vendredi 23 décembre 2022

CO / INCIDENCE par Michel Surya et Jean-Paul Curnier

 M.S.  septembre 2009

« Je ne t’ai pas donné beaucoup de nouvelles, je le reconnais (et je sais que tu l’as regretté auprès de S.). Ce n’est pas tout à fait sans raison, à la vérité (et pas, en tout cas, des raisons de négligence). Non. J’ai été, comment le dire sans exagération, attristé au moins, blessé sans doute, de ce que tu te sentes à ce point aussi peu concerné par la demande que je t’avais faite ( et tu es le seul auprès de qui je l’ai faite personnellement) de contribuer à un volume regroupant des textes sur mon travail. J’en ai bien sur mesuré le caractère déplacé, pour le moins, il y a un an, quand tu allais si mal ; autrement dit, rien ne me paraissait plus justifié que ton refus et que les mots dans lesquels tu me l’as dit. Mais depuis ? Depuis six mois, est-ce qu’il n’était pas redevenu possible que tu contribues, même symboliquement, à cet ensemble. En somme, je le suis toujours, je crois, à ce point soucié de ton travail que j’ai ressenti comme une irréciprocité, et donc comme une solitude supplémentaire, que tu te soucies si peu du mien (ou que tu fasses publiquement comme si tu ne t’en souciais pas). Le résultat est celui-là aujourd’hui que cet ensemble d’une dizaine de textes est réuni et tu n’en es pas. Ce n’est pas un reproche (ce serait trop ou pas assez). Non, une déconvenue (une dé-convenance le dirait mieux, mais ferait pédant entre nous).

Oublions-le. Je veux dire : il va te falloir l’oublier et, pour moi, te l’avoir dit va me le permettre. »

 

JPC  16 octobre 20009

« Ton portrait Dostoïevskien est absolument remarquable. Et cela me fait penser au fait que le communisme n’a jamais eu de masses ni même de groupes assez libres pour le porter vraiment comme un moteur de liberté et de tentation absolue. Mais il a eu des héros. Des héros qu’ s’est malheureusement employé à confondre avec des chefs, pour faire d’une pierre deux coups. Or un héros n’est chef que le temps de son passage qui est bref.

Mais cette trace, la trace laissée en creux pour le héros, reste essentielle.

Le communisme est affaire de héros (Eisenstein le dit en exergue de Potemkine : «  ici c’est la masse qui est un héros »).

Mais je répète : ton portrait est vraiment magnifique !

 

JPC 5 avril 2010

« Quant à nous, il faut en être c’est évident ; peut-être comme frères de Grégoire Samsa ; ou frères du désert.

Qui sait ?

Tu pourrais faire une lecture du portrait de l’intermittent et moi du commerce des charmes.

Mais aussi j’ai entendu qu’une fois de plus des ouvriers- cette fois-ci d’une usine de moquette pour automobiles – menacent de faire sauter l’usine en incendiant le réservoir de gaz si on ne les traite pas convenablement.

Ca m’enchante, nous n’avons pas encore connu ça. Ces menaces de tout faire sauter tiennent beaucoup de l’expérience internationale des kamikazes contemporains ; si on les rapproche des suicidés de France Télécoms, nous arriverons bientôt à un cocktail activiste de type « Kamikaze du social ».

 

MS 5 avril 2010

« Je passe sous silence ce que tu me dis de trop beau sur l’impasse…Peut-être pourrais-je en reparler un jour.

Rions à la place et puisque les circonstances le permettent. Un peu d’abord de ce que tu dis du « kamikaze du social », qui mériterait d’être poursuivi, approfondi.

Mais il y a ceci que tu aurais d’imaginer, que toi seul devait imaginer, que j’imagine à ta place du coup : leur fin comme celle des Ceausescu de la culture, sommairement jugés par le peuple des occupants, puis exécutés au milieu du 104. Ah, comme la vision est belle et me réjouit ! Et j’irai en effet lire le portrait sur un faux charnier d’intermittents dans un Timisoara d’opérette.

J’en ris avec toi.

 

PC  le 10 mai 2010

« Je ne serai à Paris que vendredi pour deux réunions et puis après je file vers Genève où je gagne un peu d’argent comme polémiste opposé à Calvin. J’y prêche donc moi aussi, mais j’y prêche la débauche des mœurs comme condition de maturité indispensable au fonctionnement des démocraties modernes et tant d’autres vérités sociales de ce genre.

On ne m’y veut plus trop donc ce sera mon dernier sermon aux Genevois.

Jean-Luc Godard m’a demandé l’autorisation de publier en facsimilé un commentaire que je lui avais envoyé sur son prochain film film –socialisme, alors en état de projet. J’ai accepté par amitié et la chose devrait paraitre bientôt avec les dialogues du film (   film où se trouve Badiou, entre autres) chez POL

Et je n’irai que plus tard revoir chez lui l’ermite cinéaste de Rolle. Lors de ma dernière visite chez lui, il y a un mois, il s’était montré infiniment attentif et amical mais m’avait rendu profondèment triste du fait de sa tristesse d’une part et de l’œuvre sur lui du vieillissement. Il m’a aussi dit parler surtout avec son chien à qui, m’a-t-il dit, il doit « beaucoup ».

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