Discours N°4 : Nous portons des solutions qui changeront les manières de penser.
Les solutions, les formes
d’organisation de la vie que nous portons changeront non seulement notre vie
mais aussi nos façons de penser. C’est un point essentiel. Il faut donc cesser
d’avoir peur : ce qu’il y a à perdre est en réalité destiné à être perdu
et ce qu’il y a à gagner c’est sortir de la poubelle sociale et humaine où nous
nous trouvons, c’est une vie qui mérite le nom de vie. Et ce n’est pas
comparable ; aussi il n’y a pas de peur à avoir de perdre ce que nous
avons car si nous y regardons de près nous ne possédons pas grand-chose qui
vaille la peine d’être préservé.
Les projets qui sont les
nôtres, dès leur mise en œuvre, changeront les façons de penser ; cela
veut dire que c’est sur nous qui n’avons pas grand-chose à perdre que repose la
responsabilité de changer les choses, y compris dans l’intérêt de ceux qui nous
critiquent ou qui nous rejettent. C’est une situation que nous ne devons pas
sous-évaluer car, de notre avancée, de l’intérêt de ce que nous mettrons en
place, de la justesse de nos analyses et de notre combativité dépendent le
ralliement de ceux qui pensent pour l’instant que la défense de leurs intérêts
doit se faire contre nous et de ceux qui nous soutiennent par bien-pensance ou
bienfaisance mais n’ont pas encore compris que leur avenir – celui dont ils
doutent profondément en fait – dépend en réalité de la façon dont nous allons
construire le nôtre.
Ceux qui ont perdu tout espoir, ceux qui sont
découragés à l’avance, ceux qui ne voient pas la nécessité de tout changer et
tous ceux qui sont malintentionnés à notre égard se rejoignent finalement pour
nous dire : si vous n’avez pas une idée bien précise à l’avance de ce que
vous comptez faire, si vous n’avez pas une liste précise des moyens et des
appuis nécessaires, si vous n’avez pas évalué correctement les obstacles que
vous allez rencontrer, si vous ne savez pas dès maintenant comment vous allez
vous y prendre pour tout chambouler et pour convaincre ceux que vous voulez
convaincre et si vous n’avez pas un programme de remplacement bien clair, il
faut renoncer tout de suite parce que vous ne savez pas où vous mettez les
pieds et vous entrainerez ceux qui nous suivent à la catastrophe !
Eh bien d’abord tout cela
fait penser à l’histoire de cet homme qui veut annoncer à son ami une grande
nouvelle.
Un jour, un homme appelle
son ami et lui dit de venir tout de suite chez lui car il a quelque chose de
très, très important à lui dire. L’ami en question arrive et il lui dit
ceci : - « c’est décidé, j’en rêvais depuis toujours : demain je
pars à la chasse au lion en Afrique, c’est extraordinaire, je ne tiens plus sur
place, demain matin je prends le bateau…
Et l’ami – « Mais tu
n’est jamais allé en Afrique ! C’est immense l’Afrique et on n’y vit pas
comme ici, tu n’y es jamais allé et tu n’as jamais chassé des bêtes aussi
grosses…
Lui : « Non, mais
au contraire, c’est ça qui est exaltant et j’apprendrai tout cela sur place,
j’aurai tout mon temps, je me ferai expliquer.
L’ami : - Ha, parce que
tu crois qu’on va t’expliquer ça ?
Lui : - Oui, il suffit
de rencontrer les bonnes personnes de s’entendre avec, de parler aux gens.
L’ami : -Et tu as un
fusil au moins pour chasser le lio ?
Lui : - Bien sûr que
j’ai un fusil ; un vrai fusil pour la chasse au lion, un fusil à cinq
coup, breveté et tout, je l’ai acheté exprès…
L’ami : - Mais tu ne
connais pas les zones de chasse, tu ne vas quand même pas aller chasser le lion
tout seul !
Lui : - Non, bien sûr,
je prendrai les guides et une escorte…
L’ami : - Et tu feras
confiance à tous ces gens ? Ils risquent de se moquer de toi quand ils
verront que tu n’y connais rien, de te raconter n’importe quoi, de t’emmener
qui sait où…
Lui : - Pourquoi je ne
leur ferais pas confiance ?
L’ami : - Et puis tu
sais un lion, c’est féroce, c’est très fort et c’est très, très dangereux ;
si tu le rates, il va se venger, se jeter sur toi, lui, il ne te ratera pas, il
va te tuer, et tu risques de le rater parce que tu n’as jamais chassé le lion
et comme je te le disais…
Lui : - Mais, en fin de
compte, de qui tu es l’ami, toi : de moi ou le lion ?
Voilà évidemment, si vous
voulez convaincre des gens qui ont d’abord l’intention de ne pas se laisser
convaincre c’est raté à l’avance et vous perdez votre temps. En réalité, il
faut voir les choses tout autrement, il faut les voir du point de vue de l’action
et non du point de vue du spectateur.
Cela arrive assez souvent
dans la vie, même si personne change le cours des choses, même un peu, quand on
introduit une cassure dans les conditions de vie des gens, ce n’est pas
seulement un ensemble de choses qui change mais l’ensemble des manières de
penser. Lors des grandes grèves des transports en France par exemple, les gens
au début sont grincheux, amers, en colère et, chaque fois, tout cela change
subitement du tout au tout. Très vite, ils trouvent des solutions pour bouger,
pour se ravitailler, ils échangent des idées, les hiérarchises ne sont plus
complètement respectées, les habitudes sont inutiles, il faut inventer et les
gens y prennent goût. Ce n’est pas à la grève des transports qu’ils prennent
goûts – en fait ils ne s’y intéressent pas du tout - , c’est à la vie qu’ils
mènent pendant ce temps-là , c’est à toutes ces idées nouvelles qui leur
passent par la tête, à tout ce qui leur arrive, à ces rires dans la pagaille,
ces discussions sur tout et n’importe quoi. Ils se surprennent à avoir de l’audace,
à penser autrement, voilà ce qui compte. Un chambardement social, c’est du même
genre : les gens ne pensent plus comme avant, et là, justement ils peuvent
envisager le futur, les solutions, en discuter, parce qu’ils ne voient plus les
choses avec les craintes d’avant ni même avec leur cerveau d’avant.
C’est bien pourquoi il est
inutile de se concentrer sur ce qu’il faudra faire et tout décider à l’avance,
parce que ce qu’il faudra faire, il faudra d’abord que cela se discute et se
décide entre les gens qui vont le faire. Et cela ne pourra se discuter et se
décider entre les gens que si les têtes y sont disposées, que si les esprits s’ouvrent
et pour ça il faut d’abord un changement soudain et radical dans le cours des
choses.
Il faut cesser d’avoir peur
de ce que nous ferons, de comment cela sera reçu ou pas et de comment les
autres réagiront. Car ce que nous ferons, c’est d’abord mettre en place bout
par bout un mode de vie, d’habitat, de circulation et d’éducation qui soit basé
sur le respect et le partage, et c’est cette nouveauté qui créera à sont tour
les conditions pour changer les façons de voir, de penser, de critiquer et de
discuter. Parce que quelque chose de neuf sera arrivé.
Notre rôle à cette heure, c’est
d’agir pour que les repères ne soient plus les mêmes et de cesser d’attendre
que l’on pense et agisse à notre place. C’est d’agir pour que ni la police, ni
les politiciens, ni les gens qui se méfient de nous, ni ceux qui nous tiennent
en réserve comme une sous-catégorie de l’espèce humaine, ni ceux qui nous
soutiennent à condition que nous restions à notre place dans les cages d’escalier,
ni ceux qui voudraient qu’on fasse de nos cours d’immeubles de gigantesques
cours de prisons, et de nos cités des camps de rétention généralisés, pour que
ceux-là ne retrouvent plus leur compte dans leurs schémas habituels de pensée.
Et qu’ils commencent à regarder le monde autrement.
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