"Tout abandon de principes aboutit forcément à une défaite" Elisée Reclus "Le dialogue, c'est la Mort" L'injure sociale
jeudi 3 août 2017
Hommage à Jules Durand
« Que vous soyez puissants ou misérables, les jugements de Cour vous rendront blancs ou noirs ». Je ne pouvais pas évoquer aujourd'hui devant vous cette terrible affaire sans citer ces fameux vers de Jean de Lafontaine.
Il y a 100 ans, jour pour jour, le 25 novembre 1910, la Cour d'assises de Seine Inférieure condamnait à mort Jules Durand pour complicité morale d’assassinat en précisant que « l'exécution de Durand aura lieu sur l'une des places publiques de la Ville de Rouen »
Et, il faudra plus de 7 ans pour que Jules Durand soit définitivement innocenté par la Cour de Cassation, qui dans un arrêt du 25 juin 1918, le réhabilitera au terme d’une seconde enquête établissant que les témoins à charge avaient menti, et ce à la demande de la principale entreprise du port.
Malheureusement, le mal était fait, Jules Durand avait sombré dans la folie, du fait de sa condamnation et des conditions de son incarcération.
***
Bien moins connue du grand public que les affaire DREYFUS, SEZNEC ou DOMINICI, l’affaire Jules DURAND est pourtant la plus grande erreur judiciaire que la France ait probablement connue au XXéme siècle !
Faut-il rappeler en effet que contrairement au capitaine DREYFUS, condamné à la déportation par le Conseil de guerre en 1894 et 1899, l’ouvrier Jules DURAND a, lui, été condamné à mort ?
Faut-il rappeler aussi que contrairement à SEZNEC ou DOMINICI, dont la culpabilité a fait débat et donné lieu à une filmographie importante et à la publication de maints ouvrages, Jules DURAND a, lui, été reconnu innocent, en 1918, et définitivement réhabilité par la Cour de Cassation, la plus haute instance judiciaire de ce pays ?
Arrêtons-nous quelques instants sur ce terme d’erreur judiciaire utilisé à tout bout de champ, souvent à tort.
En droit pénal, on ne peut parler d’erreur judiciaire que lorsque la plus haute instance judiciaire du pays admet que la condamnation d’une personne apparaît, au terme de nouvelles investigations, dépourvu de fondements juridiques, autrement dit lorsque la preuve est rapportée que les charges retenues contre un accusé , en première instance, étaient infondées.
Autant vous dire que les cas sont extrêmement rares, et il faut le dire et le redire, s’agissant d’une condamnation à mort, l’affaire Jules Durand est un cas unique, en France, au XXème siècle.
Dés lors, il est grandement temps de rendre à cet innocent, condamné « au nom du peuple français », l’hommage solennel qui lui est dû.
Aujourd’hui, c’est, à ma connaissance, la première fois que des représentants des professions judiciaires s’associent solennellement à l’hommage public rendu à l’innocent Jules Durand.
Le symbole est fort, ,,,même si la mobilisation de la profession, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir n’est pas à la hauteur de mes espérances, notamment pour ce qui concerne le tribunal du Havre. C’est pourtant dans les murs de notre Palais de justice que tout a commencé le 11 septembre 1910 par l’inculpation et l’incarcération du secrétaire du syndicat des ouvriers charbonniers et de ses deux adjoints.
Heureusement, les magistrats seront bien plus nombreux samedi à la Cour d’Appel de Paris, à l’occasion de l’hommage qui sera rendu à Jules Durand, lors du congrès annuel du Syndicat de la Magistrature…
Pour ma part, je suis profondément convaincu que la justice se grandit à chaque fois qu’elle reconnaît ses erreurs et permet que les victimes de ses dysfonctionnements soient réhabilitées dans leur honneur et leur dignité.
Alfred Dreyfus, une fois innocenté en 1906 de la peine infamante à laquelle il avait par deux fois été condamné, sera réintégré dans l’armée française avec le grade de chef d’escadron, recevra la légion d’honneur et aura même droit en 2006 à une cérémonie d’hommage solennel, en présence du Président de la République ;
Lorsque, plus récemment, des accusés ont été acquittés par la Cour d’assises de Paris, les personnes innocentées ont été reçus à la Chancellerie ou à l’Elysée et ont été légitimement indemnisés des périodes de détention provisoire qu'ils avaient accomplies.
Pour Jules Durand, pour sa famille, pour sa mémoire, qu’en est-il aujourd’hui ?
Rien ou presque …. un boulevard un peu crasseux sur le port du Havre, une école primaire dans un
quartier périphérique...
Pour Jules Durand, pas de légion d’honneur, pas de cérémonie officielle…y compris lorsque René Coty, son avocat, sera président de la République…
Pour Jules Durand, pour sa famille, pas d’indemnisation, aucun début de réparation du préjudice.
Pas même de poursuite pénale contre les auteurs des faux témoignages et contre les personnes à l’origine de la subornation de témoins. Comme le savent certains, les magistrats du Havre ont souhaité majoritairement que le nom de Jules Durand, soit associé au nom d’autres personnalités havraises, tels que Jules Siegfried et Raymond Queneau, pour la dénomination des salles d’audience de la nouvelle annexe du tribunal. La hiérarchie judiciaire a refusé en préférant baptiser les 3 salles A. B. et C.
C'est le signe que manifestement cette affaire demeure sensible !
Manifestement ce qui gêne, ici comme ailleurs, ce qui explique le silence gêné des officiels, c’est le fait que cette affaire s’inscrive historiquement dans un contexte de lutte des classes exacerbée, c’est qu’elle concerne un ouvrier syndicaliste, soutenu par la CGT.
Mais, n’en déplaise à certains, il est hors de question de réécrire l’histoire. C’est bien parce qu’il était juif qu’Albert Dreyfus a été condamné.
C’est aussi parce qu’il était noir et prônait l’égalité que Nelson Mandela a été condamné.
C’est par ce qu’ils étaient immigrés italiens et anarchistes que Sacco et Vanzetti ont été condamnés
Et c’est parce qu’il était syndicaliste que Jules Durand a été condamné.
Alors aujourd’hui, si le premier combat pour l'innocence de Jules Durand a été gagné par tous ceux qui se sont mobilisés avant son procès et après sa condamnation à mort, il nous reste à mener le combat contre l'oubli, qui constitue à l'évidence une seconde injustice à l'égard de Jules Durand.
Puisse cette commémoration d’aujourd’hui être le point de départ d’initiatives multiples destinées à réhabiliter sa mémoire, à lui rendre son honneur et sa dignité. A quand un monument digne de ce nom, à quand l’évocation de cette affaire dans les livres d’histoire, à quand une rue à Paris, à quand un grand film sur cette tragédie, à quand une cérémonie officielle organisée par les autorités politiques et judiciaires de ce pays ?
Marc Hédrich, magistrat au Havre
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