vendredi 3 mai 2024

« Le monde diplomatique » Numéro de Mai 2024

 Article : « Faut-il désobéir à l’Europe ? »  par Aurélien Bernier

 

«Souveraineté ou positions supranationalistes »

« A gauche, cette situation juridique devrait poser des questions d’une autre nature. Comment porter, aux élections nationales, un programme de transformation écologique et sociale alors que les dispositions très libérales du Marché commun s’imposent en droit ? Et surtout comment l’appliquer une fois au pouvoir ? La France insoumise (LFI) propose une stratégie de « désobéissance européenne tandis que le parti communiste français  envisage de « déroger aux règles des traités européens qui vont à l’encontre des intérêts démocratiques, sociaux et économiques du peuple de France ». des positions qui, certes, affirment une volonté politique, mais sans fondement juridique ».

 

« Pour mesurer ce que cela implique, envisageons un scénario de politique fiction. Une formation ou une coalition politique parvient au pouvoir en France sur la base d’un programme ambitieux de transformation écologique et sociale. Le gouvernement peut compter sur un soutien de l’opinion publique, ainsi que sur une large majorité dans les deux chambres qui rend possible l’adoption de lois conformes aux promesses de campagne. Il élabore, par exemple, un projet de loi de contrôle de capitaux : à partir de certains montants et pour certains types de flux financiers, une autorisation administrative est requise. Que se passerait-il alors ? Plusieurs juristes, dont deux membres du Conseil d’état (qui ne souhaitent pas être nommés), ont bien voulu simuler ce scénario, et leurs expertises convergent.

Le gouvernement adresserait d’abord son projet de loi de contrôle des capitaux au Conseil d’état, chargé de rendre un avis consultatif. Il se révélerait à coup sûr négatif mais l’exécutif peut passer outre et déposer son texte au parlement. En cas d’adoption par l’assemblée nationale et le sénat, un groupe de soixante sénateurs pourrait saisir le conseil constitutionnel. S’ils s’en tenaient à leurs principes habituels, les « sages » ne contrôleraient pas la conventionalité de la loi, c’est-à-dire sa conformité aux engagements internationaux de la France, mais uniquement sa constitutionalité. A moins d’un revirement de jurisprudence toujours possible dans des circonstances exceptionnelles, le conseil constitutionnel ne s’opposerait donc pas à la promulgation de la loi de contrôle des capitaux par le président de la République.

Si, pour entrer en vigueur, la loi nécessite des mesures réglementaires d’application ( par vote de décrets, d’arrêtés voire de circulaires), celles-ci risqueront d’être attaquées par un tiers devant le conseil d’état dans un délai de deux mois après leur adoption. Si, au contraire, la loi n’a pas besoin de mesures d’applications, les dispositions législatives pourront être directement contestées, devant les juges administratifs, par toute personne, association ou entreprise qui s’estimerait lésée par leur mise en œuvre. Et ces saisines sont susceptibles d’être précédées par des recours en urgence, dits de référé –suspension : le juge du référé statue sous quarante-huit heures, et, en cas de présomption d’illégalité ou d’inconvetionnalité, il suspend l’application en attendant l’examen « au fond ».

N’importe quel détenteur de capitaux pénalisé par cette loi serait donc fondé à obtenir son annulation et, dans un premier temps, sa suspension quasi immédiate. Il en serait de même si, avec l’autorisation du parlement, le pouvoir en place gouvernait par ordonnance : une fois ratifiées, leur conformité au droit européen serait contrôlé au droit européen serait contrôlée par le juge administratif. Ainsi, nul besoin de long contentieux devant la cour de justice de l’union européenne (CJUE) : tous les chemins mènent, dans des délais très courts, au conseil d’état, qui jugera le contrôle des capitaux illégal et l’empêchera.

En dernier ressort, le gouvernement ne pourrait-il pas ignorer ces décisions de justice et agir malgré elles ? Un tel passage en force semble difficilement concevable ; en principe comme en pratique. Il constituerait d’une part une violation de l’état de droit, aussi contestable sur le plan démocratique que politiquement dangereuse. D’autre part, contrôler les capitaux suppose une action des services de l’état…auxquels la jurisprudence interdit d’appliquer une mesure contraire au droit européen. Aller contre les juges conduirait à un véritable chaos administratif et politique. »

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