"Portrait de l'intermittent du spectacle en supplétif de la domination". Partie III
44/ Que l'art s'affirme toujours comme révolutionnaire, la domination l'admet d'autant plus volontiers que cette affirmation le gratifie d'une valeur supplémentaire inespérée - de nostalgie ou d'espérance - dont elle ne peut que sortir affermie.
Si bien qu'il est possible d'affirmer, une fois parachevée la domination, qu'aucun art ne saurait y être révolutionnaire, empruntât-il à ceux qui le furent en effet tout ou partie de leurs apparences.
45/ Qu'il n'y ait pas d'art qui puisse être ou rester révolutionnaire, c'est ce que la domination sait - et obtient de tous sitôt qu'elle leur confère les moyens dont ils ont besoin, qu'ils ne savent plus où trouver.
49/ Printemps 2006, Paris: énième animation de rue (la "sculpture" de rue equivalent du théâtre, lui-même de rue), pour la plus grande joie des touristes français et étrangers - c'est à dire: pour la joie de quiconque traverse le monde en touriste; c'est-à-dire : pour la joie d'à peut-être tout le monde depuis que le modèle touristique est maintenant pour tous la règle. Niaiserie organisée par les autorités représentatives ( culturelles "et" touristiques) en plein accord avec les plasticiens sollicités.
Crux-ci n'hésiteront à dire (se defaussant) : le peuple n'allant pas à l'art, il fallait que l'art allait au peuple. Celles-là parleront d'"animation urbaine", ludique et éphémère, de nature à faire de la capitale nationale le lieu consolidé des rvenements en tous genres- autrement dit : un parc d'attractions. Exemple sempiternellement recommencé, à Paris Et partout, mais qui n'indique que trop parfaitement comment c'est une immense partie de l'art qui est peu à peu devenu "ludique" en effet, et éphémère, c'est-à-dire envisagé, conçu et propagé. Pour la plus pure puerilisation des masses ( c'est-à-dire pour que celles-ci en soient réduites, ce qu'elles sont, à s'imaginer vivre sans un jardin d'enfants).
On ne le remarque pas assez: ce qui se donne pour l'art aujourd'hui et qu'en effet les instances représentatives (administrations, d'état ou territoriales) élisent comme tel, qu'elles élisent pour les "masses" (là où l'on trouve encore quelque chose comme des "masses", où l'on trouve du moins ce qui reste d'elles: dans la rue, sur les places, dans les stades, etc.), s'accorde mot pour mot au discours dit "sécuritaire" qu'allègue et met en scène, de même toujours et partout, la domination. Ce qui passe pour l'art aujourd'hui n'est pas moins paterne et puérilisant que ce discours sécuritaire lui-même qui ne passe pour politique que faute que la domination n'ait d'autre politique qu'économique.
56/ L'association de l'art et du divertissement est maintenant consommée - au bénéfice du second, cela va sans dire, comme il apparaît d'une façon dont on ne saurait plus douter.
Il n'y a plus d'art, dorénavant, qui ne soient menacé de se transformer en divertissement. C'est pourquoi il n'y a plus de divertissement qui ne puisse pareillement passer pour de l'art. Une confusion résulte de cette réciprocité, dont bénéficient tous ceux qu'on voit résolus à se faire les liquidateurs de l'art et les propagateurs du divertissement de masse - à la condition cependant que celui-ci tienne lieu de celui-là.
62/ La réciproque est dorénavant établie il a permis que la consommation constituât une culture (les valeurs, la civilisation, etc ) qui permet maintenant que la culture (les valeurs, la civilisation, etc ) s'abolisse dans la consommation.
80/ On regardera un jour cette époque comme celle qui, au moyen du marché, soumit l'art aussi parfaitement que, quelques siècles plus tôt, les princes et le clergé le soumettaient absolument. Le patient et difficile mouvement par lequel l'art s'est affranchi puis sécularisé a pris tout à fait fin il y a peu : depuis qu'on ne le voit plus revendiquer quelque sécularité que ce soit; depuis qu'au contraire ils réclament des princes et du clergé actuels les moyens dont il a besoin pour que se perpétuent ses formes anciennes à défaut que se renouvelle les modernes.
81/ Que les travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse se veuillent aveugle aux conditions sociales dans lesquelles ils accomplissent leur "mission", ainsi qu'ils disent avec forfanterie, suffit à définir et révéler leur lutte comme caractéristiquement corporatiste. Mais qu'en outre ils en appellent à la politique pour justifier cette lutte suffit à révéler et définir leur duplicité comme explicitement cynique.
Eux seuls l'auraient pu pourtant, profitant du trouble ambiant qui veut que nul ne sache plus ce qui est politique ni si quelque politique que ce soit existe encore.
82/ En effet, rares restent ceux à pouvoir faire que "de la politique" reprenne (comme le feu sous la cendre refroidie). Et les travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse en font partie d'une façon spécifique (histoire, fonction symbolique...). Il eût suffit pour cela que leur lutte fût placée d'emblée sur un plan général, qui n'exclût aucune autre lutte;qui se justifiât au contraire de toutes les autres pour attester d'une exemplarité de principe. D'une telle lutte, sciemment symbolisée, eût pu découler que toutes les autres, qui ne savaient pas elles-mêmes comment redevenir politiques, le redevinssent à leur tour et à son exemple.
86/ L'échange est entier et permanent qui permet au public de tenir pour indifférent qu'un imitateur passe pour un artiste et un artiste pour son imitateur. Le vrai n'est plus seulement un moment du faux, comme l'a dit Debord retournant Hégel; le faux est le vrai lui-même, sans plus de réalité propre cependant pour l'établir. Sans plus ni moins surtout de capacité à passer pour réel et tenir du réel la valeur discriminante dont se recommande de tout moment, dans quelque processus que ce soit, "a fortiori" de vérité.
95/ Bien sûr, nul ne doutait qu'une telle fracture existât (encore que le mot était absurde qui cherchait pauvrement à faire oublier qu'on avait parlé jusque-là de: "lutte de classe"). De quelques noms qu'on l'appelât alors ou qu'on l'appelle depuis, rien ne pouvait plus faire que des intellectuels "réputés" de gauche ne s'en fussent entretenus avec un homme dont nul, hormis eux selon tout apparence, n'ignorait qu'il s'en souciait comme d'une guigne.
97 Un pas restait cependant à franchir pour que leur servilité ne fit plus de doute. Qu'ils ont franchi depuis avec allégresse. Le futur président les avait-il sollicités? ils avaient accouru. Le patronat les solliciterait-il? Ils accoureraient.
Et l'on a vu alors des "intellectuels" - pour plusieurs d'entre eux d'anciens gauchistes démarchés par un ancien maoïste - répondre à cette invitation, moderne s'il en est : s'entretenir publiquement avec des "grands patrons", non plus de la fracture sociale - il ne faisait déjà plus de doute que le slogan avait rendu tous les services dont il était capable - mais selon le mot d'ordre du Médef lui-même, de "refondation sociale".
98 Refondation: on sait en quel sens l'entendait le président du Médef d'alors, en quel sens l'entendent ses successeurs depuis n. Non, ce n'est pas assez dire sans doute que d'anciens révolutionnaires "refondent", il faut dire encore qu'ils le font avec un patronat "enragé" (l'enragement a lui aussi changé de camp) qui s'est donné pour mission de dissocier le travail (dont dépend la prospérité) du droit (qui l'entrave).
C'est dire quelles mains ces animaux si parfaitement domestiqués sont prêts à lécher pour ne pas rester plus longtemps sans maître.
103 A l' été 2004, le PDG d'une entreprise de communication dominante a déclaré ceci qui a été beaucoup reproduit, déjà: "le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre 2 messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible." (Patrick le Lay, "Les dirigeants face au changement", Paris, édition du huitième jour, 2004). Comme il était inévitable, on n'a pas cité ni reproduit cette déclaration sans s'en indigné".
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