dimanche 19 mai 2024

Rêves, révoltes et voluptés : Jean-Paul Curnier

Présentation :


Avec impatience, il disait que les vivants n'ont pas à s'occuper de rendre hommage aux morts : Jean-Paul Curnier (1951 - 2017 ), s'en doutait-il, ne pourrait cependant pas y échapper.

"Dès que quelqu'un est mort, une rapide synthèse de sa vie à peine conclue se réalise. Des milliards d'actes, expressions, sons, voix, paroles, tombent dans le néant, quelques dizaines ou centaines survivent. Un nombre imposant de phrases qu'il a dites chaque matin, midi, soir et nuit de sa vie, tombent dans un gouffre infini et silencieux. Mais quelques unes de ces phrases résistent, comme par miracle, s'inscrivent dans la mémoire comme des épigraphes, restent suspendues dans la lumière d'un matin, dans les douces ténèbres d'une soirée: la femme et les amis pleurent en se les rappelant. Dans un film, ce sont ces phrases qui restent." (Pier Paolo Pasolini).

Quelles "phrases" résisteront elles, s'inscriront-elles dans la mémoire, parmi toutes celles que Jean-Paul Curnier a tantôt écrites, tantôt dites? Beaucoup, on ne le sait pas encore, on le saura plus, qu'il n'a pas écrites ni dites, qu'il a incarnées, qu'il incarne et incarnera.

Sur toutes sortes de scènes, d'art et de pensée, sur d'autres encore, intimes et qui lui survivront peut-être; mais dans quel film, quelle autre forme encore à venir?

Il aura été plein de ces paroles, en parties écrites : vingt-cinq livres, qu'il faut lire. Dites, plus encore; qui pour rendre compte d'elles? Où ce qu'il en aura été de lui, et qui est perdu, ne se sera pourtant pas moins joué que dans ce qu'il aura écrit, et qui est tout ce qui nous restera bientôt?

Pour faire une place à cela qui restera, à cela qui disparaitra aussi, quelques souvenirs, de brèves études, deux textes inédits, des lectures et des lettres échangées, miroirs brisés d'une œuvre, d'une vie que l'on dit d'un intellectuel, d'un écrivain ou d'un penseur; qui sont aussi bien d'un acteur, d'un musicien, d'un joueur.

L'exercice de la pensée, quel que fût le point de frémissement et d'aggravation où celle-ci pouvait le mener, et où elle continue de nous mener, ne se séparait pas pour lui d'une recherche éperdue de volupté. Telle fut sa morale, altière et révoltée : le rêve d'une liberté qu'il aura toute son existence poursuivie, qui l'aura fait vivre tout autant.

Rêves, révoltes et voluptés: ce livre accueille quelques-unes de ces "révoluptés" et voudrait témoigner de ce que celles-ci prirent différentes figures. Se contredisant parfois : difficile sinon impossible distance à tenir pour chacune et chacun; accueillir ses phrases, les laisser suspendues dans la lumière d'un matin, dans les douces ténèbres d'une soirée, et puis les continuer; avec ce devoir, selon les mots de Nietzsche (ecce homo) qu'il cite dans A vif ,de "ne pas le prendre pour un autre"; cette nécessité de le prendre pour ce qu'il était, tel et tel.

La plupart des auteurs de ce volume l'ont connu, ont travaillé, vécu, joué avec lui, ou simplement échangé ( dans un simple échange, le jeu de la pensée, sa gravité et le rire particulier qui l'accompagnait étaient, déjà, au travail). D'autres l'ont seulement lu -"l'ami jamais rencontré", écrit Alain Hobé - mais certaines lectures parfois suffisent à l'amitié.


Ainsi fut-il l'ami de ceux qui lui rendent ici hommage, qui le saluent.

De beaucoup d'autres aussi qui n'y sont pas (amis silencieux).

Il le sera d'autres encore, inconnus, qui le liront ou l'entendront plus tard ( au risque peut-être de le prendre à leur tour pour un autre).

Tous y seraient qu'ils ne suffiraient pas à rendre compte si peu que ce soit des milliards d'actes, expressions, sons, voix, paroles, ainsi que le dit Pasolini, qui furent les siens et fassent qu'on l'y reconnaisse tout entier."

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