Les
40 ans de dérégulation qui ont mis le code du travail en miettes
PAR
LAURENT MAUDUIT ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 28 JUIN 2017
Depuis
les premiers stages Barre en 1977, la France a connu une avalanche de
réformes du code du travail, accroissant massivement la flexibilité
et la précarité. L’examen de ces lois soulève une question :
est-il urgent d’en ajouter une autre ? Pour justifier les nouveaux
coups de boutoir violents qu’il entend donner au code du travail
par le truchement autoritaire des ordonnances, Emmanuel Macron a
souvent avancé, pendant la campagne présidentielle, que la France
avait un retard important à rattraper vis-à-vis de ses partenaires.
Vieille ritournelle ! Disposant d’un marché du travail trop
rigide, notre pays aurait tardé à prendre des mesures de
libéralisation pour débrider les énergies et, du même coup,
l’emploi.
Il
faut d’ailleurs lui donner crédit de sa constance : cela fait bien
longtemps qu’Emmanuel Macron défend cette idée. Il a été le
rapporteur, en 2007 et 2008, de la commission Attali, laquelle avait
pour cahier des charges de faire des propositions « pour la
libération de la croissance française ». Sous-entendu :
claquemurée dans un modèle social issu des Trente Glorieuses,
accrochée à des acquis sociaux trop généreux, la France a trop
tardé à s’ouvrir aux vents nouveaux de la mondialisation, et de
la flexibilité qu’elle induit. En bref, la France est restée
indolente et immobile, quand le monde était happé dans de
formidables mutations. D’où l’impérieuse nécessité de cet
électrochoc des ordonnances.
La
France, indolente et immobile ? Dans cette présentation des choses
pour justifier la réforme en même temps que la procédure d’urgence
dans laquelle elle va être prise, il y a pourtant quelque chose de
radicalement faux. Si l’on observe de près les mutations du marché
du travail français depuis exactement quarante ans, c’est le
constat strictement inverse qui saute aux yeux : c’est une
dérégulation formidable que le marché du travail n’a cessé de
connaître, par une avalanche de réformes qui se sont poursuivies à
un rythme échevelé, sous la droite comme sous la gauche, année
après année. Oui, une avalanche de réformes ! Il suffit de les
recenser pour en arriver à ce constat : meurtri par ces secousses
qui
ont
mis à mal le modèle social français et qui ont généré de
nouvelles inégalités, le pays aurait sûrement beaucoup plus besoin
d’une pause dans l’annonce de ces réformes que d’une brutale
accélération. Il suffit de dresser le bilan de cette farandole
ininterrompue de réformes pour s’en convaincre.
1.L’esprit
de Philadelphie. Avant de recenser tous les coups de boutoir
successifs qui ont été donnés contre le code du travail, il faut
d’abord se souvenir d’où nous venons. Ou, si l’on préfère,
de quel monde stable la France a commencé à sortir depuis quatre
décennies. Ce monde stable, c’est Alain Supiot, professeur de
droit social au Collège de France, qui l’a le mieux défini, voilà
quelques années, dans son ouvrage L’Esprit de Philadelphie –
La justice sociale face au marché total(Seuil, janvier
2010). Dans cet essai qui retient l’attention (lire Justice
sociale : le manifeste de l’après-guerre aux oubliettes),
il rappelait en effet qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale,
les vainqueurs avaient dessiné des règles
financières
et monétaires pour assurer la stabilité du monde et le
développement économique, notamment au travers des accords de
Bretton Woods, contresignés le 22 juillet 1944 par les délégués
représentant l’ensemble des 44 nations alliées. Ces accords
furent précédés, le 10 mai 1944, d’une déclaration adoptée par
l’Organisation internationale du travail et connue sous le nom de
Déclaration de Philadelphie. Elle est, en quelque sorte, le pendant
social des accords financiers de Bretton Woods.
Texte
fondateur, cette Déclaration de Philadelphie (que l’on
peut consulter ici dans sa version intégrale) affirme
que « le but central de toute politique nationale et
internationale » doit être la justice sociale. Défendant le
principe que « le travail n’est pas une marchandise» et
que « la pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger
pour la prospérité de tous », cette déclaration ajoute : «
Tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou
leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur
développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la
sécurité économique et avec des chances égales ; la réalisation
des conditions permettant d’aboutir à ce résultat doit constituer
le but central de toute politique nationale et internationale. »
Or,
pour Alain Supiot, depuis la Seconde Guerre mondiale, toute
l’histoire peut se résumer à un « grand basculement ».
Au fil des ans, les grands pays développés ont radicalement rompu
avec l’esprit de Philadelphie, pour conduire aujourd’hui des
politiques strictement contraires. L’objectif de l’essai était
donc d’« analyser ce grand retournement qui semble avoir aboli
les leçons sociales tirées de l’expérience de la période
1914-1945 ».
Ce
travail de déconstruction commence dans le prolongement du premier
choc pétrolier, qui ébranle l’horlogerie interne des Trente
Glorieuses dans la seconde moitié des années 1970.
2.
Les premiers stages Barre. Ces stages, conçus par Raymond Barre,
premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, constituent la
première mesure symbolique de dérégulation du marché du travail.
Alors que sous les effets du premier choc pétrolier, et bientôt du
second, le chômage, jusque-là marginal, commence à s’envoler, le
premier ministre présente en mai 1977 un premier plan d’austérité
– de « rigueur » selon lui – couplé à un premier «
pacte national pour l’emploi des jeunes », qui sera inséré
dans la loi du 5 juillet 1977 (le décret d’application
qui en présente les modalités est à lire ici). Puis
un deuxième pacte voit le jour, consigné dans la loi du 6 juillet
1978 ; un troisième pacte vient ensuite, consigné dans la loi du 10
juillet 1979, qui sera reconduit en 1980. Quand ces premières
mesures sont annoncées, elles suscitent une très vive émotion dans
le pays. Une journée unitaire de grève générale est ainsi
organisée le 24 mai 1977 contre le plan Barre, avec des
manifestations dans de nombreuses villes, dont Paris.
Concrètement,
ces mesures de dérégulation prennent deux formes : il y a des
stages de formation et des stages pratiques en entreprise (on
peut consulter cette étude pour plus de précisions sur
les modalités du plan Barre). Toute la gauche est donc vent
debout contre ces premières mesures de dérégulation sociale et les
« petits boulots » qu’elles organisent, offrant aux plus jeunes
des emplois au rabais, les premiers du genre. Ces stages sont du même
coup au coeur de l’une des polémiques importantes à l’approche
de l’élection présidentielle de 1981. Pour bien montrer qu’ils
ne répondront pas aux sirènes libérales, les
socialistes
consignent dans leurs 110 propositions, qui constituent
leur plate-forme pour la présidentielle, qu’en cas de victoire ils
remettront en cause la déréglementation sociale initiée par
Raymond Barre.
La
22e proposition en porte témoignage : « Le contrat de travail à
durée indéterminée redeviendra la base des relations du travail »,
énonce-t-elle. Avec le recul, la formule laisse songeur, tant les
hiérarques socialistes ont tourné le dos, par la suite, à cet
engagement. À ces 110 propositions, Mediapart avait consacré un
livre en 2011 (reproduction ci-contre),
pour
célébrer à sa façon le 30e anniversaire du 10 mai 1981. Faut-il
brûler le code du travail ?
3.Les
stages d’insertion à la vie professionnelle. Preuve du
reniement des socialistes, dès 1983, ils copient les « petits
boulots » de Raymond Barre qu’ils critiquaient avant l’alternance
et créent ces stages d’insertion à la vie professionnelle (SIVP),
rémunérés moins de la moitié du SMIC. C’est le coup d’envoi,
sous la gauche, par Pierre Mauroy, alors premier ministre, des
premières formes d’emploi précaire pour les jeunes, dérogeant
aux règles sociales et notamment au salaire minimum.
4.Les
travaux d’utilité collective. Devenu premier ministre, Laurent
Fabius continue cette oeuvre de dérégulation sociale en créant les
travaux d’utilité collective (TUC). Ces TUC, qui font l’objet
d’un décret d’application le 16 octobre 1984, sont des
petits boulots à mi-temps offerts par les communes ou les
associations pendant une période ne pouvant excéder six mois et
dont les rémunérations, légèrement inférieures à la moitié du
SMIC, sont versées
directement
par l’État. Créés officiellement pour la bonne cause – lutter
contre le chômage des jeunes qui ne cesse de progresser –, ces
stages ne sont pas considérés comme un véritable emploi ;
l’indemnité versée au bénéficiaire n’ouvre donc pas droit à
la retraite ou à l’assurance-chômage. Derrière les bonnes
intentions affichées par Laurent Fabius, c’est donc bel et bien un
marché du travail de seconde zone, avec des droits minorés ou pas
de droits du tout, qui commence progressivement à voir le jour et
qui va prendre de l’ampleur, sous des formes multiples, les années
suivantes.
5.La
suppression de l’autorisation administrative de licenciement.
Jusqu’en 1986, la déréglementation sociale ne s'en tient
pourtant qu’à des mesures symboliques, qui touchent certes les
plus jeunes, mais qui ne modifient pas encore en profondeur le code
du travail. Mais avec l’alternance et la première cohabitation,
tout change. C’est un véritable séisme social qui commence,
prolongeant pour la France celui qui a commencé dans les pays
anglo-saxons avec Ronald Reagan et Margaret Thatcher, et dont les
répliques se feront sentir sans cesse toutes les années suivantes.
Sentant
venir ce séisme, la revue Droit social et son fondateur,
Jean-Jacques Dupeyroux, qui a si longtemps marqué le débat social
en France, organisent à Montpellier le 25 avril 1986, un petit mois
après les législatives, un colloque au retentissement immense et à
l’intitulé provocateur (souvent copié les années ultérieures) :
« Faut-il brûler le code du travail ? » Les actes du
colloque sont publiés peu après par la revue Droit social
(numéro spécial, juillet-août 1986). Cela résume le
climat qui est alors en train de s’installer en France et qui ne
changera jamais plus. Plus de trente ans plus tard, il est difficile
de retrouver – hormis dans quelques bibliothèques universitaires –
un exemplaire de cette revue, qui avait eu la sagacité d’ouvrir un
débat aussi annonciateur des temps que nous vivons, avec des
contributions aussi fortes et prémonitoires. Grâce aux éditions
Dalloz, qui est devenu l’éditeur de la revue et qui dispose de ses
archives – et auxquelles nous voulons exprimer notre gratitude –,
Mediapart est pourtant en mesure d’exhumer les actes de ce
colloque, qui ont pris une valeur historique. Les voici :
À
la fin du mois de mai 1986, peu de temps après la constitution du
gouvernement de Jacques Chirac, le nouveau ministre des affaires
sociales et de l’emploi, Philippe Séguin, défend devant
l’Assemblée nationale un projet de loi en vue de supprimer
l’autorisation administrative de licenciement. Pour la droite, il
s’agit de mettre en application ce qui a été l’une de ses deux
principales promesses électorales, avec la suppression de l’impôt
sur les grandes fortunes. La promesse est en phase avec les demandes
du patronat. À l’époque, le CNPF (l’ancêtre du Medef), présidé
par Yvon Gattaz (le père de Pierre Gattaz), défend l’idée de
créer ce qu’il appelle, de manière passablement cynique, des
ENCAS (pour : emplois nouveaux à contraintes allégées), lesquels,
selon lui, engendreraient des centaines de milliers d’emplois. Pour
Jacques Chirac et Philippe Séguin, cette suppression de
l’autorisation administrative, qui est le premier grand coup de
boutoir dans le code du travail depuis la Libération et une remise
en cause en profondeur des missions de l’inspection du travail, est
donc un premier pas vers ces ENCAS souhaités par le patronat. Mais
quand le débat commence à l’Assemblée nationale, le 29 mai 1986,
les socialistes, toutes sensibilités confondues, s’indignent de
cette démolition du code du travail. Pour ceux qui souhaitent
retrouver les termes exacts de la controverse, elle apparaît
ci-dessous dans le compte rendu analytique des débats : Tout au long
du débat, il y a donc d’abord un député qui fait constamment du
harcèlement, qui coupe sans cesse Philippe Séguin dans son
intervention, qui l’interpelle, c’est un dénommé… Michel
Sapin, qui deviendra ministre des finances de Pierre Bérégovoy et,
bien plus tard, de François Hollande.
Puis
le porte-parole du parti socialiste pour les questions sociales,
l’ancien ministre du travail Michel Delebarre, prend la parole et
s’indigne : « Toutes les études économiques disponibles
réalisées par des organismes sérieux – qu’ils soient privés
ou publics – montrent en effet qu’il n’y a à attendre que des
effets négatifs sur l’emploi de la suppression
de
l’autorisation administrative de licenciement. La seule étude qui
parvienne à un résultat inverse est celle commandée – je devrais
dire commanditée – par le CNPF en 1984, qui fixe à environ 370
000 le nombre des créations d’emplois qui résulterait de la
suppression de l’autorisation administrative. Vous savez comme moi,
Monsieur le ministre, que les conditions dans lesquelles a été
réalisée cette enquête conduisent à s’interroger sur la
fiabilité de ses conclusions. »
Et
il ajoute : «En supprimant d’un trait de plume l’ordonnance
du 24 mai 1945 et la loi du 3 janvier 1975, vous remettez en cause
deux des principes essentiels de notre législation sociale : d’une
part, le rôle de l’État dans la défense de l’emploi et des
droits des travailleurs ; d’autre part, la responsabilité des
entreprises et des chefs d’entreprise à l’égard de leurs
salariés, y compris en période de difficulté économique.
L’intervention de l’État pour la défense de l’emploi est une
constante depuis la dernière guerre. Elle s’est traduite dès
l’ordonnance de 1945. Elle s’est manifestée en 1963, à travers
la création du Fonds national de l’emploi [FNE – ndlr].
Je rappelle que l’exposé des motifs de la loi créant le FNE
précisait : “Alors que la nation assure aux citoyens une
protection sans cesse accrue, il paraît anormal que les salariés
demeurent exposés à perdre, pour des raisons qui leur sont
extérieures, un travail dont dépend la subsistance de leur
famille.” »
«
Cette protection des salariés contre la perte d’emploi, qu’à
l’évidence l’actuelle majorité juge aujourd’hui anormale, a
été étendue par la création, en 1967, de l’Agence nationale
pour l'emploi. Cette protection des salariés a été ensuite
améliorée. Mais la responsabilité de l’État à l’égard des
travailleurs menacés dans leur emploi n’est pas la seule que vous
entendez supprimer. En rupture avec la conception de l’entreprise
qui prévaut en France depuis quarante ans, vous allez, de fait,
dégager les chefs d’entreprise de leur responsabilité vis-à-vis
de leurs salariés, débauchables à merci dès lors que le nombre
des licenciements n’excède pas le chiffre de 9, aisément
licenciables au-delà, moyennant quelques mesures à caractère
social. »
Quelques
jours plus tard, le samedi 7 juin 1986, quand le débat approche de
son terme, le parti socialiste dépose une motion de censure. On
connaît la suite de l’histoire : le projet de loi est voté et les
socialistes promettent aussitôt qu’ils rétabliront cette
autorisation à la prochaine alternance – ce qu’ils ne feront
jamais.
Martine
Aubry favorise le travail féminin précaire
6.La
déréglementation des années Rocard. Non seulement la gauche,
quand elle revient au pouvoir en 1988, ne rétablit pas cette
autorisation préalable, mais de surcroît, elle poursuit l’œuvre
entreprise en multipliant les mesures de flexibilité. D’abord, un
nouveau contrat de travail précaire, encore un, est créé pour les
jeunes en 1990. Baptisé cette fois contrat emploi-solidarité (CES),
il s’agit d’un contrat de courte durée, portant sur près de 20
heures
par semaine dans le secteur non marchand (collectivités,
établissements publics, associations…), avec une rémunération
assurée par l’État et comprise entre 65 % et 100 % du SMIC. Année
après année, l’emploi devient donc de plus en plus précaire pour
les plus jeunes… Mais il n’y a pas que pour eux que la
flexibilité du travail gagne du terrain. Une autre mesure
formidablement importante – et un peu oubliée dans le débat
public – est mise en place en septembre 1992, à l’initiative de
la ministre du travail, Martine Aubry : il s’agit
d’un
abattement forfaitaire des cotisations de sécurité sociale pour
l’embauche d’un salarié à temps partiel. Il autorise une
exonération de 30 % des cotisations patronales pour une embauche à
temps partiel. Officiellement, la mesure est toujours pétrie de
bonnes intentions (libérales) : il s’agit d’une aide à
l’embauche. Mais dans les faits, cette mesure va jouer un rôle
majeur dans l’expansion, les années suivantes, du travail féminin
à temps partiel contraint. En somme, c’est le coup d’envoi du
travail précaire féminin – les fameuses caissières de
supermarché, avec des emplois du temps démentiels et des salaires
dérisoires, dont on parlera tant les années suivantes. Pour qui
veut mesurer les effets ravageurs de cette
envolée
du travail à temps partiel, il est possible de se référer à cette
intéressante étude de l'Observatoire des inégalités, dont
le graphique ci-dessus est extrait.
7.Le
« SMIC jeunes ». Peu de temps après l’alternance
de 1993, le nouveau gouvernement d’Édouard Balladur et son
ministre du travail, Michel Giraud, élaborent un projet de loi
quinquennale consacrée à l’emploi. Parmi de nombreuses autres
dispositions, l’une d’elles instaure pour les jeunes de moins de
26 ans, jusqu’à bac + 3, le contrat d’insertion professionnelle
(CIP). Il s’agit d’un contrat de travail à durée déterminée
comprise entre six mois et un an, renouvelable une fois, dont la
rémunération en pourcentage du SMIC est fixée par décret. Publiés
le 23 février 1994, les décrets d’application fixent cette
rémunération à 80 % du SMIC. Aussitôt, c’est une explosion de
colère dans les lycées et les universités, où les jeunes partent
en bataille contre ce qu’ils considèrent à bon droit comme un «
SMIC jeunes » ou, si l’on préfère, un sous-SMIC, dérogatoire
au code du travail. À partir du 28 février 1994 et pendant près
d’un mois, les manifestations, souvent tumultueuses, se propagent
dans tout le pays. Et pour finir, Édouard Balladur est obligé, le
30 mars, de retirer sa réforme.
7.Les
emplois jeunes et les 35 heures. Après l’alternance de 1997,
les socialistes annoncent la création de ce qu’ils appellent les
« emplois jeunes ». Il s’agit d’un contrat à durée
déterminée renouvelable cinq fois, à temps plein, réservé aux
services publics. Il est également accessible aux associations.
Comme le « SMIC jeunes » et la contestation qu’il a
déclenchée ont douché les ardeurs dérégulatrices de la puissance
publique, ces « emplois jeunes » soulèvent moins de
polémiques que les autres contrats précaires des années
antérieures. Ils n’en présentent pas moins la singularité
d’inoculer pour la première fois le virus de la précarité au
sein de la fonction publique. Les 35 heures sont l’autre grande
réforme des années Jospin. Initialement, elles devaient constituer
un formidable et nouvel acquis social : il était en effet consigné
dans le projet du PS que le passage des 39 heures aux 35 heures
devait s’effectuer sans perte de salaire. 35 heures payées 39 !
Mais finalement, quand Lionel Jospin accède à Matignon, brutal
changement de cap : la réforme vise d’abord à améliorer, non pas
la situation sociale des salariés, mais la compétitivité des
entreprises. Le passage aux 35 heures accentue donc la modération
salariale en vigueur depuis le tournant de la rigueur des années
1982-1983 et surtout, par le truchement de l’annualisation du temps
de travail, il accroît fortement la flexibilité du travail.
8.l’inversion
de la hiérarchie des normes. Dès l’alternance, en 2003, la
droite enterre les « emplois jeunes », au prétexte qu’ils
sont trop onéreux pour les finances publiques, et invente un nouveau
contrat jeunes en entreprise, dont la simple caractéristique est
d’offrir aux employeurs des exonérations de cotisations sociales.
Peu après, c’est toutefois une brutale accélération que connaît
la dérégulation sociale. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin
engage, en décembre 2003, une réforme sociale majeure – une
contre-réforme, en fait. Mais les choses se passent, dans ces
années-là, si l’on peut dire, en crabe : il s’agit de la
réforme dite de l’inversion de la hiérarchie des normes sociales.
En proposant que des accords d’entreprise puissent désormais
ouvrir droit au bénéfice de dérogations au code du travail, qui
n’étaient jusque-là réservées qu’à des accords de branche –
et dans des sujets aussi importants que le recours aux CDD, le
travail intérimaire ou saisonnier, la durée du travail… –, le
gouvernement bouleverse à l’époque radicalement ce qu’il est
convenu d’appeler « l’ordre public social ». C’est une grande
première dans l’histoire du droit social français. Pour le
patronat, c’était, d’une certaine façon, la mère de toutes les
réformes. Cette inversion de la hiérarchie des normes ne fera
l’objet en France d’un grand débat public que longtemps plus
tard, à la faveur de la loi El Khomri. En fait, c’est dès 2003
que la réforme est lancée, de manière subreptice, puisque c’est
à la faveur d’amendements à un projet de loi consacré à la
formation professionnelle et au dialogue social que le gouvernement
de droite veut engager cette contre-révolution sociale.
À
l’époque, il n’y a guère dans l’opposition qu’un député,
en l’occurrence le socialiste Alain Vidalies, qui s’intéresse au
sujet. Quand on relit le discours qu’il prononce au nom du PS, le
11 décembre 2003 (on peut le retrouver ici),
à l’occasion d’une motion d’irrecevabilité, on en est
abasourdi : chaque formule qu’il utilise pourra, longtemps plus
tard, se retourner contre le gouvernement de Manuel Valls auquel il
participera.
«
Pour des raisons politiciennes, commence Alain Vidalies, vous
avez préféré avancer masqués derrière cet accord et derrière la
position commune de juillet 2001 sur les voies et moyens de la
négociation collective, pour imposer un bouleversement de la
hiérarchie des normes et de notre droit du travail. Vous tentez là
un coup fourré lourd de conséquences pour des millions de salariés,
mais aussi pour nos entreprises, car l’alignement par le bas de
nos normes – ce que d’aucuns appellent le dumping social –
affectera aussi les conditions de la concurrence ! Vos propositions
de modification du mode d’élaboration des accords collectifs nous
semblaient bien modestes au regard de l’enjeu. Vous vous borniez à
un traitement homéopathique, mais qui autorisait néanmoins un débat
légitime et serein. »
«
Vous ne voulez rien de moins qu’enterrer une partie de notre
histoire collective »
«
Et voici qu’à notre stupéfaction, au dernier moment, vous avez
ajouté au texte des dispositions d’une gravité exceptionnelle,
qui en modifient complètement la portée et qui apparaîtront comme
une immense régression, dans l’esprit d’une mondialisation
libérale qui ne connaît comme dialogue social que celui qui se
limite à l’entreprise. Vous ne voulez rien de moins qu’enterrer
une partie de notre histoire collective, que déchirer le contrat
social écrit en 1936, en 1950, en 1968 et en 1982. »
«
En défendant ce projet dans ces conditions, vous lancez un défi au
bon sens. Mais vous êtes lucides et c’est en toute conscience que
vous tentez un passage en force, avec le soutien du seul Medef, qui
manifeste un enthousiasme d’ailleurs bien compréhensible – en
fait de dialogue social, vous ne favorisez que le monologue patronal
», dit encore le député socialiste.
Et
c’est quelque temps plus tard qu’il explique pourquoi cette
inversion de la hiérarchie des normes sociales constitue une
régression sociale historique :
«
La hiérarchie des normes et le principe de faveur constituent les
fondements de notre droit du travail. En vertu de l’ordre public
social, à mesure que l’on descend dans la hiérarchie des normes,
on ne peut qu’améliorer les droits des travailleurs et les
garanties sociales. En d’autres termes, le contrat de travail ne
peut être moins favorable aux salariés que l’accord d’entreprise,
l’accord d’entreprise que l’accord de branche, et l’accord de
branche que l’accord interprofessionnel. Un grain de sable dans
cette mécanique suffirait à entraîner l’effondrement de tout
l’édifice. »
«
Il est donc inacceptable que soit remis en cause ce principe, au nom
d’une prétendue libération de la négociation d’entreprise qui
ne serait qu’incitation à la flexibilité et entraînerait la
paupérisation des salariés. Il est même impératif que ces
principes soient étendus aux trois fonctions publiques. Nous
proposons ainsi l’élargissement à tous les agents de la fonction
publique du champ de la négociation, l’institution d’une
obligation annuelle de négocier, la mise en œuvre du principe des
accords majoritaires et l’instauration d’un processus qui
permettrait aux accords d’acquérir une force juridique, compatible
avec le statut des fonctionnaires. »
Avec
le recul, ces constats sont ravageurs. Car ils visaient à l’époque
la droite, mais ils pourraient tout autant s’appliquer au
gouvernement de Manuel Valls. Terrible constat qu’Alain Vidalies,
sans doute trop attaché à ses fonctions ministérielles, a eu la
couardise de ne plus exhumer sous le quinquennat de François
Hollande : « Vous ne voulez rien de moins qu’enterrer une
partie de notre histoire collective, que déchirer le contrat social
écrit en 1936, en 1950, en 1968 et en 1982. »
9.
Le contrat première embauche. En janvier 2006, le premier
ministre de l’époque, Dominique de Villepin, part de nouveau en
croisade contre le code du travail, en voulant créer un contrat
dérégulé pour les jeunes, baptisé contrat première embauche
(CPE). Cette fois encore, c’est l’explosion de colère dans les
lycées et universités. Et le parti socialiste monte aussi au
créneau pour défendre le code du travail. Avec le recul, ce qui
retient l’attention, c’est que même le premier secrétaire du
PS, lors des questions d’actualité au gouvernement, le 25 janvier
2006, interpelle de manière énergique le premier ministre. Un
premier secrétaire du PS qui n’est évidemment autre que…François
Hollande.
Or
les griefs énoncés ce jour-là par François Hollande se
retourneront tout aussi cruellement contre lui, une décennie plus
tard. D’abord, il reproche à Dominique de Villepin d’avoir «
allégé les cotisations sociales sans aucune contrepartie pour les
employeurs ». Exactement ce que fera François Hollande à
partir de 2012, mais dans des proportions encore plus extravagantes,
et toujours sans la moindre contrepartie.
Deuxième
grief, François Hollande interpelle Dominique de Villepin pour une
autre raison : « Si vous étiez sûr de vous, Monsieur le premier
ministre, pourquoi n’avez-vous pas engagé une concertation avec
les partenaires sociaux ? » Et faisant valoir que c’était
pourtant une obligation découlant de la loi Fillon de 2003, il
ajoute : « Toute législation en matière de droit du travail
doit être précédée d’une concertation. Elle n’a pas eu lieu.
» Or c’est aussi le passage en force, au début, que François
Hollande et Manuel Valls privilégieront avec leur réforme du code
du travail.
Troisième
grief, François Hollande pose enfin ces questions : «Où il est
le progrès ? Il est dans la précarité. Des jeunes aujourd’hui ;
de tous demain. »
Des
mots que les manifestants lycéens et étudiants de 2016 pourront
tout autant consigner sur leurs banderoles. C’est ce qu’il y a de
terrible dans ce va-et-vient d’une époque à l’autre : il vient
confirmer que le gouvernement socialiste de Manuel Valls
s’apparentera en tous points aux gouvernements de droite des années
antérieures.
Quoi
qu’il en soit, la France aura donc multiplié les formes d’emploi
précaire pour les jeunes. Stages Barre, TUC, CES, SIVP, CIP, emplois
jeunes, emplois en entreprise, CPE : à chaque alternance, tous les
gouvernements ont sorti de leur besace un nouvel emploi, pour une
efficacité douteuse, si l’on se fie à une étude récente du
service de recherche du ministère du travail, la Dares : .
10.
La dérégulation Sarkozy. À partir de 2007, nouveaux coups de
boutoir à répétition contre le code du travail : avec l’élection
de Nicolas Sarkozy, la déréglementation sociale devient le cap
revendiqué par la puissance publique de manière encore plus marquée
que pendant les années précédentes. Et l’inversion de la
hiérarchie des normes sociales, qui avait été décidée à la
sauvette en 2003, commence concrètement à s’appliquer. Par
exemple, le gouvernement de l’époque fait adopter une réforme du
forfait jour pour les cadres très régressive, puisque des accords
d’entreprise peuvent éventuellement porter la barre au delà de
celle, déjà très inquiétante, fixée par la loi, des 235 jours de
travail.
Promis
pendant la campagne présidentielle par Nicolas Sarkozy, un nouveau
contrat de travail prévoit par ailleurs un système de rupture par
consentement mutuel entre l’employeur et le salarié. Là encore,
c’est une mise en pratique de cette inversion de la hiérarchie des
normes sociales, avec tous les effets pernicieux induits, puisque
cela vise à sortir d’un vieux système, le contrat à durée
indéterminée (CDI), adossé à des règles nationales et notamment
des règles de droit très strictes, celles du droit du licenciement,
et à y substituer un contrat nouveau, où la loi s’efface au
profit d’une relation purement contractuelle entre le salarié et
l’employeur.
Le
travail ne protège plus depuis longtemps de la pauvreté
Du
temps de travail au contrat de travail, c’est d’ailleurs la
philosophie générale de la politique sociale du gouvernement de ces
années-là. Avec, comme onde de choc, un retrait progressif de la
loi et une contractualisation à outrance des relations sociales. Une
contractualisation ou une individualisation. C’est donc
l’aboutissement ultime de cette inversion de la hiérarchie des
normes : elle conduit, sous la houlette de Nicolas Sarkozy, à
émietter les relations du travail et, plus que cela, à placer le
salarié seul face à l’entreprise. C’est la remise en cause des
règles fondamentales qui ont présidé pendant des lustres à
l’élaboration du code (national) du travail.
11.
La dérégulation Hollande-El Khomri. Au lendemain de
l’alternance, c’est exactement dans la même philosophie sociale
que s’inscrit la politique impulsée par François Hollande : elle
se rapproche beaucoup plus de celle conduite par Nicolas Sarkozy
entre 2007 et 2012 que de celles conduites par la droite dans les
périodes antérieures, que ce soit durant les années 1986 à 1988,
entre 1993 et 1997, ou encore entre 2002 et 2007. L’inspiration de
François Hollande est la même que celle de Nicolas Sarkozy :
l’entreprise est le seul référent et doit prévaloir sur la loi
ou l’accord de branche…L’inspiration est la même, mais il y a
une chose qui change : c’est le rythme et la violence des réformes
néolibérales. D’un seul coup, à partir de 2012, les coups
infligés au code du travail sont plus violents et surtout beaucoup
plus répétés. C’est comme un feu roulant : dès qu’une réforme
antisociale entre en application, une autre est tout aussitôt
annoncée. Temps bénis pour le Medef, qui peut faire de la
surenchère autant qu’il veut, avec la certitude qu’il sera
entendu dans toutes ses outrances. Il y a ainsi, en 2013, l’accord
national interprofessionnel (ANI) « sur la compétitivité et la
sécurisation de l’emploi », avec à la clef une cascade de
dispositions socialement très régressives : possibilité de recours
à des accords d’entreprise autorisant une hausse du temps de
travail sans hausse des salaires, et même avec des baisses de
salaires ; procédures facilitées pour les licenciements
économiques, avec la possibilité de plans sociaux accélérés,
considérés comme conformes au bout de trois semaines si
l’administration n’a pas mis son veto avant ; raccourcissement de
la période pendant laquelle un salarié peut saisir le juge des
prud’hommes concernant l’exécution ou la rupture de son contrat
de travail, etc.
Il
y a, en 2015, la première loi Macron, qui renforce très fortement
l’arsenal de ces mesures antisociales, avec la déréglementation
du travail le dimanche. De nouvelles dispositions facilitant encore
plus les procédures de licenciement et réduisant encore davantage
les possibilités de recours des salariés sont aussi prises dans
cette loi fourre-tout. Puis, très vite après, il y a la deuxième
loi Macron, qui poursuit le travail de démolition.
Enfin,
inspirée en bonne partie par Emmanuel Macron,
la
loi El Khomri est promulguée le 8 août 2016, qui lance le pays
dans l’un des conflits sociaux les plus graves de ces dernières
années, car elle entend parachever l’inversion de la hiérarchie
des normes sociales initiée en 2003 et faire de l’entreprise le
lieu privilégié de la négociation sociale, notamment en matière
de temps de travail, de repos et de congés, en tenant compte des
variations de l’activité de l’entreprise. Dans ces domaines, les
accords d’entreprise pourront prévaloir sur les accords de
branche.
12.
Des souffrances sociales formidables. Alors, après tant et tant
de coups de boutoir contre le code du travail, pourquoi y a-t-il une
telle urgence à continuer la déconstruction du code du travail, de
surcroît de la manière la plus autoritaire qui soit, par le biais
des ordonnances, c’est-à-dire en court-circuitant les élus de la
nation ? C’est l’intérêt de ce regard rétrospectif sur
l’avalanche de réformes sociales que la France a connue depuis
exactement quatre décennies : il permet de mesurer ceci, que la
France, loin d’avoir tardé à conduire des réformes de son marché
du travail, est épuisée de l’avoir fait sans discontinuer, avec
obstination, tout au long de ces années – des réformes qui ont
généré des souffrances sociales formidables, mais qui n’ont pas
contribué à créer d’emplois ; ou plutôt si, mais seulement des
emplois… précaires ! Et des conséquences terribles de cette
avalanche de réformes, il existe d’innombrables manifestations.
Générant un emploi de plus en plus précaire et flexible, cette
déconstruction progressive et continue du code du travail aboutit,
par exemple, à un phénomène radicalement nouveau en France : on
découvre progressivement dans le courant des années 1990 et 2000
que le travail ne protège plus de la pauvreté. Et la tendance est
massive, comme l'attestent les derniers chiffres disponibles, ceux de
l’Insee, sur les niveaux de vie en 2014, que l’on peut consulter
ci-dessous :On y découvre que la pauvreté (dont sont victimes
les Français qui ont un niveau de vie inférieur de 60 % au revenu
médian) touche 14,1 % de la population, soit le chiffre considérable
de 8,8 millions de personnes. Et dans le lot, il y a 1,9 million
d’actifs, c’est-à-dire 1,9 million de travailleurs pauvres,
disposant de petits boulots précaires leur interdisant de sortir de
la misère. À titre d’illustration, près d’un emploi sur deux
dans l’industrie automobile relève de l’intérim.
L’autre
indicateur qui établit très clairement les effets ravageurs de
cette contre-révolution sociale, c’est celui du chômage.
Observons, en effet, les derniers chiffres disponibles de Pôle
emploi, arrêtés à la fin du mois d’avril dernier. Ces chiffres
ont un grand intérêt. Ils permettent d’établir que quand le
marché du travail se redresse, ce n’est désormais qu’une
minorité de salariés qui en profitent. À preuve, les demandeurs
d’emploi de la catégorie A (la catégorie la plus restreinte)
baissent sur un mois de 1 % et sur un an de 1,3 %. Mais dans
le
même temps, le nombre des demandeurs d’emploi toutes catégories
confondues (des catégories A à E) continue de progresser de 0,3 %
sur un mois et de 2,2 % sur un an. Tant et si bien que le nombre de
ces demandeurs d’emploi atteint désormais le chiffre effrayant de
6,6 millions de personnes.
Autre
chiffre qui rend spectaculairement compte des évolutions que nous
venons de retracer : au début des années 1980, 90 % des emplois
créés étaient des contrats à durée indéterminée. Quatre
décennies plus tard, la proportion s’est quasiment inversée
puisque, de nos jours, 86 % des emplois créés relèvent de ce que
les statisticiens appellent les formes particulières d’emploi,
autrement dit du CDD, du travail à temps partiel, de l’intérim,
etc.
Alors,
que peut-on attendre d’une nouvelle réforme du marché du travail
? La réponse coule de source : une nouvelle accentuation de cette
divergence, avec un marché du travail à deux vitesses, l’un pour
les salariés favorisés, l’autre pour les forçats de la
précarité. En quelque sorte, une ubérisation croissante de la
société…
Trouvant
les mots justes pour dire son indignation lors des manifestations
contre la loi sur le travail, Pierre Joxe, le 19 décembre 2014,
participant à un débat de Mediapart, avait fait ce constat terrible
à l’adresse de ces anciens camarades socialistes : « Je
suis éberlué par cette politique qui va contre notre histoire. »
Boite
noire
Je
veux redire ici ma gratitude aux éditions Dalloz, qui ont eu la
gentillesse de plonger dans leurs archives pour en exhumer le numéro
si précieux de la revue Droit social
(numéro spécial de juillet-août
1986) et m’ont autorisé à le mettre ici en ligne. Je veux par
ailleurs signaler que j’ai repris dans cet article quelques
extraits de deux articles antérieurs, celui-ci
et celui-là.
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