samedi 5 août 2017

Georges Sorel III Livraison



Le caractère religieux du socialisme


Réflexions basées sur l'étude des textes d’Édouard Dolléans et Gustave Le Bon

« Ce sentiment, dit le célèbre psychologue, a des caractéristiques très simples : adoration d'un être supposé supérieur, crainte de la puissance magique qu'on lui suppose, soumission aveugle a ses commandements, impossibilité de discuter ses dogmes, désir de les répandre, tendance a considérer comme ennemis tous ceux qui ne les admettent pas... On n’est pas religieux seulement quand on adore une divinité, mais quand on met toutes les ressources de l’esprit, toutes les soumissions de la volonté, toutes les ardeurs du fanatisme au service d’une cause ou d’un être qui devient le but et le guide des pensées et des actions... Les convictions des foules revêtent ces caractères de soumission aveugle, d’intolérance farouche, de besoin de propagande violente qui sont inhérents au sentiment religieux ; et c’est pourquoi on peut dire que toutes leurs croyances ont une forme religieuse. »

Gustave Le Bon « Psychologie des foules » pages 61-62

«Les foules ne veulent plus entendre les mots de divinité et de religion, au nom desquelles elles ont été pendant si longtemps asservies ; mais elles n’ont jamais autant possédé de fétiches que depuis cent ans ».

Gustave Le Bon op cit p.6

« Les socialistes... ont cru renverser définitivement les idoles ; mais sous les noms de Raison, de Science, de Vérité, ils adorent des dieux plus impitoyables encore que les dieux bibliques, des dieux auxquels il n’est plus permis de refuser son adoration. »

Edouard Dolléans

«Le socialisme constituera donc une de ces religions éphémères, qui ne servent qu’a en préparer ou en renouveler d'autres mieux adaptées a la nature de l’homme et aux nécessités de toutes sortes dont les sociétés sont condamnées a subir les lois. »

Gustave Le Bon op. Cit. P.92

« Nous avons vu que suivant Gustave Le Bon le socialisme serait moins fort que les grandes
religions faute de pouvoir « créer une vie future » ; il serait plus exact de dire que le socialisme ne s’est pas occupé de réfléchir sur les fins dernières de l’homme plus que sur la nature humaine et que sur nos destinées terrestres ; sur tout ce qui touche a la métaphysique
de l’âme, les protagonistes du socialisme ne savent guère que ce que leur ont appris les libres penseurs ».

Georges Sorel « le caractère religieux du socialisme »
« le catholicisme renferme évidemment plus d’idéal que le socialisme, parce qu’il possède une métaphysique de l’âme qui manque jusqu’ici malheureusement a celui-ci. »

Georges Sorel op. Cit.

« Nous devons cependant savoir gré a Gustave Le Bon d’avoir présente une hypothèse qui nous a mis sur la trace d’une critique permettant d’atteindre des profondeurs jusqu’ici mal explorées. Si l'on a le droit de passer souvent, dans les travaux de recherches, du socialisme a la religion et réciproquement, pour éclairer un genre par un autre, cela tient, a mon avis, a ce que les parties les plus nobles du socialisme dépendent d’activités de l’esprit libre [Je rappelle ici que Hegel rapportait a l’esprit libre l’art, la religion et la philosophie.]. »

Georges Sorel op. Cit.

« Le monument le plus caractéristique de cette époque, si mal douée au point de vue du bon sens, est probablement Le vrai christianisme suivant Jésus-Christ, publie en 1846 par Gabet pour démontrer, au moyen de citations du Nouveau Testament et de la patrologie, que le communisme est la doctrine authentique de l’Église. Il me parait nécessaire de reproduire ici
une partie de la conclusion, qui donnera une idée claire de cet ouvrage singulier. »

Georges Sorel op. Cit.

«Ainsi le christianisme, c’est la fraternité, c’est le communisme [Gabet cite seulement des auteurs des cinq premiers siècles ; mais il annonce qu'il prouvera ultérieurement la perpétuité de la doctrine communiste en s'appuyant sur les témoignages de saint Bernard, de saint Benoit, de saint Vincent de Paul, de Bossuet, de Fénelon, de Fleury, de Mably.]... Vous qui ne voulez voir en Jésus qu’un homme, pouvez-vous nier qu’il a concentré dans sa tête et dans sa doctrine toute l’Intelligence, toute l’expérience et toute la sagesse de l’humanité jusqu’à lui... ? Et puisqu’il est le prince des communistes, traitez donc avec respect, ou du moins avec égards, une doctrine qu’il approuve et proclame [L’auteur identifiant fraternité et communisme, invoque a l’appui de sa thèse la première Épître de saint Jean (II, 8-11) suivant laquelle on ne pourrait prétendre être dans la lumière sans aimer les autres chrétiens ; il s’agit ici de la solidarité qui devait exister dans la nouvelle société pour lui permettre de résister a ses ennemis. Cet exemple montre bien l'esprit des démonstrations de Gabet.]... Quant a vous qui reconnaissez en Jésus-Christ un Dieu, comment pouvez-vous hésiter un moment a adopter, a suivre, a propager le communisme... ? Quelque puissants que vous soyez, comment pouvez-vous fermer l'oreille a la voix de votre Dieu qui vous prescrit la communauté ?...Quant a nous, communistes, vrais chrétiens, fils ou frères, puines ou cadets, continuons ou reprenons l’œuvre de nos aînés ! Ils nous ont donne l’exemple de la prudence jointe au courage et du courage joint a la prudence, l’exemple de la patience et de la foi en la puissance de la fraternité, l’exemple de la persévérance et du dévouement [Au chapitre précédent, Gabet dit que les communistes sont aussi pacifiques que le furent les premiers chrétiens. « Ils ne demandent a tous les partis que la liberté de discussion, avec la liberté de se mettre eux mêmes en communauté volontaire, quand ils peuvent le faire utilement. »] ; serions-nous indignes de nos modèles !... Serviteurs et soldats de la fraternité, humbles disciples de ce Jésus qui l’a proclamée, avançons hardiment, les yeux fixes sur notre maître !... En avant pour l’affranchissement des travailleurs, pour la félicité des femmes et des enfants, pour le bonheur de l’humanité, pour le salut de tous sans exception !!! »

« Edouard Dolléans parait admettre que cette philosophie des hommes de 1848 a quelque valeur ; car il écrit : « Il existe une étroite, parenté et comme une communauté d'essence entre les modernes formes du socialisme et le socialisme avant la lettre des premiers chrétiens [Cela suppose implicitement que l’idée de lutte de classe a disparu du socialisme, ou du moins a été fort défigurée par le socialisme bourgeois.], des Pères de l’Église et des canonistes du Moyen-Age . »(p. 7)

«Les meilleurs historiens actuels estiment que le prétendu socialisme des Pères se réduit a des appels pressants adresses a la charité de riches fidèles [C’est dans le même esprit qu’il faut lire le sermon prononce le dimanche de septuagésime de 1659, a la maison des Filles de la Providence, sur l’éminente dignité des pauvres ; Bossuet n’avait pas encore 32 ans et son éloquence n’était pas encore très dégagée des sources patristiques. Brunetière ne parait pas avoir bien compris le sens de ce sermon (Discours de combat, 2e série, p. 145).].

« En général, il faut beaucoup se défier de la philosophie sociale construite par les utopistes ; ils rêvent, tout comme des alchimistes, au lien d'observer ; ils moulent leurs conceptions juridiques sur ce qui n'existe pas et non sur ce qui existe. Les utopistes, ne voyant des droits possibles que dans un monde hyperidéal, regardent les phénomènes réels comme engendrés par des purs hasards et ne peuvent concevoir qu’on puisse s’intéresser à autre chose qu'aux efforts faits par les gens, de bonne volonté en vue d'atteindre le bien, ou du moins en vue de se diriger dans la voie du bien. Le caractère matérialiste du droit leur échappe complètement.
« Les utopies artisanes et paysannes des Pères leur servaient a juger non pas les économies des artisans et des paysans, mais celle de l’oligarchie ; elles leur servaient a faire ressortir tout ce qu’il y avait d’irrationnel dans cette société de décadence ; ce qu’il y avait de hasard dans l’économie des classes riches leur apparaissait comme d’autant plus odieux qu’ils avaient nourri leur esprit d’un idéal d’où le hasard était presque totalement exclu. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient traité [parfois] fort légèrement le droit de propriété.
« La propriété des patriciens leur semblait n'avoir aucune fonction utile dans la production des richesses ; un hasard avait concédé a une minorité des avantages exceptionnels et sans cause ; il avait du même coup impose à la très grande majorité des misères injustifiables. Un pareil régime pouvait être maintenu par la force ; mais il ne pouvait trouver grâce devant la raison, qui lui opposait des constructions idéales toutes différentes. Le vice fondamental de l’économie romaine ne pouvait être, couvert que par un seul moyen : que le propriétaire ne se considère point comme ayant le droit de disposer à son caprice des biens qui ne sont pas justifiés ; - il n’est pas l’auteur de ses richesses ; entre son activité et son revenu, il n’existe pas de rapport causal ; il n'a qu’un droit d’aubaine sur des choses de hasard ; - sa conduite
deviendra respectable s'il fait de ses ressources un usage parfait [Thamin, op. cit., p. 290. Il
cite a ce sujet une curieuse lettre de saint Augustin.], s’il les met a la disposition de l’église
pour lui permettre de satisfaire ses besoins et de soulager les misères de ses pauvres.
« La notion de propriété tend ainsi a s’évanouir elle est remplacée par la notion d'une possession contrôlée par l’Église. Dieu donne foule liberté au riche pour employer ses revenus comme il l’entend pour profiter a sa guise de l’aubaine qui lui arrive ; mais le riche devra rendre compte de l’emploi de son argent devant le juge suprême ; il est un économe placé sous les ordres de la Providence divine ; son métier, suivant saint Jean Chrysostome, est de donner l’aumône aux pauvres. » Paul Allard, op. cit., p. 418]
«Vilfredo Pareto, loc. cit., p. 259. – L’auteur pense que seuls des « ouvriers faibles »se soumettent aux syndicats catholiques ; il nous apprend que dans plusieurs cas les grèves faites par des syndicats catholiques ont été plus violentes que les grèves socialistes analogues, faute d’une bonne éducation de la conscience ouvrière par les catholiques sociaux. Ceux-ci n’ont réussi a organiser convenablement que les petits propriétaires fonciers (p. 260). »

Proudhon a écrit ces phrases qui ont une très grande importance pour la question que nous examinons ici : « La vérité eut de tout temps pour compagne la franchise. Que M. Considérant se remémore les tergiversations de toute sa vie... Après la révolution de juillet, quand il semblait que la philosophie du Constitutionnel allait effacer pour jamais ce qui restait en France de catholicisme, M. Considérant, dans un discours à l’Hôtel de-Ville, parlant au nom de sa secte, osa s’écrier : Nous ne sommes pas chrétiens. Le mot fut recueilli :c’était une flatterie au libertinage du moment. Depuis, le vent a soufflé aux idées religieuses; on s’est aperçu que le préjugé chrétien résistait a l’inoculation du dogme fouriériste, que la morale de l’Évangile faisait reculer celle du phalanstère. Des lors, on s'est appliqué a dissimuler les données antichrétiennes du monde harmonieux : on a fait avec le ciel des accommodements ; on s’est mis a prouver que Fourier est le continuateur de Jésus-Christ. Flatterie au clergé et aux jésuites. »

« Engels prétendait que cette corrélation ne s’est montrée qu’aux « premières phases de la lutte de l’émancipation de la bourgeoisie du XIIIe au XVIIe siècle » ; à l’origine, les novateurs étaient obligés d'utiliser des idéologies élaborées par des temps qui avaient raisonné sous forme théologique ; « irais aussitôt que la bourgeoisie, au XVIIIe siècle, fut devenue assez forte pour avoir une idéologie il elle, ajustée à son point de vue de classe, elle fit sa grande et définitive révolution, la Révolution française, en faisant appel exclusivement a des idées juridiques et politiques ; elle ne se souciait de la religion que lorsque celle-ci devenait un obstacle, mais il ne lui vint pas a l’idée de mettre une nouvelle religion a la place de l’ancienne (On sait qu’Edgar Quinet a fort surpris les contemporains du second Empire en soutenant que la Révolution aurait du accomplir cette œuvre) ; on sait comment échoua la tentative de Robespierre « (Engels, Religion, philosophie, socialisme, pp. 194-195).

« Le socialisme sentimental des premières heures ne diffère pas essentiellement du socialisme le plus moderne, soit qu’il se présente sous la forme du socialisme aimable à la Fournière ou du socialisme pompeux à la Jaures ou du socialisme renfrogne à la Guesde, soit qu’il revête son idéal d’une armature scientifique ou fasse appel aux plus savantes constructions juridiques. »

Edouard Dolléans




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