Article : « Voie de disparition »
Relativement à cette ambiance
régressive de consommateurs infantiles et passifs, ce que doit afficher en
priorité tout prétendant au pouvoir, c’est sa conviction profonde et
inébranlable dans la nature morale de la consommation, c’est son inflexible attachement
à la facilitation du bien-être par l’accès à la consommation, et par lui seul.
La manque-à-consommer est
une immoralité qui n’a d’égal que le manque à gagner du marché face à tous ces
désirs d’achat frustrés qui seront restés sans suite. Le manque à jouir de la
consommation, où qu’il se situe et de quelque manière qu’il se fasse sentir,
est d’autant plus politiquement immoral qu’il s’apparente à un mépris du peuple ;
il est l’épreuve même qui s’impose au pouvoir à chacune de ses décisions. Car
de quoi que ce soit que manque le peuple, ce quoi que ce soit demeure
fondamental dès lors qu’il est voulu par lui et qu’il y a privation et
frustration. Chaque fois qu’un citoyen est frustré de ne pouvoir acheter, il
faut considérer qu’il y a en symétrie un entrepreneur qui est frustré de ne pas
avoir pu vendre. Aucune existence ne peut se concevoir aujourd’hui autrement qu’en
termes de facilité d’accès à ce qui existe et se vend. Toute la question qui se
pose à la fonction politique telle qu’elle s’entend aujourd’hui est donc de
ménager cet accès et par tous les moyens. Et, en face, ce qui se montre de l’existence
populaire, c’est d’abord de la plainte, du gémissement, de la réclamation, de
la revendication, de la demande et des cris de frustration. La marchandise est
fondamentale. La marchandise, c’est-à-dire le monde où ce qui se produit s’est
rendu nécessaire en dépit de toute raison et de toute conservation même d’un
minimum de santé. Le client est roi et le pouvoir est son serviteur ; c’est
de la sorte que les choses se laissent entendre. Misérable comédie où celui qui
flatte n’est guère moins imbécile que celui qui est flatté, car tous deux sont
dépourvus de dignité et tous deux voient dans leur ménage ce qu’il y a de mieux
conforme à l’existence ».
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