mercredi 30 août 2017

Discours de Amadeo Bordiga (1889-1970) sur le parlementarisme 2°congrès de l'Internationale Communiste

Dans les deux textes que je vais mettre ici nous fait penser à l'attitude de ceux qui se disent l'opposition de Macron: les communistes, dénomination qu'ils se donnent encore, et le France Insoumise, qui ne souhaite qu'une "révolution citoyenne". 

D'ailleurs deux questions se posent:

1/ Les communistes d'aujourd'hui sont-ils des marxistes?

2/ Peut-on faire ne faire qu'une "révolution citoyenne" lorsque l'on se rend compte de cette immense machine à broyer les idéologies que le libéralisme?

Ici c'est Amadeo Bordiga qui nous donne son idée:


"La fraction de gauche du parti socialiste italien est antiparlementaire pour des raisons qui ne regardent pas seulement l'Italie mais ont un caractère général.

S'agit-il d'une question de principe? Certainement pas. En principe nous sommes tous antiparlementaires parce que nous répudions le parlementarisme comme moyen d'émancipation du prolétariat et comme forme politique de l'état prolétarien.

Les anarchistes sont antiparlementaires par principe , parce qu'ils se déclarent contre toute délégation de pouvoir d'un individu à un autre, le sont également les syndicalistes, adversaires de l'action politique du parti et concevant d'une façon toute différente le processus de l'émancipation prolétarienne. Quand à nous, notre antiparlementarisme se rattache à la critique marxiste de la démocratie bourgeoise. Je ne répéterai pas ici les arguments du communisme critique démasquant le mensonge bourgeois de l'égalité politique  placé au-dessus de l'égalité économique et de la lutte de classe.

Cette conception part de l'idée d'un processus historique au cours duquel la lutte de classe se termine par la libération du prolétariat après une lutte violente, soutenue par la dictature prolétarienne . Exposée dans le Manifeste des communistes, elle a trouvé dans la révolution russe sa première réalisation historique. Une longue période s'est écoulée entre ces deux faits et le développement du monde capitaliste a été très complexe.

Le mouvement marxiste a dégénéré en mouvement social-démocrate et a créé un terrain d'action commun aux petits intérêts corporatifs de certains groupes ouvriers et à la démocratie bourgeoise.

Cette dégénérescence s'est manifestée simultanément dans les syndicats et dans les partis socialistes. On oublia presque la tâche marxiste du parti de classe qui aurait du parler au nom de la classe ouvrière dans son ensemble et la rappeler à sa tâche historique révolutionnaire; il se créa une idéologie différente , qui écartait la violence et abandonnait la dictature du prolétariat pour lui substituer l'illusion d'une transformation sociale pacifique et démocratique. La révolution russe a confirmé une manière évidente la théorie démontrant la nécessité d'employer la méthode de la lutte de la lutte violente et d'instituer la dictature du prolétariat. Mais les conditions historiques dans lesquelles la révolution prolétarienne se développera dans les pays démocratique de l'Europe occidentale et de l'Amérique. La situation russe rappelle plutôt celle de l'Allemagne  de 1849 parce qu'il s'est déroulé deux révolutions, l'une après l'autre: la révolution démocratique et la révolution prolétarienne. L'expérience tactique de la révolution russe ne peut donc être appliqué intégralement à d'autres pays, dans lesquels la démocratie bourgeoise fonctionne depuis longtemps et ou la crise prolétarienne ne sera que le passage direct de ce régime politique à la dictature du prolétariat.

L'importance marxiste de la révolution russe est que sa phase finale ( dissolution de l'assemblée constituante et prise du pouvoir par les Soviets) ne pouvait être comprise et défendue que sur les bases du marxisme et donnait vie au développement d'un nouveau mouvement international: celui de l'Internationale Communiste , qui rompait définitivement les ponts avec la social-démocratie, honteusement faillie pendant la guerre . Pour l'Europe occidentale, le problème révolutionnaire impose avant tout la nécessité de sortir des limites de la démocratie bourgeoise, de démontrer que l'affirmation bourgeoise selon laquelle toute lutte politique doit se dérouler dans le cadre du mécanisme parlementaire est mensongère et que la lutte doit être portée sur un autre terrain, celui de l'action directe, révolutionnaire, pour la conquête du pouvoir.Il faut une nouvelle organisation technique du parti , c'est à dire une organisation historiquement nouvelle. Cette nouvelle organisation historique est réalisée par le parti communiste qui, comme le précisent les thèses du Comité exécutif sur les tâches du parti, est suscité par l'époque des luttes directes en vue de la dictature du prolétariat. ( Thèse N°04)

Maintenant, la première machine bourgeoise qu'il faut détruire avant de passer à l'édification économique du communisme, avant même de construire le nouveau mécanisme de l'état prolétarien qui doit remplacer l'appareil gouvernemental, c'est le parlement.

La démocratie bourgeoise agit parmi les masses comme un moyen de défense indirecte, alors que l'appareil exécutif de l'état est prêt à faire usage des moyens violents et directs dès les premières tentatives pour attirer le prolétariat sur le terrain démocratique auront échoué. Il est donc d'une importance capitale de démasquer ce jeu de la bourgeoisie. La pratique des partis socialistes traditionnels avait, déjà avant la guerre mondiale, déterminé une révision et une réaction antiparlementaire dans les rangs du prolétariat, la réaction syndicaliste anarchiste, qui nia toute valeur à l'action politique pour concentrer l'activité du prolétariat sur le terrain des organisations économiques , répandant la fausse idée qu'il ne peut exister d'action politique hors de l'activité électorale et parlementaire.

Contre cette illusion, pas moins que contre l'illusion social-démocrate, il est nécessaire de réagir, cette conception est bien éloignée de la vraie méthode révolutionnaire et mène le prolétariat sur une fausse voie au cours de sa lutte pour l'émancipation.

La plus grande clarté est indispensable dans la propagande : il faut donner aux masses des mots d'ordre simples et efficaces. En partant des principes marxistes, nous proposons donc que l'agitation pour la dictature du prolétariat dans les pays où le régime démocratique est depuis longtemps développé , se base sur le boycottage des élections et des organes démocratiques bourgeois.La grande importance qu'on donne en pratique à l'action électorale comporte un double danger: d'une part , elle donne l'impression que telle est l'action essentielle, d'autre part, elle absorbe  toutes les ressources du parti et accepte l'abandon presque complet de l'action de préparation dans les autres domaines du mouvement. 

Les sociaux-démocrates ne sont pas les seuls à accorder une grande importance aux élections:  les mêmes thèses proposées par le C.E. nous disent qu'il est utile de se servir dans les campagnes électorales de tous les moyens d'agitation (Thèse N°4). L'organisation du parti qui exerce l'activité électorale revêt un caractère tout-à-fait particulier qui contraste violemment avec le caractère d'organisation répondant à la nécessité de l'action révolutionnaire légale et illégale.

Le parti devient ( reste ) un engrenage de comités électoraux qui se charge seulement de la préparation et de la mobilisation des électeurs. Surtout lorsqu'il s'agit d'un vieux parti social démocrate qui passe au mouvement communiste, c'est un grand danger que de poursuivre l'action parlementaire comme par le passé. Il y a de nombreux exemples de cette situation. 

Pour ce qui concerne les thèses proposées et soutenues par les rapporteurs, je ferai observer qu'elles sont précédées d'une introduction historique avec la première partie de laquelle je concorde presque entièrement. Il est dit que la première internationale se servait du parlement à des fins d'agitation , de propagande et de critique.

Plus tard, dans la seconde internationale, on vérifia l'action corruptrice  du parlementarisme qui conduisait au réformisme et à la collaboration de classe. L'introduction en conclut qu'avec la troisième internationale on doit revenir à la tactique parlementaire de la première, afin de détruire le parlementarisme de l'intérieur. Mais la troisième internationale , si elle accepte la même doctrine que la première, étant donné la grande différence des conditions historiques, doit se servir d'une toute autre tactique et ne pas participer à la démocratie bourgeoise.

Ainsi, dans les thèses qui suivent, il y a une première partie qui n'est pas du tout en contradiction avec les idées que je soutiens. C'est seulement lorsque l'on parle de l'utilisation de la campagne électorale et de la tribune parlementaire pour l'action des masses que commence la divergence.

Nous répudions le parlementarisme, non parce qu'il s'agit d'un moyen légal. On ne peut en proposer l'emploi au même titre que la presse, la liberté de réunion, etc...Ici, il s'agit de moyen d'action , là d'une institution bourgeoise qui doit être remplacée par les institutions prolétariennes des conseils ouvriers. Nous ne pensons pas su tout ne pas usage après la révolution de la presse, de la propagande, etc...mais nous comptons briser l'appareil parlementaire et la remplacer par la dictature du prolétariat.

Nous ne soutenons plus l'argument habituel des "chefs". Nous savons fort bien, et nous l'avons toujours dit aux anarchistes avant la guerre, qu'il n'est suffisant de renoncer au parlementarisme pour se passer des chefs. On aura toujours besoin de propagandistes, de journalistes etc...Il faut à la révolution un parti centralisé qui dirige l'action prolétarienne et il est évident qu'à ce parti, il faut des leaders. Mais la fonction de ces chefs a une valeur tout à fait différente de la traditionnelle pratique social-démocrate. Le parti dirige l'action prolétarienne en ce sens qu'il prend sur lui le travail dangereux et qui exige les plus grands sacrifices. Les chefs du parti ne sont pas seulement les chefs de la révolution victorieuse. Ce seront eux, qui, en cas de défaite tomberont les premiers sous les coups de l'ennemi. Leur situation est tout à fait différente de celle des chefs parlementaires  qui prennent les places les plus avantageuses dans la société bourgeoise.

On nous dit: de la tribune parlementaire on peut faire de la propagande. Je répondrai avec un argument tout à fait...infantile. Ce que l'on dit à la tribune parlementaire est répété par la presse. S'il s'agit de notre presse, alors il est inutile de passer par la tribune pour devoir ensuite imprimer ce que l'on a dit. Les exemples donnés par les rapporteurs ne touchent pas notre thèse. Liebknecht a agi au Reichstag à une époque où nous reconnaissions la possibilité de l'action parlementaire d'autant plus qu'il s'agissait non pas de sanctionner le parlementarisme, mais de se consacrer à la critique du pouvoir bourgeois. Si par ailleurs on mettait sur un plateau de la balance Liebknecht, Roeglund, et les autres cas peu nombreux d'action révolutionnaire au parlement, et dans l'autre toute la série de trahisons de la social-démocratie , le bilan serait très défavorable au "parlementarisme révolutionnaire". La question des bolchévicks dans la Douma, dans le parlement de Kerensky, dans l'assemblée constituante ne se posait pas du tout dans les conditions dans lesquelles nous posons l'abandon  de la tactique parlementaire  et je ne reviendrai pas ici sur la différence entre le développement de la révolution russe et le développement que présenteront les révolutions dans les autres pays bourgeois. Je n'accepte pas plus l'idée de la conquête électorale des institutions communales bourgeoises. Il y a là un problème très important qui ne doit pas être passé sous silence. Je pense profiter des campagnes électorales pour l'agitation et la propagande de la Révolution Communiste , mais cette agitation sera d'autant plus efficace que nous soutenons devant les masses le boycottage des élections bourgeoises.

Et maintenant deux mots sur les arguments présentés par Lénine dans la brochure sur le "Communisme de gauche". Je crois que l'on ne peut pas juger notre tactique antiparlementaire de la même manière que celle qui préconise les syndicats. Le syndicat, même si il est corrompu, est toujours un centre ouvrier. Sortir du syndicat social-démocrate correspond à la conception de certains syndicalistes qui voudraient constituer des organes de lutte révolutionnaire de type non-politique, mais syndical. Du point de vue marxiste ceci est une erreur qui n'a rien de commun avec les arguments sur lesquels s'appuie notre antiparlementarisme. Les thèses du rapporteur déclarent du reste que si la question parlementaire est secondaire pour le mouvement communiste , celle des syndicats ne l'est pas autant.

Je crois que l'opposition à l'action parlementaire on ne doit définir des jugements décisifs sur des camarades ou des partis communistes. Le camarade Lénine dans son intéressante étude expose la tactique communiste en défendant une action très souple correspondant fort bien à l'analyse attentive et rigoureuse du monde bourgeois, et propose d'appliquer à cette analyse dans les pays capitalistes les données de l'expérience de la révolution russe. Il soutient aussi la nécessité de tenir compte au plus haut degré des différences entre les divers pays. Je ne discuterai pas ici de cette méthode . Je ferai seulement observer qu'un mouvement marxiste dans les pays démocratiques occidentaux exige une tactique beaucoup plus directe que celle qui a été nécessaire à la révolution russe.

Le camarade Lénine nous accuse de vouloir écarter le problème de l'action communiste au parlement parce que la solution apparaît trop difficile et de préconiser la tactique antiparlementariste parce qu'elle implique un effort moindre. Nous sommes parfaitement convaincus qu'après avoir résolu comme on nous le propose le problème de l'action parlementaire, les autres problèmes, beaucoup plus importants nous resteront sur les bras et leur solution ne sera pas aussi facile , mais c'est justement pour cette raison que nous pensons porter la plus grande part des efforts du parti communiste sur un terrain d'action bien plus important que celui du parlement. Et cela non parce que les difficultés nous épouvantent. Nous observons seulement que les parlementaires opportunistes qui adoptent une tactique d'application plus commode n'en sont pas moins complètement absorbés dans leur action par l'activité parlementaire et nous concluons que pour résoudre le problème du parlementarisme communiste selon les thèses du rapporteur (en admettant cette solution), il faut des efforts décuplés et il restera moins de ressources et d'énergies au mouvement pour l'action révolutionnaire.

Dans l'évolution du monde bourgeois les étapes que l'on doit nécessairement parcourir même après la révolution dans le passage économique du capitalisme au communisme ne se transposent pas sur le terrain politique. Le passage du pouvoirs des exploiteurs aux exploités  porte avec lui le changement instantané de l'appareil représentatif.

Ce vieux masque qui tend à cacher la lutte de classe doit donc être arraché pour que l'on puisse passer à l'action directe et révolutionnaire. C'est ainsi que nous résumons notre point de vue qui se rattache entièrement à la méthode révolutionnaire marxiste. Je peux conclure par une considération qui nous est commune avec le camarade Boukharine. Cette question ne peut et ne doit donner lieu à une scission dans le mouvement communiste. Si l'internationale Communiste décide de prendre sur elle la création d'un parlementarisme communiste , nous nous soumettrons à sa résolution. Nous ne croyons pas que l'on puisse réussir , mais nous déclarons que nous ne ferons rien pour faire échouer cette oeuvre et je souhaite que le prochain congrès de l'Internationale Communiste n'ait pas à discuter les résultats de l'action parlementaire, mais plutôt à enregistrer les victoires que la révolution communiste aura obtenue dans un grand nombre de pays. Si cela n'est pas possible, je souhaite au camarade Boukharine de pouvoir nous présenter un bilan moins triste du parlementarisme communiste que celui par lequel il a dû commencer aujourd'hui."



Par rapport à ce texte, nous constatons que Bordiga est sur la même ligne que Proudhon sur le travail parlementaire qui pousse les parlementaires à s'éloigner de plus en plus de la vie quotidienne, c'est à dire de ce dont ils doivent s'occuper et légiférer.










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