"Chère Albertine,
Je profite des loisirs forces que m impose une légère maladie (début d otite ce n'est rien) pour causer avec toi. Sans ça, les semaines de travail , chaque effort en plus de ceux qui me sont imposés me coutent.[...] Cette expérience, qui correspond par bien des côtés à ce que j'attendais, diffère quand même par un abîme: c'est la réalité, non plus l'imagination. Elle a changé pour moi non pas telle ou telle de mes idées (beaucoup ont été au contraire confirmées), mais infiniment plus, toute mas perspective sur les choses, le sentiment même que j'ai de la vie. Je connaitrai encore la joie, mais il y a une certaine légèreté de cœur qui me restera, me semble-t-il, toujours impossible.[...]
J'ai pas mal appris sur l'organisation d'une entreprise. C'est inhumain: travail parcellaire - à la tâche - organisation purement bureaucratique entre les divers éléments de l'entreprise, les différentes opérations de travail. L'attention, privée d'objets digne d'elle, est par contre contrainte de se concentrer seconde par seconde sur un problème mesquin, toujours le même, avec des variantes: faire ordre [...] Et ce que je demande, c'est comment peut devenir humain[...] Seulement, quand je pense que les grands chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu'aucun d'eux - Trotski sûrement pas. Lénine je ne crois pas non plus- n'avait sans doute mis les pieds dans une usine et par suite n'avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté pour les ouvriers - la politique m'apparait comme une sinistre rigolade."
"Chère petite, [...]C'est ça le "contact avec la vie réelle dont je vous parlais."[<...]J'ai le sentiment surtout de m'être échappée d'un monde d'abstraction et de me trouver parmi les gens réels - bon ou mauvais, mais d'une bonté ou d'une méchanceté véritable. La bonté surtout, dans une usine, est quelque chose de réel quand elle existe; car le moindre acte de bienveillance, depuis un simple sourire jusqu'à un servce rendu, exige qu'on trompe de la fatigue, de l'obsession du salaire, de tout ce qui accable et incite à se replier sur soi. De même la pensée demande un effort presque miraculeux pour sz'élever au-dessus des conditions dans lesquelles on vit. Car ce n'est pas là, comme à l'université où on est payé pour penser ou du moins pour faire semblant; là la tendance serait plutôt de payer pour ne pas penser: alors quand on aperçoit un éclair d'intelligence, on est sûr qu'il ne trompe pas. E
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire