La Révolution de Février
1848 :
« J'eus donc ainsi
l'occasion de voir les ouvriers et
de les étudier du matin au soir. Jamais et nulle part, dans aucune
autre classe sociale, je n'ai trouvé autant de noble abnégation, ni
tant d'intégrité vraiment touchante, de délicatesse dans les
manières et d'aimable gaieté unie à pareil héroïsme que chez ces
simples gens sans culture, qui ont toujours valu et qui vaudront
toujours mille fois mieux que leurs chefs.
Ce qui frappe surtout en eux ,
c'est leur profond instinct de la discipline ; dans leurs
casernes, il ne pouvait y avoir ni ordre établi, ni lois, ni
contrainte ; mais plût à Dieu que n'importe quel soldat
régulier sût obéir avec autant d'exactitude, deviner aussi bien
les désirs de ses chefs et maintenir l'ordre aussi strictement que
ces hommes libres ; ils demandaient des ordres, ils demandaient
des chefs, obéissaient avec minutie, avec passion ; dans leur
pénible service, pendant des journées entières, ils enduraient la
faim et ils n'en étaient pas moins aimables et toujours gais. Si ces
gens, si ces ouvriers avaient trouvé un chef digne d'eux, capable de
les comprendre et de les aimer, ce chef aurait pu accomplir, avec
eux, des miracles.
Ce mois passé à Paris (…)
fût un mois de griserie pour l'âme. Non seulement j'étais grisé,
mais tous l'étaient : les uns de peur folle, les autres de
folle extase, d'espoirs insensés. Je me levais à cinq ou quatre
heures du matin, je me couchais à deux heures, restant sur pied
toute la journée, allant à toutes les assemblées, réunions,
clubs, cortèges, promenades ou démonstrations ; en un mot,
j'aspirais par tous mes sens et par tous mes pores l'ivresse de
l'atmosphère révolutionnaire. »
« Outre les qualités
indispensables pour constituer le caractère révolutionnaire sérieux
et honnête, telles que : bonne foi, courage, prudence,
discrétion, constance, fermeté, résolution, dévouement sans
limite, absence de vanité et d'ambition personnelle, intelligence,
pratique, il faut encore que le candidat ait adopté de cœur, de
volonté et d'esprit tous les principes fondamentaux de notre
catéchisme révolutionnaire. »
Organisation Politique
« Les églises,
considérées comme corporations religieuses, ne jouiront d'aucun des
droits politiques qui seront attribués aux associations productives,
ne pourront ni hériter, ni posséder des biens en commun excepté
leurs maisons ou établissements de prière, et ne pourront jamais
s'occuper de l'éducation des enfants, l'unique objet de leur
existence étant la négation systématique de la morale, de la
liberté et de la sorcellerie lucrative. »
« La liberté ne peut et
se doit se défendre que par la liberté : et c'est un
contresens dangereux que de vouloir y porter atteinte sous le
prétexte spécieux de la protéger ; et, comme la morale n'a
pas d'autre source, d'autre stimulant, d'autre cause, d'autre objet
que la liberté, et comme elle n'est elle-même rien que la liberté,
toutes les restrictions qu'on a imposées à cette dernière dans le
but de protéger la morale ont toujours tourné au détriment de
celle-ci. »
Organisation sociale
« L'égalité et la
justice réclament uniquement : une organisation de la société
telle que tout individu humain naissant à la vie y trouve, en tant
que cela dépendra non de la nature mais de la société, des moyens
égaux pour le développement de son enfance et de son adolescence
jusqu'à l'âge de sa virilité, pour son éducation et pour son
instruction d'abord, et plus tard pour l'exercice des forces
différentes que la nature aura mises en chacun pour le travail.
Cette égalité de point de départ, que la justice réclame pour
chacun, sera impossible tant qu'existera le droit de succession. »
« Le mal dont souffre le
peuple est encore plus facile à déterminer : il travaille pour
autrui, et son travail, privé de liberté, de loisir et
d'intelligence, et par là même avili, le dégrade, l'écrase et le
tue. Il est forcé de travailler pour autrui, parce que né dans la
misère et privé de toute instruction et de toute éducation
rationnelle, moralement esclave grâce aux influences religieuses, il
se voit jeté dans la vie désarmé, discrédité, sans initiative
et sans volonté propre. Forcé par la faim, dès sa plus tendre
enfance, à gagner sa triste vie, il doit vendre sa force physique,
son travail aux plus dures conditions sans avoir ni la pensée, ni la
faculté matérielle d'en exiger d'autres. Réduit au désespoir
mais, manquant de cette unité et de cette force que donne la pensée,
mal conduit, le plus souvent trahi et vendu par ses chefs, etne
sachant presque jamais à quoi s'en prendre des maux qu'il endure,
frappant le plus souvent à faux, il a , jusqu'à présent du moins,
échoué dans ses révoltes et, fatigué d'une lutte stérile, il est
toujours retombé sous l'antique esclavage. »
De la faille et de l'école :
« Du moment qu'une femme
porte un enfant dans son sein, jusqu'à ce qu'elle l'ait mis au monde
elle a droit à une subvention de la part de la société, payée non
pour le compte de la femme mais pour celui de l'enfant. Toute mère
qui voudra nourrir et élever ses enfants recevra également de la
société tous les frais de leur entretien et de sa peine (
prodiguée) aux enfants. »
Politique révolutionnaire
« L'objet de la révolution
démocratique et sociale peut se définir en deux mots :
Politiquement : c'est
l'abolition du droit historique, du droit de conquête et du droit
diplomatique. C'est l'émancipation complète des individus et des
associations du joug de l'autorité divine et humaine : c'est la
destruction absolue de toutes les unions et agglomérations forcées
des communes dans les provinces, des provinces et des pays conquis
dans l'état. Enfin c'est la dissolution radicale de l'état
centraliste, tutélaire, autoritaire, avec toutes les institutions
militaires, bureaucratiques, gouvernementales, administratives,
judiciaires et civiles. C'est en un mot la liberté rendue à tout le
monde, aux individus, comme à tous les corps collectifs,
associations, communes, provinces, régions et nations, et la
garantie mutuelle de cette liberté par la fédération.
Socialement : c'est la
confirmation de l'égalité politique par l'égalité économique.
C'est, au commencement de la carrière de chacun, l'égalité du
point de départ, égalité non naturelle mais sociale pour chacun,
c'est-à-dire égalité des moyens d'entretien, d'éducation,
d'instruction pour chaque enfant, garçon ou fille, jusqu'à l'époque
de sa majorité. »
Programme et objet de
l'organisation secrète révolutionnaire des Frères Internationaux :
« Tout individu humain est
le produit involontaire d'un milieu naturel et social au sein duquel
il est né, il s'est développé et dont il continue à subir
l'influence. Les trois grandes causes de toute immoralité humaine
sont : l'inégalité tant politique qu'économique et sociale ;
l'ignorance qui en est le résultat naturel et leur conséquence
nécessaire : l'esclavage. »
Polémique avec Marx
« Prétendre qu'un groupe
d'individus, même les plus intelligents et les mieux intentionnés,
seront capables de devenir la pensée, l'âme, la volonté dirigeante
et unificatrice du mouvement révolutionnaire et de l'organisation
économique du prolétariat de tous les pays, c'est une telle hérésie
contre le sens commun et contre l'expérience historique, qu'on se
demande avec étonnement comment un home aussi intelligent que M Marx
a pu la concevoir. »
Étatisme et anarchie
« Ainsi, sous quelque
angle qu'on se place pour considérer cette question, on arrive au
même résultat exécrable : le gouvernement de l'immense
majorité des masses populaires par une minorité privilégiée. Mais
cette minorité, disent les marxiens, se composera d'ouvriers. Oui,
certes, d'anciens ouvriers, mais qui, dès qu'ils seront devenus des
gouvernants ou des représentants du peuple, cesseront d'être des
ouvriers et se mettront à regarder le monde prolétaire du haut de
l'état ; ne représenteront plus le peuple, mais eux-même et
leurs prétentions à le gouverner. Qui en doute ne connaît pas la
nature humaine. »
La Commune de Paris
« Je suis un partisan de
la Commune de Paris qui, pour avoir été massacrée, étouffée dans
le sang par les bourgeois de la réaction monarchique et cléricale,
n'en est devenue que plus vivace, plus puissante dans l'imagination
et dans le cœur du prolétariat de l'Europe ; j'en suis le
partisan surtout parce qu'elle a été une négation audacieuse, bien
prononcée, de l’État. »
« Paris noyé dans le sang
de ses enfants les plus généreux, c'est l'humanité crucifiée par
la réaction internationale et coalisée de l'Europe, sous
l'inspiration immédiate de toutes les églises chrétiennes et du
grand prêtre de l'iniquité, le pape ; mais la prochaine
révolution internationale et solidaire des peuples sera la
résurrection de Paris . »
« Ils sont d'autant plus
excusables que le peuple de Paris lui-même, sous l'influence duquel
ils ont pensé et agi, était socialiste beaucoup plus d'instinct que
d'idée ou de conviction réfléchie. Toutes ses aspirations sont au
plus haut degré et exclusivement socialistes ; mais ses idées
ou plutôt ses représentations traditionnelles sont encore loin
d'être arrivées à cette hauteur. Il y a encore beaucoup de
préjugés jacobins, beaucoup d'imaginations dictatoriales et
gouvernementales, dans le prolétariat des grandes villes de France
et même dans celui de Paris. Le culte de l'autorité, produit fatal
de l'éducation religieuse, cette source historique de tous les
malheurs, de toutes les dépravations et de toutes les servitudes
populaires, n'a pas été encore complètement déraciné de son
sein. C'est tellement vrai que même les enfants es plus intelligents
du peuple, les socialistes les plus convaincus, ne sont pas encore
parvenus à s'en délivrer d'une manière complète. Fouillez dans
leur conscience et vous y retrouverez le jacobin, le
gouvernementaliste, refoulé dans quelque coin bien obscur et devenu
très modeste, il est vrai, mais non entièrement mort. »
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