« Le libre-échange à la baïonnette"
A la fin du XIX° siècles, la
plupart des Etats d’Amérique latine dépendent presque entièrement du Royaume-Uni,
la première puissance mondiale : ils se consacrent à la production des
matières premières dont Londres a besoin et offrent aux industriels
britanniques de nouveaux marchés pour écouler leurs marchandises. Reposant sur
l’idéologie dominante du libre-échange – selon laquelle chaque pays doit
renforcer ses « avantages comparatifs » - , un tel mode d’insertion
dans l’économie-monde présente de nombreux problèmes : il entrave l’industrialisation
des pays du Sud, concentre la richesse dans ceux du Nord et favorise les
comportements parasitaires des oligarchies nationales. Bref, il condamne les
pays de la périphérie au sous-développement. Dans ce montage, le Paraguay fait
figure d’exception.
Lorsqu’il prend le pouvoir
au Paraguay en 1814, le dirigeant José Gaspar Rodriguez de Francia met en place
un régime autoritaire. Pas dans l’optique d’opprimer la population, mais pour
écraser l’oligarchie : s’appuyant sur la paysannerie, il exproprie les
grands propriétaires et jette les bases d’un état fort et dirigiste. Veillant à
se prémunir des flux internationaux de marchandises qui pourraient fragiliser
sa propre production, Ascusion instaure ainsi un protectionnisme rigoureux.
Après la mort de Francia, en
1840, ses successeurs (Carlos Antonio Lopez puis son fils Franscico Solano
Lopez) poursuivent sa politique. Vingt ans plus tard, les résultats sont
considérables. La persécution des grandes fortunes a conduit à leur disparition :
la redistribution des richesses atteint de tels niveaux que de nombreux voyageurs
étrangers rapportent que le pays ne connait ni la mendicité, ni la faim, ni les
conflits. La terre a été répartie sur des bases qui évoquent les projets les
plus avancés de réforme agraire du XX° siècle.
Asuncion figure parmi les
premières capitales latino-américaines à inaugurer un réseau de chemins de fer.
Disposant d’une ligne télégraphe, de fabriques de matériaux de construction, de
textile, de papier, de vaisselle, de poudre à canon, le pays parvient à se
doter d’une sidérurgie ainsi que d’une flotte marchande composée de navires
construits dans des chantiers nationaux. Sa balance commerciale est excédentaire
et il peut se permettre d’envoyer certains de ses citoyens se former dans les
meilleures universités européennes.
Londres voit d’un mauvais œil
cette singulière expérience de développement autonome d’un pays de la
périphérie. La Couronne s’immisce dans le différend frontalier entre le Brésil
et le Paraguay et parraine la signature du traité grâce auquel l’Argentine, le Brésil,
et l’Uruguay unissent leurs forces pour terrasser leur voisin : le traité
de la triple alliance, qui donnera son nom au conflit qui éclate en 1865. Les trois
alliés bénéficient du soutien financier de la banque de Londres, ainsi que des
établissements Baring Brothers et N.M. Rothschild & sons.
Cinq ans plus tard, le
Paraguay est défait. Il a perdu 60 % de sa population et neuf hommes sur dix
sont morts. Ceux que les combats n’ont pas fauchés ont succombé à la faim (
toutes les forces productives ayant été accaparées par la guerre). A mesure que
les soldats tombent, on enrôle les enfants, auxquels on fait porter de fausses
barbes et qu’on équipe de morceaux de bois peints de façon à ressembler à des
fusils lorsque les armes manquent. Certains paraguayens n’ont plus d’uniformes.
Ils combattent nus. Lors de la reddition de Solano Lopez, en 1870, la plupart
des infrastructures oins été détruites. Le Paraguay s’insère finalement dans le
système économique mondial.
Renaud Lambert
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