« Dans un second temps, quelques mois après la grève de Buffalo Grill, Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, fait adopter une nouvelle loi qui paraît le 20 novembre 2007. Renforçant à nouveau les restrictions à l’immigration familiale, contestée notamment en raison de l’introduction programmée de tests ADN, cette loi contient aussi, en son article 40, une disposition qui passe d’abord inaperçue. L’amendement vient de Frédéric Lefebvre, alors remuant porte-parole de l’UMP ; il autorise des régularisations « exceptionnelles » pour des sans-papiers qui sont titulaires d’un contrat de travail dans un secteur déclaré en difficulté de recrutement. L’idée est d’offrir une solution discrète aux entreprises qui, comme Modeluxe et Buffalo Grill, apparaîtraient de manière flagrante, et embarrassante, comme employeurs de travailleurs en situation irrégulière. Cet article 40 rejoint les orientations générales de la politique migratoire en associant utilitarisme et arbitraire. Pour Frédéric Lefebvre, il n’y a là que du « bon sens » : « À partir du moment où nous définissons des secteurs économiques en tension, avec l’idée de faire appel à des étrangers pour les soulager, regardons déjà sur notre territoire s’il n’y en a pas des compétents pour répondre aux besoins, et donnons pour cela la possibilité au préfet de régulariser ces personnes, au cas par cas7. » Il précisera plus tard sa pensée : « Je me suis battu pour que les entreprises soient les interlocutrices des préfectures. Je voulais contourner les associations qui dévoient les procédures afin de régulariser un maximum de personnes8. » »
« Au départ, Raymond
Chauveau hésite à rejoindre ce groupe, craignant de se spécialiser : « Je n’ai
pas vocation à être un militant de la cause des travailleurs sans papiers. Tout
ce qui tourne autour du travail syndical m’importe. » Les associations, « c’est
très flou, tu ne sais pas exactement qui est dedans, explique-t-il. Nous, c’est
simple, c’est des travailleurs1 ». Mais le syndicaliste de Massy se laisse
convaincre par le nouveau discours associatif centré sur les « travailleurs
sans papiers ». La grève de Buffalo Grill a eu un retentissement national : il
pense que si d’autres grèves éclatent, le gouvernement sera obligé de réagir. »
« Mais ce ne sont plus
seulement des structures territoriales de la CGT qui sont concernées. Au niveau
confédéral, la secrétaire Francine Blanche prend publiquement la parole pour
condamner la loi du 20 novembre 2007. Dans le même temps, elle se félicite de l’article
40 de cette loi : « J’ai salué l’adoption de l’article 40 de la loi Hortefeux.
Nous allons enfin pouvoir agir au sein des entreprises en montant des dossiers
de régularisation. » Elle se dit attachée à la « régularisation des
sans-papiers salariés3 ». Cette orientation est mal vue par certains militants
cégétistes impliqués depuis longtemps dans le mouvement des sans-papiers. Le 21
janvier 2008, plusieurs membres du collectif confédéral immigration
démissionnent, reprochant à la secrétaire confédérale d’abandonner la
perspective d’une régularisation de tous les sans-papiers et d’adopter une
rhétorique du travail qu’ils accusent de rejoindre l’argument utilitariste du
gouvernement. »
«Mais les réticences restent
grandes dans l’organisation quant à la nouvelle stratégie adoptée, tant au
niveau du principe de la régularisation par le travail qu’au niveau du travail
unitaire mené. En février, la signature de la CGT aux côtés de la CNT sur le
4-pages crée des remous à l’échelon confédéral : elle est retirée. Ces rapports
de forces internes expliquent en partie que la CGT ait fortement restreint le
périmètre de la préparation de la grève du 15 avril, laissant en particulier de
côté les autres syndicats. »
« Une autre grève
montre que les pouvoirs publics savent se montrer diligents. Le même 19 avril au
matin, soutenu par la CGT 92 et Droits devant !!, neufs salariés entament une
grève occupation du café restaurant La Jatte à Neuilly, où Nicolas Sarkozy a
ses habitudes. Les cuisiniers sont régularisés en deux jours. Le but de la
grève est double : d’une part, montrer que le travail des sans-papiers est
utilisé dans les lieux les plus prestigieux ; d’autre part, illustrer la
capacité du mouvement en cours à viser au cœur du pouvoir politique – et donc
pointer les contradictions apparentes de la rhétorique gouvernementale contre
l’immigration. Le succès rapide du conflit de La Jatte met aussi en lumière
l’inégal pouvoir des patrons à faire régulariser leurs salariés selon qu’ils
possèdent ou non des connexions avec le monde politique, ce qui crée une
inégalité entre grévistes. »
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