samedi 24 décembre 2022

CO / INCIDENCE par Michel Surya et Jean-Paul Curnier Partie II

 JPC le 15 juin 2010

"Tu te méprends, je crois, sur le sens de ma lettre. D'abord, je ne cherche pas à t'avertir de quoi que ce soit ni à te donner de leçon, je te dis simplement que la direction que tu sembles vouloir donner à Lignes ne peut pas être mienne; je parle d'une proposition et d'une conception de numéro et je la condamne sans la moindre nuance.

Que tu esquives une mise en cause portant sur le thème et la conception générale du numéro à venir et sur ce qu'à mes yeux ceux-ci impliquent, au moyen d'un amalgame aussi injurieux avec les porpos de Goldschmit me consterne.

Je veux dire: que tu procèdes de la sorte avec moi, me consterne. Quant à l'article de Brossat sur Bensaid, je n'ai pas grand-chose à en dire sinon sur l'argument lui-même qui, Bensaid n'ayant jamais été un ami ni un familier, ne me choque pas outre mesure et fait partie, la brutalité des propos de Brossat n'y changeant rien, de la polémique au demeurant assez classique et assez saine dans la pensée politique.

Je n'ai pas salué ce numéro d'hommage? En effet. je t'ai seulement prévenu, lorsque tu m'as demandé mon avis, du tout funèbre que prenait la revue en passant de l'hommage à un ami défunt, à un autre.

Je me répète pour être clair une seconde fois et parce que je ne veux pas qu'il y ait là-deesus de malentendu: ce que je dis, c'est qu'en aucune façon je ne participerais à un tel numéro, et ce que je te demande, c'est de renoncer à ce projet parce qu'il ne correspond pas à ce qui nous lie et parce que je ne veux pas voir une revue à laquelle j'ai donné autant de moi emprunter à un genre éditorial qui me révolte et dont l'extension constitue déjà à mes yeux un problème majeur.


MS le 15 juin 2010

J'ai beau chercher, je ne comprends pas. Une aussi soudaine et aussi entière désapprobation, en des termes aussi comminatoires.

Je veux bien répondre, mais il va falloir m'expliquer mieux: qu'est ce que Lignes est devenu et depuis quand, dont tu ne me disais rien il y a quelques jours encore. Où Lignes a-t-il failli, quand et en quoi? Qu'a-t-elle publié par quoi tu puisses te sentir compromis? Que veut dire cette phrase que tu écris: qu'elle emprunte "à un genre éditorial qui [te] révolte et dont l'extension constitue déjà à [tes]yeux un problème majeur". Quel "genre éditorial"? Et quelle "extension"?

Si c'est de ce prochain numéro qu'il est question, et c'est de lui en effet qu'il a d'abord été question, il s'agit au choix d'une enquête, sur le modèle surréaliste, ou d'un dictionnaire, au sens de Bataille ( je simplifie: l'un et l'autre s'opposent aussi bien). Genres que Lignes a illustrés plusieurs fois dans son histoire ("les intellectuels par eux-mêmes"; le "désir de révolution", etc) qui n'ont pas peu contribué à sa réputation.

Si c'est le genre "funèbre" du numéro précédent que tu condamnes ( encore qu'il n'en ait pas été question d'abord), c'est ler même genre auquel Lignes  a "sacrifié" dans le passé au sujet d'Antelme, de Mascolo, ou de Rousset; et je ne me souviens pas que tu t'en sois indigné. je me souviens par contre que tu as soutenu avec moi que tel n'était pas le numéro consacré à Baudrillard, quoi que certains en aient dit (Brossat, par exemple) - qu'il était vivant au contraire.

je ne vois donc toujours pas, quelques efforts que je fasse pour comprendre, ce que Lignes est devenu là qu'il n'était pas auparavant, où il a renoncé, où il s'est trahi...

Aurais-tu le soupçon que la revue serait moins "radicale" qu'elle ne l'a été? Mais parmi les numéros récents, il me suffira sans doute d'en appeler au numéro 29 (Violence et politique) pour convaincre quiconque du contraire (et du N° 30 de même, sur la crise).

A moins que ce ne soit pas de Lignes revue qu'il soit question, mais de la maison d'édition elle-même, et de quelques-unes de ses publications récentes ( ton mot: "extension" fait que je l'imagine lointainement). Mais que ne le dis-tu en ce cas, et en des termes clairs! Je peux là voir beaucoup mieux quelles sont tes raisons ou tes réticences, et tenter d'y répondre. Mais qu'ont affaire entre nous ces périphrases?

un dernier mot: je ne fais aucune injure; seulement, le hasard veut que tu aies employé les m^mes mots que Goldschmit:"Où vas-tu?". Mots qui ne pouvaient pas du coup ne pasz me faire réagir.

Le mieux serait sans doute d' s'appeler. Pour moi je le pense. Je t'en laisse juge.


JPC  le 24 juin 2010

"Je te fais ce mot donc pour éviter que le sens de mes réactions ne s'installe ailleurs que là où il doit être. Et si j'écris un peu "à la hache" ( pour changer du marteau) ce n'est pas pour chercher tel ou tel effet mais parce que, au delà de cette position que je résume ici, il y a matière à une réflexion de fond à laquelle pour l'instant je n'ai pas pu m'atteler.

Donc pour résumer.

D'abord, évidemment je ne fais allusion à aucun numéro de lignes précédent.

Je m'insurge sur le thème de celui-ci et si celéa avait été le cas pour un autre je l'aurais fait pareillement.

Je m'insurge sur celui-ci pour une raison qui est simple: ce que ce monde m'enseigne dans la situation d'extrême précarité où je suis, c'est son invraisemblable nudité préhistorique. Jamais sans doute la civilisation n'a tenu aussi peu de place dans les moeurs humaines et ce n'est pas l'affaire d'une politique mais du très grand nombre.

Je pense en outre que tenir cet état pour le fait d'une politique est un mensonge et une façon d'innocenter la responsabilité collective de tous ou presque. Et c'est à cela que je me refuse et me refuserai de toutes mes forces.

Cette espèce est responsable et surtout quotidiennement auteur du désastre où je suis où nous sommes et où elle est. Et c'est lui renvoyer cela dans la figure qu'il faut. Et je n'e suis pas pour l'instant capable, mais que je n'en sois pas capable ne change rien aux véritables questions.

Cette raison est simple mais pour en supporter quotidiennement l'incroyable force de destruction il faut employer plus d'énergie qu'à tout autre chose. Elle est la présence de l'ennemi dans l'emploi du temps et jusque dans le choix de sourire à un inconnu. Voilà l'essentiel.

Pour le reste je ne mets rien en cause - sauf peut-être quand un pitre comme Badiou s'acharne à dénaturer à son tour le mot de communisme ( comme s'il ne manquait que lui) en faisant de la révolution un folklore pour prétoire imaginaire sans aucune pensée sur l'état réel du peuple et sur l'histoire le tout repris sur une retournelle narcissique de vieil étudiant de Normale Sup et au moyen d'une prose qui n'égale que la poésie de Vaillant-Couturier.


MS le 24 juin 2010

Je trouve ta réponse en rentrant de Paris; laquelle me rassure et rassérène.

S'agissant de tes objections à ce numéro de Lignes , il serait bien, même en lui donnant une forme brève, qu'ils en soit publié quelque dedans. A quoi je pourrais répondre bien sûr, engageant un échange public possible. Il y a dans ta lettre des éléments qui pourraient servir d'entame de ton texte. Penses-y, si tu veux bien...

Je comprends ton objection principale bien sûr.

Et je voudrais certes que Lignes se tienne à cette "ligne" dure que tu rappelles ici et qui est la mienne aussi, mais dans...mes livres. Pourquoi la revue m'oblige-t-elle à formuler les choses disons un ton en dessous? Eh bien, je pense, à cause du nombre auquel la revue est tenue. Du nombre par deux fois. Je m'explique: le nombre et la régularité des numéros ( guère moyen de trouver des angles chaque fois nouveaux qui sollicitent la répétition de cet irrédentisme politique, intellectuel, etc); le nombre des contributeurs ( combien sommes-nous qui la soutiendrions ensemble; c'est un problème déjà soulevé par toi, mais par moi aussi, et pas sans regret; le risque réel serait d'une groupusculisation supplémentaire de ce que je ressens et estime former déjà une groupuscularité).

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