mardi 28 septembre 2021

Une culture du viol à la française. Par Valérie Rey-Robert

 "Au travers de ces idées reçues, nos cultures entretiennent l’acceptation, l’excuse et même l’encouragement des violences sexuelles. Cette culture du viol se maintient et se transmet de génération en génération. Comme pour toute transmission, le poids de la tradition est un facteur particulièrement important. La reproduction des rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes favorise une surdétermination des genres. Certains considèrent cela comme une bonne chose, d’autres l’inverse. Ce qui reste évident, c’est que si ces schémas ont favorisé jusque-là les violences sexuelles au sein de nos sociétés, les reproduire à l’identique garantit également que ces violences perdureront. Interroger les genres ne relève pas de la lubie féministe ni de la théorie stérile. En ce qui concerne les violences sexuelles, comprendre les rôles masculins et féminins, les discriminations sexistes qu’implique leur dissymétrie, c’est aussi comprendre une part de l’origine des violences sexuelles, pourquoi elles sont si nombreuses et comment elles perdurent. Dans nos sociétés, dès le plus jeune âge, garçons et filles sont perçus et éduqués de façon très différente. Ils sont encouragés à adopter des comportements en adéquation avec leur sexe, c’est-à-dire en conformité avec des images stéréotypées, leur assignant entre autres des statuts préétablis de coupable ou de victime. Dès les premières années de la vie, cette différenciation s’accompagne de discriminations sexistes. Adultes, hommes et femmes sont fréquemment considérés ou représentés comme des adversaires sexuels et leurs relations perçues par essence conflictuelles. Nos sociétés ont tendance à légitimer et encourager la violence sous certaines conditions, à valoriser celle-ci essentiellement lorsqu’elle émane d’un homme. A contrario, elles véhiculent aussi une image de la femme souvent négative et une certaine hostilité à son encontre. La combinaison de tous ces facteurs favorise l’ancrage culturel des violences sexuelles, leur maintien et leurs reproductions dans le temps, quels que soient les moyens mis en place pour les dénoncer ou les combattre."

"Les enfants vont donc être éduqués de façon genrée afin qu’ils ne transgressent pas les normes admises pour leur sexe. Dès la naissance – et parfois même avant si l’on sait le sexe –, les parents projettent des attentes différentes sur le nouveau-né. Ainsi, alors que rien objectivement ne le justifie, la nouvelle-née est décrite comme plus petite, plus douce, plus fine et moins attentive que le nouveau-né . Les parents vont souvent attendre de leur fils qu’il soit indépendant, ambitieux et travailleur et de leur fille qu’elle soit gentille et attirante . Ainsi, les pères ont plus d’interactions physiques avec les bébés garçons et d’interactions vocales avec les bébés filles . Le moment de la marche est par exemple crucial ; on attend des garçons qu’ils tombent sans se plaindre et pleurer, alors qu’on l’acceptera des filles. Mais l’on s’inquiétera davantage si la fille s’éloigne et moins si c’est le garçon. Une étude  a analysé le comportement d’adultes face à la vidéo d’un bébé de 9 mois, tour à tour habillé de manière féminine et masculine, et mis face à un diable à ressort. Les réactions des adultes sont notées selon qu’ils croient avoir affaire à une fille ou à un garçon. Lorsqu’il s’agit d’un garçon, les adultes ont tendance à voir davantage de colère dans son attitude et à la valoriser. Lorsqu’ils pensent voir une fille, ils la décrivent comme plus peureuse. Les parents vont donc éduquer les enfants pour qu’ils collent à ces stéréotypes de genre en inhibant chez eux les traits de caractère n’y ressemblant pas et en valorisant ceux qui y correspondent. Les valeurs attendues pour un garçon sont évidemment valorisées dans notre société et correspondent davantage à l’idée qu’on se fait de la réussite par exemple. Si on attend d’une fille qu’elle soit par exemple attirante, cela signifie également qu’on dévalorisera les autres attitudes qu’elle pourrait avoir si celles-ci sont jugées comme ne correspondant pas à son genre. Ainsi l’agressivité, pourtant vantée comme la qualité pour être un bon leader, attitude hautement valorisée dans nos sociétés, sera fortement réprimée chez les filles. Bien évidemment, l’attitude souhaitée pour chaque sexe se répercute sur la façon dont les enfants se comportent. À force de dire et répéter que les garçons sont forts et que les filles sont faibles, ils finissent par adhérer à ces stéréotypes et à les reproduire. Cette manière d’éduquer les enfants de façon genrée les conduit très tôt à avoir des préjugés de genre. Une expérience menée avec des enfants entre 3 et 5 ans montrait qu’ils associaient déjà des qualités et des défauts différents en fonction du sexe."

" L’existence de ce système, le sexisme ambivalent, serait due au fait qu’il existe deux types de pouvoir71 : le pouvoir structurel et le pouvoir dyadique. Le premier désigne le fait que les hommes dominent les femmes au travers des institutions politiques, économiques, religieuses, sociales. Il renforce le sexisme hostile. Le pouvoir dyadique provient de la dépendance des hommes aux femmes pour la sexualité et la reproduction. Il engendrerait le sexisme bienveillant pour les obtenir. Les chercheurs ont mis au jour trois caractéristiques des relations entre les sexes qui, chacune, comportent à la fois du sexisme hostile et du sexisme bienveillant. La première est le paternalisme ; les femmes sont incapables de diriger et ont besoin de l’être par les hommes, fût-ce par la force (hostilité), mais elles ont aussi besoin d’être protégées (bienveillance). Le deuxième tient aux traits de caractère selon le sexe. Les hommes sont vus comme compétents et les femmes sociables. Le sexisme hostile désigne les hommes comme étant les seuls à posséder les qualités pour diriger ; le sexisme bienveillant vénère les femmes pour leurs qualités intrinsèques. La dernière caractéristique est l’hétérosexualité ; les femmes sont à la fois vues comme des séductrices qui vont perdre les hommes (hostilité), mais les hommes disent qu’ils ne trouveront leur bonheur qu’auprès d’une femme au sein d’un couple hétérosexuel (bienveillance). Le sexisme, c’est-à-dire le fait de considérer que les femmes ont une moindre valeur que les hommes et de les discriminer pour cela, a une implication claire dans l’instauration d’une culture du viol. Si nous accolons aux femmes des défauts tels que la fourberie, la méchanceté, la manipulation ou la sournoiserie, alors il n’est pas étonnant qu’une femme qui dit avoir été violée soit vue comme une menteuse. Lutter contre la culture du viol implique donc de lutter contre nos préjugés sexistes."

"Des tests ont été réalisés par des chercheurs américains afin d’étudier l’adhésion à ces croyances. A ainsi été constitué un corpus de phrases qui résume bien ce que sont les croyances antagonistes : 

– Une femme respectera un homme seulement si celui-ci lui impose sa volonté ; 

– certaines femmes sont tellement exigeantes sexuellement qu’il est impossible pour un homme de les satisfaire ; 

– dès le départ, un homme doit montrer à une femme qu’il commande sinon il finira par être un homme soumis ; 

– les femmes sont habituellement agréables jusqu’à ce qu’elles soient en couple avec un homme, puis elles montrent leur vraie personnalité ; 

– bien des hommes se vantent, mais ne sont pas de bons amants ; 

– une femme fréquente un homme avant tout pour profiter de lui ; 

– les hommes n’ont qu’une seule chose en tête : le sexe ; 

– les femmes sont rusées et manipulatrices lorsqu’elles souhaitent attirer un homme ; 

– un bon nombre de femmes semblent prendre plaisir à rabaisser les hommes ;

 – il est impossible pour un homme et une femme d’être simplement amis."


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