"Les sociétés matriarcales n’ont jamais existé1 . » Le « matriarcat » est souvent confondu avec les sociétés matrilinéaires (la filiation se fait par la lignée maternelle) ou matrilocales (la famille réside dans le lieu de naissance de la famille de la femme). Chez les féministes, le mot « patriarcat » n’apparaît pas avant les années 1970. La sociologue Christine Delphy, l’une des fondatrices du Mouvement de libération des femmes (MLF), souligne que ce sont les premières à l’avoir assigné à la seule place où il devait être : sur la scène politique2 . La première théorisation du système fut proposée par l’Américaine Kate Millett dans La Politique du mâle en 1970. L’utilisation du terme patriarcat vient avec la découverte que l’oppression des femmes « fait système3 », c’est-à-dire que les discriminations vécues par les femmes ne sont pas naturelles, individuelles, mais globales et systémiques. Il faut comprendre qu’en 1970 la domination masculine était considérée comme normale, naturelle, quasiment un fait biologique dû aux différences entre hommes et femmes. « Il faut donc à l’oppression d’autres rouages que la seule force : il lui faut le secours de l’idéologie4 . »"
"La philosophe Olivia Gazalé6 . » détermine six axes qui définissent la domination masculine : la confiscation de la parenté, l’appropriation des femmes, la diabolisation du sexe féminin, la justification de la violence par la culpabilité féminine, la légitimation de l’exclusion par l’infériorité féminine, et le partage de l’espace et la division sexuelle du travail."
"Dans un cas comme dans l’autre, on se fie à une caractéristique d’un individu pour le discriminer ; si on discrimine un homme pour l’unique fait qu’il est noir, en lui refusant un emploi par exemple, c’est du racisme. Si on discrimine une femme pour la simple raison qu’elle est femme, c’est du sexisme. Bien évidemment racisme et sexisme se combinent, et une femme noire, par exemple, peut subir une double discrimination, raciste et sexiste. Cela peut sembler évident aux lecteurs et lectrices, mais il y a cinquante ans cela n’allait pas du tout de soi. Refuser d’embaucher une femme et lui préférer un homme semblait normal, naturel, et il n’y avait aucun mot pour désigner cette discrimination. Le terme arrive ensuite en France, où il est rapidement utilisé, par exemple par Simone de Beauvoir dans la revue Les Temps modernes en 1973. Le sexisme désigne donc les attitudes discriminatoires envers les femmes au sein du système que constitue le patriarcat, mais également l’idée que les hommes sont supérieurs aux femmes. Puisque nous avons vu que le patriarcat est un système dans lequel les femmes sont discriminées, il n’existe donc pas de sexisme anti-hommes. On peut évidemment discriminer un homme en raison de son sexe, mais on ne peut qualifier cette attitude de sexiste, puisque cette discrimination n’a rien de structurel, de systémique."
"Il existe dans notre culture de très nombreux et constants exemples de la supposée duplicité féminine. Les femmes sont souvent présentées comme des êtres fourbes, par qui arrive le malheur des hommes. L’exemple le plus connu est bien évidemment Ève qui a cédé à la tentation du serpent et poussé Adam à manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, entraînant leur expulsion du paradis."
"Odon de Cluny, moine bénédictin du Xe siècle, déclara ainsi : « La beauté de ce corps ne réside que dans la peau. En effet, si les hommes voyaient ce qui est sous la peau, la vue des femmes leur donnerait la nausée… Alors que, pas même du bout des doigts, nous ne souffrons de toucher un crachat ou une fiente, comment pouvons-nous désirer embrasser ce sac de fiente14 ? »"
"Cette misogynie se retrouve également dans les discours médicaux de Galien à Ambroise Paré, en passant par Aristote, qui feront des femmes des êtres lascifs à cause de leurs organes génitaux qui, selon eux, parce qu’ils sont internes, sont enflammés par la chaleur du corps et des flux qu’elles sécrètent."
"Le premier speak-out, où elles parlent publiquement de violences sexuelles, est organisé par le groupe Les Féministes radicales de New York et a lieu le 24 janvier 1971. Paraissent plusieurs livres fondateurs dans la compréhension de ce qu’est le viol. Dans Against Our Will: Men, Women, and Rape, Susan Brownmiller démontre ensuite que les violences sexuelles ont été vues comme un moyen de contrôle des femmes en s’assurant par le viol ou la menace de viol de les garder sous le contrôle des hommes : le viol est « un processus conscient d’intimidation par lequel tous les hommes maintiennent toutes les femmes dans la peur22 ». Le livre fut très mal accueilli tant la thèse semblait scandaleuse à une époque où l’on pensait le viol comme extrêmement rare. "
"Selon la journaliste Libby Brooks28 , les mouvements de type SlutWalk ont contribué à faire sortir le terme de la sphère militante et universitaire pour gagner le grand public. La SlutWalk, ou « marche des salopes », est une marche de protestation née en avril 2011 à Toronto au Canada après qu’un officier de police a dit que pour éviter d’être violée il faut éviter de « s’habiller comme une salope ». La SlutWalk est donc une marche de protestation où les femmes se réapproprient le stigmate, en s’habillant exactement comme elles le souhaitent. Le message des marches est éloquent : « Ne nous dites pas comment nous comporter, dites-leur de ne pas violer. » Il signifie qu’il ne faut pas culpabiliser les victimes (victim blaming) ou être agressif et oppressif envers celles dont on juge le comportement sexuel hors norme (slut shaming). Le mouvement s’est rapidement répandu dans différents pays du monde. Selon la sociologue Nickie D. Phillips29 , ce sont surtout quatre événements qui vont populariser davantage le terme aux États-Unis puis dans le monde entier, y compris en France au cours de l’année 2013. En janvier 2012, Daisy Coleman, âgée de 14 ans, et sa meilleure amie Paige Parkhurst, 13 ans, sont violées par des lycéens à Maryville, dans le Missouri, aux États-Unis. Si le violeur de Paige a bien été condamné par un tribunal pour mineurs, il n’en est pas de même pour celui de Daisy. Après le viol, c’est sa mère qui la retrouve dehors, par terre, dans un froid glacial de janvier, à demi nue. Elle gisait là depuis trois heures. Elle ne se souvient de rien sinon d’avoir bu un verre avec des amis. L’examen médical prouve la trace d’un viol ; l’auteur Matthew Barnett, joueur de football de 17 ans, admet le rapport sexuel alors que la jeune fille était ivre, rapport qu’il dit consenti, et son ami Jordan Zech avoue avoir filmé la scène. Le violeur est le petit-fils d’un ancien député républicain, ami du procureur chargé de l’affaire. Les charges furent abandonnées à la surprise du médecin qui avait examiné Daisy. Pendant ce temps, les jeunes filles étaient harcelées et insultées, la mère de Daisy perdit son travail et leur maison fut incendiée. Le groupe activiste Anonymous décide alors de rendre publique l’affaire, diffuse le nom du violeur et ordonne la réouverture d’une enquête. Les médias s’emparent de l’affaire et le gouverneur adjoint demande officiellement la réouverture du dossier devant un grand jury. En 2014, Matthew Barnett est finalement condamné à deux ans de prison avec sursis pour mise en danger de la vie d’une mineure. Il ne sera pas accusé de viol. Plus de dix jeunes filles ont indiqué depuis avoir été violées par Matthew Barnett et ses amis ; aucune enquête n’a été lancée à ce sujet. La violence sur les réseaux sociaux et dans « la vraie vie » exercée à l’encontre de Daisy Coleman et de sa famille, le soutien aux violeurs et l’impunité dont ils bénéficiaient furent, pour de nombreux médias internationaux, la révélation d’une culture du viol."
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