L’action directe
Les anarchistes se sont,
depuis toujours, fait les champions de l’action directe. Pour nous, il n’existe
pas de méthode qui réponde mieux à nos désirs, à notre militantisme.
Or les non-violents se disent
également partisan de l’action directe. Elle est à notre avis la seule qui nous
permette d’agir de manière non-violente. Il est alors permis de se demander si
nous parlons de la même action directe, car celle qu’employèrent les
anarchistes fut très violente. Doit-on changer de terminologie ou bien les deux
aspects sont-ils compatibles ?
Un individu peut agir par l’action
directe sur un tiers, sur un groupe de personnes, ou bien sur lui-même
(connaissance de soi). Nous ne nous préoccupons pas ici de ce dernier aspect de
la question, pour nous consacrer plus particulièrement au premier. Ecoutons ce
que dit sur ce point Pierre Besnard dans
l’encyclopédie anarchiste : « L’action
directe est une action individuelle ou collective exercée contre l’adversaire
social par les seuls moyens de l’individu ou du groupement. »
Dans un tout récent ouvrage
édité chez Julliard, Clémenceau, briseur
de grèves nous trouvons la définition suivante :
« L’action
directe signifie que quel que soit l’institution en cause, patronat,
gouvernement ou parlement, aucun système représentatif, aucune délégation de
pouvoir ne pourra jamais dispenser les travailleurs de s’occuper de leurs
propres affaires, et de peser de leur poids propre ; outre son efficacité,
l’action directe a une valeur de formation morale, de prise de conscience de l’exploité
de sa responsabilité et de sa force : en ce sens, un syndicalisme qui
renierait l’action directe se renierait lui-même ».
Ces deux définitions, bien que
trop brèves, permettent de situer l’action directe qui est avant tout une
action d’homme à homme, où les tiers non directement concernés sont éliminés.
Certains préférèrent les
procédés violents, et cela pour de multiples raisons, aux procédés non
violents. Examinons la forme prise par l’action directe suivant la méthode
employée.
Les non-violents vont
rechercher le dialogue. Il ne faut surtout pas qu’à la fin il y ait gagnants et
perdants, mais au contraire des hommes qui se sont mis pleinement d’accord sur
certains points. Par exemple, Vinoba ne prend pas la terre aux propriétaires, mais
la leur fait donner librement. A aucun moment le non-violent ne fait preuve d’autorité,
ne se place au-dessus de son adversaire (le terme d’adversaire ne devant pas
être pris dans un sens péjoratif quelconque, mais signifiant seulement qu’une
divergence d’opinions existe).
Le non-violent se considérera
même responsable de l’attitude de son
adversaire. L’exemple de Louis Lecoin qui jeuna à mort parce que le
gouvernement n’avait pas tenu ses engagements est caractéristique. (Si Louis
Lecoin ne se réclame pas de la non-violence, son acte peut-être néanmoins
considéré comme non-violent).
Par contre, certains se
refusèrent à employer la non-violence sans pour cela être violents. Ecoutons à
ce sujet Sébastien Faure (encyclopédie anarchiste, article : violence anarchiste).
« Je
ne me bornerais pas à dire que la violence n’est pas anarchiste, j’affirmerais
que la violence est anti anarchiste ».
Mais pour des raisons
tactiques, comme il l’ajoute plus loin, « les anarchistes ont la
conviction que pour briser les forces d’exploitation et d’oppression il sera
nécessaire d’employer la violence ».
L’action directe perd alors,
incontestablement, une partie de son caractère spécifique. En effet, la
violence pour s’exercer nécessite une force matérielle (armes, nombre, etc) qui
joue le rôle d’intermédiaire entre les antagonistes. Les rapports n’ont pas
lieu entre les intéressés eux-mêmes, mais entre des armes, des troupes. Certes
les intéressés sont concernés et n’ont pas délégué leurs pouvoirs à des
mercenaires, mais ils ne le sont qu’indirectement. L’action directe pure est
sacrifiée à l’efficacité.
Il n’y a pas incompatibilité
entre les deux formes prises par l’action directe, mais progression.
Je ne voudrais pas que ceux
qui aujourd’hui continuent à employer la violence se sentent condamnés. Je
demeure convaincu que le jour où la non-violence aura fait ses preuves en tant
que force révolutionnaire, la plupart la pratiqueront. Mes réflexions n’ont
pour but que de mieux, logiquement, coordonner nos actions et notre pensée.
Si la non-violence traduit
mieux dans le domaine de l’action la pensée anarchiste, nous nous devons de la
pratiquer, car si nous voulons demander au monde plus de logique, il nous faut
nous-mêmes être à l’avant-garde.
Sans vouloir servir de guide,
il nous faut donner l’exemple, sinon qui nous écoutera ? Toute révolution
ordonnée commence par soi-même.
Jean Coulardeau
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