samedi 14 juin 2025

18/ La Politique n'est plus qu'un décor creux. Par M A.

 Extraits du troisième ouvrage intitulé "Portrait de l'intellectuel en animal de compagnie" de la série "De la domination".    Partie III


"Que demanda la domination aux intellectuels qui la ralliaient? Qu'ils disent, c'était bien le moins, que ce qu'ils avaient tenu pour la démocratie tout le temps qu'ils avaient absurdement tenu le communisme pour démocratique en était le contraire; le communisme et tout ce que de ce côté-ci d'un capitalisme sans nuance on avait tenu pour communiste (n'eût-il rien à voir avec, sinon qu'il niait que le capitalisme fût démocratique lui-même).
La domination demanda un peu plus cependant : il a fallu à ceux-ci dire que les libertés formelles qu'ils avaient si volontiers décriées - qu'ils avaient si volontiers décriées parce qu'elles n'étaient que "formelles" - , et qui permettaient que le marché prospérât si spectaculairement, obligeaient de convenir que c'était le marché qui faisait par le coup que ces libertés n'étaient pas que formelles. En d'autres termes, et quand bien même ne fût on aucunement sûr que le marché était démocratique, encore moins qu'il garantissait les conditions d' une "démocratie politique", il leur fallut convenir qu'il n'y avait de démocratique que le marché."


"Il dispose aujourd'hui d'un pouvoir tel qui peut avec cynisme faire valoir que ces libertés ne sont pas de la même nature selon que ce sont des siennes qu'on parle ou de celles que les travailleurs pourraient prétendre lui opposer. Il y a vingt ans maintenant qu'on entend partout des intellectuels démontrer que les libertés auxquelles il n'y a pas d'intellectuels qui ne soit attaché sont satisfaites et le sont par le capitalisme. Il était arrivé pendant longtemps que d'autres (les mêmes le plus souvent) avaient prétendu qu'il dépendait du communisme qu'elles fussent satisfaites. On ne sait plus aujourd'hui quelles libertés sont possibles; on ne sait pas même si aucune l'est vraiment; en même temps, on n'a jamais autant parlé de libertés depuis que ce sont des marchés que parlent ces intellectuels quand ce sont des libertés que parlent ceux que les marchés laissent parler."


"C'est l'une des très grandes étrangetés sur lesquelles il bute: la domination qu'il a ralliée l'a emporté au point qu'elle semble de force à exiger de lui une humiliation dont il ne voit pas la fin. Dont il voit moins encore le profit pour lequel il l'a entreprise. Il s'est humilié sans doute, mais pour rien dont il puisse faire après coup une raison.
On n'a jamais vu personne renoncer à soi-même avec moins de raison ni de profit l'intellectuel depuis maintenant vingt ans. De tous les sujets auxquels cette époque prête tristement à penser, c'est le plus remarquable sans doute. Et contre lequel il ne sert à rien d'en appeler à tous ceux qui auraient mieux aimé mourir qu'admettre jamais que rien pourrait les domestiquer. Leurs noms sont innombrables pourtant, qu'il ne sert à rien d'opposer au nombre de ceux qui sont aujourd'hui pour la domination comme sont les animaux de compagnie."


"Une chose n'a pas été assez dite: la domination sait mieux que jamais (et quiconque) quelle sauvagerie est la sienne. Elle le sait assez pour ne pas vraiment vouloir qu'il n'y ait plus personne pour la dénoncer.
Autrement dit, la domination est une machine de guerre : elle peut désirer donner l'impression que rien n'est fait pour lui résister réellement, rien ne lui résisterait il plus que ce serait, du coup, sa propre possibilité guerrière qui s'en trouverait gravement amoindrie . Partant, elle-même.
Il faut, en ce cas, en former l'hypothèse : elle s'inventera des ennemis dès l'instant qu'elle ne s'en connaîtra plus. C'est-à-dire : elle s'en inventera qui donneront le change (trompe-l'oeil supplémentaire dans sa machinerie générale).
Se ralliant, tous ou presque, les intellectuels auront à la fin permis que la domination s'invente les "intellectuels" dont elle aura besoin. Non pas cette fois les intellectuels qui la loueront tous et comme un seul homme. Mais des intellectuels qui feront comme s'ils ne la louaient pas tous sans condition. Comme si persistait la possibilité qu'existât une intellectualité qui niât "réellement" les desseins qu'elle ne voudrait pas voir personne nier sérieusement. Il faut en ce cas en déduire ceci : c'est par le même mouvement que disparaîtront les intellectuels la contestant réellement qu'apparaîtront des intellectuels dont on devra croire qu'ils la contestent. Les premiers se seront domestiqués d'eux-mêmes : les seconds naîtront domestiqués."



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