dimanche 6 mars 2022

Lignes N° 67: Résistance et organisation

  Lignes    Collection dirigée par Michel Surya


Reprendre ses esprits    par Marina Deak


"Seulement, bien sur, ce n'est pas si simple. C'est même une réverie fort naive. L'été est passé et avec lui son cortège de discussions et d'évènements autour, de rencontres, et surtout d'impasses. Je dis l'été, mais c'est aussi l'automne, ou les dix dernières années, peu importe: entre un moment où, plein d'enthousiasme, l'on veut croire qu'il y a de la marge, qu'on peut participer à changer des choses parce que les choses certes ont besoin d'être changées, et que c'es tellement évident  que personne ne peut, dans le fond, résister à ce savoir, cette évidence, et ne pas finalement participer à ce changement - et cet autre moment où l'on voit, puisqu'il s'agit de voir, le reste, la force du reste: les passions tristes, le refoulement, la force d'inertie, la peur omniprésente du changement ( et je ne parle que du côté de la masse de ceux qui subissent, pas du côté de ceux qui désirent et oeuvrent à ce monde qui va nous aphyxier)- entre ces deux moments, la réalisation que le discours qui précède est un leurre, un leurre utile pour soi peut-être, et ce n'est pas rien, mais un leurre tout de même, en ce qu'il ne peut pas produire le changement évoqué; ni même freiner les forces mauvaises. Parce que ca ne marche pas; discuter, ça ne marche pas. Argumenter, ca ne marche pas. Les passions tristes emportent tout sur leur passage. Quelqu'un qui ne veut pas savoir, il ne veut pas savoir. Chaque jour ces temps-ci apporte son lot d'aberrations sans que rien ne semble pouvoir freiner le mouvement, sans qu'aucun mouvement même ne semble vouloir essayer de le freiner. Et nous glissons vers l'abîme...Alors la pensée qui libère, laquelle, où, pour faire quoi, sauver sa propre peau peut-être ( et qui le peut seul?) , mais quel collectif, quelle action? Quelle issue?

Et je ne sais pas. L'été est passé, et je ne sais pas si la pensée est action, je ne sais pas quelle action peut nous défendre de la folie, je ne sais pas quel geste, quel texte, qsuelle réflexion a du poids. Je persiste à croire ceci: qu'il faut penser, argumenter, dire, nommer: reprendre ses esprits. Ses espritq à soi et le dire, essayer de le dire. Reprendre ses esprits, c'est se donner l'autorisation de penser les choses, à plat, rationnellement, c'est rappeler les évidences logiques, c'est remettre en place la cohérence du raisonnement et se dépendre de l'incohéarence. reprendre ses esprits, c'est se libérer: voir clair: et auand on n'y voit pas clair, l'admettre: reprendre son autonomie. Ce qui ne va pas sans difficultés ni sans risques. Le risque de la solitude, et le risque du délire. Et , de manière plus intime peut-être, celui de buter sur sa propre ignorance. Le courage de l'ignorance. le courage de la solitude sans cadre.

L'absurdité règne, et elle mène au pire: reprendre ses esprits, inlassablement, et tisser bout à bout, pied à pied, des liens, entre esprits, entre personnes; de l'espace. S'écouter et discerner. Ca ne sert à rien. Il n'y a rien d'autre à faire. Ca ne sert pas à rien. Le jeu électoral: ca ne sert à rien, pourtant c'est notre cadre, ca sert, ca détermine les conditions. Une voix, ca ne compte pas, et pourtant ça compte. L'inertie emporte tout, les logiques historiques, sont plus fortes que chacun, la loi du pire est la seule loi? Sans doute. Mais il faut vivre, et pour vivre ne pas devenir fous, et pour ne pas devenir fouss rester libres, et pour rester libres continuer à penser, et parler, et être avec les autres. Il n'ya plus d'autres, ou si peu, tous semblant emportés par le délire? Il y en a, bien sûr, des autres, toujours. Un échange, ça ne change rien: et pourtant ça gratte, ça défait, ça déblaie, ça dégage un peu de terrain.

Persévérer et être libres, voilà, par le discours, l'éclaircissement du discours. Eclaircissement comme on dit d'une clairière, et naturellement la clairière je ne suis pas la première à évoquer cette image: mais n'est-ce pas cela qu'il nous faut, créer des clairières? Et pour créer des clairières, créer des forêts? Il y a la forêt obscure de la confusion et des errements sinistres auxquelles la confusion invite; et la forêt opaque, celle qui échappe à la transparence de la data, à la surveillance des drones, celle qui n'est pas numérisée, la forêt de ce que nous ne savons pas encore, de ce qui arrivera, de ce qu'il faut inventer, la belle forêt qui s'ouvre, riche et dense et profonde, dans l'autonomie de la pensée. Courir le risque de ne pas savoir où l'on va: reprendre ses esprits, ces temps-ci, c'est sortir du cadre. c'est nouveau. Plonger dans cette sortie de cadre, l'inconnu. C'est peut-être cela, ce que peut produire une pensée de résistance: inviter à cette sortie de cadre, à cet extrémisme, dans le cadre de la raison. Wild West de la raison, désormais, en quelque sorte, et c'est ce qui est peut-être à promouvoir: l'infinie aventure solitaire et risquée, pais aussi créatrice de liens, de la raison.

En finir avec la frénésie d'avoir raison contre son voisin, son allié; cette frénésie de laz division, qui laisse libre cours aux seuls intérêts dominants. Faire voir en quoi la situation est déraisonnable; soutenir sans faillir cet étrange et nouvel extremisme d'être du côté de la raison, d'y croire et de penser. C'est peut-être cela: se compter, continuer de parler, et s'entendre, au sens fort."

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