Disruptif David Amar
Les mots du pouvoir ? On
aimerait qu’il y en eût et que ce pouvoir en fût un, c’est-à-dire construit sur
un discours articulé, une stratégie de conquête, voire une idéologie, même
faible, à laquelle on pourrait s’opposer, que l’analyse pourrait déconstruire.
Au lieu de cela : l’impression d’être devant un simulacre (ceci, n’étant
pas proportionné à la capacité de nuisance effective de ce pouvoir, qui est
très grande comme on peut s’en apercevoir), le sentiment d’entendre le bla-bla d’un fondé de pouvoir ou d’un
administrateur de biens censé mettre aux normes un état providence pourtant
déjà bien entamé. Une sorte de glu langagière qui reprend les tics des
publicitaires ou le sabir des fameuses start-up :
autant une affaire de mots que d’ambiance portée à valoriser la prétendue
réussite, le pragmatisme toujours accompagné du volontarisme « qui a fait
défaut aux précédents gouvernements » et une forme de demi-surprise
recherchée pour frapper les esprits. On se souvient pourtant que le quinquennat
avait commencé par la mise en scène d’un président martial et lettré (Gide et
quelques autres enrôlés à leur corps défendant), mais ce n’était là qu’une
image d’intronisation justement, une case à remplir (s’inscrire dans une tradition
politique) vouée à disparaitre : la photo officielle destinée aux mairies
devenant une affiche, remplacée assez vite par d’autres images. Images qui sont
d’ailleurs annoncées comme telles à l’opinion, appelée à juger de leur
efficacité comme une campagne publicitaire un panel de consommateurs.
Une des figures, peut-être, de ce
discours qui n’en est pas un : c’est de reprendre un mot ou une expression
à un autre discours constitué pour lui conserver sa supposée force mais
déplacée dans un contexte si différent, voire si opposé, que l’on peine à lui
retrouver du sens (ainsi du mot « révolution » qui désignait – rien que
cela !- le programme ou plutôt l’absence de programme déclarée du
candidat). C’est une forme d’appropriation
à laquelle se livrait déjà le discours sarkozyste, mais clairement
articulé, lui, dans une pensée de droite offensive. Ainsi des mots « rupture »
et « transgression » dont il faisait son miel. Chez Macron, on passe,
un ton en dessous mais dans le même registre, à « disruptif ». Mot
venu du marketing et des mêmes registres, à « disruptif ». Mot venu
du marketing et des start-up justement,
qui nomme l’émergence d’un nouveau produit ou service qui gagne une place
dominante sur un marché en redistribuant toutes les cartes précédentes du même
marché (comme l’a fait Uber, dit-on – quelle référence !). Le dictionnaire
nous apprend encore que le mot désigne aussi la rupture de charge électrique d’un
circuit. Le macronisme, c’est un peu cela en effet : un système qui s’est
vu chamboulé par un effet de surprise, le renouvellement d’une classe politique
et un toilettage des objectifs dans les limites acceptables et acceptées dudit système. Il y entre un peu
de surprise dans l’effet, une sorte de court-circuit donc, comme dans un slogan
publicitaire , et une présence de l’affect derrière un discours politique
supposé lisse. D’où aussi la diffusion calculée de phrases censées être non
publiques (grossières, en fait, et reprenant les clichés d’une certaine morgue
de dirigeant économique). Il s’agit de montrer que l’on n’est pas dupe de la
fameuse « pensée unique » : le clin d’œil de l’affranchi qui laisse entendre off qu’il ne croit pas à ce qu’il dit in. Où l’emblématique « en même temps »trouve son
efficace : dans des affirmations contradictoires qui brouillent les pistes
et malmènent la cohérence. Une petite décharge qui fait donc « disruption »
et qui ne change rien, qui fait passer l’ancien pour du nouveau en changeant le
conditionnement.
Le capitalisme à son stade
spectaculaire se passerait donc de discours cohérents et s’appuierait sur des
figure mi- humaines mi marionnettes, prises par le hoquet de leurs affects et
dont le sens n’est pas l’objectif principal ( alors qu’il répète qu’il faut « donner
du sens » : mais c’est encore un autre slogan retourné et approprié !),
plutôt le cynisme affiché, qui signale que l’ »on occupe la place du
pouvoir. La figure vide derrière son masque : ou le pur rapport de force,
comme il fallait s’en douter. Dans un passage très célèbre, d’A travers le miroir, devant Humpty
Dumpty qui change le sens des mots selon son bon vouloir, Alice s’étonne et l’interroge ;
celui-ci répond : « La question
est de savoir qui est le maitre, c’est tout. » La question est de savoir
qui est le maitre, c’est tout. » . Lewis Caroll, comme on l’a dit,
montrait le pouvoir dans sa nudité : celui-ci a mieux à faire qu’à s’occuper
du sens des mots et prendre soin du langage.
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