Le
caractère religieux du socialisme
Réflexions
basées sur l'étude des textes d’Édouard Dolléans et Gustave Le
Bon
« Ce
sentiment, dit le célèbre psychologue, a des caractéristiques très
simples : adoration d'un être supposé
supérieur, crainte de la puissance magique qu'on lui suppose,
soumission aveugle a ses commandements, impossibilité de discuter
ses dogmes, désir de les répandre, tendance a considérer comme
ennemis tous ceux qui ne les admettent pas... On n’est pas
religieux seulement quand on adore une divinité, mais quand on met
toutes les ressources de l’esprit, toutes les soumissions de la
volonté, toutes les ardeurs du fanatisme au service d’une cause ou
d’un être qui devient le but et le guide des pensées et des
actions... Les convictions des foules revêtent ces caractères de
soumission aveugle, d’intolérance farouche, de besoin de
propagande violente qui sont inhérents au sentiment religieux ; et
c’est pourquoi on peut dire que toutes leurs croyances ont une
forme religieuse. »
Gustave
Le Bon « Psychologie des foules » pages 61-62
«Les
foules ne veulent plus entendre les mots de divinité et de religion,
au nom desquelles elles ont été pendant si longtemps asservies ;
mais elles n’ont jamais autant possédé de fétiches que depuis
cent ans ».
Gustave
Le Bon op cit p.6
« Les
socialistes... ont cru renverser définitivement les idoles ; mais
sous les noms de Raison, de Science, de Vérité, ils adorent des
dieux plus impitoyables encore que les dieux bibliques, des dieux
auxquels il n’est plus permis de refuser son adoration. »
Edouard
Dolléans
«Le
socialisme constituera donc une de ces religions éphémères, qui ne
servent qu’a en préparer ou en renouveler d'autres mieux adaptées
a la nature de l’homme et aux nécessités de toutes sortes dont
les sociétés sont condamnées a subir les lois. »
Gustave
Le Bon op. Cit. P.92
« Nous
avons vu que suivant Gustave Le Bon le socialisme serait moins fort
que les grandes
religions
faute de pouvoir « créer une vie future » ; il serait
plus exact de dire que le socialisme ne s’est pas occupé de
réfléchir sur les fins dernières de l’homme plus que sur la
nature humaine et que sur nos destinées terrestres ; sur tout ce qui
touche a la métaphysique
de
l’âme, les protagonistes du socialisme ne savent guère que ce que
leur ont appris les libres penseurs ».
Georges
Sorel « le caractère religieux du socialisme »
« le
catholicisme renferme évidemment plus d’idéal que le socialisme,
parce qu’il possède une métaphysique de l’âme qui manque
jusqu’ici malheureusement a celui-ci. »
Georges
Sorel op. Cit.
« Nous
devons cependant savoir gré a Gustave Le Bon d’avoir présente une
hypothèse qui nous a mis sur la trace d’une critique permettant
d’atteindre des profondeurs jusqu’ici mal explorées. Si l'on a
le droit de passer souvent, dans les travaux de recherches, du
socialisme a la religion et réciproquement, pour éclairer un genre
par un autre, cela tient, a mon avis, a ce que les parties les plus
nobles du socialisme dépendent d’activités de l’esprit libre
[Je rappelle ici que Hegel rapportait a l’esprit libre l’art, la
religion et la philosophie.]. »
Georges
Sorel op. Cit.
« Le
monument le plus caractéristique de cette époque, si mal douée au
point de vue du bon sens, est probablement Le vrai christianisme
suivant Jésus-Christ, publie en 1846 par Gabet pour démontrer, au
moyen de citations du Nouveau Testament et de la patrologie, que le
communisme est la doctrine authentique de l’Église. Il me parait
nécessaire de reproduire ici
une
partie de la conclusion, qui donnera une idée claire de cet ouvrage
singulier. »
Georges
Sorel op. Cit.
«Ainsi
le christianisme, c’est la fraternité, c’est le communisme
[Gabet cite seulement des auteurs des cinq premiers siècles ; mais
il annonce qu'il prouvera ultérieurement la perpétuité de la
doctrine communiste en s'appuyant sur les témoignages de saint
Bernard, de saint Benoit, de saint Vincent de Paul, de Bossuet, de
Fénelon, de Fleury, de Mably.]... Vous qui ne voulez voir en Jésus
qu’un homme, pouvez-vous nier qu’il a concentré dans sa tête et
dans sa doctrine toute l’Intelligence, toute l’expérience et
toute la sagesse de l’humanité jusqu’à lui... ? Et puisqu’il
est le prince des communistes, traitez donc avec respect, ou du moins
avec égards, une doctrine qu’il approuve et proclame [L’auteur
identifiant fraternité et communisme, invoque a l’appui de sa
thèse la première Épître de saint Jean (II, 8-11) suivant
laquelle on ne pourrait prétendre être dans la lumière sans
aimer les autres chrétiens ; il s’agit ici de la solidarité qui
devait exister dans la nouvelle société pour lui permettre de
résister a ses ennemis. Cet exemple montre bien l'esprit des
démonstrations de Gabet.]... Quant a vous qui reconnaissez en
Jésus-Christ un Dieu, comment pouvez-vous hésiter un moment a
adopter, a suivre, a propager le communisme... ? Quelque puissants
que vous soyez, comment pouvez-vous fermer l'oreille a la voix de
votre Dieu qui vous prescrit la communauté ?...Quant a nous,
communistes, vrais chrétiens, fils ou frères, puines ou cadets,
continuons ou reprenons l’œuvre de nos aînés ! Ils nous ont
donne l’exemple de la prudence jointe au courage et du courage
joint a la prudence, l’exemple de la patience et de la foi en la
puissance de la fraternité, l’exemple de la persévérance et du
dévouement [Au chapitre précédent, Gabet dit que les communistes
sont aussi pacifiques que le furent les premiers chrétiens. « Ils
ne demandent a tous les partis que la liberté de discussion, avec la
liberté de se mettre eux mêmes en communauté volontaire, quand ils
peuvent le faire utilement. »] ; serions-nous indignes de nos
modèles !... Serviteurs et soldats de la fraternité, humbles
disciples de ce Jésus qui l’a proclamée, avançons hardiment, les
yeux fixes sur notre maître !... En avant pour l’affranchissement
des travailleurs, pour la félicité des femmes et des enfants, pour
le bonheur de l’humanité, pour le salut de tous sans exception
!!! »
« Edouard
Dolléans parait admettre que cette philosophie des hommes de 1848 a
quelque valeur ; car il écrit : « Il existe une étroite,
parenté et comme une communauté d'essence entre les modernes formes
du socialisme et le socialisme avant la lettre des premiers chrétiens
[Cela suppose implicitement que l’idée de lutte de classe a
disparu du socialisme, ou du moins a été fort défigurée par le
socialisme bourgeois.], des Pères de l’Église et des canonistes
du Moyen-Age . »(p. 7)
«Les
meilleurs historiens actuels estiment que le prétendu socialisme des
Pères se réduit a des appels pressants adresses a la charité de
riches fidèles [C’est dans le même esprit qu’il faut lire le
sermon prononce le dimanche de septuagésime de 1659, a la maison des
Filles de la Providence, sur l’éminente dignité des pauvres ;
Bossuet n’avait pas encore 32 ans et son éloquence n’était pas
encore très dégagée des sources patristiques. Brunetière ne
parait pas avoir bien compris le sens de ce sermon (Discours de
combat, 2e série, p. 145).].
« En
général, il faut beaucoup se défier de la philosophie sociale
construite par les utopistes ; ils rêvent, tout comme des
alchimistes, au lien d'observer ; ils moulent leurs conceptions
juridiques sur ce qui n'existe pas et non sur ce qui existe. Les
utopistes, ne voyant des droits possibles que dans un monde
hyperidéal, regardent les phénomènes réels comme engendrés par
des purs hasards et ne peuvent concevoir qu’on puisse s’intéresser
à autre chose qu'aux efforts faits par les gens, de bonne volonté
en vue d'atteindre le bien, ou du moins en vue de se diriger dans la
voie du bien. Le caractère matérialiste du droit leur échappe
complètement.
« Les
utopies artisanes et paysannes des Pères leur servaient a juger non
pas les économies des artisans et des paysans, mais celle de
l’oligarchie ; elles leur servaient a faire ressortir tout ce qu’il
y avait d’irrationnel dans cette société de décadence ; ce qu’il
y avait de hasard dans l’économie des classes riches leur
apparaissait comme d’autant plus odieux qu’ils avaient nourri
leur esprit d’un idéal d’où le hasard était presque totalement
exclu. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient traité [parfois]
fort légèrement le droit de propriété.
« La
propriété des patriciens leur semblait n'avoir aucune fonction
utile dans la production des richesses ; un hasard avait concédé a
une minorité des avantages exceptionnels et sans cause ; il avait du
même coup impose à la très grande majorité des misères
injustifiables. Un pareil régime pouvait être maintenu par la force
; mais il ne pouvait trouver grâce devant la raison, qui lui
opposait des constructions idéales toutes différentes. Le vice
fondamental de l’économie romaine ne pouvait être, couvert que
par un seul moyen : que le propriétaire ne se considère point comme
ayant le droit de disposer à son caprice des biens qui ne sont pas
justifiés ; - il n’est pas l’auteur de ses richesses ; entre son
activité et son revenu, il n’existe pas de rapport causal ; il n'a
qu’un droit d’aubaine sur des choses de hasard ; - sa conduite
deviendra
respectable s'il fait de ses ressources un usage parfait [Thamin, op.
cit., p. 290. Il
cite
a ce sujet une curieuse lettre de saint Augustin.], s’il les met a
la disposition de l’église
pour
lui permettre de satisfaire ses besoins et de soulager les misères
de ses pauvres.
« La
notion de propriété tend ainsi a s’évanouir elle est remplacée
par la notion d'une possession contrôlée par l’Église.
Dieu donne foule liberté au riche pour employer ses revenus comme il
l’entend pour profiter a sa guise de l’aubaine qui lui arrive ;
mais le riche devra rendre compte de l’emploi de son argent devant
le juge suprême ; il est un économe placé sous les ordres de la
Providence divine ; son métier, suivant saint Jean Chrysostome, est
de donner l’aumône aux pauvres. » Paul Allard, op.
cit., p. 418]
«Vilfredo
Pareto, loc. cit., p. 259. – L’auteur pense que seuls des
« ouvriers faibles »se soumettent aux syndicats
catholiques ; il nous apprend que dans plusieurs cas les grèves
faites par des syndicats catholiques ont été plus violentes que les
grèves socialistes analogues, faute d’une bonne éducation de la
conscience ouvrière par les catholiques sociaux. Ceux-ci n’ont
réussi a organiser convenablement que les petits propriétaires
fonciers (p. 260). »
Proudhon
a écrit ces phrases qui ont une très grande importance pour la
question que nous examinons ici : « La vérité eut de tout
temps pour compagne la franchise. Que M. Considérant se remémore
les tergiversations de toute sa vie... Après la révolution de
juillet, quand il semblait que la philosophie du Constitutionnel
allait effacer pour jamais ce qui restait en France de catholicisme,
M. Considérant, dans un discours à l’Hôtel de-Ville, parlant au
nom de sa secte, osa s’écrier : Nous ne sommes pas chrétiens. Le
mot fut recueilli :c’était une flatterie au libertinage du moment.
Depuis, le vent a soufflé aux idées religieuses; on s’est aperçu
que le préjugé chrétien résistait a l’inoculation du dogme
fouriériste, que la morale de l’Évangile faisait reculer celle du
phalanstère. Des lors, on s'est appliqué a dissimuler les données
antichrétiennes du monde harmonieux : on a fait avec le ciel des
accommodements ; on s’est mis a prouver que Fourier est le
continuateur de Jésus-Christ. Flatterie au clergé et aux
jésuites. »
« Engels
prétendait que cette corrélation ne s’est montrée qu’aux
« premières phases de la lutte de l’émancipation de la
bourgeoisie du XIIIe au XVIIe siècle » ; à l’origine, les
novateurs étaient obligés d'utiliser des idéologies élaborées
par des temps qui avaient raisonné sous forme théologique ; « irais
aussitôt que la bourgeoisie, au XVIIIe siècle, fut devenue assez
forte pour avoir une idéologie il elle, ajustée à son point de vue
de classe, elle fit sa grande et définitive révolution, la
Révolution française, en faisant appel exclusivement a des idées
juridiques et politiques ; elle ne se souciait de la religion que
lorsque celle-ci devenait un obstacle, mais il ne lui vint pas a
l’idée de mettre une nouvelle religion a la place de l’ancienne
(On sait qu’Edgar Quinet a fort surpris les contemporains du second
Empire en soutenant que la Révolution aurait du accomplir cette
œuvre) ; on sait comment échoua la tentative de Robespierre
« (Engels, Religion, philosophie, socialisme, pp.
194-195).
« Le
socialisme sentimental des premières heures ne diffère pas
essentiellement du socialisme le plus moderne, soit qu’il se
présente sous la forme du socialisme aimable à la Fournière ou du
socialisme pompeux à la Jaures ou du socialisme renfrogne à la
Guesde, soit qu’il revête son idéal d’une armature scientifique
ou fasse appel aux plus savantes constructions juridiques. »
Edouard
Dolléans
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