jeudi 9 septembre 2021

Les russkoffs par François Cavanna

 "J'ai vu arriver en plein hiver les wagons-plates-formes qui promenaient depuis des semaines, de voie de garage en voie secondaire, leur cargaison d'Ukrainiens ou de Biélorusses serrés en tas pour ne pas geler vivants, attachés les uns aux autres par des chiffons pour ne pas tomber sur la voie en s'endormant. C'étaient surtout des femmes, de tous âges, mais jamais de très vieilles. Qu'en avaient-ils fait, des grand-mères? Et des grands- pères? Pas de vieux hommes non plus, sur les plates- formes. Des enfants, par contre, même des tout petits. Tout ça vert de froid, affamé, ahuri de coups et de gueulements, ne sachant où ils allaient, peut-être à l'abattoir, houspillés, lôss, lôss, à coups de crosse dans les côtes, allons, en bas, runtersteigen ! Les morts, vous les laissez sur place, on s'en occupera, los, los, schneller, schneller, Mensch ! Je regardais ça de loin, interdit d'approcher, barbelés et mitraillettes, on les emmenait, à pied, vers quelque lointain camp de banlieue, pas de camions, pas d'essence, tout pour le front, la viande de pauvres est la seule matière première que le Reich possède encore en abondance."


"Les Belges nous expliquent que Russes et Ukrainiens sont là de leur plein gré, ils préfèrent la captivité au bolchevisme, n'est-ce pas, ils fuient devant l'Armée Rouge parce que le communisme, eux, crois-moi, ils savent ce que c'est, une fois, hein, alors ils ont compris, permets-moi de te dire, et la vie qu'ils ont ici, avec les coups de pied dans le cul et tout, eh bien, c'est le paradis à côté de là-bas, hein, et alors bien-sûr ils ont choisi le côté où il y a de la margarine sur la tartine !"

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