dimanche 26 septembre 2021

Une culture du viol à la française. Par Valérie Rey-Robert

 "La culture du viol est la manière dont une société se représente le viol, les victimes de viol et les violeurs à une époque donnée. Elle se définit par un ensemble de croyances, de mythes, d’idées reçues autour de ces trois items. On parle de « culture » car ces idées reçues imprègnent la société, se transmettent de génération en génération et évoluent au fil du temps. La culture du viol n’est pas la même selon les lieux puisqu’elle dépend fortement de la culture du pays dans laquelle elle naît. Au Japon, il a par exemple été créé des wagons de métro réservés aux femmes pour éviter qu’elles soient agressées sexuellement. C’est participer à la culture du viol puisque, avec cet acte, on considère qu’il vaut mieux isoler les femmes entre elles plutôt que de mettre en place les moyens, entre autres éducatifs mais aussi répressifs, pour imposer aux hommes d’arrêter. En Inde, lors d’un jugement pour viol, il peut être mentionné que la victime était divorcée36 : il existe dans ce pays un stigmate autour des femmes divorcées qui conduit donc à utiliser ce fait pour blâmer celles qui sont violées ; si elles étaient restées avec leur mari, cela ne leur serait pas arrivé."


"La culture du viol provoque invariablement plusieurs phénomènes comme la naturalisation du viol : le viol serait un phénomène immuable, inévitable contre lequel on ne peut quasi rien faire. Il y a des viols, il faut faire avec parce qu’ils sont inscrits dans « la nature masculine », que « les hommes sont comme cela ». Elle entraîne également la déculpabilisation des coupables. Les coupables de viol seront excusés de toutes les manières possibles parce qu’ils ne correspondent pas à l’image qu’on se fait d’un violeur, parce qu’ils sont beaux, parce qu’ils sont insérés dans la société, parce qu’ils n’ont pas exercé de violences physiques. Les excuses, nous le verrons, sont aussi diverses qu’inattendues. Les victimes sont également culpabilisées. L’ensemble des violences sexuelles reste la seule infraction où l’on va avant tout chercher la responsabilité du côté de la victime. Imaginez que demain vous soyez agressé dans la rue et que l’on vous frappe. Imaginez qu’à la suite de cette agression on vous demande si vous n’avez pas trop approché votre visage du poing de l’agresseur, ce qui pourrait expliquer qu’il ait eu ce réflexe. Imaginez qu’on vous demande pourquoi vous ne portiez pas de masque, la vue de votre nez non protégé a pu pousser l’agresseur à le frapper ! Imaginez qu’on vous demande si votre attitude n’a pas contribué à laisser entendre que vous souhaitiez être frappé, ce visage souriant, ce torse bombé, n’était-ce pas une sorte de provocation pour l’agresseur ? Cela semble absurde ? Eh bien c’est très exactement ce qu’entendent la quasi-totalité des victimes de violences sexuelles et ce quel que soit leur âge. On questionnera leur vie sexuelle passée, leur tenue vestimentaire."


"Il existe plusieurs idées reçues très courantes en matière de violences sexuelles. Les victimes sont accusées de mentir ou d’exagérer ce qu’il s’est réellement passé : près d’un quart des Français pense qu’il y a beaucoup de plaintes pour des viols qui, dans les faits, n’en sont pas vraiment. Cela correspond à l’idée sexiste et misogyne que les femmes sont un peu hystériques, réagissent trop vite et mal et qu’il ne faut donc pas trop faire confiance à ce qu’elles peuvent dire. 13 % des Français continuent à penser que seules les femmes peuvent être violées et non un homme. L’idée est qu’un homme, un « vrai » (même si cela ne veut strictement rien dire), sait forcément se battre, n’a peur de rien et n’est pas sujet à la peur ou à la menace. Court aussi l’idée que certaines femmes cherchent à être violées : près de 20 % des Français considèrent qu’une femme qui dit non pense en fait le contraire. On continue de croire que le viol est une affaire de pulsions irrépressibles : presque un tiers des Français pensent que si les hommes sont plus à même de commettre des viols, c’est à cause de la testostérone qui peut rendre leur sexualité incontrôlable. Il perdure une méconnaissance des situations les plus répandues en matière de viol. Il reste commun de penser que dans la majorité des cas le violeur est inconnu de la victime et opère la nuit dans un lieu public : 15 % des Français pensent que les violences sexuelles sont rares dans un cadre familial. Enfin, on persiste à penser qu’il n’y a pas beaucoup de viols ; ainsi, 65 % des Français en sous-estiment le nombre."


"Différentes raisons, évidemment inconscientes, expliquent les idées reçues sur le viol. Cela protège la société, et en particulier les hommes, de minimiser l’importance des crimes sexuels. Elles servent également la théorie du « monde juste48 » dans lequel les mauvaises choses arrivent aux mauvaises personnes et les bonnes aux bonnes personnes. Dire que seule une femme qui « se conduit mal » peut être violée va renforcer l’idée qu’il ne peut rien arriver à celles qui « se conduisent bien ». C’est une théorie due à la propre vulnérabilité de celui ou celle qui l’applique ; si le viol arrive à une bonne personne, comme j’en suis une également, alors cela peut m’arriver. Les mythes servent donc à dire que les personnes violées ont mérité ce qui leur arrive. Enfin, les idées reçues sur le viol servent à contrôler par la peur toutes les femmes. En leur inculquant que les femmes qui « se conduisent mal » (ce qui veut tout et rien dire mais passe par un contrôle des vêtements, des heures de sortie, des personnes fréquentées, de l’attitude, etc.) risquent le viol, on bride la liberté de toutes les femmes, qui, pensant ainsi éviter d’être violées, vont limiter leur marge d’action."




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