jeudi 24 mars 2022

Oppression et liberté. Par Simone Weil

 " Or s'il y a au monde quelque chose d'absolument abstrait, d'absolument mystérieux, d'inaccessible aux sens et à la pensée, c'est la collectivité ; l'individu qui en est membre ne peut, semble-t-il, l'atteindre ni la saisir par aucune ruse, peser sur elle par aucun levier ; il se sent vis-à-vis d'elle de l'ordre de l'infiniment petit. Si les caprices d'un individu apparaissent à tous les autres comme arbitraires, les secousses de la vie collective semblent l'être à la deuxième puissance. Ainsi entre l'homme et cet univers  qui lui est assigné par le sort  comme l'unique matière de sa pensée et de son action, les rapports d'oppression et de servitude placent d'une manière permanente l'écran  impénétrable de l'arbitraire humain. Quoi d'étonnant si au lieu d'idées  on ne rencontre guère que des opinions, au lieu d'action une agitation aveugle ?  On ne  pourrait se représenter la possibilité d'un progrès quelconque au seul vrai sens de  ce mot, c'est-à-dire un progrès dans l'ordre des valeurs humaines, que si l'on pouvait concevoir à titre  de limite idéale une société qui armerait l'homme contre le monde sans l'en séparer. "

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