jeudi 15 décembre 2022

Lignes N°42: La pensée critique contre l'éditorialisme

 Lignes collection dirigée par Miche Surya

Article: Langage et politique: le pouvoir critique des mots, de Bretch à Benjamin   Par Serge Margel


"Ces nouveaux rapports de production, de division ou de rupture entre politique et société, démantèlent en quelque sorte tout principe de subjectivation et toute politisation de la société. De plus en plus fantomalisés, reproduits par des évènements déjà interprétés, diffusés, fictionnés, et consommés, les individus n'ont plus accès à leur propre subjectivité, n'ont plus de véritable autonomie, ni davantage les moyens d'engager collectivement une politique du langage. La spectralisation des rapports sociaux constitue donc les "sujets" en autant d'objets d'un discours sans sujet -d'une vision sans regard, d'une visée sans intention, d'une interpellation sans adresse, ou d'un langage sans parole. Un langage anonyme et univoque en tout cas , qui n'a de légitimité qu'à pouvoir garantir l'efficacité d'une illusion collective en maintenant les "sujets" dans leurs inaccessibles conditions d'existence, donc en privant leur discours de toute capacité critique et de toute émancipation sociale. Une situation d'actualité qui nouds pousse à reposer la question des liens entre politique et langage, et donc à redéfinir les conditions d'une nouvelle critique, ou d'une nouvelle politique du langage, de la littérature et de l'art, à l'ère des sociétés du spectral".


"C'est ce que souligne et analyse Benjamin, dans ses Essais sur bretch , et en particulier dans "l'auteur comme producteur", prononcé à paris en 1934 à l'institut pour l'étude du fascisme. ?Le pouvoir idéologique de la presse non seulement nivelle les discours, les neutralise, les appauvrit, les affaiblit, les rend uniformes et univoques, passant "par dessus les différenciations conventionnelle entre les genres ,entre l'écrivain et le poète, entre le chercheur et le vulgarisateur", mais il va surtout brouiller, voire effacer ou nier " la séparation entre auteur et lecteur" . Le pouvoir de la presse, c'est d'enrailler ce qui oppose la production et la consommation, en produisant non plus des objets à consommer, mais des objets déjà consommer. Elle nous montre des évènements déjà vus, nous soumet des faits déjà interprétés, elle annonce des situations déjà classés et fabrique des documents déjà archivés, mais sans jamais dire ou énoncer ce qu'elle fait ni montrer les moyens par lesquels elle fait ce qu'elle fait. Ce pouvoir est donc performatif, en ce sens qu'il fait de l'évènement ce qu'il en dit, mais ce pouvoir relève surtout de l'idéologie, en ceci qu'il nie le mécanisme performatif de son propre discours."


"L'intellectuel doit donc occuper la place où se forme et se joue l'idéologie du discours médiatique de la presse. Il doit inscrire son regard critique, développer un langage propre, là où se construit l'illusion du regard. Il doit agencer une une pratique innovante, là où les évènements se produisent dans leur virtualité, les sujets se voient interpellés ,non plus par d'autres sujets, ou des objets communs, mais bien par la médiatisation des évènements - leur codification, leur diffusion, leur consommation. A la manière de Bretch et de Benjamin, il faut repenser le "principe d'interruption", qui dévoile les nouveaux rapports de pouvoir entre langage et politique, ou qui se révèle aujourd'hui la virtualité des rapports de production comme le lieu surdéterminé d'un rapport de consommation. C'est ce que j'ai nommé le déplacement de la cosiété du spectacle -où les rapports sociaux entre personnes sont médiatisés par des images- à la société du spectral, définie comme un ensemble de rapports sociaux entre des sujets interpellés par la production médiatique des évènements. les nouveaux rapports de production, que représente le pouvoir du discours médiatique, non seulement débordent les médias, la presse et la radio, mais structurent surtout et déterminent les conditions performatives de tout acte de langage, de tout rapport entre le langage et l'évènement, entre le mot et les choses, entre les mots et les mots. Dans une société du spectral, ce n'est plus le sujet qui utilise le langage pour parler, pour dire quelque chose à quelqu'un, pour faire des choses avec des mots ou pour faire parler le langage lui-même, mais c'est bien plutôt la construction médiatique des choses et la reproduction des évènements qui "nous" parlent, depuis ce lieu anonyme du pouvoir, ce fantôme de l'idéologie, ou de sa propre illusion. Et quand je dis qu'elles nous "parlent", j'entends par là justement le double horizon spectral du discours: il s'adresse à nous, nous invoque, nous convoque, nous interpelle, mais en même temps il fait de nous un objet, un contenu discursif entièrement construit, produit et interprété, par la médiatisation des évènements".

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