Quelques punitions absurdes de
Cayenne :
« Dire bonjour à un
camarade en traitement à l’hôpital ou à l’infirmerie : huit jours de
prison
Procurer du pain ou du tabac à
un malade : huit jours de cellule
Fournir du pain à un homme
puni : trente jours de cellule
Correspondre clandestinement avec
l’administration judiciaire ou avec un ministre : de soixante à cent
vingt-cinq jours de cachot
Réclamer contre l’insuffisance
ou la mauvaise qualité des aliments : de trente à soixante jours de
cachots
Réclamation non fondée au
commandant du pénitencier : de trente à soixante jours de cachot
Réclamation ayant entrainé
quelque inconvénient ou réprimande à un administrateur : tortures de
toutes sortes jusqu’à ce que mort s’ensuive
Se présenter malade à la
visite (alors que l’administration n’a pas distribué de chaussures depuis dix-huit
mois) quinze jours de cellule
Tailler dans sa couverture de
couchage une ceinture afin de se préserver de la dysenterie (Quand l’administration
vous a confisqué pour le vendre un colis postal contenant une ceinture de
flanelle) : soixante jours de cellule
Avoir une tête qui ne revient
pas à un garde-chiourme : tracasseries jusqu’à ce qu’il trouve une
occasion de vous envoyer une balle dans le dos. »
Lettres d’Alexandre Marius
Jacob à sa mère :
« Ma chère maman, si je
devais rester en réclusion, surtout pour cinq ans, alors, c’est une mort
certaine, lente et douloureuse, sans remède. Certes, je ne regrette pas d’avoir
discuté la loi dans cette affaire, contrairement à nos idées, car le but excuse
le moyen. Si je ne vois plus d’issue, je laisserai les arguments de côté, et je
me révolterai ouvertement plutôt que de souffrir en résigné. J’attendrai que tu
me dises ton idée à ce sujet. Je ne veux pas te faire de la peine. Je sais que
je suis, et ai été, le but de toute ta pauvre vie, de sorte qu’il y aurait de l’ingratitude
et de la cruauté de ma part en te causant la moindre peine. C’est sans le vouloir,
crois-le bien, que je me suis empêtré dans cette affaire. J’ai agi sans
réflexion, impulsivement pour ainsi dire, tant j’étais indigné. Pour ne pas
changer, j’ai été la dupe d’ignobles scélérats…
Depuis quatre ans, le bagne a
changé de la nuit au jour. Autant c’était facile, possible, quand je suis
arrivé, autant c’est difficile et pour ainsi dire impossible maintenant. Je parle
des trois roses (les trois îles), bien sûr. On a élevé des murs de ronde, on a
triplé les gardes, mis des chiens partout. C’est une véritable forteresse. Le
moyen serait le microbe…Tu pourras sans doute te le procurer auprès des amis de
l’hôpital saint Louis.
Bessolo est un traître…Je fais
tout cela pour me donner tout entier à la révolte, et pour venger tout ce qu’on
me fait souffrir ici…Va trouver M° Laffont… »
« Chère maman, je crois t’avoir
déjà dit que je ne voulais pas entendre parler de faveurs. Il est fort
regrettable que tu ne t’en sois pas souvenue. Il y a des souplesses, des
gymnastiques pour lesquelles je n’ai ni goût ni aptitudes…En principe, vois-tu,
cela ne vaut rien de compter sur la protection de celui-ci, sur l’influence de
celui-là. Il est préférable de ne compter que sur soi-même. En outre, il est
également préférable de ne pas ennuyer les gens heureux par des sollicitations.
Même en cas d’insuccès, cela engage à de la reconnaissance, et ce sentiment est
bien souvent une chaine pénible à supporter. Pour ma part, j’aime trop ma
liberté pour m’enliser dans ces sortes de compromissions ».
« Chère maman, je me
doutais bien que ta santé ne devait pas être des meilleurs ; certes, après
tout ce que tu as souffert, cela ne se pouvait guère ; mais cependant, je
ne te croyais pas aussi malade que l’as été. Que te dirai-je ? Que tu as
eu tort de me l’avoir caché, car si je l’avais su, je ne t’aurais pas chargée d’un
tas de commissions, de démarches qui ont été la cause peut-être de ta rechute.
Enfin, s’il est vrai, comme tu me l’assures, que tu es en pleine convalescence,
que tu es, pour ainsi dire, guérie, tant mieux. Je ne demande qu’à te croire,
et souhaite meilleure santé à l’avenir. Quant à moi, je suis heureux de pouvoir
te renouveler ce que je t’ai dit dans ma dernière lettre. Je me porte bien,
très bien. J’ai reçu un flacon de poudre Rocher et, sans lui attribuer tout le
mérite de mon amélioration, je crois qu’il y a un peu contribué. Pour le
moment, je n’en ai plus besoin. A moins que je ne t’en fasse la demande, ne m’adresse
plus rien : on me le confisquerait.
Dans les premiers jours du
mois prochain, je m’attends à être transféré dans les locaux de la réclusion
cellulaire de l’île Saint-Joseph, pour y purger le reste de ma condamnation que
je subirai intégralement, à moins que tes démarches ne soient couronnées de
succès, ce qui est probable du reste si tu as procédé comme je te l’ai
recommandé. Au fond, ça ne me plait pas beaucoup, mais puisque cela te fait
plaisir, puisque, en quelque sorte, tu t’es engagée à l’endroit de personnes
qui ont été bonnes pour toi, fais comme
tu l’entendras : venant de toi, ce sera toujours bien.(…)Ne confonds pas
surtout : il ne s’agit pas de ma peine des travaux forcés à perpétuité ;
il s’agit de celle de deux ans de réclusion cellulaire, prononcée par le
tribunal maritime spécial pour coups et blessures volontaires ayant occasionné
la mort sans intention de la donner, avec admission d’excuse légale et de
circonstances atténuantes.
C’est par erreur que mon
dossier porte la mention : meurtre – ou, pour mieux dire, c’est l’accusation
que soutenait cette version ; mais le tribunal ne l’a pas admise, sans
quoi j’aurai été condamné à mort. D’ailleurs, si, comme je l’espère, M° Justal
a compulsé le dossier au greffe de la cour suprême, il doit déjà t’avoir
informée de cela.
Attendons donc. Quelle que
soit la décision, je ne saurais trop te recommander de ne pas te chagriner pour
moi. Je te le répète, je me porte bien et, ma foi, avec la santé, on fait et on
supporte bien des choses.
En attendant de tes chères
nouvelles, reçois, ma bien bonne, mes plus tendres et affectueuses caresses ».
« Chère maman, me voilà
encore déçu dans mon attente…Quoi qu’il en soit, cela n’a pas grande
importance. Ce qui en a le plus, c’est que ta santé soit réellement
satisfaisante. Après tout ce que tu as souffert, ma bien bonne, il est temps
que tu sois un peu mieux. Si cela pouvait durer…
N’oublie pas d’adresser mes
sincères remerciements aux personnes qui t’ont assistée de leurs bons soins :
à Jeanne, à tante, à ta bonne voisine surtout, ainsi qu’à celle que je ne
connais pas. De même que je hairais quiconque te ferait du mal, je ne puis qu’aimer
ceux qui te font du bien, cela se conçoit…
Si
au lieu de t’aimer comme je t’aime, plus que tout au monde, je
désirais ta mort, oh !, alors, à la bonne heure ! Je te dirais :
viens au plus vite. Mais comme je ne veux pas être un matricide, comme je
désire que tu vives le plus longtemps possible, bien sincèrement, du fond du cœur,
je te supplie de n’en rien faire. Car ce n’est pas à ton âge, ma bien bonne,
avec tous les assauts que les maladies t’ont livrés, que tu pourrais impunément
affronter un tel climat, un tel milieu social, un tel genre de vie : tu n’y
résisterais pas six mois.
Voilà ce qu’on a sans doute
oublié de te dire, c’est pourquoi je crois bon de t’en informer…
Cependant, il ne faut pas se
désespérer…L’écueil, pour mon cas, est la crainte de mon évasion, crainte
motivée du reste, il faut l’avouer, par ma conduite passée.
De sorte que si tu sollicitais
pour moi une concession, on ne manquerait pas de penser, sinon de répondre, que
le désir de ce bénéfice est plutôt pour moi un moyen qu’un but.
Aurais-je la plus exemplaire
des conduites, la plus soumise des attitudes, que rien n’y ferait.
Invariablement, la réponse serait négative. C’est pour cela que je ne serai
jamais désinterné, c’est-à-dire que je ne quitterai jamais les îles du Salut.
Si jusqu’ici j’ai cherché à
briser mes chaines, ce n’a été que pour pouvoir vivre auprès de toi…Que m’importe
de vivre à Rome ou à Pékin ? le lieu m’indiffère : ce que j’ai
toujours désiré, ce que je désirerai toujours, c’est de vivre à tes côtés,
paisiblement, en travaillant de mon mieux. »
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