mardi 7 mai 2024

Prospérités du désastre Par Jean-Paul Curnier

 Discours N°4 : Nous portons des solutions qui changeront les manières de penser.

 

Les solutions, les formes d’organisation de la vie que nous portons changeront non seulement notre vie mais aussi nos façons de penser. C’est un point essentiel. Il faut donc cesser d’avoir peur : ce qu’il y a à perdre est en réalité destiné à être perdu et ce qu’il y a à gagner c’est sortir de la poubelle sociale et humaine où nous nous trouvons, c’est une vie qui mérite le nom de vie. Et ce n’est pas comparable ; aussi il n’y a pas de peur à avoir de perdre ce que nous avons car si nous y regardons de près nous ne possédons pas grand-chose qui vaille la peine d’être préservé.

Les projets qui sont les nôtres, dès leur mise en œuvre, changeront les façons de penser ; cela veut dire que c’est sur nous qui n’avons pas grand-chose à perdre que repose la responsabilité de changer les choses, y compris dans l’intérêt de ceux qui nous critiquent ou qui nous rejettent. C’est une situation que nous ne devons pas sous-évaluer car, de notre avancée, de l’intérêt de ce que nous mettrons en place, de la justesse de nos analyses et de notre combativité dépendent le ralliement de ceux qui pensent pour l’instant que la défense de leurs intérêts doit se faire contre nous et de ceux qui nous soutiennent par bien-pensance ou bienfaisance mais n’ont pas encore compris que leur avenir – celui dont ils doutent profondément en fait – dépend en réalité de la façon dont nous allons construire le nôtre.

 Ceux qui ont perdu tout espoir, ceux qui sont découragés à l’avance, ceux qui ne voient pas la nécessité de tout changer et tous ceux qui sont malintentionnés à notre égard se rejoignent finalement pour nous dire : si vous n’avez pas une idée bien précise à l’avance de ce que vous comptez faire, si vous n’avez pas une liste précise des moyens et des appuis nécessaires, si vous n’avez pas évalué correctement les obstacles que vous allez rencontrer, si vous ne savez pas dès maintenant comment vous allez vous y prendre pour tout chambouler et pour convaincre ceux que vous voulez convaincre et si vous n’avez pas un programme de remplacement bien clair, il faut renoncer tout de suite parce que vous ne savez pas où vous mettez les pieds et vous entrainerez ceux qui nous suivent à la catastrophe !

Eh bien d’abord tout cela fait penser à l’histoire de cet homme qui veut annoncer à son ami une grande nouvelle.

Un jour, un homme appelle son ami et lui dit de venir tout de suite chez lui car il a quelque chose de très, très important à lui dire. L’ami en question arrive et il lui dit ceci : - « c’est décidé, j’en rêvais depuis toujours : demain je pars à la chasse au lion en Afrique, c’est extraordinaire, je ne tiens plus sur place, demain matin je prends le bateau…

Et l’ami – « Mais tu n’est jamais allé en Afrique ! C’est immense l’Afrique et on n’y vit pas comme ici, tu n’y es jamais allé et tu n’as jamais chassé des bêtes aussi grosses…

Lui : «  Non, mais au contraire, c’est ça qui est exaltant et j’apprendrai tout cela sur place, j’aurai tout mon temps, je me ferai expliquer.

L’ami : - Ha, parce que tu crois qu’on va t’expliquer ça ?

Lui : - Oui, il suffit de rencontrer les bonnes personnes de s’entendre avec, de parler aux gens.

L’ami : -Et tu as un fusil au moins pour chasser le lio ?

Lui : - Bien sûr que j’ai un fusil ; un vrai fusil pour la chasse au lion, un fusil à cinq coup, breveté et tout, je l’ai acheté exprès…

L’ami : - Mais tu ne connais pas les zones de chasse, tu ne vas quand même pas aller chasser le lion tout seul !

Lui : - Non, bien sûr, je prendrai les guides et une escorte…

L’ami : - Et tu feras confiance à tous ces gens ? Ils risquent de se moquer de toi quand ils verront que tu n’y connais rien, de te raconter n’importe quoi, de t’emmener qui sait où…

Lui : - Pourquoi je ne leur ferais pas confiance ?

L’ami : - Et puis tu sais un lion, c’est féroce, c’est très fort et c’est très, très dangereux ; si tu le rates, il va se venger, se jeter sur toi, lui, il ne te ratera pas, il va te tuer, et tu risques de le rater parce que tu n’as jamais chassé le lion et comme je te le disais…

Lui : - Mais, en fin de compte, de qui tu es l’ami, toi : de moi ou le lion ?

 

Voilà évidemment, si vous voulez convaincre des gens qui ont d’abord l’intention de ne pas se laisser convaincre c’est raté à l’avance et vous perdez votre temps. En réalité, il faut voir les choses tout autrement, il faut les voir du point de vue de l’action et non du point de vue du spectateur.

Cela arrive assez souvent dans la vie, même si personne change le cours des choses, même un peu, quand on introduit une cassure dans les conditions de vie des gens, ce n’est pas seulement un ensemble de choses qui change mais l’ensemble des manières de penser. Lors des grandes grèves des transports en France par exemple, les gens au début sont grincheux, amers, en colère et, chaque fois, tout cela change subitement du tout au tout. Très vite, ils trouvent des solutions pour bouger, pour se ravitailler, ils échangent des idées, les hiérarchises ne sont plus complètement respectées, les habitudes sont inutiles, il faut inventer et les gens y prennent goût. Ce n’est pas à la grève des transports qu’ils prennent goûts – en fait ils ne s’y intéressent pas du tout - , c’est à la vie qu’ils mènent pendant ce temps-là , c’est à toutes ces idées nouvelles qui leur passent par la tête, à tout ce qui leur arrive, à ces rires dans la pagaille, ces discussions sur tout et n’importe quoi. Ils se surprennent à avoir de l’audace, à penser autrement, voilà ce qui compte. Un chambardement social, c’est du même genre : les gens ne pensent plus comme avant, et là, justement ils peuvent envisager le futur, les solutions, en discuter, parce qu’ils ne voient plus les choses avec les craintes d’avant ni même avec leur cerveau d’avant.

C’est bien pourquoi il est inutile de se concentrer sur ce qu’il faudra faire et tout décider à l’avance, parce que ce qu’il faudra faire, il faudra d’abord que cela se discute et se décide entre les gens qui vont le faire. Et cela ne pourra se discuter et se décider entre les gens que si les têtes y sont disposées, que si les esprits s’ouvrent et pour ça il faut d’abord un changement soudain et radical dans le cours des choses.

Il faut cesser d’avoir peur de ce que nous ferons, de comment cela sera reçu ou pas et de comment les autres réagiront. Car ce que nous ferons, c’est d’abord mettre en place bout par bout un mode de vie, d’habitat, de circulation et d’éducation qui soit basé sur le respect et le partage, et c’est cette nouveauté qui créera à sont tour les conditions pour changer les façons de voir, de penser, de critiquer et de discuter. Parce que quelque chose de neuf sera arrivé.

Notre rôle à cette heure, c’est d’agir pour que les repères ne soient plus les mêmes et de cesser d’attendre que l’on pense et agisse à notre place. C’est d’agir pour que ni la police, ni les politiciens, ni les gens qui se méfient de nous, ni ceux qui nous tiennent en réserve comme une sous-catégorie de l’espèce humaine, ni ceux qui nous soutiennent à condition que nous restions à notre place dans les cages d’escalier, ni ceux qui voudraient qu’on fasse de nos cours d’immeubles de gigantesques cours de prisons, et de nos cités des camps de rétention généralisés, pour que ceux-là ne retrouvent plus leur compte dans leurs schémas habituels de pensée. Et qu’ils commencent à regarder le monde autrement.

Aucun commentaire: