Extraits tirés de l'ouvrage : "De l'argent : la ruine de la politique" partie III
" Autant le dire sans détours : l'existence d'un parti fasciste a tout un temps entretenu l'illusion que de la politique persistait (elle l'entretiendra encore, ailleurs). Il faut bien en convenir alors, c'est toute la politique qui était intéressée à la persistance d'une illusion qui la sauvait.
De là le fait que tous les partis aient protégé "ce" parti (en un sens, le seul qu'il restât). Peu importait, semble-t-il, que de cette protection dépendit alors qu'il n'y eut plus de politique que sous sa forme la plus régressive - pourvu que de la politique existât encore. Il ne fait pas de doute après coup que c'est ce qui comptait. Les partis démocratiques ont dû leur existence, tout ce temps, au seul parti qui n'était pas démocratique; lui seul a fait qu'ils ont cru, peut-être, et prétendu, souvent, à une démocratie qu'ils auraient sauvée quant, au contraire, ils s'employaient malgré eux à faire qu'elle disparaisse.
Le comble : ce que le parti fasciste se montrait lui-même peu à peu impuissant à faire!
Nous étions à ce point occupés par la possibilité qu'une politique si régressive puisse exister que nous n'avons pas vu que c'était en suscitant l'illusion toute morale d'une guerre faite à "cette" politique que l'amoralité d'une disparition de la politique fut rendue possible.
La domination voulait-elle qu'on croie à une résurrection possible des archaïsmes de la politique? C'était en fait pour qu'on ne voie rien des procédures qu'elle agencait dans l'ombre pour que la politique disparaisse. Voulait-elle faire croire au retour des formes anciennes et violentes de la police? C'était en fait pour que d'autres formes, modernes celles-ci, et douces et placides, se substituent à elles. Si douces et si placides que nul ne les eût accusées sans excès d'être des formes elles-mêmes policières. On reconnaîtra après coup la modernité des temps auxquels il nous aura pourtant fallu survivre à la douceur et à la placidité des polices que ceux-ci étendirent partout. Une placidité, une douceur d'autant plus sensibles que leur nombre semblait pourtant grand.
Il n'y aurait bientôt plus rien qui ne doive aux polices la douceur et la placidité que tous voulaient en effet ressentir. Il n'y aurait bientôt plus personne à ne vouloir que les polices aient la douceur et la placidité que la révolution n'avait pas su donner à leur place. L'histoire de l'argent est complexe sans doute. Rien ne peut faire cependant qu'elle aurait pourtant compté pour rien si l'on ne s'était pas mis entre-temps à attendre des polices autant qu'on avait attendu de la révolution."
"Pour que le capital passa pour moral au moment de cette victoire (je précise : pour que cette victoire ne passa pas pour autre que morale), il fallait qu'il ne passât pas pour politique. C'est la seconde des choses auxquelles nous n'avons pas prêté attention tout le temps que l'extrême droite détournait celle-ci : non seulement le capital travaillait à n'avoir plus d'alternative, mais encore il travaillait à n'être plus lui-même une politique
Et c'est ce qu'on comprend après coup, entre beaucoup d'autres choses : le capital n'a pas encouragé l'extrême droite pour trouver auprès d'elle, le moment voulu, les soutiens qu'elle lui avait prêtés dans le passé. Il l'a encouragé, je l'ai dit, pour détourner notre attention. Mais, surtout, il l'a encouragée pour alimenter une détestation de la politique qui lui était nécessaire : dont il savait par avance quel bénéfice il tirerait le moment venu. Ce bénéfice serait d'autant plus grand qu'il fallait, de son côté, qu'il travaillât à passer pour toute autre chose que politique. Il fallait qu'il ne fût pas politique, dès lors que ce dont il triomphait, en triomphant du communisme, c'était de la politique elle-même et de la prétention au moins abusive, peut-être criminelle, qu'elle a toujours eue que c'était à elle de décider démocratiquement de ce qui avait lieu d'être."
"Le pouvoir politique n'a pas pour rien changé de mains. Il a changé de mains pour que ce soient les mêmes qui disposent de l'argent et qui décident de tout ce dont il arrivait encore que le pouvoir politique décidât. "On n'a jamais été moins en démocratie que depuis qu'on ne craint plus que quiconque ne menace la démocratie". C'est le paradoxe auquel on reconnaît ce temps. Auquel on reconnaît qu'il se différencie de ceux qui l'ont précédé. Un paradoxe qui n'a pas tout son sens que si on lui donne cette forme qui ne paraît extrême qu'à qui ne pense la politique qu'à son corps défendant : la démocratie a disparu le jour même où il n'y a plus eu personne à ne se trouver d'accord pour dire qu'elle l'avait emporté sur la plus grande des menaces qui pesaient sur elle. Et, peut-être, sur toutes les menaces qui le pouvaient. On devra le dire longtemps encore "
 
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