samedi 1 juin 2024

Le monde diplomatique de Juin 2024

 Article : La piste d'Istambul    par Benoit Bréville


Mais que font donc les journalistes et commentateurs français, d'ordinaire si friands de "documents secrets" sur la Russie ! Eux qui traquent tout "plan caché" de Moscou visant à dissoudre la cohésion des sociétés démocratiques, toute "taupe" russe tapie dans l'appareil d'état? Le 28 avril, le quotidien conservateur allemand "Die Welt" leur servait sur un plateau d'argent un projet confidentiel venu de l'Est, la dernière mouture de l'accord de paix négocié par Kiev et Moscou au début de la guerre. Un texte d'importance donc, dont l'adoption aurait pu éviter deux ans d'affrontements et des centaines de milliers de morts. Les médias hexagonaux n'en ont rien fait (1), peut-être soucieux de ne pas creuser une affaire où le camp des va-t-en-guerre occidentaux ne tient pas le meilleur rôle.

Istanbul, 29 mars 2022. les délégations russes et ukrainiennes se retrouvent pour un nouveau round de négociations, le septième en un mois, dans un contexte militaire mouvant où l'agresseur russe essuie ses premiers revers. Au terme des discussions, chaque camp salue des avancées "significatives" et affiche son optimisme. Kiev ouvre la porte à un statut de neutralité", Moscou à un cessez-le-feu. Pourtant les discussions s'interrompent, pour des raisons qui demeurent débattues. le document de "Die Welt" apporte quelques précisions.


D'après la version officielle, la révélation des massacres de Boutcha, dans les premiers jours d'avril, aurait changé la donne, convainquant le président Volodymyr Zelensky qu'il ne pouvait plus négocier avec des "génocidaires". En réalité, les échanges continuent, en visioconférence, près de quinze jours après la découverte des crimes de guerre, jusqu'au 15 avril. Deux semaines de tractations qui ont transformé les grandes lignes fixées à Istanbul en un texte détaillé, long de dix-sept pages. A sa lecture, on mesure les priorités des deux camps, et l'ampleur des compromis auxquels ils étaient disposés pour faire cesser les combats.


Plutôt que des conquêtes territoriales, la Russie cherche à obtenir des garanties à ses frontières, en posant dès le premier article la "neutralité permanente" de l'Ukraine, qui accepterait de renoncer à toute alliance militaire, d'interdire la présence des troupes étrangères sur son sol, de réduire son arsenal, tout en gardant la possibilité d'adhérer à l'Union européennes. En contrepartie, Moscous se serait engagé à retirer ses troupes des zones occupées depuis le 24 févier, à ne plus attaquer l'Ukraine, et aurait consenti pour garantir cet engagement au mécanisme d'assistance réclamé par Kiev: en cas d'agression de l'Ukraine, les membres du conseil de sécurité des Nations unies seraient engagés à la défendre.

Pourquoi les Ukrainiens ont-ils finalement quitté la table des négociations alors qu'ils avaient poursuivi les discussions malgré Boutcha et que la paix semblait à portée de main? Depuis deux ans, les indices pointent la responsabilité des Etats-Unis et du Royaume U ni qui, trop confiants dans la déroute de Moscou, auraient fermement rejeté le dispositif de protection imaginé" par les négociateurs. "Quand nous sommes revenus d'Istamboul, Boris Johnson est arrivé à Kiev [le 9 avril] et il a dit :"Nous ne signerons rien avec les russes, continuons à nous battre", relatait récemment M. David Arakhamia (2). Un récit contesté par l'intéressé, mais corroboré par une enquête du "Wall street Journal" (3)


(1) Associé au consortium qui a fait cette révélation. Le Figaro a publié une traduction de l'article de Die Welt, mais sur son site internet. L'information fut, sinon, succinctement relayée par les sites du midi libre de la dépêche du midi et du parisien.

(2) cité dans Olena Roshchina "Head of Ukraine's leading party claims Russia proposed "peace" in exchange for neutrality", Ukrainska Pravda, 024 novembre 2023.

(3) Yaroslav Trofimov, "did Ukraine miss an early chance to negotiate peace with Russia? "Wall Street Journal New York 5 janvier 2024



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