dimanche 6 mars 2022

Lignes N° 67: Résistance et organisation

 Lignes    Collection dirigée par Michel Surya


Reprendre ses esprits    par Marina Deak


"Le film résonne intensèment avec aujourd'hui et de manière encore plus criante, hurlante, avec la situation détestable du début de la séance. Qu'en a-t-il reçu, le spectateur masqué qui a dénoncé l'autre? Est-ce que , assis masqué dans son fauteuil devant ce film qui crie sa colère face à cette compromission, son exigence à rompre, il a entendu ce qu'il a fait? Ce que son geste fait de lui? Son geste de délation, miroir du film...Est-ce que nous avons, chacun, dans la salle, entendu résonner en écho tout au long du film...Est-ce que nous avons, chacun, dans la salle, entendu résonner en écho tout au long du film:  "moutons, moutons, moutons...?" Je l'espère. Est-ce qu'il n'est pas temps d'aller, comme Y, là où l'"on" ne veut rien savoir de cette compromission générale où l'on baigne - partout, à vrai dire- pour faire violence, crier et le faire crier à ceux qui le savent et composent avec, leur faire crier y- compris malgré eux, contre eux s'il le faut, qu'ils le savent, et dénoncer ce savoir enfin, cette compromission à voix haute? Nommer la chose? Résister, désormais, car il est temps?

Non plus composer - mais se soustraire ( au jeu de la normalité ) - et résister. C'est-à-dire rompre ce jeu de la normalité, faire irruption dedans part le refus explicite, déclaré. Penser: parler. Dire. Nommer la chose, en effet. Nommer pour ceux qui ne veulent pas voir? Moi, il me semble que la surveillance de tous par chacun ne va pas; moi, il me semble que l'emprise totalitaire de l'ultralibéralisme  sur le monde, notre psyché incluse, ne va pas; moi, il me semble que l'augmentation sans fin des pouvoirs de contrôle de l'état ne va pas; que la destruction de l'environnement, que la banalisation du racisme, que...Et ainsi de suite. Ne va pas c'est peu dire: est mauvais, est une catastrophe, nous mène au désastre. Il me semble tout cela parce que je vois ces choses chaque jour: je les lis, je les croise, je les observe, j'essaie de les penser, pour certaines je les subis, j'y suis prise, et ainsi de suite. Je les vois, au sens de: ces choses là m'apparaissent, je les remarque, comme des éléements sur lesquels je bute, qui viennent me heurter. Donc, je dois les penser, à tout le moins, puisque, les voyant, je ne peux pas glisser dessus comme si  de rien n'était, je suis bien obligée d'en faire quelque chose. Parce que je les vois. Obligée d'en faire quelque chose - quoi? C'est évidemment la question. Mais d'abord en effet les voir. Donc les dire: un premier faire. Dire pour faire voir, pour que collectivement nous soyons obligés d'en faire quelque chose, en fassions effectivement, par ce nous, par ce collectif, de l'action. 

Jre ne sais pas si c'est cela qu'il faut. Plus précisèment, je ne sais pas si ce que je viens d'écrire n'est pas strictement individuel, et du leurre surtout. Quand on m'a proposé d'écrire un texte en début d'été, j'ai été ravie, enthousiaste. Comment la pensée est action, comme elle peut créer du collectif, comment c'est par elle que nous pouvons concrètement nous réinventer, trouver des chemins, pour résister bien sur puisque résistance il doit y avoir, mais aussi, au delà de la résistance en tant que réaction, pour créer vraiment, proposer autre chose: affirmer encore plus que refuser, agir et pas seulement réagir. Bien sûr! L'oeil clair, la pensée libère, la pensée nourrit, la pensée structure. La pensée comme arme totale, la pensée comme étendard et comme leur vitalité, pour tenir dans le cadre. Pour ne pas être sans cadre. Y croire malgré tout. Eh bien, il suffit d'ouvrir les yeux un instant pour se rendre compte qu'il n'est plus possible d'y croire, qu'y croire demande de délirer. Ouvrir les yeux, arrêter de délirer, reprendre ses esprits. Hors la loi: dans cet espace soudain vierge de notre autonomie. En adultes, en somme."



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