« L'hymne homérique à
Déméter raconte que la grande déesse, dans sa course errante à la recherche de
sa fille, vint à la Cour de Kéléos. Là, nul ne reconnaissait, sous les traits
empruntés d'une niania, la déesse; la garde d'un enfant dernier-né lui fut confiée
par la reine Métaneire, du petit Démophoôn qui devint plus tard Triptolème,
l'initiateur des travaux des champs. Toutes portes closes, le soir et tandis
que la maison dormait, Déméter prenait Démophoôn, l'enlevait de son berceau
douillet et, avec une apparente cruauté, mais en réalité guidée par un immense
amour et désireuse d'amener jusqu'à la divinité l'enfant, l'étendait nu sur un
ardent lit de braises. J'imagine la grande Déméter penchée, comme sur
l'humanité future, sur ce nourrisson radieux. Il supporte l'ardeur des
charbons, et cette épreuve le fortifie. En lui, je ne sais quoi de surhumain se
prépare, de robuste et d'inespérément glorieux. Ah! Que ne put Démeter
poursuivre jusqu'au bout sa tentative hardie et mener à bien son défi! Mais Métaneire
inquiète, raconte la légende, fit irruption dans la chambre de l'expérience,
faussement guidée par une maternelle crainte, repoussa la déesse et tout le
surhumain qui se forgeait, écarta les braises et, pour sauver l'enfant, perdit
le dieu. »
Avant-propos
J'ai déclaré, il y a trois
ans, mon admiration pour l'U.R.S.S., et mon amour. Là-bas une expérience sans
précédents était tentée qui nous gonflait le cœur d'espérance et d'où nous
attendions un immense progrès, un élan capable d'entraîner l'humanité tout
entière. Pour assister à ce renouveau, certes il vaut la peine de vivre,
pensais-je, et de donner sa vie pour y aider. Dans nos cœurs et dans nos
esprits nous attachions résolument au glorieux destin de l'U.R.S.S. l'avenir
même de la culture; nous l'avons maintes fois répété. Nous voudrions pouvoir le
dire encore. Déjà, avant d'y aller voir, de récentes décisions qui semblaient
dénoté un changement d'orientation ne laissaient pas de nous inquiéter.
J'écrivais alors (Octobre
1935):
«C'est aussi, c'est beaucoup
la bêtise et la malhonnêteté des attaques contre l'U.R.S.S. qui font
qu'aujourd'hui nous mettons quelque obstination à la défendre. Eux, les
aboyeurs, vont commencer à l'approuver lorsque précisément nous cesserons de le
faire; car ce qu'ils approuveront ce seront ses compromissions, ses
transigeances et qui feront dire aux autres: «Vous voyez bien!» mais par où
elle s'écartera du but que d'abord elle poursuivait. Puisse notre regard, en
restant fixé sur ce but, ne point être amené, par là même, à se détourner de
l'U.R.S.S.» (N. R. F. Mars 1936.)
Pourtant, jusqu'à plus ample
informé m'entêtant dans la confiance et préférant douter de mon propre
jugement, quatre jours après mon arrivée à Moscou je déclarais encore dans mon
discours sur la Place Rouge, à l'occasion des funérailles de Gorki: «Le sort de
la culture est lié dans nos esprits au destin même de l'U.R.S.S. Nous la
défendrons.»
J'ai toujours professé que le
désir de demeurer constant avec soi-même comportait trop souvent un risque
d'insincérité; et j'estime que s'il importe d'être sincère c'est bien lorsque
la foi d'un grand nombre, avec la nôtre propre, est engagée.
Si je me suis trompé d'abord,
le mieux est de reconnaître au plus tôt mon erreur; car je suis responsable,
ici, de ceux que cette erreur entraîne. Il n'y a pas, en ce cas, amour-propre
qui tienne; et du reste j'en ai fort peu. Il y a des choses plus importantes à
mes yeux que moi-même; plus importantes que l'U.R.S.S.: c'est l'humanité, c'est
son destin, c'est sa culture.
Mais m'étais-je trompé tout
d'abord? Ceux qui ont suivi l'évolution de l'U.R.S.S. depuis à peine un peu
plus d'un an, diront si c'est moi qui ai changé ou si ce n'est pas l'U.R.S.S.
Et par: l'U.R.S.S. j'entends celui qui la dirige.
D'autres plus compétents que
moi, diront si ce changement d'orientation n'est peut-être qu'apparent et si ce
qui nous apparaît comme une dérogation n'est pas une conséquence fatale de
certaines dispositions antérieures.
L'U.R.S.S. est «en
construction», il importe de se le redire sans cesse. Et de là l'exceptionnel
intérêt d'un séjour sur cette immense terre en gésine: il semble qu'on y
assiste à la parturition du futur.
Il y a là-bas du bon et du
mauvais; je devrais dire: de l'excellent et du pire. L'excellent fut obtenu au
prix, souvent, d'un immense effort. L'effort n'a pas toujours et partout obtenu
ce qu'il prétendait obtenir. Parfois l'on peut penser: pas encore. Parfois le
pire accompagne et double le meilleur; on dirait presque qu'il en est la
conséquence. Et l'on passe du plus lumineux au plus sombre avec une brusquerie
déconcertante. Il arrive souvent que le voyageur, selon des convictions
préétablies, ne soit sensible qu'à l'un ou qu'à l'autre. Il arrive trop souvent
que les amis de l'U.R.S.S. se refusent à voir le mauvais, ou du moins à le
reconnaître; de sorte que, trop souvent, la vérité sur l'U.R.S.S. est dite avec
haine, et le mensonge avec amour.
Or, mon esprit est ainsi fait
que son plus de sévérité s'adresse à ceux que je voudrais pouvoir approuver
toujours. C'est témoigner mal son amour que le borner à la louange et je pense
rendre plus grand service à l'U.R.S.S. même et à la cause que pour nous elle
représente, en parlant sans feinte et sans ménagement. C'est en raison même de
mon admiration pour l'U.R.S.S. et pour les prodiges accomplis par elle déjà,
que vont s'élever mes critiques; en raison aussi de ce que nous attendons
encore d'elle; en raison surtout de ce qu'elle nous permettait d'espérer.
Qui dira ce que l'U.R.S.S. a
été pour nous? Plus qu'une patrie d'élection: un exemple, un guide. Ce que nous
rêvions, que nous osions à peine espérer mais à quoi tendaient nos volontés,
nos forces, avait eu lieu là-bas. Il était donc une terre où l'utopie était en
passe de devenir réalité. D'immenses accomplissements déjà nous emplissaient le
cœur d'exigence. Le plus difficile était fait déjà, semblait-il, et nous nous
aventurions joyeusement dans cette sorte d'engagement pris avec elle au nom de
tous les peuples souffrants.
Jusqu'à quel point, dans une
faillite, nous sentirions-nous de même engagés? Mais la seule idée d'une
faillite est inadmissible.
Si certaines promesses tacites
n'étaient pas tenues que fallait-il incriminer? En fallait-il tenir pour
responsables les premières directives, ou plutôt les écarts mêmes, les
infractions, les accommodements si motivés qu'ils fussent?...
Je livre ici mes réflexions
personnelles sur ce que l'U.R.S.S. prend plaisir et légitime orgueil à montrer
et sur ce que, à côté de cela, j'ai pu voir. Les réalisations de l'U.R.S.S.
sont, le plus souvent, admirables. Dans des contrées entières elle présente
l'aspect déjà riant du bonheur. Ceux qui m'approuvaient de chercher, au Congo,
quittant l'auto des gouverneurs, à entrer avec tous et n'importe qui en contact
direct pour m'instruire, me reprocheront-ils d'avoir apporté en U.R.S.S, un
semblable, souci et de ne me laisser point éblouir?
Je ne me dissimule pas
l'apparent avantage que les partis ennemis—ceux pour qui «l'amour de l'ordre se
confond avec le goût des tyrans »—vont prétendre tirer de mon livre. Et voici
qui m'eût retenu de le publier, de l'écrire même, si ma conviction ne restait
intacte, inébranlée, que d'une part l'U.R.S.S. finira bien par triompher des
graves erreurs que je signale; d'autre part, et ceci est plus important, que
les erreurs particulières d'un pays ne peuvent suffire à compromettre la vérité
d'une cause internationale, universelle. Le mensonge, fût-ce celui du silence,
peut paraître opportun, et opportune la persévérance dans le mensonge, mais il
fait à l'ennemi trop beau jeu, et la vérité, fût-elle douloureuse, ne peut
blesser que pour guérir.
I
En contact direct avec un
peuple de travailleurs, sur les chantiers, dans les usines ou dans les maisons
de repos, dans les jardins, les «parcs de culture», j'ai pu goûter des instants
de joie profonde. J'ai senti parmi ces camarades nouveaux une fraternité subite
s'établir, mon coeur se dilater, s'épanouir. C'est aussi pourquoi les
photographies de moi que l'on a prises là-bas me montrent plus souriant, plus
riant même, que je ne puis l'être souvent en France. Et que de fois, là-bas,
les larmes me sont venues aux yeux, par excès de joie, larmes de tendresse et
d'amour: par exemple, à cette maison de repos des ouvriers mineurs de Dombas
aux environs immédiats de Sotchi... Non, non! il n'y avait là rien de convenu,
d'apprêté; j'étais arrivé brusquement, un soir, sans être annoncé; mais
aussitôt j'avais senti près d'eux la confiance.
Et cette visite inopinée dans
ce campement d'enfants, près de Borjom, tout modeste, humble presque, mais où
les enfants, rayonnants de bonheur, de santé, semblaient vouloir m'offrir leur
joie. Que raconter? Les mots sont impuissants à se saisir d'une émotion si
profonde et si simple... Mais pourquoi parler de ceux-ci plutôt que de tant
d'autres? Poètes de Géorgie, intellectuels, étudiants, ouvriers surtout, je me
suis épris pour nombre d'entre eux d'une affection vive, et sans cesse je
déplorais de ne connaître point leur langue. Mais déjà se lisait tant
d'éloquence affectueuse dans les sourires, dans les regards, que je doutais
alors si des paroles y eussent pu beaucoup ajouter. Il faut dire que j'étais
présenté partout là-bas comme un ami: ce qu'exprimaient encore les regards de
tous, c'est une sorte de reconnaissance. Je voudrais la mériter plus encore; et
cela aussi me pousse à parler.
* * * * *
Ce que l'on vous montre le
plus volontiers, ce sont les plus belles réussites; il va sans dire et cela est
tout naturel; mais il nous est arrivé maintes fois, d'entrer à l'improviste
dans des écoles de village, des jardins d'enfants, des clubs, que l'on ne
songeait point à nous montrer et qui sans doute ne se distinguaient en rien de
beaucoup d'autres. Et ce sont ceux que j'ai le plus admirés, précisément parce
que rien n'y était préparé pour la montre.
* * * * *
Les enfants, dans tous les
campements de pionniers que j'ai vus, sont beaux, bien nourris (cinq repas par
jour), bien soignés, choyés même, joyeux. Leur regard est clair, confiant;
leurs rires sont sans malignité, sans malice; on pourrait, en tant qu'étranger,
leur paraître un peu ridicule: pas un instant je n'ai surpris, chez aucun
d'eux, la moindre trace de moquerie.
Cette même expression de
bonheur épanoui, nous la retrouverons souvent chez les aînés, également beaux,
vigoureux. Les «parcs de culture» où ils s'assemblent au soir, la journée de
travail achevée, sont d'incontestables réussites; entre tous, celui de Moscou.
J'y suis retourné souvent.
C'est un endroit où l'on s'amuse; comparable à un Luna-Park qui serait immense.
Aussitôt la porte franchie on se sent tout dépaysé. Dans cette foule de jeunes
gens, hommes et femmes, partout le sérieux, la décence; pas le moindre soupçon
de rigolade bête ou vulgaire, de gaudriole, de grivoiserie, ni même de flirt.
On respire partout une sorte de ferveur joyeuse. Ici, des jeux sont organisés;
là, des danses; d'ordinaire un animateur ou une animatrice y préside et les
règle, et tout se passe avec un ordre parfait. D'immenses rondes se forment où
chacun pourrait prendre part; mais les spectateurs sont toujours beaucoup plus
nombreux que les danseurs. Puis ce sont des danses et des chants populaires,
soutenus et accompagnés le plus souvent par un simple accordéon. Ici, dans cet
espace enclos et pourtant d'accès libre, des amateurs s'exercent à diverses
acrobaties; un entraîneur surveille les «sauts périlleux», conseille et guide;
plus loin, des appareils de gymnastique, des agrès; l'on attend patiemment son
tour; l'on s'entraîne. Un grand espace est réservé aux terrains de volley-ball;
et je ne me lasse pas de contempler la robustesse, la grâce et la beauté des
joueurs. Plus loin ce sont les jeux tranquilles: échecs, dames et quantité de
menus jeux d'adresse ou de patience, dont certains que je ne connaissais pas,
extrêmement ingénieux; comme aussi quantité de jeux exerçant la force, la
souplesse ou l'agilité, que je n'avais vus nulle part et que je ne puis
chercher à décrire, mais dont quelques-uns auraient certainement grand succès
chez nous. De quoi vous occuper pendant des heures. Il y en a pour les adultes,
d'autres pour les enfants. Les tout petits ont leur domaine à part, où ils
trouvent de petites maisons, de petits trains, de petits bateaux, de petites
automobiles et quantité de menus instruments à leur taille. Dans une grande
allée et faisant suite aux jeux tranquilles (qui toujours ont tant d'amateurs
qu'il faut parfois attendre longtemps pour trouver, à son tour, une table
libre), sur des panneaux de bois, des tableaux proposent rébus, énigmes et
devinettes. Tout cela, je le répète, sans la moindre vulgarité; et toute cette
foule immense, d'une tenue parfaite, respire l'honnêteté, la dignité, la
décence; sans contrainte aucune d'ailleurs et tout naturellement. Le public, en
plus des enfants, est presque uniquement composé d'ouvriers qui viennent là
s'entraîner aux sports, se reposer, s'amuser ou s'instruire (car il y a aussi
des salles de lecture, de conférences, des cinémas, des bibliothèques, etc...).
Sur la Moskowa, des piscines. Et, de-ci, de-là, dans cet immense parc, de
minuscules estrades où pérore un professeur improvisé; ce sont des leçons de
choses, d'histoire ou de géographie avec tableaux à l'appui; ou même de
médecine pratique, de physiologie, avec grand renfort de planches anatomiques,
etc. On écoute avec un grand sérieux. Je l'ai dit, je n'ai surpris nulle part
le moindre essai de moquerie.
Mais voici mieux : un petit
théâtre en plein air; dans la salle ouverte, quelque cinq cents auditeurs,
entassés (pas une place vide) écoutent, dans un silence religieux, un acteur
réciter du Pouchkine (un chant d'Eugène Onéguine). Dans un coin du parc, près
de l'entrée, le quartier des parachutistes. C'est un sport fort goûté là-bas.
Toutes les deux minutes, un des trois parachutes, détaché du haut d'une tour de
quarante mètres, dépose un peu brutalement sur le sol un nouvel amateur.
Allons! Qui s'y risque? On s'empresse; on attend son tour; on fait queue. Et je
ne parle pas du grand théâtre de verdure où, pour certains spectacles,
s'assemblent près de vingt mille spectateurs.
Le parc de culture de Moscou
est le plus vaste et le mieux fourni d'attractions diverses; celui de
Léningrad, le plus beau. Mais chaque ville en U.R.S.S., à présent, possède son
parc de culture, en plus de ses jardins d'enfants.
J'ai également visité, il va
sans dire, plusieurs usines. Je sais et me répète que, de leur bon
fonctionnement dépend l'aisance générale et la joie. Mais je n'en pourrais
parler avec compétence. D'autres s'en sont chargés; je m'en rapporte à leurs
louanges. Les questions psychologiques seules sont de mon ressort; c'est d'elles,
surtout et presque uniquement, que je veux ici m'occuper. Si j'aborde de biais
les questions sociales, c'est encore au point de vue psychologique que je me
placerai.
* * * * *
L'âge venant, je me sens moins
de curiosité pour les paysages, beaucoup moins, et si beaux qu'ils soient; mais
de plus en plus pour les hommes. En U.R.S.S. le peuple est admirable; celui de
Géorgie, de Kakhétie, d'Abkhasie, d'Ukraine (je ne parle que de ce que j'ai
vu), et plus encore, à mon goût, celui de Léningrad et de la Crimée.
J'ai assisté aux fêtes de la
jeunesse de Moscou, sur la Place Rouge. Les bâtiments qui font face au Kremlin
dissimulaient leur laideur sous un masque de banderoles et de verdure. Tout
était splendide, et même (je me hâte de le dire ici, car je ne pourrai le dire
toujours), d'un goût parfait. Venue du nord et du sud, de l'est et de l'ouest,
une jeunesse admirable paradait. Le défilé dura des heures. Je n'imaginais pas
un spectacle aussi magnifique. Evidemment, ces êtres parfaits avaient été
entraînés, préparés, choisis entre tous; mais comment n'admirer point un pays
et un régime capables de les produire?
J'avais vu la Place Rouge,
quelques jours auparavant, lors des funérailles de Gorki. J'avais vu ce même
peuple, le même peuple et pourtant tout différent, et ressemblant plutôt,
j'imagine, au peuple russe du temps des tzars, défiler longuement,
interminablement, dans la grande Salle des Colonnes, devant le catafalque.
Cette fois ce n'était pas les plus beaux, les plus forts, les plus joyeux
représentants de ces peuples soviétiques, mais un «tout venant» douloureux,
comprenant femmes, enfants surtout, vieillards parfois, presque tous mal vêtus
et paraissant parfois très misérables. Un défilé silencieux, morne, recueilli,
qui semblait venir du passé et qui, dans un ordre parfait, dura certainement
beaucoup plus longtemps que l'autre, que le défilé glorieux. Je restai moi-même
très longtemps à le contempler. Qu'était Gorki pour tous ces gens? Je ne sais
trop: un maître? Un camarade? Un frère?... C'était, en tout cas, quelqu'un de
mort. Et sur tous les visages, même ceux des plus jeunes enfants, se lisait une
sorte de stupeur attristée, mais aussi, mais surtout une force de sympathie
rayonnante. Il ne s'agissait plus ici de beauté physique, mais un très grand nombre
de pauvres gens que je voyais passer offraient à mes regards quelque chose de
plus admirable encore que la beauté; et combien d'entre eux j'eusse voulu
presser sur mon coeur!
Aussi bien nulle part autant
qu'en U.R.S.S, le contact avec tous et n'importe qui, ne s'établit plus
aisément, immédiat, profond, chaleureux. Il se tisse aussitôt—parfois un regard
y suffit—des liens de sympathie violente. Oui, je ne pense pas que nulle part,
autant qu'en U.R.S.S., l'on puisse éprouver aussi profondément et aussi fort le
sentiment de l'humanité. En dépit des différences de langue, je ne m'étais
jamais encore et nulle part senti aussi abondamment camarade et frère; et je
donnerais les plus beaux paysages du monde pour cela.
Des paysages, je parlerai
pourtant; mais je raconterai d'abord notre premier contact avec une bande de
«Komsomols».
* * * * *
C'était dans le train qui nous
menait de Moscou à Ordjonékidzé (l'ancien Vladikaucase). Le trajet est long. Au
nom de l'Union des Ecrivains Soviétiques, Michel Koltzov, avait mis à notre
disposition un très confortable wagon spécial. Nous y étions inespérément bien
installés tous les six : Jef Last, Guilloux, Herbart, Schiffrin, Dabit et moi;
avec notre interprète-compagne, la fidèle camarade Bola. En plus de nos compartiments
à couchettes, nous disposions d'un salon où l'on nous servait nos repas. On ne
peut mieux. Mais ce qui ne nous plaisait guère, ce n’était de ne pouvoir
communiquer avec le reste du train. Aux premiers arrêts, nous étions descendus
sur le quai pour nous convaincre qu'une compagnie particulièrement plaisante
occupait le wagon voisin. C'était une bande de Komsomols en vacances, partis
pour le Caucase avec l'espoir d'escalader le mont Kasbeck. Nous obtînmes enfin
que les portes de séparation fussent ouvertes, et, sitôt après, nous prîmes
contact avec nos charmants voisins. J'avais emporté de Paris quantité de petits
jeux d'adresse, très différents de ceux que l'on connaît en U.R.S.S.. Ils me
servent occasionnellement à entrer en relations avec ceux dont je ne comprends
pas la langue. Ces petits jeux passèrent de main en main. Jeunes gens et jeunes
filles s'y exercèrent et n'eurent de cesse qu'ils n'eussent triomphé de toutes
les difficultés proposées. «Un Komsomol ne se tient jamais pour battu», nous
disaient-ils en riant. Leur wagon était fort étroit; il faisait
particulièrement chaud ce jour-là; tous entassés les uns contre les autres, on
étouffait; c'était charmant.
Je dois ajouter que, pour
nombre d'entre eux, je n'étais pas un inconnu. Certains avaient lu de mes
livres (le plus souvent c'était le Voyage au Congo) et comme, à la suite de mon
discours sur la Place Rouge à l'occasion des funérailles de Gorki, tous les
journaux avaient publié mon portrait, ils m'avaient aussitôt reconnu et se
montraient extrêmement sensibles à l'attention que je leur portais; mais pas
plus que je ne l'étais moi-même aux témoignages de leur sympathie. Bientôt une
grande discussion s'engagea. Jef Last, qui comprend fort bien le russe et le
parle, nous expliqua que les petits jeux introduits par moi leur paraissaient
charmants, mais qu'ils se demandaient s'il était bien séant qu'André Gide
lui-même s'en amusât. Jef Last dut arguer que ce petit divertissement servait à
lui reposer les méninges. Car un vrai Komsomol, toujours tendu vers le service,
juge tout d'après son utilité. Oh! Sans pédanterie, du reste, et cette
discussion même, coupée de rires, était un jeu. Mais, comme l'air respirable
manquait un peu dans leur wagon, nous invitâmes une dizaine d'entre eux à
passer dans le nôtre, où la soirée se prolongea dans des chants et même des
danses populaires que la dimension du salon permettait. Cette soirée restera
pour mes compagnons et pour moi l'un des meilleurs souvenirs du voyage. Et nous
doutions si dans quelque autre pays on peut connaître une aussi brusque et
naturelle cordialité, si dans aucun autre pays la jeunesse est aussi charmante.
J'ai dit que je m'intéressais
moins aux paysages... J'aurais voulu raconter pourtant les admirables forêts du
Caucase, celle à l'entrée de la Kakhétie, celle des environs de Batoum, celle
surtout de Bakouriani au-dessus de Borjom; je n'en connaissais pas, je n'en
imagine pas, de plus belles: aucun bois taillis n'y cache les fûts des grands
arbres; forêts coupées de clairières mystérieuses où le soir tombe avant la fin
du jour, et l'on imagine le petit Poucet s'y perdant. Nous avions traversé
cette forêt merveilleuse en nous rendant à un lac de montagne et l'on nous fit
l'honneur de nous affirmer que jamais aucun étranger encore n'y était venu. Point
n'était besoin de cela pour me le faire trouver admirable. Sur ses bords sans
arbres, un étrange petit village (Tabatzkouri) enseveli neuf mois de l'année
sous la neige et que j'aurais pris plaisir à décrire... Ah! Que n'étais-je venu
simplement en touriste! Ou en naturaliste ravi de découvrir là-bas quantité de
plantes nouvelles, de reconnaître sur les hauts plateaux la «scabieuse du
Caucase» de mon jardin... Mais ce n'est point-là ce que je suis venu chercher
en U.R.S.S.. Ce qui m'y importe c'est l'homme, les hommes, et ce qu'on en peut
faire, et ce qu'on en a fait. La forêt qui m'y attire, affreusement touffue et
où je me perds, c'est celle des questions sociales. En U.R.S.S. elles vous
sollicitent, et vous pressent, et vous oppressent de toutes parts.
II
De Léningrad j'ai peu vu les
quartiers nouveaux. Ce que j'admire en Léningrad, c'est Saint-Pétersbourg. Je
ne connais pas de ville plus belle; pas de plus harmonieuses fiançailles de la
pierre, du métal et de l'eau. On la dirait rêvée par Pouchkine ou par
Baudelaire. Parfois, aussi elle rappelle des peintures de Chirico. Les
monuments y sont de proportions parfaites, comme les thèmes dans une symphonie
de Mozart. «Là tout n'est qu'ordre et beauté». L'esprit s'y meut avec aisance
et joie.
Je ne suis guère en humeur de
parler du prodigieux musée de l'Ermitage; tout ce que j'en pourrais dire me
paraîtrait insuffisant. Pourtant, je voudrais louer en passant le zèle
intelligent qui, chaque fois qu'il se pouvait, groupe autour d'un tableau tout
ce qui, du même maître, peut nous instruire: études, esquisses, croquis, ce qui
explique la lente formation de l'oeuvre.
En revenant de Léningrad, la
disgrâce de Moscou frappe plus encore. Même elle exerce son action opprimante
et déprimante sur l'esprit. Les bâtiments, à quelques rares exceptions près,
sont laids (pas seulement les plus modernes), et ne tiennent aucun compte les
uns des autres. Je sais bien que Moscou se transforme de mois en mois; c'est
une ville en formation; tout l'atteste et l'on y respire partout le devenir.
Mais je crains qu'on ne soit mal parti. On taille, on défonce, on sape, on
supprime, l'on reconstruit, et tout cela comme au hasard. Et Moscou reste,
malgré sa laideur, une ville attachante entre toutes: elle vit puissamment.
Cessons de regarder les maisons: ce qui m'intéresse ici, c'est la foule.
Durant les mois d'été presque
tout le monde est en blanc. Chacun ressemble à tous. Nulle part, autant que
dans les rues de Moscou, n'est sensible le résultat du nivellement social: une
société sans classes, dont chaque membre paraît avoir les mêmes besoins.
J'exagère un peu; mais à peine. Une extraordinaire uniformité règne dans les
mises; sans doute elle paraîtrait également dans les esprits, si seulement on
pouvait les voir. Et c'est aussi ce qui permet à chacun d'être et de paraître
joyeux. (On a si longuement manqué de tout qu'on est content de peu de chose.
Quand le voisin n'a pas davantage on se contente de ce qu'on a.) Ce n'est
qu'après mûr examen qu'apparaissent les différences. A première vue l'individu
se fond ici dans la masse, est si peu particularisé qu'il semble qu'on devrait,
pour parler des gens, user d'un partitif et dire non point: des hommes, mais:
de l'homme.
Dans cette foule, je me
plonge; je prends un bain d'humanité.
* * * * *
Que font ces gens, devant ce
magasin? Ils font la queue; une queue qui s'étend jusqu'à la rue prochaine. Ils
sont là de deux à trois cents, très calmes, patients, qui attendent. Il est
encore tôt; le magasin n'a pas ouvert ses portes. Trois quarts d'heure plus
tard, je repasse: la même foule est encore là. Je m'étonne: que sert d'arriver
à l'avance? Qu'y gagne-t-on?
—Comment, ce qu'on y gagne?...
Les premiers sont les seuls servis.
Et l'on m'explique que les
journaux ont annoncé un grand arrivage de... je ne sais quoi (je crois que ce
jour-là, c'étaient des coussins). Il y a peut-être quatre ou cinq cents objets,
pour lesquels se présenteront huit cents, mille ou quinze cents amateurs. Bien
avant le soir, il n'en restera plus un seul. Les besoins sont si grands et le
public est si nombreux, que la demande, durant longtemps encore, l'emportera
sur l'offre, et l'emportera de beaucoup. On ne parvient pas à suffire.
Quelques heures plus tard, je
pénètre dans le magasin. Il est énorme. Dedans c'est une incroyable cohue. Les
vendeurs, du reste, ne s'affolent pas, car, autour d'eux, pas le moindre signe
d'impatience; chacun attend son tour, assis ou debout, parfois avec un enfant
sur les bras, sans numéro d'ordre et pourtant sans aucun désordre. On passera
là, s'il le faut, sa matinée, sa journée; dans un air qui, pour celui qui vient
du dehors, paraît d'abord irrespirable; puis on s'y fait, comme on se fait à
tout. J'allais écrire: on se résigne. Mais le Russe est bien mieux que résigné:
il semble prendre plaisir à attendre, et vous fait attendre à plaisir. ;
Fendant la foule ou porté par
elle, j'ai visité du haut en bas, de long en large, le magasin. Les
marchandises sont, à bien peu près, rebutantes. On pourrait croire, même, que,
pour modérer les appétits, étoffes, objets, etc..., se fassent inattrayants au
possible, de sorte qu'on achèterait par grand besoin mais non jamais par
gourmandise. J'aurais voulu rapporter quelques «souvenirs» à des amis; tout est
affreux. Pourtant, depuis quelques mois, me dit-on, un grand effort a été
tenté; un effort vers la qualité; et l'on parvient, en cherchant bien et en y
consacrant le temps nécessaire, à découvrir de-ci, de-là, de récentes
fournitures fort plaisantes et rassurantes pour l'avenir. Mais pour s'occuper
de la qualité il faut d'abord que la quantité suffise; et durant longtemps elle
ne suffisait pas; elle y parvient enfin, mais à peine. Du reste les peuples de
l'U.R.S.S. semblent s'éprendre de toutes les nouveautés proposées, même de
celles qui paraissent laides à nos yeux d'Occidentaux. L'intensification de la
production permettra bientôt, je l'espère, la sélection, le choix, la
persistance du meilleur et la progressive élimination des produits de qualité
inférieure.
Cet effort vers la qualité
porte surtout sur la nourriture. Il reste encore dans ce domaine fort à faire.
Mais, lorsque nous déplorons la mauvaise qualité de certaines denrées, Jef Last
qui en est à son quatrième voyage en U.R.S.S., et dont le précédent séjour
là-bas remonte à deux ans, s'émerveille au contraire des prodigieux progrès
récemment accomplis. Les légumes et les fruits en particulier, sont encore,
sinon mauvais du moins médiocres à quelques rares exceptions près. Ici, comme
partout, l'exquis cède à l'ordinaire c'est-à-dire au plus abondant. Une
prodigieuse quantité de melons; mais sans saveur. L'impertinent proverbe
persan, que je n'ai entendu citer, et ne veux citer, qu'en anglais : «Women for
duty, boys for pleasure, melons for delight», ici porte à faux. Le vin est
souvent bon (je me souviens en particulier, des crus exquis de Tzinandali, en
Kakhétie); la bière passable. Certains poissons fumés (à Léningrad) sont
excellents, mais ne supportent pas le transport.
* * * * *
Tant que l'on n'avait pas le
nécessaire, on ne pouvait s'occuper raisonnablement du superflu. Si l'on n'a
pas fait plus, en U.R.S.S. pour la gourmandise, ou pas plus tôt, c'est que trop
d'appétits n'étaient pas encore rassasiés.
Le goût du reste ne s'affine
que si la comparaison est permise; et il n'y avait pas à choisir. Pas de «X
habille mieux». Force est ici de préférer ce que l'on vous offre; c'est à
prendre ou à laisser. Du moment que l'Etat est à la fois fabricant, acheteur et
vendeur, le progrès de la qualité reste en raison du progrès de la culture.
Alors, je pense (en dépit de
mon anticapitalisme) à tous ceux de chez nous qui, du grand industriel au petit
commerçant, se tourmentent et s'ingénient: qu'inventer qui flatterait le goût
du public? Avec quelle subtile astuce chacun d'eux cherche à découvrir par quel
raffinement il pourra supplanter un rival! De tout cela, l'Etat n'a cure, car
l'Etat n'a pas de rival. La qualité? —«A quoi bon, s'il n'y a pas de
concurrence», nous a-t-on dit. Et c'est ainsi que l'on explique trop aisément
la mauvaise qualité de tout, en U.R.S.S. et l'absence de goût du public. Eut-il
«du goût» il ne pourrait le satisfaire. Non; ce n'est plus d'une rivalité mais
bien d'une exigence à venir, développée progressivement par la culture, que
dépend ici le progrès. En France, tout irait sans doute plus vite, car
l'exigence existe déjà.
Pourtant, ceci encore: Chaque
Etat soviétique avait son art populaire; qu'est-il devenu? Une grande tendance
égalitaire refusa durant longtemps d'en tenir compte. Mais ces arts régionaux
reviennent en faveur et maintenant on les protège, on les restaure, on semble
comprendre leur irremplaçable valeur. N'appartiendrait-il pas à une direction
intelligente de se ressaisir d'anciens modèles, pour l'impression de tissus par
exemple, et de les imposer, de les offrir du moins, au public. Rien de plus
bêtement bourgeois, petit[1]bourgeois,
que les productions d'aujourd'hui. Les étalages aux devantures des magasins de
Moscou sont consternants. Tandis que les toiles d'autrefois, imprimées au
pochoir, étaient très belles. Et c'était de l'art populaire; mais c'était de
l'artisanat.
* * * * *
Je reviens au peuple de
Moscou. Ce qui frappe d'abord c'est son extraordinaire indolence. Paresse
serait sans doute trop dire... Mais le «stakhanovisme» a été merveilleusement
inventé pour secouer le non-chaloir (on avait le knout autrefois). Le
stakhanovisme serait inutile dans un pays où tous les ouvriers travaillent.
Mais là-bas, dès qu'on les abandonne à eux-mêmes, les gens, pour la plupart, se
relâchent. Et c'est merveille que malgré cela tout se fasse. Au prix de quel
effort des dirigeants, c'est ce que l'on ne saurait trop dire. Pour bien se
rendre compte de l'énormité de cet effort, il faut avoir pu d'abord apprécier
le peu de «rendement» naturel du peuple russe.
Dans une des usines que nous
visitons, qui fonctionne à merveille (je n'y entends rien; j'admire de
confiance les machines; mais m'extasie sans arrière-pensée devant le
réfectoire, le club des ouvriers, leurs logements, tout ce que l'on a fait pour
leur bien-être, leur instruction, leur plaisir), on me présente un
stakhanoviste, dont j'avais vu le portrait énorme affiché sur un mur. Il est
parvenu, me dit-on, à faire en cinq heures le travail de huit jours (à moins
que ce ne soit en huit heures, le travail de cinq jours; je ne sais plus). Je
me hasarde à demander si cela ne revient pas à dire que, d'abord, il mettait
huit jours à faire le travail de cinq heures? Mais ma question est assez mal
prise et l'on préfère ne pas y répondre.
Je me suis laissé raconter
qu'une équipe de mineurs français, voyageant en U.R.S.S. et visitant une mine,
a demandé, par camaraderie, à relayer une équipe de mineurs soviétiques et
qu'aussitôt, sans autrement se fouler, sans s'en douter, ils ont fait du
stakhanovisme.
Et l'on en vient à se demander
ce que, avec le tempérament français, le zèle, la conscience et l'éducation de
nos travailleurs le régime soviétique n'arriverait pas à donner.
Il n'est que juste d'ajouter,
sur ce fond de grisaille, en plus des stakhanovistes, toute une jeunesse
fervente, keen at work, levain joyeux et propre à faire lever la pâte.
Cette inertie de la masse me
paraît avoir été, être encore, une des plus importantes, des plus graves
données du problème que Staline avait à résoudre. De là, les «ouvriers de choc»
(Udarniks); de là, le stakhanovisme. Le rétablissement de l'inégalité des
salaires y trouve également son explication.
Nous visitons aux environs de
Soukhoum, un kolkhoze modèle. Il est vieux de six ans. Après avoir péniblement
végété les premiers temps, c'est aujourd'hui l'un des plus prospères. On
l'appelle «le millionnaire». Tout y respire la félicité. Ce kolkhoze s'étend
sur un très vaste espace. Le climat aidant, la végétation y est luxuriante.
Chaque habitation, construite en bois, montée sur échasses qui l'écartent du
sol, est pittoresque, charmante; un assez grand jardin l'entoure, empli
d'arbres fruitiers, de légumes, de fleurs. Ce kolkhoze a pu réaliser, l'an
dernier, des bénéfices extraordinaires, lesquels ont permis d'importantes
réserves; ont permis d'élever à seize roubles cinquante le taux de la journée
de travail. Comment ce chiffre est-il fixé? Exactement par le même calcul qui,
si le kolkhoze était une entreprise agricole capitaliste, dicterait le montant
des dividendes à distribuer aux actionnaires. Car ceci reste acquis: il n'y a
plus en U.R.S.S. l'exploitation d'un grand nombre pour le profit de
quelques-uns. C'est énorme. Ici nous n'avons plus d'actionnaires; ce sont les
ouvriers eux-mêmes (ceux du kolkhoze il va sans dire) qui se partagent les
bénéfices, sans aucune redevance à l'Etat. Cela serait parfait s'il n'y avait
pas d'autres kolkhozes, pauvres ceux-là, et qui ne parviennent pas à joindre
les deux bouts. Car, si j'ai bien compris, chaque kolkhoze a son autonomie, et
il n'est point question d'entraide. Je me trompe peut-être? Je souhaite de
m'être trompé.
J'ai visité plusieurs des
habitations de ce kolkhoze très prospère... Je voudrais exprimer la bizarre et
attristante impression qui se dégage de chacun de ces «intérieurs»: celle d'une
complète dépersonnalisation. Dans chacun d'eux les mêmes vilains meubles, le
même portrait de Staline, et absolument rien d'autre; pas le moindre objet, le moindre
souvenir personnel. Chaque demeure est interchangeable; au point que les
kolkhoziens, interchangeables eux-mêmes semble-t-il, déménageraient de l'une à
l'autre sans même s'en apercevoir. Le bonheur est ainsi plus facilement obtenu
certes! C'est aussi, me dira-t-on, que le kolkhosien prend tous ses plaisirs en
commun. Sa chambre n'est plus qu'un gîte pour y dormir; tout l'intérêt de sa
vie a passé dans le club, dans le parc de culture, dans tous les lieux de
réunion. Que peut-on souhaiter de mieux? Le bonheur de tous ne s'obtient qu'en
désindividualisant chacun. Le bonheur de tous ne s'obtient qu'aux dépens de
chacun. Pour être heureux, soyez conformes.
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