contrat social à l'ancien. Il comprend toutes les actions, les propagandes, les luttes, les grèves, les manifestations, les révolutions qu'anime le dessein de secouer le joug des maîtres et de supprimer l'exploitation du capitalisme. Le mouvement social est ainsi le mouvement de la classe ouvrière en marche vers la liberté, le bien-être, l'égalité et la justice.

Il y a eu, à toutes les époques, des mouvements sociaux. En faire l'historique dans ses détails entraînerait à écrire plusieurs ouvrages aussi conséquents que l'Encyclopédie. Et encore, que d'obscurités ! Les historiens nous ont laissé maintes relations qui souvent sont pures légendes (v. histoire), sur la vie des maîtres, des rois, des chefs de guerre, des princes de l'Église, des grands personnages, des guerres et des conquêtes, des déplacements de frontières, etc., mais ils ont, presque tous, laissé dans l'ombre la vie du peuple, comme si celui-ci n'existait pas, ou n'était pas digne d'occuper leur plume et leur esprit. Ce n'est que ces dernières années que des savants, historiens consciencieux, chercheurs tenaces, se sont mis à la tâche avec l'intention de rechercher et d'écrire la vie sociale des temps passés. Rares, du reste, demeurent ces investigateurs. Et la bibliothèque qui contiendrait tous les ouvrages du genre ne serait pas très garnie.

La question sociale s'est pourtant posée de tous temps, on tout au moins depuis que les humains vivent en groupes organisés, depuis que, sur les contrats imposés par les maîtres – à leur profit naturellement – les intéressés se sont mis à réfléchir, à l'instigation souvent de libres esprits, et que se sont dessinées, longtemps tremblantes et chaotiques des rébellions parmi les asservis.

L'Égypte des Pharaons a connu des soulèvements sociaux formidables, une véritable révolution sociale qui a bouleversé l'autorité traditionnelle et atteint une exploitation forcenée. Le peuple s'est plus ou moins affranchi économiquement ; le sort des esclaves a été amélioré ; certains droits politiques et économiques ont été reconnus aux individus. Conquête typique : l'embaumement des momies, qui assurait « la vie éternelle aux âmes » et qui était le privilège des puissants – les pauvres n'avaient pas droit à une âme ni à la survie, proclamaient les prêtres – fut accordé à tous ! Naturellement, le mysticisme grossier de ces temps d'ignorance et l'esprit profondément hiérarchisé de cette époque n'ont pas permis une émancipation plus complète, mais le mouvement fut profond et ses résultats relativement conséquents.

Le christianisme a ébranlé, lui aussi, un mouvement social de grande envergure. Avant lui, la condition du bas peuple et des esclaves était épouvantable. Aucun droit ne leur était reconnu. Ils étaient propriété du maître, propriété dont on pouvait user et abuser à sa guise. Ce n'est pas pour rien que la légende chrétienne primitive a pris un homme du peuple comme fils de Dieu. En ces âges de puissant symbolisme, l'égalité de tous devant Dieu et le droit égal au paradis était une revendication importante – si futile que la chose puisse nous apparaître aujourd'hui.

Si la foi religieuse a été la figure persistante du christianisme, son essor connut d'autres aspects et il paraît avoir traduit, à son enfance, de profondes revendications sociales. Si ténébreuse que soit restée l'histoire de ces temps, on en dégage des tendances vers l'égalité économique, un communisme agissant, l'avènement des esclaves au plan humain, un rêve touchant de fraternité universelle, l'essor d'une idéologie humanitaire.

Plus tard devenue officielle et alliée des maîtres temporel, l'Église a canalisé ce vaste mouvement social pour l'amener dans les voies de la résignation, de la soumission, de la hiérarchie et de l'autorité acceptée. Il n'en reste pas moins que ce fut un ardent mouvement populaire préoccupé d'émancipation, à travers son assujettissement religieux. Sans les prêtres qui l'ont dénaturé en s'en faisant un piédestal, qui sait ce que ce mouvement eut réalisé ? Il en sera ainsi de tout mouvement social dirigé par une caste sacerdotale ou politique. Si le socialisme (ce mot pris dans le sens de transformation sociale avec ses luttes conséquentes) devenait une église, ses prêtres tueraient aussi le socialisme ; ils l'incorporeraient par les subterfuges coutumiers dont le peuple est toujours dupe, à la domination établie, à point légitimée.

Plus près de nous, s'est développé un mouvement social très important également, quoiqu'encore peu connu : celui des corporations et des communes du moyen-âge. Ici, l'esprit religieux est encore puissant, mais il tend à céder le pas à des considérations d'ordre matériel plus nettement exprimées. Les artisans des cités, éveillés les premiers à la liberté, dans presque toute l'Europe veulent se débarrasser du brigandage féodal. Ils s'organisent en corporation et en communes pour lutter contre le seigneur – qui était souvent l'évêque – pour conquérir des libertés, des franchises, pour administrer eux-mêmes leurs villes. Poussée vers l'indépendance et le bien-être. Le soulèvement communal dans les villes, la jacquerie dans les campagnes. Les paysans écrasés facilement. Les communes triomphantes plusieurs siècles... Il a fallu la création des patries modernes, des royaumes et des États, pour que les corporations perdent leurs libertés et, une grande partie de leur bien-être. La Patrie prenait la place de Dieu, pour tenir les populations dans l'esclavage. Quelques écrits dont un très documenté de Pierre Brizon, sur l'histoire ouvrière à travers les âges, et un de Kropotkine, sur l'Entraide, avec les pages de Michelet, nous ont donné des aperçus des résultats acquis par le mouvement communal du moyen-âge. Les membres ouvriers des corporations (v. corporation, métier) y jouissaient d'un bien-être et d'une liberté que bien des prolétaires d'aujourd'hui ne connaissent pas.

C'est l'Église qui a tué le mouvement social chrétien, c'est l'État qui a tué le mouvement social des Communes. Rapprochements édifiants, concluantes leçons de l'histoire !

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