mardi 28 janvier 2025

Verso N°137 : Alain Guillard

C'est le cœur qui manque - le cœur- je n'éprouve plus - suis une mécanique de la sensation - mais ce feu, cette explosion, ce feu d'artifice, non ! Plus je suis mort. Un mort vivant

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Jusqu'à ces mots que j'accumule - coagule.

Ces mots, qui sont du sang séché.

Ces mots, qui sont brisures du miroir.

Ce miroir qui aura fait défaut.


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Une vie à bâtir. Leur vie. Pas la nôtre, pas celle des spectateurs. Pas la mienne - finie - Ordonnée : ce terme d'église.


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Pauvre, nous sommes spectateurs. Spectateurs toujours d'autres qui décident.


Créent. Et quand nous décidons, nous nous plantons l'essentiel du temps, l'essentiel de nos actes. Manque d'habitude sans doute?


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Spectateurs hier. Consommateurs aujourd'hui.

 Sans que je sois sûr que ce soit un progrès. 

Ce que je crois pourtant, c'est que c'est ce rôle qui nous donne cette présence.

Que cette présence vienne à ne plus avoir sens, nous serons réduits à rien ! A rien.

Ce que, pauvres, nous sommes. Au regard du système. Tel qu'il s'est constitué.


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Consommer ? La belle affaire.

Mais quoi

S'enrichir l'esprit, l'âme ?

A quoi bon ? Puisque nous serons gaspillés.


Ce système gaspille tant. Et avec tant d'aisance ! Tant d'indifférence !


Qui pense ici à ce que ce gaspillage signifie vraiment ?


Quand on y est, c'est trop tard. On passe à la moulinette, mais conscient. Sans même cette absence. Cet engourdissement que d'aucuns ont fini par connaître dans "leur nuit de l'âme".


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À quoi bon ? Tenir ? 

La souffrance est affreuse, en ce moment où je pars. Où je quitte ce lieu. Qui aura eu du sens. Que j'aurais traîné avec moi.


L'enfance, l'adolescence, l'amitié. L'illusion, l'aliénation

Que sais-je encore !

Mais la vie. La vie d'abord.

Car ces émotions - c'est la vie !

L'alliénation, tout autant ! On ne choisit que ses aliénations. Et encore ! Qui est jamais libre est encore dans l'illusion de sa liberté !


 Dieu même ! Qui a besoin des hommes. Qui, sans les hommes, n'est que solitude, concept creux.


N'est pas d'ailleurs l'illusion notre vraie liberté ? La seule ?


N'ai-jeeige pas perdu toute liberté depuis que je vais lucide ? Lucide et si seul ?



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Seul à mesure de ma lucidité ?


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À quoi bon même ces mots ?

 Je vacille. J'oscille au bord du rien.


J'aimerais tant retrouver cet accord de certains de ces moments passés, que je ne savais pas alors ! Que je ne réfléchissais pas !


 J'aimerais tant !


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Étincelle à cette brique, cette jeunesse allant à ses faits menus, tout présente à ceux-ci. Comme j'ai été, dans l'aliénation même de mes gestes.


Il y avait là toute la sève de la vie. Injuste sans doute, mais vie.

Quand, ensuite, nous nous sommes attachés à des systèmes, certes subtils, d'une incroyable intelligence, mais qui nous ont éloignés de cette vie.

Et à tort souvent.

A tort.


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Dans le sable (j'entends crisser le sable à leurs pieds et leurs mains) des enfants bâtissent- leur mère non loin, sur un banc, un magazine ( qu'on dira frivol) qu'elle lit dans une concentration totale - adhérant à ce qu'elle lit - avec gourmandise.


Je les surprends tous trois. D'un coup, dans ma propre existence d'enfant et de parent. Je les envie de cette paix, cet accord.Ayant appris, trop tôt, à interroger semblables activités. Ayant appris à mépriser pareille lecture futile, pareils moments, trop tôt. Par la confrontation incessante de deux styles de vie (pour aller vite, l'un de ma mère, l'autre de la famille paternelle omniprésente).

Où j'en suis aujourd'hui ? N'ayant rien bâti - rien donné - que je n'aurai détruit aussitôt. Quasi simultanément.


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Et donc je vais, seul, parlant à des ombres - monologuant plutôt - conscient que ces ombres (si elles vivaient encore) ne s'exprimeraient pas en comme je leur fais dire (pas exactement)

Je finirai, comme ma mère a fini, à roucouler des mots bêtes à sa chatte. Des mots d'amour pas renvoyé. Comme ces vieilles dames, leur pain, à leurs pigeons. Ou ces hommes monologuant dans leur alcool un pouvoir dérobé, une autorité niée.

Et encore !

Ils auront vécu eux.


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Je ne reviendrai pas sur ces mots. Je ne reviendrai pas.

Il y a eu des moments incroyables. Des moments que je ne pensais pas vivre. De ces moments sur un banc à déjeuner de sandwichs dans l'attente de l'ouverture d'Auteuil - l'hippodrome tout près - dans ce "jardin des poètes" - en compagnie de D.

Ces moments ne sont plus. Comme ma vie n'adhère plus.

Des moments de tennis aussi. De ces lumières d'été en extrême fin d'après-midi, je ne saurais les décrire à mesure de l'émotion éprouvée alors.

J'étais seul - souffrant d'être seul - en même temps, empli d'une énergie incroyable

Ce n'est plus.

Je traîne, amer, et pas vraiment, sans force, sans plus "aucune illusion", et il fait froid dans ce cas. Vraiment froid.


Au moins aurais-je tenté d'être cet écrivain que.

 Au moins.

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