Lettre ouverte.
"Quand j'entends le mot culture, disait le maréchal Goering, je sors mon révolver."
Ariel Sharon se contente, quant à lui, de baisser son pantalon et de se soulager, non pas sur le mot, mais sur tout ce qui qualifie ce mot. La preuve en est donné par cet article paru le 7 mai, dans "le monde", sous le titre : "A Ramallah, au ministère de la culture vandalisé par Tsahal".
L'essentiel des informations tient dans ce début :
"Une fois franchies les portes défoncées à l'explosif, l'odeur pestilentielle prend à la gorge. de loin en loin, la moquette souillée d'amas bruns ne laisse pas de doute sur son origine. Le ministère de la culture évacué dans la nuit du 1 au 2 mai par l'armée israélienne, n'est plus qu'un champ d'immondices.
les soldats ont laissé derrière eux des bureaux éventrés, des ordinateurs désossés et des montagnes d'archives jetées à terre, mêlées à des mégots, des reliefs de repas et des excréments. Partout plane la même odeur qui prend à la gorge. Aucun département n'a échappé au vandalisme. Les piles de livres, les photographies et les peintures portent uniformément la trace des occupants.
Des bouteilles de plastique remplies d'urine trônent dans les bureaux ou gisent au pied des murs contre lesquels elles ont été lancées..."
Il existe depuis toujours un langage du cul pour exprimer le mépris de l'Autre en lui chiant dessus ou pour lui faire violence en violent son cul. Il s'agit de souiller pour faire disparaitre l'humain sous une couche de caca. Le langage bestial est en soi l'articulation la plus anticulturelle. Il ne peut, dans sa négation de l'Autre en tant que semblable, qu'évoluer vers son propre excès par la torture, le meurtre, les massacres.
N'est-il pas que, trois jours plus tard, le 10 mai, le même journal publie à la fois un article sur la destruction partielle par les Israéliens de la vieille ville de Naplouse en instance d'être classée "trésor de l'humanité" et un autre, gratifié d'une place à la Une puis de toute une page, la 14, ayant pour titre : "Les délires de la haine anti-israélienne". Signature, un certain Lanzmann.
Un "certain" parce qu'il paraissait impossible qu'une diatribe semée de coups bas, de mépris grossiers et de contre-vérités soit l'oeuvre de l'auteur de "Shoah", ami de Sartre et son successeur à la direction des "Temps modernes". Mais l'énumération des qualités à la suite de la signature ne laisse aucun doute.
On comprend que l'odorat de monsieur Lanzmann n'a pas une portée suffisante pour l'informer de l'état du ministère de la culture palestinien, !ais on comprend mal qu'il ne lise pas le journal dans lequel il se déchaine. Mal aussi que la vision d'un cinéaste remarquable ait un champ pareillement réduit. On attend du directeur des "temps modernes" une intelligence du conflit israélo-palestinien susceptible de fournir, sinon une solution, du moins une éclaircie des positions réciproques, et par conséquent une compréhension. le rôle des "temps modernes" durant la guerre d'Algérie aurait du le conduire, par exemple, à nous sortir de l'hystérie générale en faisant remarquer qu'à l'évidence les actes qualifiés aujourd'hui de terroristes par les colonisateurs ne sont que des actes de résistance.
Mais, pour Claude Lanzmann, traiter Israel de colonisateur est une parole de haine puisqu'il fait l'impasse aussi bien sur la manière dont les palestiniens furent spoliés de leurs terres (6% seulement de ces terres ont été payées) que sur l'histoire d'une colonisation pourtant dénoncée désormais, en Israel même, par les nouveaux historiens et par une série de filmes de la BBC dont on peut penser qu'ils ont eu pour modèle "Shoah" de monsieur Lanzmann.
Le pire, cependant, n'est pas dans cette ignorance tactique, partagée par tous les dirigeants israeliens et que, peut-être nous aurions fini par partager tous s'il n'y avait ces innombrables réfugiés parqués depuis un demi-siècle dans des camps, et dont il faut bien de temps en temps, généralement à la suite d'un massacre, se demander d'où vient vient leur sort et pourquoi et comment et depuis si longtemps. Le pire est le ton méprisant qu'utilise monsieur Lanzmann pour disqualifier ceux qui pourraient l'amener à interroger ses certitudes. Et d'abord à l'égard des volontaires internationaux (CCIPP) qui, enfermés avec Arafat dans la Mouqua'ta, lui faisant rempart de leurs corps. Ils sont accusés d'avoir surtout une parfaite maitrise d'Internet et, donc, de propagande abusive. D'ailleurs, en dépit de la foule des témoignages et des images télévisées, monsieur Lanzmann nous assure que ces immeubles - de la Mouqua'ta - sont la plupart demeurés intouchés et "nul international ne perdit, Dieu soit loué, la vie'.
Ici, dans un étonnant dérapage, monsieur Lanzmann fait suivre ce Dieu soit loué dit son soulagement ( mais pourquoi se féliciter qu'aucune vie n'ait été perdue s'il n'y avait aucun risque?) d'une considération inattendue que voici :
"En Espagne, ce fut autre chose, les hommes véritables des véritables brigades internationales, allemandes, françaises, américaines, etc moururent par milliers, héroiquement dans les combats de Teruel, Albacete, Madrid, Barcelone, Malaga. On peut pardonner aux CCIPP de vivre en des temps peu épiques, sans grandeur ni utopie, qui les vouent à la parodie. Cela ne justifie pas qu'on passe de la parodie à la posture, à l'outrance, au mensonge, à la propagande, au faux témoignage."
On appréciera le passage au langage machiste (sous-entendu : des couilles au cul) avec l'évocation des "hommes véritables" et "des véritables brigades internationales".
L'inconscient de monsieur Lanzmann laisserait-il échapper que la cause palestinienne mériterait le secours des brigades internationales? Beaucoup y pensent, mais comment accéder à un pays que ses amis israéliens empêchent d'exister?
Monsieur Lanzmann considère, semble-t-il, que le choix d'une attitude pacifique est une parodie. Et sans doute sont pour lui mensonges les tirs avérés sur les journalistes, le refus de laisser circuler les ambulances, la volonté de laisser mourir les blessés, bref les centaines d'exactions constatés par les témoins les plus divers. Tout cela n'est qu'"outrances, propagande", etc, et monsieur Lanzmann y dope son élan contre "les faux témoins incendiaires", particulièrement trois d'entre eux qui ont sdu profiter de "toute la révérence que ce journal attache à la culture" pour publier dans "le monde", et sur deux pleines pages, "trois très longs textes d'écrivains" ! Voilà qui fait flotter une suspicion sur leur véritable nature car cette qualification les fait fatalement pencher vers la littérature plutôt que vers la véracité. D'ailleurs, Goytisolo, Soyinka et Breytenbach, les trois membres de "l'auto proclamé Parlement International des écrivains" venus en Palestine pour mesurer les dégâts, n'y ont séjourné que du 24 au 29 mars, autrement dit trop peu de temps pour être des témoins sérieux.
Monsieur Lanzmann avance à tort cet argument : il faut beaucoup de temps pour une enquête mais fort peu pour VOIR et, justement, constater "de visu" les dégâts, les vexations et les humiliations. N'importe quel Lanzmann de bonne foi, s'il se rendait en Palestine, pourrait, au vu de ces humiliations, les dénoncer pour oeuvrer à l'apaisement, mais son omniscience le dote d'un pouvoir intellectuel très supérieur à celui des 'faux témoins incendiaires". Conséquence, au lieu de démonter les témoignages, il démonte les témoins. En vérité, il leur chie dessus afin de les liquider culturellement et se trouve ainsi au diapason de la conduite de Tsahal à Ramallah.
Goytisolo est exécuté en trois lignes ("juge et partie depuis tant d'années, il devrait se récuser lui-même comme témoin"). Soyinka, le nobel Nigérien, est renvoyé à son embarras et à son incompétence.
Pour être juste, il faut reconnaitre que la lecture des textes de Goytisolo et de Soyinka est décevante. L'un et l'autre font en effet un peu trop de littérature quand in voudrait un regard cru. Mais tel n'est pas le cas de Breyten Breytenbach, qu'on sent touché au plus vif par ce qu'il a vu et dont les termes tremblent du désespoir de n'avoir rencontré qu'oppression et violence. Breytenbach est donc l'homme à abattre, et monsieur Lanzmann s'y emploie longuement. On jugera de quelle façon par ce paragraphe:
"Breytenbach, sait-on, est poète. Il l'était peut-être. Il n'est plus aujourd'hui qu'un rhéteur emporté par son emphase: il n'y a en lui aucune émotion vraie ni compassion authentique pour les Palestiniens. Habité, hanté de vide, il ne peut que mesurer l'énormité de ses proférations, mais, incapable d'y renoncer ou de faire marche arrière, il réagit par l'escalade ou la surenchère (soit dit en passant, cela décrit avec exactitude le mécanisme de la décision chez Adolf Hitler, qui se ligotait par ses propres paroles et défiait ainsi l'avenir : il proclamait irrévocables ses pires résolutions car son coeur était creux)".
La prenthèse finale est hélas significative : les "délires de la haine" ne sont pas où les situe monsieur Lanzmann, ils sont dans son propre coeur. Et si Breytenbach a droit au coup très bas de la comparaison avec Hitler, c'est qu'il est, parmi les trois honnis par monsieur Lanzmann, la voix la plus autorisée. Lui, Breyten Breytenbach sait, par expérience, reconnaitre dans la situation d'apartheid des Palestiniens une situation qui fut la sienne en Afrique du Sud, son pays. Pour avoir bravé l'apartheid par son mariage et pas seulement par des mots d'opposition, il a connu menaces de mort et longues années de prison. A la différence de monsieur Lanzmann, il sait de quoi il parle et il l'exprime d'une voix fraternelle à l'égard des Palestiniens et sans haine pour les Israeliens car il n'est sévère qu'avec leurs dirigeants. la seule chose choquante (pour moi) est d'apprendre que ces trois écrivains ont accepté de serrer la main de Shimon Péres, le politicien ke plus traitreusement opportuniste de notre temps. mais ce geste faisait sans doute partie de tourisme humanitaire que leur reproche monsieur Lanzmann avant de proférer avec sa superbe ordinaire cette écrasante et ultime question :
"Pourquoi, par exemple, vos informateurs ne vous ont-ils pas dit, monsieur Breytenbach, que les oliviers arrachés sont ceux qui se trouvaient e, bordure de route? Les tireurs s'embusquaient derrière leur feuillage et prenaient la fuite, leur action accomplie."
Monsieur Lanzmann a-t-il jamais vu un olivier? Sait-il qu'on ne les plante pas comme des platanes et que leur envergure ne saurait offrir qu'un abri précaire? Les puissants démocrates israéliens en ont fait arracher des champs entiers et non des files pour punir, spolier, humilier. Ils sont des spécialistes de la punition collective. Quant aux tireurs embusqués, monsieur Lanzmann, qui a fait un film sur Tsahal, doit savoir qu'ils échapperaient difficilement aux appareils de détecxtion ultrasophistiqués. Il suffit de penser aussi que, Tsahal assure avoir réussi, par ces moyens, à mener une guerre propre dans les ruelles sales de Naplouse et de Jénine.
La seuke bavure serait en somme le vandalisme merdeux dont a souffert le ministère de la culture à Ramallah. Si monsieur Lanzmann n'en tient aucun compte, c'est bien sûr pour la raison que la merde israélienne n'a vraiment une odeur de merde que pour un antisémite.
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