"Tout abandon de principes aboutit forcément à une défaite" Elisée Reclus "Le dialogue, c'est la Mort" L'injure sociale
samedi 5 août 2017
Encyclopedie Anarchiste AXIOMES MORAUX. ― AXIOMES SOCIAUX.
L'homme ne prend pas toujours le mot vérité dans le même sens. De ses premières ébauches intellectuelles, il dégage des principes qui correspondent aux conditions de son entendement, et des premiers essais par lesquels son activité s'exerce, d'autres principes qui lui semblent indispensables, pour le meilleur rendement de son action. Il dit uniformément de ces principes si dissemblables qu'ils sont vrais. Il est vrai que la ligne droite est mon plus court chemin pour me rendre d'un point à un autre, et il est vrai que, sur terre, pour me rendre d'un point à un autre, j'ai besoin de n'être ni arrêté ni tué par le voisin qui m'interdirait ou me disputerait le chemin.
Ces deux propositions sont également nécessaires, comme disent les mathématiciens ; elles s'imposent, l'une et l'autre, à la raison, qui adopte aussitôt l'une, et cède immédiatement à l'autre ;mais leur nécessité n'est pas du même ordre.
L'axiome se proclame et le dogme se promulgue ; l'axiome crée le mètre et le dogme le gendarme ; les axiomes demeurent, les dogmes finissent ; la nécessité des uns et des autres est inégalement relative ; expliquons-nous tout d'abord sur ce point.
L'axiome de la ligne droite, suppose, nous l'avons dit, l'espace, et n'a de valeur que par rapport à l'espace. L'axiome deux et deux font quatre, suppose le nombre et, par suite, le discernement de l'unité. Ces axiomes serviront, tant qu'il y aura des hommes, pour l'exigence de leur vie pratique, mais il est possible que l'esprit s'élève jusqu'à la conception d'un monde qui ne serait plus conditionné par les données de nos sens. Nous connaissons la lumière par l'excitation heureuse et vive qu'elle détermine dans l'appareil récepteur de notre oeil, mais nous comprenons que la lumière ne peut être définie en elle-même par l'effet tout contingent que produit sa rencontre avec notre rétine. Les premiers humains ont appelé ciel le dôme fictif auquel semblent suspendus les astres visibles, mais le télescope a révélé ou le calcul a décelé des astres que notre regard n'atteignait pas ; l'idée rudimentaire du ciel s'est fondue au fur et à mesure que la voûte a grandi, et que le plafond s'est dissous. Cependant, pour nos besoins courants, et dans la limite du monde ambiant, l'idée de ciel est demeurée commode. Nous disons qu'une tour s'élève vers le ciel, que l'étoile filante a traversé le ciel de Paris. La nécessité des axiomes se prolongera aussi longtemps que nos mains manieront des outils, ou que nos outils s'attaqueront à la matière. Pour les dogmes, il en est autrement. Leur valeur se modifie avec leur utilité. Ce sont des arbres de haute futaie, mais l'humanité défriche. Prenons un exemple entre tous ceux que pourrait suggérer l'analogie.
Le code civil, carrosse admirablement travaillé, mais démodé, et qui se transforme, nous porte encore. Les hommes qui l'ont construit, en utilisant le bois solide fourni par les coutumes, ont
considéré que la fortune consistait principalement en immeubles et accessoirement en meubles. On
les aurait fort étonnés en contestant ce principe proportionnel. Ils ignoraient les valeurs de Bourse ;
ils connaissaient à peine les effets de commerce, et les traites de place en place leur semblaient le
plus audacieux expédient de l'échange. L'économie financière a renversé les « idées admises ». Les
idées admises ne sont, pour la plupart, que des postulats, indûment consacrés, et plus témérairement
encore érigés en axiomes, quand leur simplicité et leur généralité le permet.
Sondons ces assises granitiques sur lesquels l'homme a édifié la société. Nous examinerons les articles majeurs du Credo social, car il y a un Credo social : il n'y a pas de Credo scientifique.
La philosophie a des écoles et ne connaît pas de chapelles ; nous procéderons à notre exploration avec le scrupule de la loyauté la plus entière et dans l'indépendance complète qui est
assurée à notre pensée.
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