lundi 7 août 2017

Noir et Rouge Anthologie Dossier 2



Question nationale

Socialistes, communistes et souvent anarchistes sont à tel point obnubilés par les problèmes sociaux, qu'agiter devant eux la question nationale vous fait passer pour légèrement farfelu ; les classes travailleuses luttent contre le capitalisme ou l''État, il n'y a pas à-sortir de cela ; tout autre objectif ne peut être qu'une diversion – d'ailleurs suspectée d'être inventée par le capital. Mollet proclamant que « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est contraire au socialisme » ne fait au fond qu'exprimer avec cynisme ce qu'ont toujours pensé les partis ouvriers. Puisque ces partis luttent pour les travailleurs, tous les exploités n'ont qu'à entrer dedans, sans distinction de race, de langue ou de nationalité... et puis tout s'arrangera. Sans parler des partis ou même des syndicats qui ont éloigné d'eux volontairement et systématiquement les travailleurs appartenant à des populations inférieures, arriérées, « indigènes »... En fait, la prépondérance de la métropole s'est exercée non seulement dans le domaine capitaliste, économique et politique, mais aussi dans les organisations ouvrières. Les populations opprimées nationalement l'ont été non seulement par l’État dominant, mais simultanément par les partis d'opposition ou les mouvements ouvriers et syndicaux organisé en fonction de cet État, contre lui mais à son image. Il y a un impérialisme socialiste et syndical comme il y a un impérialisme capitaliste militaire, religieux, économique et politique. Cet impérialisme est fondé sur le même préjugé que l'autre : c'est à dire que les peuples retardés n'ont qu'à suivre » les plus évolués, se laisser guider par eux, et les rattraper pour s'assimiler à eux, à leurs méthodes. Même préjugé contre tout particularisme, tout séparatisme.
Or, la réalité est toute différente, et l'histoire montre chaque peuple refaisant l'expérience de ses devanciers, mais à sa manière, dans son propre cadre. La prise de conscience de classe n'efface pas, qu'on le veuille ou non, la conscience d'appartenir à une autre communauté de langue, de territoire, de coutumes, que le prolétariat métropolitain. C'est cette évidence que les théoriciens et politiciens marxistes ont mis si longtemps à comprendre. C'est ce droit à s'organiser, même pour la lutte de classe, à l'intérieur de chaque peuple, de chaque collectivité linguistique et non pas sans distinction de peuple, de langue, etc... qu'ils ont été si longs à admettre...

Nationalisme ou Anarchisme ?


Au terme de cette étude, quelques conclusions s'imposent :

l°/ Le nationalisme politique, économique et culturel est peut-être le phénomène le plus important, tout au moins le plus visible de la société contemporaine.

2°/ Le mouvement ouvrier n'échappe pas à la division en nations, et les séparations verticales en nations se révèlent, en règle générale, plus fortes que les clivages horizontaux entre classes.

3°/ Les peuples évoluent parallèlement sans se connaître, et l'expérience révolutionnaire internationale est très limitée.

4°/ Non seulement la solidarité effective est très réduite entre prolétariats métropolitains et peuples coloniaux, mais il n'y en a pas plus entre les peuples européens eux-mêmes. (Affaires similaires de l'Algérie et de la Hongrie).

5°/ La cause essentielle de ces entraves au développement d'une conscience et d'une vie sociale mondiales est l’existence des États nations.

6°/ La multiplication des États-nations est un phénomène historique irréversible, c'est le choc en retour de la conquête du monde par les quelques États européens touchés les premiers parle capitalisme et l'industrialisation.

7°/ Ce phénomène est irréversible - mais il doit être dépassé -, l'égalité effective des peuples est la condition nécessaire d'une véritable société internationale. La prolifération des États signifie que les plus grands s'affaiblissent et que les plus petits sont invivables.

8°/ Les mouvements d'émancipation nationale n'ont pas en vue la société libertaire, mais sans eux elle ne pourrait se réaliser. La fédération des peuples ne peut se substituer à la juxtaposition des États qu'à la fin d'un processus général de redistribution géographique égalitaires, des activités humaines. Processus que l’impérialisme, dans ses formes anciennes ou nouvelles, n'a fait qu'entraver au profit (les premières de L’Europe de l'Ouest ; les secondes des États-Unis et de l'URSS).

9°/ Le particularisme local n'est pas en soi une fin libertaire, mais contre le monopole universel, il constitue une aussi saine réaction que la révolte individuelle contre l'oppression sociale et la mystification nationale.

L0°/ Il n'y a, pour nous, pas plus de peuple élu que de grande nation, que de pays de la liberté, de droits de l'homme ou du socialisme, que de la civilisation à admirer. Tout État est anti-libertaire par destination, tout peuple est libertaire en acte dès qu'il se révolte, mais peut aussi rapidement cesser de l'être vis-à-vis des autres peuples dont il tolère l'exploitation.

11°/ La mystique nationale n'a qu'une puissante valeur négative et destructrice (quand e11e combat l'oppression et fait éclater la domination) ; elle ne peut rien apporter de positif à la conscience humaine et à l'édification d'une société meilleure.

12°/ Les anarchistes ne peuvent donc prêter aux mouvements d'émancipation coloniale et nationale qu'un soutien éminemment critique. Leur tâche reste de saper à la base tout esprit national, toute mesure nationale, comme toute institution coloniale et impériale. Le rempart de l'exploitation et de l'oppression, de l'injustice et de la misère, de la haine et de l'ignorance reste l’État où qu'il apparaisse avec son cortège : Armée, Église, Parti, paralysant les hommes et les dressant les uns contre les autres par la guerre, la hiérarchie, la bureaucratie, au lieu de les unir par la coopération, la solidarité, l'entraide.


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