Dernier discours de la "conférence pour les cités"
Discours N°8 : D’où l’on vient
Intégration des immigrés :
la belle affaire !
Pour s’intégrer il faut
venir de quelque part et s’intégrer à autre part non ? Qu’est-ce que ça
signifie une politique d’intégration qui ne donne ^pas les moyens à ceux qui
sont ici de réfléchir sur leur situation, de la comprendre et d’en faire une
sorte de bagage, de point d’appui, de base mentale de départ pour se diriger et
progresser dans la société où ils se trouvent ?
Qu’est-ce que ça peut être
une intégration pour des gens qui ne sont considérés comme de rien du tout,
alors qu’ils ne sont pas rien, justement, qu’ils viennent de quelque part, et
pas par hasard. Pas par hasard.
Ceux qui parlent d’intégration
oublient d’abord de parler du pays où il est question de s’intégrer. Et s’ils n’oubliaient
pas cela, s’ils devaient faire une description fidèle de la France par exemple –
je dis bien fidèle, c’est à-dire une description de ce qu’elle est vraiment, de
ce qui la compose, la fait vire et de son histoire -, il leur faudrait
commencer par parler de l’immigration non pas comme des gens qui viennent de l’étranger
et s’installent « en France », mais de gens qui viennent de pays
étrangers et qui s’installent dans un pays qui a été façonné de tout temps par
la venue d’étrangers.
Ils diraient que la France,
depuis toujours, c’est aussi les migrants qui l’ont faite : des Celte’s,
des Ligures, de Romains, des Burgondes, des Vikings, des Visigoths, des Arabes,
des Anglais, des Espagnols, des Portugais, des Italiens, des Maghrébins, des
Africains de toutes origines, des Chinois, des Indiens, des Allemands, des Polonais,
des Grecs, des Serbes, des Croates, des Autrichiens et j’en passe ; et que
si elle est ce qu’elle est aujourd’hui, c’est en raison de tout cela.
Mais cette histoire-là,
personne ne l’enseigne, nulle part, dans aucune école de France.
Quant à nous, nous ne
pouvons pas rester plus longtemps dans l’ignorance de notre propre histoire,
celle de migrants, et de l’histoire de la formation de ce pays tel qu’il est
aujourd’hui et des migrations qui l’ont formé depuis l’Antiquité. Personne ne
devrait rester ignorant de l’état des choses dans ce pays. Et cet état de choses,
c’est justement que l’immigration, depuis toujours y est une réalité.
Mais cela importe davantage
encore pour ceux qui sont nés ici et qui n’ont jamais vu le pays de leur
origine et ne savent même pas à quoi il ressemble. Du départ de leurs parents
et de leur arrivée ici, ils ne savent rien puisqu’on ne l’enseigne pas dans les
écoles. Et du peuple, du pays, du continent d’où ils viennent, ils ne savent
rien non plus et pour la même raison. Quant à leur langue d’origine, ils n’en
savant que ce que leurs parents ont bien pu leur en dire et leur apprendre.
Alors ils se font des idées là-dessus faute de savoir quoi en penser réellement.
A force de rejet, de haine, de racisme ezt de mépris rencontrés ici, à force d’être
contraints de se considérer eux-mêmes comme des rien du tout, ils finissent
même par se sentir plus proches du pays d’origine de leurs ancêtres, où leurs
parents sont nés et où ils vivent.
C’est quand même une chose
renversante que d’entendre à longueur des journée parler d’immigration d’origines
africaines, de Maghreb, d’Arabes et de pays arabes, de voir comment la question
de l’immigration est devenue le fonds de commerce de certains partis politiques
pour ne pas dire de tous et sans en savoir plus long que les autres sur ce
chapitre, vous ne trouvez pas ?
« Immigrés », « fils
de l’immigration », « première génération », « deuxième
génération », « troisième génération » : où est-ce que ça
commence et quand est-ce que ça s’arrête le fait d’être immigré ? Combien
de générations il faut pour cesser de l’être et être autre chose ? A-t-on
déjà entendu parler de Chinois, Italiens, Espagnols, Allemands, Anglais, Russes,
Hongrois de première, deuxième ou troisième génération ? Il n’y a donc que
les Africains et les Arabes pour être définitivement immigrés ?
Il faut mettre les choses au
point. Il faut savoir de quoi on pare et, là-dessus, il ne faut surtout pas
attendre que quelqu’un parle pour nous, personne ne le fera. Il nous faut
parler pour nous pour dire à tous qui nous sommes et parler clairement, sans
faux-fuyants.
Ce que nous sommes ici, c’est
ce que nous avons fait. Toutes ces cités autour de villes en France, ces HLM,
ces pavillons, ces foyers pour travailleurs, ces centres sociaux, nous y avons
laissé notre sueur et le plus souvent nous avons été payés pour ça la moitié
moins que le minimum garanti aux travailleurs français. C’est par bateaux
entiers qu’on nous a fait venir pour ça, avec ou sans papiers. Comme « travailleurs
immigrés » justement, c’était le nom qu’on nous donnait. « Immigré »
voulait dire « sans droits égaux avec les travailleurs français », « sous-payé »,
« sous-travailleur ». Toutes les tranchées pour l’eau, le gaz, l’électricité,
les égouts, tous les remblais d’autoroute, l’empierrage des routes et des rues,
tout ce qui a nécessité des bras et de la fatigue pour moitié prix, c’est nous
qui l’avons fait ici.
Ici quand on roule sur une
route, c’est sur notre travail qu’on roule, quand on habite un appartement dans
un cité ou un pavillon, c’est dans notre travail et dans notre sueur qu’on
habite. Ces centaines de millions de tonnes de béton et de mortier, coulées
depuis plus de cinquante ans, c’est nous qui les avons étalées, portées avec
des seaux, trainées d’un endroit à l’autre et bien souvent remuées avec nos
bras.
Bon, alors : les écoles
ne sont pas comme les temples qu’il faut garder fermés et intouchables en
dehors des cérémonies et des temps de cultes. Les écoles sont des équipements
publics destinés à l’instruction, quand elles ne servent pas pour les enfants,
c’est-à-dire le soir, les weekends et pendant les vacances scolaires elles
doivent pouvoir nous servir à ces choses élémentaires qu’on ne rencontre pas
ici : apprendre notre langue d’origine, l’histoire de l’immigration et de
notre arrivée ici, l’histoire de nos pays d’origine et de nos parents, notre histoire
en définitive.
D’abords il nous faudra
prendre contact avec les responsables de ces écoles pour connaitre les emplois
du temps, les moments où les locaux sont disponibles. Pas question de déranger
l’enseignement des enfants.
Ensuite, il nous faudra
trouver nos propres enseignants pour nous apprendre ce que nous ignorons et qui
nous est précieux. Nous devrons les chercher soit parmi les anciens qui nous
semblent vraiment de bonne foi, soit parmi les professeurs existants qui seront aptes et d’accord
pour le faire sans être payés, soit parmi les jeunes nés ici et ayant reçu une
instruction assez poussée sur ces choses, soit encore parmi ceux qui vient en
Afrique, au Maghreb ou dans n’importe lequel de nos pays d’origine.
Enfin, nous ferons un
programme, nous bâtirons un emploi du temps de tous ces enseignements et de ces
discussions. Un vrai programme ouvert à tous sans exception, avec des cours de
langue, des cours de géographie, des conférences sur l’architecture, l’urbanisme,
la pédagogie et l’histoire des sciences ; surtout un enseignement de l’histoire
véritable des civilisations, de la formation des pays, des nations, une
histoire claire et contradictoire si c’est possible du colonialisme, avec une
version et son contraire. Il nous faut surtout comprendre et connaitre le
colonialisme et la décolonisation, celle des grands chefs nationalistes,
indépendantistes, révolutionnaires, lire leurs écrits, connaitre leur pensée.
Il nous faut savoir tout cela pour savoir qui nous sommes, d’où nous venons, et
ce qui nous a amenés là. Il nous faudra savoir aussi dans quels livres aller
chercher tout ce qui nous concerne.
Et maintenant, je vous
laisse deviner l’effet que tout cela pourra avoir sur les enfants, sur nos
enfants qui vont à l’école dans ces écoles-là ; je vous laisse deviner l’effet
que cela leur fera le fait que nous autres nous soyons là aussi, comme eux, à
apprendre et discuter pour reprendre confiance en nous et retrouver une dignité
pour parler clairement et fièrement de qui nous sommes
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