Article : « Faut-il désobéir à l’Europe ? » par Aurélien Bernier
«Souveraineté ou positions
supranationalistes »
« A gauche, cette
situation juridique devrait poser des questions d’une autre nature. Comment
porter, aux élections nationales, un programme de transformation écologique et
sociale alors que les dispositions très libérales du Marché commun s’imposent
en droit ? Et surtout comment l’appliquer une fois au pouvoir ? La France
insoumise (LFI) propose une stratégie de « désobéissance européenne tandis
que le parti communiste français
envisage de « déroger aux règles des traités européens qui vont à l’encontre
des intérêts démocratiques, sociaux et économiques du peuple de France ».
des positions qui, certes, affirment une volonté politique, mais sans fondement
juridique ».
« Pour mesurer ce que
cela implique, envisageons un scénario de politique fiction. Une formation ou
une coalition politique parvient au pouvoir en France sur la base d’un programme
ambitieux de transformation écologique et sociale. Le gouvernement peut compter
sur un soutien de l’opinion publique, ainsi que sur une large majorité dans les
deux chambres qui rend possible l’adoption de lois conformes aux promesses de
campagne. Il élabore, par exemple, un projet de loi de contrôle de capitaux :
à partir de certains montants et pour certains types de flux financiers, une
autorisation administrative est requise. Que se passerait-il alors ?
Plusieurs juristes, dont deux membres du Conseil d’état (qui ne souhaitent pas
être nommés), ont bien voulu simuler ce scénario, et leurs expertises
convergent.
Le gouvernement adresserait
d’abord son projet de loi de contrôle des capitaux au Conseil d’état, chargé de
rendre un avis consultatif. Il se révélerait à coup sûr négatif mais l’exécutif
peut passer outre et déposer son texte au parlement. En cas d’adoption par l’assemblée
nationale et le sénat, un groupe de soixante sénateurs pourrait saisir le
conseil constitutionnel. S’ils s’en tenaient à leurs principes habituels, les « sages »
ne contrôleraient pas la conventionalité de la loi, c’est-à-dire sa conformité
aux engagements internationaux de la France, mais uniquement sa
constitutionalité. A moins d’un revirement de jurisprudence toujours possible
dans des circonstances exceptionnelles, le conseil constitutionnel ne s’opposerait
donc pas à la promulgation de la loi de contrôle des capitaux par le président
de la République.
Si, pour entrer en vigueur,
la loi nécessite des mesures réglementaires d’application ( par vote de
décrets, d’arrêtés voire de circulaires), celles-ci risqueront d’être attaquées
par un tiers devant le conseil d’état dans un délai de deux mois après leur
adoption. Si, au contraire, la loi n’a pas besoin de mesures d’applications, les
dispositions législatives pourront être directement contestées, devant les
juges administratifs, par toute personne, association ou entreprise qui s’estimerait
lésée par leur mise en œuvre. Et ces saisines sont susceptibles d’être
précédées par des recours en urgence, dits de référé –suspension : le juge
du référé statue sous quarante-huit heures, et, en cas de présomption d’illégalité
ou d’inconvetionnalité, il suspend l’application en attendant l’examen « au
fond ».
N’importe quel détenteur de
capitaux pénalisé par cette loi serait donc fondé à obtenir son annulation et,
dans un premier temps, sa suspension quasi immédiate. Il en serait de même si,
avec l’autorisation du parlement, le pouvoir en place gouvernait par ordonnance :
une fois ratifiées, leur conformité au droit européen serait contrôlé au droit
européen serait contrôlée par le juge administratif. Ainsi, nul besoin de long
contentieux devant la cour de justice de l’union européenne (CJUE) : tous
les chemins mènent, dans des délais très courts, au conseil d’état, qui jugera
le contrôle des capitaux illégal et l’empêchera.
En dernier ressort, le
gouvernement ne pourrait-il pas ignorer ces décisions de justice et agir malgré
elles ? Un tel passage en force semble difficilement concevable ; en
principe comme en pratique. Il constituerait d’une part une violation de l’état
de droit, aussi contestable sur le plan démocratique que politiquement
dangereuse. D’autre part, contrôler les capitaux suppose une action des
services de l’état…auxquels la jurisprudence interdit d’appliquer une mesure
contraire au droit européen. Aller contre les juges conduirait à un véritable
chaos administratif et politique. »
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