Cinquième volet de la série : "De la domination" de Michel Surya "Les singes de leur idéal : sur l'usage récent du mot "changement". Partie I
Pourquoi ce titre? La citation de Nietzsche, peut-être : "Le désillusionné parle - j'ai cherché des grands hommes, mais je n'ai trouvé que des singes de leur idéal."
En avant-goût, je vous offre la dernière page de couverture. Je cite :
"L'assujettissement n'est entier qu'à la condition que les parties d'alternance l'assument à tour de rôle, administrant par là la démonstration de sa perfection sans alternative.
En quoi la domination est-elle parfaite? En ayant réduit son alternative à l'état d'illusion. Illusion elle-même parfaite qui veut que pensent voter contre la domination ceux-là mêmes qui la reconduisent à l'identique (ou presque: ses excès exceptés)."
Je lis maintenant l'avertissement toujours nécessaire pour savourer l'ouvrage et déjà, on a une idée précise de ce que l'on va trouver :
"Les 91 variations qui suivent ont été écrites du 06/05/2012 au 31/08/2012. Précisément, de l'élection du nouveau président de la république, de "gauche" - bientôt suivie de celle d'une nouvelle majorité au parlement, elle-même de "gauche" -, au discours prononcé par celui-ci à Châlon en Champagne, dans lequel il revenait, à peine plus de cent-jours après l'élection, sur l'essentiel de ses engagements de campagne, notamment en reconnaissant l'exceptionnelle gravité de la situation économique et en annonçant une politique d'austérité pour l'essentiel inspirée des recommandations des grandes instances internationales. Autrement dit, en remplaçant purement et simplement le mot "changement" sur lequel il s'était fait élire, par le mot "crise" au moyen duquel il gouvernerait. Continuer au-delà n'aurait pas eu de sens, sinon celui d'ajouter le divertissement au divertissement. C'est du mot "changement" qu'il devait être question ici et il ne pouvait en être fait authentiquement une question qu'aussi longtemps qu'il n'avait pas encore été révoqué par celui-là même qui en avait pourtant fait une promesse.
13 de ces 91 variations ont paru (en juillet 2012) sous le titre: "13 variations brèves sur le mot "changement", dans le 1er numéro du journal A, supplément de la revue M. Mouvement. 10 autres ont paru dans le numéro 2 (novembre décembre 2012) sous le titre (de la rédaction) "De la domination. Sur l'esprit du commerce". Ils ont été écrits à l'invitation de son directeur, Jean-Marc Adolphe, que je remercie.
N.B. Pour la plupart, les notes de bas de pages datent de l'écriture elle-même de ces fragments. Quelques-unes ont cependant été ajoutées "a posteori" dès lors que des déclarations ou des décisions intervenues ultérieurement, en septembre et octobre, confirmaient ce que ceux-ci annonçaient. Elles sont indiquées comme telles.
2/ Longue séquence survitualisée :campagne, débat, scrutins, résultats, etc. Faites pour que tout le monde soit justifié de parler de "politique" et de "démocratie" - que nul ne doute davantage de l'une que de l'autre.
La "politique"? En entretenir l'illusion. Qu'on ne sache pas que le sort en a été une fois pour toute réglé ( par les marchés). Dire: L'hypercapitalisme a eu raison de toute politique, ce serait dire en effet qu'il n'y a de politique encore, si tant est qu' il puisse encore y en avoir, qu'en tant qu'anti-hypercapitaliste (mais dans un sens ou l'autre, c'est n'en rien dire).
La démocratie? La dire "apaisée". Ne la dire qu'apaisée, avec une satisfaction les uns des autres, pour se dire à soi-même et montrer à tous la maturité enfin atteint de ses processus - pour n'avoir pas à confesser leur extinction.
4/ La passation des pouvoirs, ou la "continuité de l'état", selon les éléments de langage que les élites - politiques et médiatiques - ont en partage. Eloquent partage grâce auquel nous devions par avance de savoir que cette continuité serait assurée, à quelques changements qu'on l'ait su exposée. Les médias n'ont d'ailleurs pas attendu les résultats des élections pour témoigner au nouveau pouvoir annoncé un attachement au moins égal à celui qu'ils avaient d'abord montré à l'ancien. On peut d'ailleurs en faire l'hypothèse: ce sont les élites médiatiques qui ont maintenant en charge cette continuité sans laquelle les apparences de la politique ne pourraient pas être sauvées.
Il y a 10 ans, on aurait dit d'elle: pour ne pas rester plus longtemps sans maitre;+ il faut dire aujourd'hui: pour que quelque pouvoir que ce soit sache quelle maître il a
5/ Il est somme toute logique que ce soit 16 élites récentes (médiatiques) qui aient ce pouvoir en charge, qui ont fait de la politique ce divertissement qu'il est m. C'est donc à elles qu'il revient qu'elle en reste un. Elles ont pris pour cela toute la part qui leur incombait dans ce que la gauche s'est entêtée à tenir pour un "changement", mais qui ne constituait tout au plus pour elle qu'un "échange"; échange aux termes duquel la gauche constituerait en effet ce divertissement que Sarkozy et les siens avaient grandement nourri, avant, à la fin, de le décevoir.
7/ Il peut donc arriver que le grand coït te électorale accouche une fois ou l'autre en France ( tous les 5 ans tout au plus) de l'"alternance" (liesse, larmes etc.) dans laquelle les congratulations des vainqueurs se plaisent à voir la validité du changement, quand on n'y doit tout au plus voir que la variété de l'assujettissement (la diversité de ses formes possibles).
8 / "Le changement, c'est maintenant". Slogan pauvre (ce qu'on a beaucoup dit)? Au contraire, slogan parfait, que la versatilité de l'opinion était libre d'interpréter comme le programme d'une politique possible, réellement promise de "changer" (changer quoi ? c'est ce qu'on s'est précautionneusement abstenu d'annoncer), quand il ne s'agissait en réalité que de procéder au changement des élites susceptibles de conférer à la même politique (à peu près) la variante qui la sauverait.
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